CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 31 mai 2024, n° 22/17193
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Adm Primeurs (SAS), R.M.W. & Co (SAS)
Défendeur :
Gil (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocats :
Me Regnier, Me Raskin, Me Dubest, Me Blondeau
Vu le jugement contradictoire rendu le 27 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Créteil, qui a':
- constaté l'intervention volontaire à la procédure de Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M],
- dit que la société Gil [M] a constaté une perte conséquente d'activité conséquemment à la création de la société ADM Primeurs,
- dit que la société ADM Primeurs, par le recrutement de l'intégralité du service commercial de la société Gil [M], a entraîné chez cette dernière une véritable désorganisation,
- dit que la société ADM Primeurs s'est livrée à une exploitation massive des clients et fournisseurs de la société Gil [M],
- dit que les agissements de la société ADM Primeurs ont causé un préjudice à la société Gil [M],
- condamné la société ADM Primeurs à payer à Me. [D] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 383'260'euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements concurrentiels et déloyaux pour l'année 2017 et 2018,
- dit mal fondée la société ADM Primeurs de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,'
- débouté la société ADM Primeurs de toutes ses demandes, plus amples et contraires,
- condamné la société ADM Primeurs à payer à Me [D] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société ADM Primeurs de sa demande formée de ce chef,
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement, sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit,
- condamné la société ADM Primeurs aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer parle Greffe à la somme de 73,22 euros TTC (dont 20,00% de TVA),
Vu l'arrêt contradictoire rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 chambre 5) qui a':
- confirmé le jugement en ce qu'il a dit que la société ADM Primeurs avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Gil [M], et sur les frais irrépétibles et les dépens,
- l'a infirmé sur le quantum pour l'indemnisation du préjudice,
Statuant à nouveau de ce chef infirmé,
- condamné la société ADM Primeurs à payer à la société Gil [M] représentée par son liquidateur judiciaire, Me [H], au titre du préjudice financier subi la somme de 176 558 euros au titre des actes de concurrence déloyale,
- dit que cette somme portera intérêts légaux à compter de la signification de la présente décision,
Y ajoutant,
- rejeté les demandes complémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société ADM Primeurs aux dépens de l'appel,
Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 28 septembre 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) qui a':
- cassé et annulé, sauf en ce que, confirmant le jugement, il constate l'intervention volontaire de M. [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], l'arrêt rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris,
- remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Paris autrement composée,
- condamné M. [H], en qualité de liquidateur de la société Gil [M], aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes,
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé,
Vu la saisine de la cour de renvoi le 3 octobre 2022 par la société ADM Primeurs,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 28 novembre 2023 par la société ADM Primeurs, demanderesse à la saisine, par lesquelles il est demandé à la cour de':
- déclarer irrecevable l'appel incident formé par Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M],
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- dit que la société Gil [M] a constaté une perte conséquente d'activité conséquemment à la création de la société ADM Primeurs,
- dit que la société ADM Primeurs, par le recrutement de l'intégralité du service commercial de la société Gil [M], a entraîné chez cette dernière une véritable désorganisation,
- dit que la société ADM Primeurs s'est livrée à une exploitation massive des clients et fournisseurs de la société Gil [M],
- dit que les agissements de la société ADM Primeurs ont causé un préjudice à la société Gil [M],
- condamné la société ADM Primeurs à payer à Me [D] [H], es qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 383 260 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements concurrentiels et déloyaux pour l'année 2017 et 2018,
- dit mal fondée la société ADM Primeurs de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouté la société ADM Primeurs de toutes ses demandes, plus amples et contraires,
- condamné la société ADM Primeurs à payer à Me [H], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société ADM Primeurs de sa demande formée de ce chef,
Et statuant à nouveau :
- débouter la société Gil [M], représentée par son mandataire judiciaire Me [H], de toutes ses prétentions, moyens et conclusions,
- condamner Me [H] ès qualités à payer à la société ADM Primeurs la somme de 15'000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la procédure abusive engagée par la société Gil [M],
- condamner Me [H] ès qualités à payer à la société ADM Primeurs la somme de 40'000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Me [H] ès qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel et notamment tous les frais d'huissier de justice dans le cadre d'une éventuelle exécution forcée des sommes à devoir,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er février 2024 par Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], défendeur à la saisine, par lesquelles il est demandé à la cour de':
A titre principal'
- déclarer l'appel incident interjeté par Me [H] ès qualités de liquidateur de la société Gil [M] recevable,
- confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il :
« condamne la société ADM Primeurs à payer à Me [D] [H], es qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 383 260 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements concurrentiels et déloyaux pour l'année 2017 et 2018 »,
- infirmer le jugement de ce dernier chef,
Et statuant à nouveau :
- dire et juger que le préjudice de la société Gil [M] résulte de la marge brute manquante, dont le taux est fixé à 9,74%,
- dire et juger que le préjudice de la SAS Gil [M] est évalué, sauf à parfaire, à la somme de 624 937 euros pour l'année 2017 et à la somme de 236 215 euros pour l'année 2018,
- condamner la SAS ADM Primeurs à verser à Me [H], es qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] la somme de 624 937 euros en réparation du préjudice qu'elle a causé à la SAS Gil [M] du fait des agissements concurrentiels pour l'année 2017,
- condamner la SAS ADM Primeurs à verser à Me [H], es qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] la somme de 236 215 euros en réparation du préjudice qu'elle a causé à la SAS Gil [M] du fait des agissements concurrentiels pour l'année 2018,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que le préjudice de la société Gil [M] résulte de la marge nette manquante, dont le taux est fixé à 4,48%,
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société ADM Primeurs à payer à Me [H], es qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 383 260 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements concurrentiels et déloyaux pour l'année 2017 et 2018,'
En tout état de cause,
- dire et juger que les sommes auxquelles la SAS ADM Primeurs sera condamnée au titre de la réparation du préjudice de la société Gil [M] porteront intérêt légal depuis le 4 juin 2018,
- dire et juger que la procédure la société Gil [M] n'est pas abusive,
- rejeter la demande de réparation de ce dernier chef formulé par la société ADM Primeurs,
- débouter la société ADM Primeurs de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions,
- condamner la SAS ADM Primeurs à verser à Me [H], es qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel,
- condamner la SAS ADM Primeurs aux entiers dépens, dont distraction au bénéfice de Me'Dubest,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 15 février 2024';
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société Gil [M], immatriculée en 1983, exerçait une activité de vente de fruits et légumes sur le marché d'intérêt national (MIN) de [Localité 5].
Son directeur commercial M. [I] a démissionné le 24 novembre 2016, et a créé la société ADM Primeurs, immatriculée le 7 mars 2017, également spécialisée dans la vente de fruits et légumes en gros sur le marché de [Localité 5].
Courant 2017, deux salariés de la société Gil [M], M. [Y] et Mme [K] l'ont quittée, et ont ensuite rejoint la société ADM Primeurs.
Le 11 octobre 2017, le président du tribunal de commerce de Créteil a, à la demande de la société Gil [M], désigné un huissier de justice ayant pour mission de se faire remettre par la société ADM Primeurs les contrats de travail des deux salariés susvisés ainsi que les documents relatifs à ses principaux clients et fournisseurs. Les opérations de constat ont été effectuées le 8 novembre 2017. Une demande de rétractation de l'ordonnance formée par la société ADM Primeur a été rejetée et la levée de séquestre des éléments saisis ordonnée par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2018.
Imputant à des actes déloyaux de la société ADM Primeurs la baisse de son chiffre d'affaires, la société Gil [M] l'a assignée à bref délai, selon acte d'huissier de justice du 6 juin 2018, devant le tribunal de commerce de Créteil en réparation du préjudice subi.
La société Gil [M] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 27 juin 2018 du tribunal de commerce de Créteil. Me [H] désigné en qualité de liquidateur judiciaire a poursuivi la procédure engagée par la société Gil [M]. Par jugement du 28 août 2018 la fin de la poursuite de son activité a été prononcée.
Sur l'étendue de la saisine de la cour
La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 avril 2021 sauf en ce que, confirmant le jugement, il constate l'intervention volontaire de M. [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], sur le fondement de quatre moyens':
Le premier moyen a reproché à l'arrêt du 8 avril 2021 d'avoir dénaturé les conclusions d'appel de la société ADM Primeurs en retenant qu'« il n'est pas contesté que M. [I] leur a proposé des rémunérations plus élevées que celles que M. [Y] et Mme [K] percevaient au sein de la société Gil [M]» alors que la société ADM Primeurs faisait valoir que les deux salariés avaient été embauchés à des salaires inférieurs à ce qu'ils percevaient au sein de la société Gil [M].
Le deuxième moyen a reproché à l'arrêt d'avoir retenu que « le débauchage de M. [Y] et de Mme [K] doit être qualifié de déloyal en ce qu'il a été ciblé et a eu pour conséquence de priver le service «'répartition'» , qui était crucial pour le fonctionnement de la société Gil [M], des personnes les plus compétentes » sans caractériser l'existence de man'uvres déloyales de débauchage de ces salariés par la société ADM Primeurs.
Le troisième moyen a reproché à l'arrêt d'avoir dénaturé les termes du procès-verbal de constat d'huissier de justice du 8 novembre 2017 en relevant qu'il en résultait « une exploitation massive des clients et fournisseurs habituels de la société Gil [M] », alors que le procès-verbal qui se bornait à constater la présence, sur les postes informatiques des salariés de la société ADM Primeurs, de nombreux documents informatiques concernant douze clients et dix fournisseurs de la société Gil [M], établissait seulement le transfert de ces clients et fournisseurs vers la société ADM Primeurs, sans caractériser le moindre élément d'origine déloyale de ce transfert ».
Le quatrième moyen a reproché à l'arrêt de n'avoir pas caractérisé les man'uvres déloyales de détournement des clients et des fournisseurs.
Sur la recevabilité de l'appel incident
Selon la société ADM Primeurs, l'appel incident de Me [H] ès qualités serait irrecevable au motif qu'il ne comporte pas de demande expresse d'infirmation ou d'annulation du jugement, de sorte que conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass.civ2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626 et Cass.civ2, 1er juillet 2021, n° 20-10.694) la cour ne serait saisie que d'une demande de confirmation du jugement en toutes ses dispositions par Me [H].
Toutefois, aux termes du dispositif de ses dernières conclusions après cassation partielle qui seul lie la cour de renvoi, Me [H] sollicite la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil, «'sauf en ce qu'il a condamné la société ADM PRIMEUR à payer à Me [D] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M], la somme de 383 260,00 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements concurrentiels et déloyaux pour l'année 2017 et 2018'».
Force est donc de constater qu'il est ainsi sollicité l'infirmation du jugement sur le montant des dommages intérêts alloués, étant ajouté à toutes fins que l'appel de la société ADM Primeurs a été interjeté le 3 décembre 2018, soit antérieurement à la règle énoncée par la cour de cassation dans les décisions invoquées par la société ADM Primeurs.
Cette dernière doit donc être déboutée de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel incident de Me [H] ès qualités.
Sur les actes de concurrence déloyale
La société ADM Primeurs critique le jugement du tribunal de commerce qui a retenu des actes de concurrence déloyale à son encontre au préjudice de la société Gil [M] et en demande l'infirmation. Elle fait valoir en substance que son dirigeant, M. [I], n'était tenu par aucune clause de non concurrence à l'égard de la société Gil [M], que le début d'activité de la société est postérieure au départ effectif de M. [I] de cette société, qu'il n'y a pas eu de débauchage massif des salariés du service «'répartition'» de la société Gil [M] ayant entraîné une désorganisation effective de l'entreprise, ni man'uvres déloyales de débauchage qui lui soient imputables ou à M. [I], que seule une politique commerciale, économique et sociale contraire à l'intérêt social de la société Gil [M] a entraîné le départ de ses salariés, enfin qu'il n'y a eu aucune captation ou détournement déloyal par elle de la clientèle et des fournisseurs de la société Gil [M].
Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] sollicite quant à lui la confirmation du jugement qui a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société ADM Primeurs à son égard. Il fait valoir, également en substance, que la société ADM Primeurs a débauché déloyalement M. [Y] et Mme [K] en leur proposant des rémunérations effectivement plus élevées, qu'elle a débauché de manière planifiée et intégrale les salariés du services « répartition » de la société Gil [M], ce qui constitue une man'uvre déloyale, que la captation déloyale par elle des clients et fournisseurs de la société Gil [M] est notamment établie par les 1 591 documents consignés dans le constat d'huissier et que la société ADM Primeurs a orchestré plusieurs man'uvres pour capter déloyalement les partenaires commerciaux de la société Gil [M].
Ceci étant exposé, il convient de rappeler que fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil applicables en l'espèce, la concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux. Elle se définit comme la commission de man'uvres déloyales, constitutives de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice.
Sur le débauchage des salariés
La société ADM Primeurs rappelle à juste titre que le principe de la liberté du travail et celui de la liberté de la concurrence impliquent qu'en l'absence de clause de non-concurrence, la simple embauche, dans des conditions régulières, des salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive.
M. [I], ancien directeur commercial de la société Gil [M] a donné sa démission par lettre du 24 novembre 2016, avec un préavis de 3 mois. Il lui est reproché d'avoir constitué une société concurrente de la société Gil [M], laquelle a été immatriculée le 7 mars 2017 dans le même secteur tant commercial que géographique et à la société ADM Primeurs d'avoir procédé au débauchage intégral et planifié des salariés du service «'répartition'» de la société Gil [M].
Cependant, et étant relevé que M. [I] n'a pas été attrait à la cause à titre personnel, la simple constitution d'une société dont l'activité a débuté le 6 mars 2017 soit quelques jours après la fin de contrat de travail de M. [I], n'est pas en soi fautive.
Par ailleurs, il est constant que le débauchage de salariés n'est illicite que s'il est justifié de man'uvres déloyales et d'une désorganisation de l'entreprise. A cet égard doivent être notamment pris en compte le caractère massif du débauchage, l'importance des fonctions des salariés débauchés et le rôle de la société concurrente pour inciter le départ des salariés. En outre, le débauchage fautif doit avoir eu pour effet de désorganiser l'entreprise et non pas seulement de la perturber.
En l'espèce, seuls deux salariés du service «'répartition'» de la société Gil [M], Mme [K] employée du service commercial depuis le 1er octobre 2015 et en particulier du service répartition depuis le 31 mars 2017, et M. [Y] agent administratif commercial depuis octobre 2010 et commercial depuis février 2017 seulement, ont rejoint la société ADM Primeurs. Il ne s'agit donc pas d'un débauchage massif de salariés expérimentés comme le prétend Me [H] ès qualités qui ne peut par ailleurs pas imputer à la société ADM Primeurs le départ successif de commerciaux embauchés en remplacement de M. [I] et de M. [Y].
M. [Y] a donné sa démission le 27 avril 2017 en attestant qu'il n'adhérait pas à la gestion de l'entreprise menée par M. [V]'; il justifie percevoir au sein de la société ADM Primeurs une rémunération inférieure à celle qu'il percevait au sein de la société Gil [M]. Mme [K] a démissionné de la société Gil [M] le 10 juillet 2017, sans toutefois rejoindre immédiatement la société ADM Primeurs au sein de laquelle elle a été embauchée le 7 novembre 2017'; elle atteste «'de la pression du dirigeant Mr [V] » et de « la tension permanente très difficile à gérer» et justifie par ailleurs avoir quitté la société Gil [M] pour un emploi moins rémunéré. Les départs de ces deux salariés n'ont donc pas été simultanés tandis que M. [I] n'était tenu à l'égard de la société Gil [M] par aucune clause de non concurrence et que M. [S] est quant à lui parti à la retraite annoncée à son employeur près de deux ans avant le départ de M. [I]. Enfin M. [Y] et Mme [K] ont répondu à une offre de la société ADM Primeurs via un site dédié.
Me [H] ès qualités ne justifie d'aucune désorganisation de la société Gil [M] liée au départ de M. [Y] et de Mme [K] qui sont les deux seuls salariés concernés par le grief de débauchage et qui ne sont pas partis simultanément de la société Gil [M], laquelle a au demeurant recruté dès le mois de février 2017 et sur une période de six mois, quatre nouveaux agents commerciaux dont deux au poste de directeur commercial. Enfin il résulte des différentes attestations versées au débat qu'il existait des dissensions certaines au sein de la société Gil [M] au moment du départ de M. [Y] puis de celui de Mme [K].
En conséquence aucune man'uvre déloyale n'est caractérisée à l'encontre de la société ADM Primeurs et aucune désorganisation de l'entreprise Gil [M] n'est démontrée, seule une perturbation de celle-ci étant tout au plus établie. Il en résulte que le grief de concurrence déloyale lié au débauchage de salariés ne peut prospérer. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le détournement de la clientèle et des fournisseurs
En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle et des fournisseurs d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal. En l'espèce, Me [H] ès qualités soutient que société ADM Primeurs a démarché et exploité de manière systématique et donc déloyale les principaux clients et fournisseurs de la société Gil [M], entraînant une baisse des approvisionnements et du chiffre d'affaires de celle-ci au départ de M. [I]. Il se prévaut à l'appui de ses prétentions du nombre important d'éléments résultant du constat d'huissier du 8 novembre 2017, d'une attestation de son ancien directeur commercial M. [C] et d'un courrier de la société ADM Primeurs du 3 novembre 2017 adressé à la société Puerto Export. Il ajoute «'en résumé'» que la société ADM Primeurs s'est rendue coupable de détournement de fichiers clients et fournisseurs, dénigrement direct auprès des partenaires commerciaux de la crédibilité de la société Gil [M], propagation d'une image négative de la société Gil [M], inaction délibérée de M. [Y] face aux sollicitations commerciales de la société Novellalle, refus délibéré de transmettre les mercuriales du mois de mars 2017 à la société Chrono Primeurs par les commerciaux en poste chez Gil [M] en janvier et février 2017 et utilisation des méthodes et fichiers de travail appartenant à la société Gil [M].
Or ni la baisse du chiffre d'affaires de la société Gil [M] ni l'augmentation non contestée de celui de la société ADM Primeurs, à les supposer en lien, ne suffisent à caractériser des man'uvres déloyales de la part de la société appelante.
Selon les propres écritures de Me [H] ès qualités, le 10 juillet 2018, la société ADM Primeurs a sommé la société GIL [M] de communiquer non seulement le registre du personnel mais aussi la liste complète de ses clients et fournisseurs, hors clients et fournisseurs litigieux avec les chiffres d'affaires HT pour chacun de ces clients, pour les exercices 2013, à 2017, certifiée sincère et véritable par son commissaire aux comptes, ce que le conseil de ladite société a refusé le 23 juillet 2018 en raison de «'l'atteinte disproportionnée au secret des affaires et d'une demande de communication sans fondement'». La cour relève néanmoins que la société Gil [M] est en liquidation judiciaire depuis le 27 juin 2018 et qu'elle a définitivement cessé son activité le 28 août 2018. Me [H] n'apporte donc aucun élément probant permettant de justifier de ce que les fournisseurs et clients qui auraient été détournés de la société Gil [M] comptaient parmi les plus importants de cette dernière.
Le constat d'huissier a été dressé le 8 novembre 2017 alors que la société ADM Primeurs a débuté son activité le 6 mars 2017, soit huit mois plus tôt. Il se borne à constater la présence, sur les postes informatiques des salariés de la société ADM Primeurs, de nombreux documents informatiques concernant douze clients et dix fournisseurs de la société Gil [M] et établit seulement le transfert de ces clients et fournisseurs vers la société ADM Primeurs, sans caractériser le moindre élément d'origine déloyale de ce transfert. Si de très nombreux documents ont été saisis, cette simple volumétrie ne suffit pas en effet à elle seule à justifier d'un quelconque démarchage systématique et déloyal de la part de la société ADM Primeurs.
Par ailleurs, il est de principe que la prospection de fournisseurs et/ou de clients d'un concurrent n'est pas en soi fautive.
L'attestation de M. [C], ancien directeur commercial de la société Gil [M] est démentie par les attestations produites par la société appelante.
Le courrier de la société ADM Primeurs du 3 novembre 2017 (pièce 30 de l'intimé) selon lequel celle-ci propose à la société Puerto Export une campagne pour du chou brocoli d'Espagne ne caractérise à lui seul aucun démarchage systématique des fournisseurs de la société Gil [M] par la société appelante, pas plus que la seule visite de M. [I] à la société Guenot le 2 mars 2017.
S'agissant des clients de la société Gil [M], il résulte des pièces produites par l'appelante, que ces derniers ont fait le choix de travailler avec M. [I] et la société ADM Primeurs. Il n'existe donc aucun démarchage déloyal et la perte de certains clients ou la baisse du chiffre d'affaires réalisé avec ces derniers ne peut être imputée à faute à la société ADM Primeurs.
Le «'bouquin clients'» dont se prévaut Me [H] ès qualités est un tableau au demeurant non identifié, comportant des noms de fournisseurs, des quantités de produits et des numéros de téléphone que la société Gil [M] ne peut s'approprier. Il ne constitue pas une méthode de travail, ni un savoir-faire et ne contient aucune information confidentielle dont la société ADM Primeurs se serait accaparée frauduleusement et qui lui aurait conféré sans bourse déliée un avantage concurrentiel, susceptible de caractériser le parasitisme qui est ici allégué.
Aucun dénigrement de la crédibilité de la société Gil [M] n'est caractérisé par l'intimé dans ses développements consacrés à la société La Bergerie pourtant expressément visée à ce titre, pas plus que la propagation d'une image négative de la société Gil [M] qui résulterait d'une attestation vague et imprécise de M. [O], salarié de la société Gil [M], qui indique que « ses prédécesseurs ont colporté de la publicité négative » sur la société Gil [M]. M. [Y] n'est pas le dirigeant de la société ADM Primeurs de sorte que son inaction alléguée face aux sollicitations commerciales de la société Novellalle n'est pas de nature à caractériser une man'uvre frauduleuse de la société appelante. Enfin le refus de transmettre les mercuriales de mars 2017 à la société Chrono Primeurs par la société Gil [M], ce que cette dernière conteste, ne caractérise aucun acte déloyal de détournement de clients et/ou fournisseurs par la société ADM Primeurs.
En conséquence, aucun des griefs allégués par la société Gil [M] au titre du détournement de la clientèle et des fournisseurs ne peut prospérer, aucun démarchage déloyal ne pouvant être imputé à la société ADM Primeurs. Le jugement sera également infirmé de ce chef.
En définitive aucune man'uvre déloyale n'étant établie à l'encontre de la société ADM Primeurs, Me [H] ès qualités doit être débouté de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de cette dernière au titre de la concurrence déloyale.
Sur la procédure abusive
Le fait d'exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s'il dégénère en abus. En l'espèce, aucun des moyens développés par la société appelante ne caractérise une telle faute. En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit mal fondée la société ADM en sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive.
Sur les autres demandes
L'issue du litige commande d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et au remboursement de frais irrépétibles.
Partie perdante, Me [H] ès qualités sera en condamné aux dépens de première instance et aux dépens d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé . La demande relative au remboursement des éventuels frais de justice à venir est quant à elle rejetée.
Enfin il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au présent litige.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'appel incident formé par Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M].
Infirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a dit mal fondée la société ADM Primeurs en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et débouté la société ADM Primeurs de toutes ses demandes.
Statuant à nouveau dans la limite de la cassation partielle,
Rejette les demandes de Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] fondées sur le débauchage de salariés de la société Gil [M] par la société ADM Primeurs.
Rejette les demandes de Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] fondées sur le détournement de clients et/ou fournisseurs de la société Gil [M] par la société ADM Primeurs.
En conséquence, déboute Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes demande plus amples ou contraires.
Condamne Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gil [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé.