Livv
Décisions

Cass. crim., 5 juin 2024, n° 22-86.361

COUR DE CASSATION

Autre

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

Mme Viriot-Barrial

Avocats :

SAS Hannotin Avocats, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Versailles, du 25 oct. 2022

25 octobre 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société [3] a porté plainte et s'est constituée partie civile contre son ancien directeur produit et gestion de l'offre, M. [B] [V], après que celui-ci a quitté la société à la suite de sa démission.

3. La partie civile lui reproche de s'être procuré avant son départ de l'entreprise un certain nombre de documents stratégiques appartenant à celle-ci, soit en les photocopiant, soit en les numérisant, puis en les transmettant par sa boîte de messagerie électronique sur son disque dur externe. Elle soupçonne M. [V] d'avoir voulu en faire profiter la société concurrente [1], qui l'a embauché après sa démission.

4. À l'issue de l'information, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu le 15 avril 2022.

5. La société [3] a fait appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens

Énoncé des moyens

7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2022, rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nanterre, alors :

« 1°/ que toute appropriation de la chose d'autrui, contre le gré de son propriétaire ou légitime détenteur, caractérise la soustraction frauduleuse constitutive de l'infraction de vol, quels que soient le mobile qui a inspiré son auteur et l'utilisation du bien appréhendé ; que les données numériques constituent une chose susceptible d'être soustraite au sens de cette disposition ; qu'en jugeant que l'infraction de vol n'apparaissait pas caractérisée, aux prétendus motifs que l'information n'aurait pas permis de démontrer que « parmi tous [l]es documents scannés, ils auraient dépassé le champ de compétence de [l'auteur des faits dénoncés par la partie civile] » et qu'il « aurait soustrait des données auxquelles il n'avait pas accès dans le cadre de ses fonctions », la chambre de l'instruction a méconnu l'article 311-1 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que toute appropriation de la chose d'autrui, contre le gré de son propriétaire ou légitime détenteur, caractérise la soustraction frauduleuse constitutive de l'infraction de vol, quels que soient le mobile qui a inspiré son auteur et l'utilisation du bien appréhendé ; que les données numériques constituent une chose susceptible d'être soustraite au sens de cette disposition ; qu'au cas présent, la partie civile soutenait que l'infraction de vol était constituée par le fait que son ancien employé avait, dans les jours précédant ou suivant sa démission et son départ vers un concurrent, importé des documents appartenant à la société partie civile sur des supports personnels, ce qui était prohibé par la charte informatique de l'entreprise ; que l'arrêt attaqué retient que l'infraction de vol n'apparaît pas caractérisée, notamment en ce que l'opposabilité de cette charte à cet employé serait discutable, dès lors que l'ancien employé n'en était pas signataire, et que ladite charte prévoirait l'usage de clés USB et de CD ROM personnels, ce qui signifierait qu'un tel usage aurait été permis ; qu'en statuant ainsi, quand ce document stipulait pourtant en son article 1.2. qu'il était opposable à tout utilisateur des données de l'entreprise, et en son article 2.1 qu'était prohibé tout chargement et tout stockage d' « informations internes, privilégiées, confidentielles apprises ou divulguées dans le cadre d'un contrat de travail », et enfin prévoyait seulement en son article 2.2. que chaque utilisateur devait s'abstenir « de laisser à disposition des supports informatiques (disquettes, cassettes, CDROM, clés USB...) contenant des données confidentielles, dans un bureau ouvert », sans que rien ne permette de présumer que les supports ainsi énumérés désignaient des supports personnels, et non pas ceux fournis par l'entreprise aux utilisateurs, la Chambre de l'instruction a méconnu l'article 311-1 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale. »

8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2022, rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nanterre, alors « que l'article 314-1 du code pénal n'exige pas, comme élément constitutif du délit d'abus de confiance, que le prévenu se soit approprié la chose confiée, ni qu'il en ait tiré un profit personnel ; qu'il suffit qu'elle ait été détournée ; qu'en énonçant que l'infraction d'abus de confiance n'était pas caractérisée en l'espèce, aux prétendus motifs que « l'étendue des marchés remportés et perdus par les sociétés [3] et [1] postérieurement au départ de [B] [V] n'a révélé aucun avantage pris par cette dernière sur la société [4] dans l'attribution des marchés » et que « de manière plus générale, le tableau reproduit en cote D775 à D779 démontre l'absence de tout gain de marché corrélatif pour [2] » (arrêt p. 20, § 2), la Chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par des motifs impropres à établir que l'infraction d'abus de confiance dénoncée par la partie civile n'était pas caractérisée, a méconnu l'article 314-1 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Les moyens sont réunis.

10. Pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef de vol, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que la soustraction de données par le biais de photocopies n'est pas démontrée, en l'absence de toute certitude sur la nature et le contenu de ces photocopies.

11. Les juges ajoutent, s'agissant des documents numérisés, d'une part, que la partie civile ne prouve pas que la charte informatique interne à l'entreprise interdise cette pratique et soit opposable à M. [V], d'autre part, que l'information n'a pas permis de démontrer que ces documents numérisés, importés sur des supports informatiques personnels, auraient dépassé le champ de compétence de M. [V], élément indispensable pour caractériser l'infraction de vol.

12. Pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de confiance, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que l'étude des marchés remportés et perdus par les sociétés [3] et [1] postérieurement au départ de M. [V] n'a révélé aucun avantage pris par cette dernière sur la société [3] dans l'attribution des marchés, et qu'il n'a pas été constaté de gain de marché corrélatif pour sa concurrente.

13. En l'état de ces seuls motifs, dont il ressort, d'une part, qu'il n'est pas suffisamment établi que M. [V] se soit volontairement approprié des documents ou des données dans un but personnel, d'autre part, qu'aucun usage de ceux-ci contraire au champ et aux nécessités de son emploi n'a été démontré, la chambre de l'instruction a suffisamment justifié sa décision.

14. Ainsi, les moyens ne sauraient être accueillis.

Sur le quatrième moyen

Énoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2022 rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nanterre, alors « que les juridictions d'instruction ont l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles, sans s'en tenir à celles proposées par la partie civile et sans se livrer à un examen abstrait des faits ; que la reproduction et l'extraction de données informatiques sont spécialement réprimées par l'article 323-3 du code pénal ; que ce délit peut être commis par une personne autorisée à accéder à un système de traitement automatisé de données et qui détourne le motif de son habilitation ; qu'en s'abstenant d'envisager les faits qui lui étaient soumis sous cette qualification pénale voisine, la Chambre de l'instruction a méconnu l'article 323-3 du code pénal, ainsi que les articles 85, 86 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. La demanderesse ne saurait faire grief aux juges du second degré d'avoir retenu que les éléments constitutifs du délit d'accès frauduleux à un système automatisé de traitement de données n'étaient pas réunis sans rechercher si les faits dénoncés n'étaient pas susceptibles d'être réprimés sous la qualification voisine prévue à l'article 323-3 du code pénal, dès lors que, d'une part, la partie civile n'avait proposé devant la chambre de l'instruction aucune autre qualification pour les faits en question, d'autre part, il ressort de l'arrêt attaqué que la preuve d'un détournement de données n'a pas été apportée.

17. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société [4] devra payer à M. [V] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille vingt-quatre.