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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 3 juin 2024, n° 22/01771

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Brunet Frères (SARL)

Défendeur :

NBB Lease France 1 (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Plouton, Me Cuturi-Ortega

T. com. Bordeaux, du 25 nov. 2022, n° 20…

25 novembre 2022

La SARL Brunet Frères exerce une activité d'hôtellerie.

Le 9 novembre 2018, elle a :

- passé commande auprès de la société Matécopie d'un photocopieur MF 2624, le contrat faisant état d'une location de 63 mois pour un coût de 290 euros,

- conclu un contrat de maintenance sur l'appareil objet de la commande,

- passé un contrat de location financière avec la société NBB Lease France 1 portant sur le même photocopieur fourni par la société Matécopie comportant 21 loyers trimestriels de 870 euros,

- passé un contrat de rachat/ reprise avec la société Matécopie de l'ancien matériel pour la somme de 5900 euros.

Le procès-verbal de livraison du matériel a été signé par la société Brunet et Frère sans réserve le 23 janvier 2019. La société NBB Lease france 1 lui a adressé le 9 février 2019 l'échéancier des loyers valant facture du contrat de location.

Par un jugement du 5 février 2020, la SARL Matecopie a été placée en liquidation judiciaire.

Par acte du 2 février 2021, la société Brunet Frères a assigné la société Matecopie devant le tribunal de commerce de Bordeaux, représentée par la SELARL [X] [N] ès qualité de mandataire liquidateur, et la société NBB Lease France, en annulation des contrats de location.

Par jugement réputé contradictoire du 25 novembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit:

- Constate la non-comparution de la SELARL [X] [N] ès qualité de liquidateur de la SARL Matecopie.

- Déboute la SARL Brunet Frères de ses demandes de nullité du contrat conclu avec la société Matecopie ;

- Déboute la société Brunet Frères de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SASU NBB Lease France 1 ;

- Fixe au passif de la société Matecopie les créances de la société Brunet Frères aux sommes de :

5000 euros au titre de dommages et intérêts ;

2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne la société Brunet Frères à payer à la société NBB Lease France 1 la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dit que les dépens seront partagés par moitié entre la société Brunet Frères et la SELARL [X] [N], ès qualité de liquidateur de la société Matecopie.

Par déclaration au greffe du 8 avril 2022, la SARL Brunet Frères a relevé appel du jugement intimant la Selarl [X] [N] en sa qualité de liquidateur et la société NBB Lease france 1.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 29 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la SARL Brunet Frères demande à la cour de :

Vu l'article préliminaire et les articles L.221-1 et L.221-3 du code de la consommation

Vu les articles R.111-1, L.111-1, L.221-5, L.221-9 prévus à peine de nullité par l'article

L.242-1 du code de la consommation

Vu les dispositions des articles 1128, 1130, 1137, 1138 et 1169, 1186 et 1240 du code civil

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 25 novembre 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Ordonner la nullité du contrat conclu avec la société Matecopie en date du 9 novembre 2018 pour manquements aux dispositions du code de la consommation et/ou pour dol et/ou pour pratiques commerciales agressives

- Ordonner la nullité du contrat de location financière avec NBB Lease France 1 le 9 novembre 2018 en raison de l'interdépendance des conventions.

A titre subsidiaire,

- Ordonner la nullité du contrat conclu avec la société Matecopie en date du 9 novembre 2018 pour manquements aux dispositions du code de la consommation et/ou pour dol et/ou pour pratiques commerciales agressives

- Ordonner la nullité du contrat conclu avec NBB Lease France 1 le 9 novembre 2018 pour manquements aux dispositions du code de la consommation et/ou pour dol et/ou pour pratiques commerciales agressives

En tout état de cause,

- Condamner la société NBB Lease France 1 à restituer à la Sarl Brunet Frères la somme de 4176 euros percue au titre des loyers percus, avec intérêt au taux legal à compter de chacun des versements et capitalisation (somme à parfaire) ;

- Condamner la société NBB Lease France 1 à verser à la SARL Brunet Frères la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral, et fixer la même somme au passif de la société Matecopie ;

- Condamner la société NBB Lease France 1 à verser à la SARL Brunet Frères la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Matecopie la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'inscrire au passif de celle-ci.

- Condamner solidairement les sociétés Matecopie et NBB Lease France 1 aux entiers dépens

- Débouter la société NBB Lease France 1 de toutes ses demandes, fins et conclusions

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 26 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société NBB Lease France 1 demande à la cour de :

Vu les articles 1103,1124, 1225, 1227, 1229, 1137, 1182, 1186, 1217 du code civil

Vu l'article liminaire du code de la consommation ;

Vu les articles L.111-1, L.111-2, L121-6, L.121-7, L.132-10 et L.221-1 et suivants du code de la consommation ;

Vu le contrat de location du 9 novembre 2018 ;

Et, à titre principal,

- Confirmer le jugement déféré (25 novembre 2021, n° 2021F00156) en toutes ses dispositions ;

- Débouter la SARL Brunet Frères de l'intégralité de leurs demandes ;

À titre subsidiaire,

Si la cour infirmait/réformait la décision déférée quant à l'application du code de la consommation et/ou l'existence d'un dol

- Débouter la SARL Brunet Frères de l'intégralité de ses demandes dirigées contre la société NBB Lease France 1 et le contrat de location, notamment au titre d'une prétendue interdépendance contractuelle ;

À titre infiniment subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour prononçait la caducité ou la nullité du contrat de location,

- Débouter la Sarl Brunet Frères de sa demande de dommages et intérêts ;

- Ordonner à la SARL Brunet Frères de restituer à leurs frais le matériel objet du contrat de location en bon état d'entretien et de fonctionnement, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification du jugement à intervenir, exclusivement à la Société NBB Lease France 1 au lieu choisi par cette dernière, ou à toute personne désignée par la Société NBB Lease France 1 ;

- Dans l'hypothèse où la SARL Brunet Frères ne restituerait pas le matériel objet du Contrat de location autoriser la Société NBB Lease France 1 ou toute personne que la Société NBB Lease France 1 se réserve le droit de désigner, à appréhender le matériel objet du contrat de location en quelque lieu qu'il se trouve pour en prendre possession en ses lieux et place, les frais d'enlèvement et de transport incombant exclusivement à la SARL Brunet Frères ;

- Débouter la SARL Brunet Frères de toute demande de restitution des loyers, et, à défaut, condamner la société Brunet Frères au paiement d'une somme équivalente aux loyers restitués (somme à parfaire), au titre de l'indemnité de jouissance du matériel mis à sa disposition ;

- Ordonner la compensation des sommes qui pourraient être dues entre la SARL Brunet Frères et la société NBB Lease France 1 au titre du présent jugement ;

En tout état de cause,

- Condamner la SARL Brunet Frères à payer la somme de 2 500 euros à la société NBB Lease France 1 au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des frais de la procédure d'appel ;

- Condamner la SARL Brunet Frères aux entiers dépens.

La Selarl [X] [N] à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 25 mai 2022 et les conclusions d'appelant le 18 juillet 2022 n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 mars 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 3 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

* sur la demande de nullité fondée sur l'article L 121-6 du code de la consommation relatives aux pratiques commerciales agressives :

1- Aux termes de l'article L 121-6 du code de la consommation, une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent :

1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur;

2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;

3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur.

Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :

1° Le moment et l'endroit où la pratique est mise en 'uvre, sa nature et sa persistance ;

2° Le recours à la menace physique ou verbale ;

3° L'exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d'influencer la décision du consommateur à l'égard du produit ;

4° Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;

5° Toute menace d'action alors que cette action n'est pas légalement possible.

2- Aux termes de l'article L 132-10 du code de la consommation, le contrat conclu à la suite d'une pratique commerciale agressive mentionnée aux articles L. 121-6 et L. 121-7 est nul et de nul effet.

3- L'appelante qui s'estime victime d'une pratique commerciale agressive demande à la cour de prononcer la nullité du contrat sur ce fondement expliquant qu'elle est une non-professionnelle au sens du code de la consommation s'agissant de la conclusion d'un contrat de location de photocopieur. L'intimée soutient que la société Brunet et frères qui n'est pas un consommateur ne peut solliciter l'application de ces dispositions.

Sur ce :

4- Les dispositions relatives aux pratiques commerciales agressives ne sont applicables qu'au consommateur, c'est-à-dire aux personnes physiques qui agissent à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale ou agricole.

5- Elles ne sont donc pas applicables à une personne morale, même si celle-ci n'agit pas à des fins professionnelles.

6- La demande d'annulation du contrat sur ce fondement ne peut donc aboutir.

* sur la demande de nullité fondée sur les dispositions de l'article L 221-3 du code de la consommation:

7- Aux termes de l'article L 221-1 du code de la consommation dans sa version applicable à ce litige sont considérés comme contrat hors établissement tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur:

a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes.

8- Aux termes de l'article L 221-4 du même code, les dispositions des sections 2, 3, 6 du présent chapitre applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

9- Aux termes des dispositions des articles L 221-5, L 221-5 et L 221-9 du code de la consommation pris ensemble et applicables au contrat conclu hors établissement, le professionnel doit fournir au consommateur, sous peine de nullité du contrat conclu hors établissement un exemplaire daté du contrat conclu hors établissement, comprenant de manière lisible et compréhensible:

1° Les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2,

2° Lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu'il contient sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

10- Aux termes de l'article L 111-1 du code de la consommation, avant que le consommateur ne soit lié par un contrat à titre onéreux, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :

1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, ainsi que celles du service numérique ou du contenu numérique, compte tenu de leur nature et du support de communication utilisé, et notamment les fonctionnalités, la compatibilité et l'interopérabilité du bien comportant des éléments numériques, du contenu numérique ou du service numérique, ainsi que l'existence de toute restriction d'installation de logiciel ;

2° Le prix ou tout autre avantage procuré au lieu ou en complément du paiement d'un prix en application des articles L. 112-1 à L. 112-4-1 ;

3° En l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à délivrer le bien ou à exécuter le service.

11- La société Brunet Frères soutient qu'elle peut bénéficier des dispositions relatives au contrat hors établissement, employant moins de 5 salariés et le contrat conclu étant sans lien avec son activité d'hôtellerie. Elle affirme qu'elle n'a reçu aucune information précontractuelle, que le prix unitaire ne figure pas au contrat, qu'il en est de même de la désignation précise de la nature et des caractéristiques du bien proposé, et du délai de livraison. Enfin, il ne lui a été fourni aucun formulaire de rétractation.

12- Le locateur financier rétorque que le contrat conclu rentre dans le champ d'activité de la société appelante, comme les premiers juges l'ont retenu et que dès lors celle-ci ne peut prétendre à bénéficier des dispositions relatives aux contrats conclus hors établissement. Elle affirme ainsi que de nombreuses cours d'appel considèrent que la fourniture et la location de photocopieurs rentrent dans le champ de l'activité professionnelle des locataires, dès lors que ce matériel permet de répondre aux besoins de celle-ci, ce qui est le cas en l'espèce. Elle fait valoir subsidiairement que l'appelante ne justifie pas avoir subi un quelconque manque d'information et que le contrat de maintenance produit par l'appelant ne permet pas d'analyser les conditions générales.

Sur ce :

13- Il n'est pas contesté que le bon de commande a été signé en dehors des établissements de la société Matécopie.

14- S'agissant du nombre de salariés, il ressort de l'attestation de l'expert comptable de la société qu'il était de 4,43 salariés à la date de conclusion du contrat.

15- S'agissant de l'application des dispositions de l'article L 221-4 du code de la consommation, la cour relève que si la location d'un photocopieur est sans conteste utile à l'activité professionnelle d'hôtelier de l'appelante, celle-ci n'entre cependant pas de ce seul fait dans le champ de l'activité principale de la société Brunet et frères, domaine sans lien direct avec la bureautique.

16- Dès lors, les premiers juges ont, à tort, retenu que les dispositions relatives aux contrats hors établissement devaient être écartées aux motifs que l'usage d'un photocopieur est courant, voire indispensable, dans l'exercice d'une activité d'hôtellerie et que les caractéristiques techniques à prendre en compte pour un tel matériel ne sont pas d'une complexité telle qu'elles nécessiteraient d'être examinées par un expert du secteur de la reprographie.

17- Le bon de commande ne comprend ni l'indication du prix du matériel ni l'indication du délai de livraison. Il n'est accompagné d'aucun formulaire de rétractation. Il convient donc de prononcer la nullité de ce contrat.

* sur la demande de prononcé de la caducité du contrat de location financière fondée sur l'interdépendance des contrats:

18- La société appelante soutient que le contrat de location financière est nul de plein droit en raison de l'interdépendance entre ce contrat et le contrat conclu avec Matécopie qui a été annulé.

19- La société intimée soutient que les contrats ne sont pas interdépendants, que les arrêts de la cour de cassation cités par l'appelante ne sont pas applicables car rendus avant la réforme du 1er octobre 2016 et que les dispositions du nouvel article 1186 du code civil ne sont pas applicables car :

- elle ne connaissait pas l'opération d'ensemble lors de la signature du contrat,

- l'appelante ne démontre pas que l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation de l'opération,

- l'appelante ne démontre pas que l'exécution de l'opération soit devenue impossible du fait de la disparition de l'autre contrat, il aurait notamment pu être fait appel à un autre prestataire pour la maintenance du photocopieur.

Sur ce :

20- Aux termes des dispositions de l'article 1186 du code civil dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2016, un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.

Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.

La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.

21- Sur le fondement de cet article dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2016, la chambre commerciale de la cour de cassation a jugé, dans le cadre d'un contrat de location financière portant également sur un copieur et ses accessoires, que, selon l'article 1186, alinéas 2 et 3, du code civil, lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie, la caducité n'intervenant toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble. Les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, il en résulte que l'exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l'un d'eux disparaît, les autres contrats sont caducs si le contractant contre lequel cette caducité est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement. ( Com, 10 janvier 2024, n°22.20.466).

22- En l'espèce, la concomitance de la conclusion des trois contrats conclus le même jour ( 'bon de commande' , contrat de maintenance et contrat de location financière), démontre d'une part, que la société Matécopie s'est comportée dans cette opération comme le mandataire de la société NBB Lease France 1, avec l'accord de celle-ci, et, d'autre part, l'intention commune des parties de recourir à une même opération, à savoir la mise à disposition d'un copieur et d'une imprimante en état de marche pour une durée longue , le contrat de maintenance prévoyant une garantie totale sur 5 ans, pièces, main d'oeuvre et déplacement inclus.

23- Même s'il n'est pas démontré que la société NBB Lease France ait été informée des propositions de rachat du matériel effectuées par le fournisseur, elle avait cependant une connaissance certaine de l'opération dans son ensemble, à savoir la location d'un matériel de bureautique accompagné de la maintenance nécessaire à son utilisation réalisée par le fournisseur lui-même du matériel loué.

24- Il n'est par ailleurs nullement établi que le client aurait pu passer un nouveau contrat de maintenance avec une société tierce aux mêmes conditions financières que le contrat conclu avec la société Matécopie alors qu'il ressort clairement des circonstances de l'espèce que la vente du matériel et sa maintenance formait un tout indivisible. Dès lors, l'exécution du contrat de location financière n'est plus possible du fait de la disparition du contrat de fourniture du matériel et du contrat de maintenance.

25- Il convient dès lors de constater la caducité, et non la nullité comme l'appelant le sollicite, du contrat de location financière.

26- La décision de première instance sera infirmée de ce chef.

Sur les conséquences du prononcé de la nullité du contrat principal et de la caducité du contrat de location financière:

27- La société Brunet Frères demande à la cour de condamner la société NBB Lease France 1 à lui restituer les loyers versés, soit la somme de 4176 euros assortis des intérêts compte tenu de la mauvaise foi de la débitrice. Elle sollicite e outre la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral arguant de la complicité de l'organisme financier dans les manoeuvres frauduleuses commises par la société Matécopie à son encontre.

28- La société NBB Lease France 1 rétorque que l'annulation du contrat ne peut avoir un effet rétroactif, la caducité affectant l'acte qu'elle atteint uniquement pour l'avenir. Elle rappelle que M. [I] a bénéficié et joui du matériel loué et qu'une restitution des loyers équivaudrait à un enrichissement sans cause. Si la cour devait la condamner à restituer les loyers perçus, elle sollicite la condamnation de société Brunet Frères à lui verser une somme équivalente aux loyers restitués au titre d'une indemnité de jouissance du matériel mis à sa disposition.

Sur ce :

29- Aux termes de l'article 1178 du code civil, un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d'un commun accord.

Le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé.

Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.

Indépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle.

30- Aux termes de l'article 1187 du code civil, la caducité met fin au contrat. Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.

31- Aux termes des dispositions des articles 1352 et suivants du code civil, la restitution d'une chose autre que d'une somme d'argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.

La restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. La valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. Sauf stipulation contraire, la restitution des fruits, s'ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l'état de la chose au jour du paiement de l'obligation. La restitution d'une somme d'argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l'a reçue. Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande.

32- Il appartiendra à la société NBB Lease France 1 de venir chercher à ses frais le matériel dans les locaux professionnels de l'appelante. Il n'y a pas lieu à ce stade de la procédure de prononcer d'astreinte. La société NBB Lease France 1 sera déboutée de sa demande visant à être autorisée à appréhender le matériel objet du contrat en quelque lieu qu'il se trouve,

33- Le photocopieur a nécessairement subi une dépréciation liée au temps mais également à son utilisation par la société Brunet Frères a minima jusqu'au mois de février 2020, date à laquelle la société Matécopie, en liquidation judiciaire, n'a plus assuré la maintenance du copieur.

34- Pour tenir compte de cette dépréciation et de la jouissance que la société Brunet Frères a eu du matériel jusqu'à l'annulation du contrat, la NBB Lease France 1 ne sera tenue de la restitution des loyers qu'à compter du 1er février 2020, cette restitution étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 février 2021, date de la demande, la mauvaise foi de la société NBB Lease France 1, n'étant pas démontrée, et de la capitalisation des intérêts.

35- S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, La preuve d'un dol commis par l'intimée de connivence avec la société Matécopie ne ressort pas des pièces produites aux débats.

36- Les dispositions relatives aux pratiques commerciales abusives ne sont pas applicables à l'appelante qui n'est pas une consommatrice.

37- Il n'appartient pas enfin à l'organisme de location financière de s'assurer de la régularité du contrat qu'il ne fait que financer de sorte qu'il n'est pas démontré une faute délictuelle à son encontre. En outre, l'irrégularité du contrat principal est déjà sanctionnée par la caducité du contrat de location financière.

38- L'appelante sera déboutée de ce chef de demande.

Sur les demandes accessoires :

39- Les condamnations prononcées par les premiers juges au titre des dépens et des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

40- La société NBB Lease France 1 et la société Matécopie seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel.

41- La société NBB Lease France 1 sera condamnée à verser la somme de 3000 euros à la société Brunet Frères au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision du tribunal de commerce de Bordeaux du 25 novembre 2022,

et statuant à nouveau,

Annule le contrat conclu le 9 novembre 2018 entre la société Matécopie et la société Brunet Frères,

Constate la caducité du contrat conclu le 9 novembre 2018 entre la société NBB Lease France 1 et la société Brunet Frères,

Ordonne à la société Brunet Frères de restituer le matériel objet du contrat et dit qu'il appartiendra à la société NBB Lease France 1 de venir chercher à ses frais le matériel dans les locaux professionnels de la société Brunet Frères,

Déboute la société Nbb Lease France 1 de sa demande visant à voir prononcer une astreinte et de sa demande visant à être autorisée à appréhender le matériel objet du contrat en quelque lieu qu'il se trouve,

Condamne la société NBB Lease France 1 à restituer à la société Brunet Frères les loyers versés à compter du 1er février 2020 au titre du contrat de location financière déclaré caduc, cette restitution étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er février 2020 et de la capitalisation des intérêts,

Déboute société Brunet Frères de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral formée à l'encontre de la société NBB Lease France 1,

Y ajoutant,

Condamne la société NBB Lease France 1 et la société Matécopie aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société NBB Lease France 1 à verser la somme de 3000 euros à la société Brunet Frères au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.