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Décisions

CA Pau, 1re ch., 4 juin 2024, n° 22/02209

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

EKIP' (Selarl)

Défendeur :

Samson Agro A/S (Sté), Euromagri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Faure

Conseillers :

Mme De Framond, Mme Rehm

Avocats :

Me de Ginestet de Puivert, Me Boillot, Me Garcia

CA Pau n° 22/02209

3 juin 2024

EXPOSE DU LITIGE

Suivant facture n° 2010008335 en date du 05 novembre 2008, la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES (ci-après CUMA), a acquis une tonne à lisier de marque SAMSON PG 20 auprès de la SARL EUROMAGRI pour le prix de 170 000 euros HT soit 203 320 euros TTC.

Cette tonne à lisier avait été préalablement acquise par la SARL EUROMAGRI auprès de la SA SAMSON AGRO A/S, suivant facture n° 1078105 du 21 octobre 2008 pour le prix de 124 678 euros (sans TVA).

La mise en route de cette tonne à lisier a été réalisée le 24 novembre 2008 et ce matériel a obtenu la certification de la DRIRE le 19 février 2009.

Le 16 mars 2009, à l'occasion de travaux dans les champs, la CUMA a constaté une fissuration de la jante acier de la roue avant gauche motrice.

Cette jante a été remplacée par une jante neuve par la SARL EUROMAGRI mais une nouvelle fissuration a été constatée le 19 novembre 2009 suivie d'une autre fissuration survenue le 11 juin 2010.

Le 12 octobre 2010, la SARL EUROMAGRI a procédé au remplacement des deux jantes qui étaient de marque TRELLEBORG par deux jantes de fabrication ERRAS, mais une nouvelle fissuration est apparue toujours sur la jante avant gauche.

Le 22 avril 2011, la SA SAMSON AGRO A/S a procédé elle-même au remplacement des deux moyeux de l'essieu avant et des jantes de roue avant de marque TRELLEBORG, conformes à celles d'origine, ce qui n'a pas empêché une nouvelle fissuration de la jante avant gauche survenue le 31 mai 2012.

Par courrier en date du 18 juin 2012, la SA SAMSON AGRO A/S a proposé de remplacer les jantes de la tonne à lisier par des jantes de nouvelle conception mais aucune suite n'a été donnée à ce courrier.

Aucune solution amiable n'ayant pu être trouvée au litige, par exploit du 28 mars 2013, la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES a fait assigner la SARL EUROMAGRI devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Dax, aux fins d'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire.

Par ordonnance en date du 02 juillet 2013, le juge des référés a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à Monsieur [C] [I], expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Pau, avec la mission de :

- se rendre sur les lieux et se faire remettre tous documents utiles,

- examiner la tonne à lisier litigieuse et décrire les désordres pouvant l'affecter,

- rechercher les causes à ces désordres, dire notamment s'ils proviennent de vices ou de défauts de fabrication, d'utilisation ou d'entretien ; dire s'ils présentent la nature de vices cachés antérieurs à la vente,

- dire si les défauts rendent le matériel impropre à sa destination ou en diminuent l'usage, et alors, dans quelles proportions,

- fournir tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices,

- indiquer et chiffrer les travaux de remise en état.

Par ordonnance en date du 17 décembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Dax a étendu les opérations d'expertise à la SA SAMSON AGRO A/S.

L'expert judiciaire a clôturé son rapport le 20 octobre 2015.

Parallèlement, par jugement en date du 07 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Pau a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES, fixé provisoirement au 02 août 2013 la date de cessation des paiements et désigné la SELARL [M] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement en date du 23 décembre 2013, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation ; par jugement du 02 avril 2014, il a ordonné la prolongation de la période d'observation pour une durée de 6 mois et par jugement en date du 04 juin 2014, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation jusqu'à son terme.

Par jugement du 13 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Pau a notamment décidé la continuation de l'activité de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES, arrêté le plan de redressement par continuation et désigné la SELARL [M] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

La CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES a cédé la tonne à lisier le 04 avril 2016.

Par jugement du 16 avril 2020, le tribunal judiciaire de Pau a prononcé la liquidation judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES et nommé la SELARL EKIP, prise en la personne de Maître [M], en qualité de liquidateur.

Par exploit du 20 novembre 2017, la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES a fait assigner la SARL EUROMAGRI devant le tribunal de grande instance de Dax, devenu tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020, sur le fondement de l'article 1641 du code civil, aux fins de :

- condamner la SARL EUROMAGRI à payer à la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES la somme de 162 140 euros,

- la condamner à la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,

- prononcer l'exécution provisoire de la décision, à tout le moins à concurrence des sommes déclarées par les créanciers de la CUMA à son redressement judiciaire,

- la condamner à 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont ceux de l'expertise judiciaire.

Par exploits des 03 et 24 juillet 2018, la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES a fait assigner aux mêmes fins la SARL EUROMAGRI et la SA SAMSON AGRO A/S, sur le fondement des articles 1147, 1109, 1110 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et sur celui de l'article 1787 du même code, en faisant valoir qu'il résulte de la jurisprudence élaborée en application des articles 1147 et 1787 du code civil, que le réparateur est tenu d'une obligation de résultat et que tant la SA SAMSON AGRO que la SARL EUROMAGRI sont intervenues en qualité de réparateurs afin de tenter de remédier aux dysfonctionnements de la tonne à lisier, ce dont elles se sont avérées incapables, manquant ainsi à leur obligation de résultat ; la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES invoque par ailleurs un manquement par la SARL EUROMAGRI à son obligation de conseil en sa qualité de vendeur, pour lui avoir vendu un matériel inadapté à ses besoins provoquant, une erreur sur les qualités substantielles de la part de l'acquéreur ; elle invoque enfin le fait que la SARL EUROMAGRI a manqué à son obligation de délivrer à la CUMA une tonne à lisier en état de fonctionnement.

Par exploit du 04 juillet 2018, la SARL EUROMAGRI a fait assigner la SA SAMSON AGRO A/S devant le tribunal de grande instance de Dax pour la voir condamner à la garantir et relever indemne de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.

Par ordonnances en date des 04 octobre et 06 décembre 2018, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de l'ensemble de ces procédures.

Après le jugement prononçant la liquidation judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES, la SELARL EKIP est intervenue volontairement en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA et a repris l'instance engagée par cette dernière.

La SARL EUROMAGRI et la SA SAMSON AGRO A/S ayant invoqué la prescription de l'action engagée par la demanderesse sur le fondement de la garantie des vices cachés, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 13 octobre 2020 devant le tribunal judiciaire de Dax, la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA n'a plus invoqué la garantie des vices cachés mais a fondé son action, à titre principal sur le manquement par la SARL EUROMAGRI et la SA SAMSON AGRO A/S à leurs obligations contractuelles de réparateurs tenus en cette qualité d'une obligation de résultat et à titre subsidiaire, limitant son action à l'encontre de la seule SARL EUROMAGRI, sur l'erreur sur les qualités substantielles commises par l'acquéreur du fait du manquement par la SARL EUROMAGRI à son obligation de conseil ainsi que sur son manquement à son obligation de délivrer un engin en état de fonctionnement et sollicitant la résolution du contrat de vente.

Par jugement contradictoire en date du 09 février 2022, le tribunal judiciaire de Dax a :

- reçu la SELARL EKIP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES en son intervention volontaire,

- débouté la SELARL EKIP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES, de l'ensemble de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre des frais irrépétibles,

- dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Les motifs du jugement sont les suivants :

Le tribunal a retenu qu'il résultait du rapport d'expertise judiciaire que le défaut affectant la tonne à lisier était inhérent à la chose vendue en ce qu'il n'était pas la conséquence d'une mauvaise utilisation de la chose par l'acquéreur, qu'il était antérieur à la vente et rendait la tonne à lisier impropre à sa destination, de sorte que le défaut affectant ce matériel constituait un vice caché.

Les premiers juges ont ensuite considéré qu'en présence d'un vice caché, la seule action ouverte à la CUMA était celle de la garantie des vices cachés, en indiquant que le fait pour les vendeurs de tenter de réparer les défauts de l'engin n'avait pas pour effet d'ouvrir à la CUMA l'action en responsabilité du réparateur dès lors que le défaut était antérieur à la vente.

Après avoir rappelé que l'action en garantie des vices cachés devait être exercée dans le délai de deux ans suivant la découverte du vice, à savoir au plus tard lors du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, soit le 20 octobre 2015, les premiers juges ont constaté que l'assignation au fond ayant été délivrée par exploit du 20 novembre 2017, soit plus de deux ans après la clôture du rapport d'expertise judiciaire, l'action de la CUMA était irrecevable pour être forclose en rappelant que cette forclusion n'était ni contestée ni contestable.

Le tribunal a donc débouté la SELARL EKIP en qualité de liquidateur de la CUMA de l'ensemble de ses demandes et dit qu'il n'y avait pas lieu de ce fait, à statuer sur l'appel en garantie formée par la SARL EUROMAGRI à l'encontre de la SA SAMSON AGRO A/S.

Par déclaration du 28 juillet 2022, la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES, a relevé appel de cette décision, intimant la SA SAMSON AGRO et la SARL EUROMAGRI et critiquant la décision en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant reçu la SELARL EKIP ès qualités en son intervention volontaire.

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 21 octobre 2022 par le RPVA, la SELARL EKIP agissant en qualité de liquidateur de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES demande à la cour, sur le fondement des articles 1147, 1109, 1110 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016131 du 10 février 2016, de l'article 1787 du même code, de l'article L.110-4 du code de commerce et des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer la décision attaquée,

Au principal :

- condamner la SARL EUROMAGRI et la société SAMSON AGRO à payer à la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DEPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES la somme de 162 140 euros,

Subsidiairement,

- condamner la SARL EUROMAGRI à payer à la CUMA DEPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES la somme de 162 140 euros,

En tous cas,

- condamner la ou les parties succombantes au paiement de la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,

- condamner la ou les parties succombantes aux entiers dépens dont les frais d'expertise judiciaire et au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 20 janvier 2023 par le RPVA, la SARL EUROMAGRI demande à la cour, sur le fondement des articles 641 et 695 du code civil, des articles 1641, 1645, 1646, 1648 et 1649 du même code, des articles 1109, 1110, 1147 et 1184 du code civil dans leur ancienne rédaction et des articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil, de :

A titre principal,

- dire et juger le liquidateur de la CUMA irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- rejeter toutes demandes contraires,

- juger que le liquidateur de la CUMA conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens,

A titre subsidiaire,

- juger recevable et fondé l'appel incident de la société EUROMAGRI,

En conséquence,

- condamner la société SAMSON AGRO à garantir et relever indemne la société EUROMAGRI de toutes les condamnations prononcées à son encontre, au bénéfice du liquidateur de la CUMA,

- condamner la société SAMSON AGRO à payer à la société EUROMAGRI la somme de 5 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Société SAMSON AGRO aux entiers dépens,

- rejeter toutes demandes contraires.

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 13 février 2023 par le RPVA, la SA SAMSON AGRO A/S, société de droit danois, demande à la cour, sur le fondement des articles 73 et suivants, 122 et suivants et 700 du code de procédure civile, des articles 1641 et suivants du code civil et des articles 2224 et suivants du même code, de :

A titre principal :

- constater que la société SAMSON AGRO A/S n'a été attraite que le 14 juin 2018 puis le 03 juillet 2018 à la procédure,

- constater que la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES n'a introduit une action sur le fondement de la garantie des vices cachés devant le tribunal de grande instance de Dax que le 20 novembre 2017, soit plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire remis le 20 octobre 2015 au tribunal,

- constater que la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement sur lequel la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES, pouvait agir,

- dire et juger que l'action de la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES sur le fondement de la garantie des vices cachés, est frappée de forclusion,

- déclarer irrecevable l'action de la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES,

- dire et juger que l'action concomitamment engagée par la SARL EUROMAGRI à l'encontre de la SA SAMSON AGRO A/S est également irrecevable,

Par conséquent :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 09 février 2022 par le tribunal judiciaire de Dax, notamment en ce qu'il a débouté la SELARL EKIP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la CUMA, de l'ensemble de ses demandes,

- débouter la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES et la SARL EUROMAGRI de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire :

- juger recevable et bien fondé l'appel incident de la SA SAMSON AGRO A/S,

- constater l'absence de cause interruptive de prescription,

- dire et juger que l'ensemble des actions à l'encontre de la SA SAMSON AGRO A/S sont frappées de prescription au visa de l'article 2224 du code civil,

Par conséquent :

- débouter la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES de ses demandes, fins et conclusions,

- débouter la SARL EUROMAGRI de son appel incident et de ses demandes, fins et conclusions,

Très subsidiairement :

- constater que la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES ne justifie pas le préjudice dont elle demande réparation,

Par conséquent :

- débouter la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES et la SARL EUROMAGRI de leurs demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause :

- condamner in solidum la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES et la SARL EUROMAGRI à verser à la SA SAMSON AGRO A/S la somme de 15 000 euros,

- condamner in solidum la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DES PYRENEES-ATLANTIQUES et la SARL EUROMAGRI aux entiers dépens lesquels comprendront notamment les dépens de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 décembre 2023.

MOTIFS

1°) Sur les demandes de la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DEPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES

A titre liminaire, il sera constaté que la disposition du jugement ayant reçu la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES en son intervention volontaire, n'est visée ni par l'appel principal ni par l'appel incident, de sorte que cette disposition est devenue définitive.

La SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA, soutient que la responsabilité de la SARL EUROMAGRI et de la SA SAMSON AGRO A/S n'est pas recherchée en leur qualité de vendeurs mais de réparateurs de la tonne à lisier qu'ils ne sont pas parvenus à réparer, de sorte que leur responsabilité est engagée pour manquement à leur obligation de résultat telle que prévue par l'article 1147 du code civil, soumise à une prescription quinquennale dont le point de départ doit être fixé à la date du dépôt du rapport d'expertise, soit le 20 octobre 2015, de sorte que le délai de prescription expirant le 20 octobre 2020 et l'assignation au fond sur le fondement de l'article 1147 du code civil ayant été délivrée au mois de juillet 2018, l'action n'est pas prescrite.

Elle soutient qu'en toute hypothèse, le délai de prescription a été interrompu le 31 mai 2012, lorsque la SA SAMSON AGRO A/S a proposé de concevoir une nouvelle jante, reconnaissant ainsi sa responsabilité, ce qui a interrompu la prescription conformément aux dispositions de l'article 2240 du code civil.

Subsidiairement, elle expose que :

- c'est par erreur sur les qualités substantielles de la tonne à lisier qu'elle a consenti à acheter en faisant valoir qu'elle n'a de relations contractuelles qu'avec la SARL EUROMAGRI qui, en sa qualité de vendeur professionnel n'ignorait pas l'usage auquel était destiné l'engin et à qui il appartenait de s'assurer de sa compatibilité avec les besoins de la CUMA, ce qu'elle n'a pas fait ; l'erreur sur laquelle elle est fondée n'ayant été découverte que lors du dépôt du rapport d'expertise judiciaire intervenu le 20 octobre 2015, elle soutient que son action à l'encontre de la SARL EUROMAGRI engagée suivant exploit de juillet 2018 n'est pas prescrite ; dans les motifs de ses écritures, la CUMA demande à la cour de prononcer la nullité du contrat de vente conclu avec la SARL EUROMAGRI, demande qu'elle ne reprend pas dans le dispositif de ses conclusions ;

- elle fait valoir également que la SARL EUROMAGRI a manqué à son obligation contractuelle de fournir à la CUMA une tonne à lisier en état de fonctionnement et elle sollicite de prononcer la résiliation du contrat, demande qu'elle ne reprend pas dans le dispositif de ses conclusions.

La SARL EUROMAGRI demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en soutenant :

- que l'action de la CUMA est prescrite sur le fondement de la garantie des vices cachés ;

- que la SARL EUROMAGRI a satisfait à son obligation de résultat en réparant l'engin qui, après chaque intervention de sa part, était en état de fonctionner et que l'inadéquation des jantes aux efforts qui leur étaient demandés révélée par le rapport d'expertise judiciaire, incombe exclusivement à la SA SAMSON AGRO A/S et constitue pour la SARL EUROMAGRI un cas de force majeure, exonérant le réparateur de toute responsabilité ;

- que sur l'action en résolution pour erreur sur les qualités substantielles, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que le défaut affectant l'engin constitue un vice caché et qu'il est de jurisprudence constante, que l'existence d'un vice caché affectant la chose vendue, exclut l'action en résolution pour cause d'erreur ;

- qu'aucun manquement à ses obligations contractuelles ne peut être reproché à la SARL EUROMAGRI qui a satisfait à son obligation de délivrance en livrant la tonne à lisier à la CUMA, laquelle n'a par ailleurs pas été victime d'une éviction de la part de quiconque, et la seule action possible sur le fondement de la garantie des vices cachés étant prescrite.

La SA SAMSON AGRO A/S conclut également à la confirmation du jugement entrepris en faisant valoir à titre principal que la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement sur lequel la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA pouvait agir, et que l'action en garantie des vices cachés est prescrite, l'action ayant été engagée plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire ; à titre subsidiaire, elle soutient que l'action de la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA est prescrite sur les autres fondements invoqués.

En l'espèce, il sera rappelé que l'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire les éléments suivants :

- les jantes qui équipent la tonne à lisier sont de marque TRELLEBORG (DK) plan n° P13-054 sur l'arrière et P15-132 sur l'avant ;

- au mois de mars 2009, il a été observé des fissurations sur la jante acier de la roue avant gauche (AVG) de l'essieu moteur, en même temps que la rupture non quantifiée de certains de ses goujons de fixation ;

- nonobstant une jante neuve alors remontée, les goujons remplacés et après un contrôle d'alignement de l'essieu trouvé conforme, de nouvelles fissurations sont apparues sur la même jante avant gauche, ce qui a amené la SA SAMSON AGRO A/S à faire procéder à un renfort de son voile avec surfaçage de son appui sur le moyeu et serrage des écrous au bon couple dynamométrique ;

- après avoir reproché à la CUMA un mauvais serrage des écrous des goujons des roues, sans clé dynamométrique et sans s'assurer d'une bonne portée des jantes, la SA SAMSON AGRO A/S a procédé elle-même, le 22 avril 2011, au remplacement des deux moyeux de l'essieu avant et des jantes de roues avant de marque TRELLEBORG, conformes à celles d'origine, s'assurant d'une bonne portée des jantes et du bon serrage au couple de 720 N.m, ce qui n'a pas empêché une nouvelle fissuration de la jante avant gauche le 31 mai 2012 ;

- cette situation a conduit la SA SAMSON AGRO A/S à concevoir un nouveau modèle de jante suivant plan TRELLEBORG P13-044, référence SAMSON 950 100 059, dont elle a finalement équipé l'ensemble de ses matériels livrés.

L'expert conclut en indiquant que la jante originelle P15-132, notamment en position avant gauche, n'est pas compatible avec les charges et contraintes qui lui sont demandées, en dépassement ou en zone limite de coefficient de sécurité et qu'elle ne pouvait résister aux efforts qui lui étaient demandés par une simple et normale utilisation sur route à 40 Km/h et surtout pas à la pression maxi de 4 bar des pneumatiques alors que les jantes doivent être conçues pour résister aux conditions de roulage avec la pression maxi de 4 bar prévue par la SA SAMSON AGRO A/S.

Pour l'expert, la rupture par fissurations successives de la jante avant gauche est un défaut pouvant être caractérisé par l'article 1641 du code civil, cette jante correctement montée ne résistant pas à ses efforts et contraintes de roulage, naturellement supérieurs à ceux des trois autres roues.

Il résulte de ce qui précède que le défaut affectant la tonne à lisier répond parfaitement à la notion de vice caché telle que définie par Monsieur [Z] [Y], Agrégé des Facultés de Droit et Professeur de Droit à l'université La Réunion, dans le jurisclasseur civil (- Art. 1641 à 1649 - fasc 30) selon laquelle 'Le vice s'identifie à toute défectuosité qui empêche la chose de rendre, et de rendre pleinement, les services que l'on en attend. Il résidera dans le mauvais état ou le mauvais fonctionnement de la chose, l'impossibilité de s'en servir dans des conditions satisfaisantes, les conséquences nuisibles produites à l'occasion d'une utilisation normale... Il faut que la qualité faisant défaut soit une des principales que l'on reconnaît à la chose'.

Il est de jurisprudence constante que si l'action en garantie des vices cachés n'est pas exclusive de l'action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat (3e Civ. 23 septembre 2020, n° 19-18.104), en revanche l'action en garantie des vices cachés, qui se définissent comme des défauts rendant la chose impropre à sa destination, constitue l'unique fondement possible de l'action contractuelle susceptible d'être exercée (3e Civ. 17 novembre 2004, n° 03-14.958).

Ainsi, c'est justement que le tribunal a écarté l'argumentation de la CUMA fondée sur le fait que la SARL EUROMAGRI et la SAS SAMSON AGRO A/S seraient intervenus comme réparateurs de l'engin litigieux et que leur responsabilité est recherchée sur ce fondement, alors qu'il est constant que le défaut existait avant la vente et que l'une et l'autre de ces sociétés sont intervenues en vertu de la garantie due en leurs qualités de vendeurs et non de réparateurs de l'engin.

Egalement, la jurisprudence n'admet pas que l'acheteur puisse invoquer un vice caché comme ayant été à l'origine d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose : la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement de l'action de l'acheteur dans ce cas et même si seule l'erreur est invoquée, en l'absence de vice du consentement, le juge a l'obligation de requalifier l'action en une demande en garantie des vices cachés (1ère Civ. 12 juillet 2001, n° 99-16.687).

Enfin, le défaut qui rend la chose impropre à l'usage auquel on la destine, constitue un vice caché excluant toute action fondée sur la non-conformité de la chose vendue (3e Civ. 24 avril 2003, n° 98-22.290), ce qui est le cas en l'espèce, de sorte que l'action en garantie des vices cachés qui sanctionne le défaut de la chose la rendant impropre à l'usage auquel elle est destinée, est exclusive de l'action pour défaut de délivrance conforme lorsque la non-conformité affecte l'usage de la chose, interdisant dans cette hypothèse une telle action.

Il s'ensuit que l'action en garantie des vices cachés étant exclusive de toute autre action à l'exception de l'action en nullité pour dol, l'action de la CUMA ne peut prospérer ni sur le fondement de la responsabilité contractuelle du réparateur, ni sur celui de l'erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue par plus que sur celui du manquement à l'obligation de délivrance pour défaut de conformité.

C'est donc à juste titre que le premier juge a déclaré que l'action engagée par la CUMA sur le fondement des articles 1147, 1109, 1110 et 1184 du code civil applicables au litige, était mal fondée et a débouté la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA de l'intégralité de ses demandes.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 1648 alinéa 1 du code civil que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Même si, depuis le jugement attaqué du 09 février 2022 ayant constaté que l'action en garantie des vices cachés, seul fondement possible de l'action de la CUMA, était irrecevable pour être forclose, la jurisprudence a évolué avec l'intervention notamment d'un arrêt de la cour de cassation de la chambre mixte du 21 juillet 2023 (n° 21-15.809) qui a déclaré, par un revirement de jurisprudence, que le délai biennal de l'article 1648 alinéa 1er du code civil était un délai de prescription et non de forclusion et que ce délai était donc suspendu, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge avait fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée, il n'est ni contesté ni contestable qu'en l'espèce l'action en garantie des vices cachés est prescrite puisque l'action engagée par la CUMA sur le fondement de la garantie des vices cachés, qu'elle n'a d'ailleurs pas soutenue par la suite, a été engagée par exploit du 20 novembre 2017, soit plus de deux ans après le 20 octobre 2015, date du dépôt du rapport d'expertise, à partir de laquelle le vice a été découvert constituant ainsi le point de départ du délai de prescription.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé de ce chef.

Compte tenu du sens de la présente décision, la demande de la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée.

2°) Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera confirmé concernant les dispositions relatives à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

La SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la CUMA DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES sera condamnée à payer, en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 000 euros chacune à la SARL EUROMAGRI et à la SA SAMSON AGRO A/S ; elle sera déboutée de sa demande formulée de ce chef.

Elle sera condamnée aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats qui en ont fait la demande.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Déboute la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES à payer à la SARL EUROMAGRI la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES à payer à la SA SAMSON AGRO A/S la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SELARL EKIP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la COOPÉRATIVE D'UTILISATION DE MATERIEL AGRICOLE DÉPARTEMENTALE DES PYRENEES-ATLANTIQUES aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats qui en ont fait la demande.