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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 4 juin 2024, n° 23/04512

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

J, G

Défendeur :

Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale (MGEN)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Laffly, Me Gerbi, Me Rossi

TGI Grenoble, du 21 juin 2018, n° 16/051…

21 juin 2018

Mme [Y] [J] s'est rendue aux urgences du centre hospitalier universitaire de [Localité 14] le 2 novembre 2013 où il lui a été diagnostiqué un abcès cérébral à listeria monocytogenes (LM), associé à une sinusite maxillaire droite et sphénoïdale gauche, compliquée d'une septicémie à listeria monocytogenes, de plusieurs saignements intra-cérébraux et d'une thrombose veineuse profonde proximale.

Elle est restée au service maladies infectieuses puis en soins continus jusqu'au 29 novembre 2013 pour être ensuite transférée de nouveau en infectiologie avant d'être orientée vers le centre hospitalier de [Localité 17] où elle est restée jusqu'au 14 février 2014.

Considérant que ce diagnostic résultait de la consommation d'un fromage de chèvre produit et commercialisé par le GAEC de Chavagne, Mme [Y] [J] a sollicité en référé l'instauration d'une mesure d'expertise médicale et la production de documents sous astreinte, prétentions dont elle a été déboutée par une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Grenoble du 25 mars 2015.

Sur appel, la cour d'appel de Grenoble, confirmant l'ordonnance déférée par un arrêt du 19 janvier 2016, a toutefois ordonné au directeur départemental de la protection des populations de l'Isère de communiquer aux conseils des parties les informations et pièces constitutives des diligences accomplies relatives à une alerte alimentaire de présence de listeria monocytogene (Lm) décelée fin 2013 dans des fromages de chèvres fabriqués par le GAEC de Chavagne.

Par exploits des 11 et 13 octobre 2016, Mme [Y] [J], son époux, Mr [W] [J] et leurs deux enfants, Mr [F] [J] et Mr [S] [J], ont fait assigner le GAEC de [Localité 13], au contradictoire de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN), organisme lui ayant servi des prestations, devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement en date du 21 juin 2018, le tribunal de grande instance de Grenoble a :

- rejeté les demandes de Mme [Y] [J], de Mr [W] [J], de Mr [F] [J] et de Mr [S] [J],

- condamné Mme [Y] [J] et Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J], à verser au GAEC de [Localité 13] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [Y] [J], Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J], aux entiers dépens de l'instance.

Les consorts [J] ont interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt avant dire droit en date du 17 septembre 2019, la cour d'appel de Grenoble a ordonné une expertise afin de déterminer l'origine de la contamination de Mme [J].

Le rapport d'expertise a été déposé par les docteurs [N] et [H], le 29 août 2020.

Par un arrêt du 30 novembre 2021, la cour d'appel de Grenoble a :

- confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris du 21 juin 2018,

y ajoutant,

- condamné in solidum Mme [Y] [J], Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J] à payer au GAEC de [Localité 13] la somme complémentaire de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamné in solidum Mme [Y] [J], Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J] aux dépens d'appel comprenant les frais d'expertise judiciaire.

Les consorts [J] ont formé un pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 19 avril 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 30 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble et remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Lyon.

La Cour de cassation a estimé au visa de l'article 455 du code de procédure civile que la cour d'appel de Grenoble avait manqué à son obligation de motivation en ne précisant pas sur quels éléments elle s'était fondée pour écarter l'avis de l'expert commis quant au délai d'incubation et admettre que la chronologie était exclusive de tout lien causal entre la contamination de Mme [J] et le fromage consommé.

Par déclaration de saisine du 31 mai 2023, les consorts [J] ont saisi la cour d'appel de Lyon.

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 13 février 2024, les consorts [J] demandent à la cour de :

- réformer le jugement déféré, en ce qu'il :

- rejette les demandes de Mme [Y] [J], de Mr [W] [J], de Mr [F] [J] et de Mr [S] [J],

- les condamne à verser au GAEC DE [Localité 13] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamne aux entiers dépens de l'instance.

statuant à nouveau par l'effet dévolutif de l'appel,

vu les articles 1245 et suivants du code civil,

- dire et juger que, compte tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, le produit alimentaire litigieux n'offrait pas la sécurité à laquelle le consommateur peut légitimement s'attendre,

avant-dire droit sur la réparation définitive du préjudice,

- ordonner une expertise médicale, commettre pour y procéder tel médecin expert qu'il plaira et lui impartir une mission d'évaluation du dommage corporel, conforme au droit commun,

- surseoir à statuer sur la réparation du préjudice dans l'attente de la clôture du rapport d'expertise judiciaire ;

- renvoyer de ce chef l'affaire au premier juge,

mais statuant d'ores et déjà par provision,

- condamner le Groupement agricole d'exploitation en commun de [Localité 13] à régler, par provision :

- à Mme [Y] [J] née [G] :

* une somme de 2.500 € à titre de provision ad litem,

* une somme de 60.000 € à valoir sur la réparation définitive de son préjudice corporel,

- à Mr [W] [J] :

* une somme de 15.000 € à valoir sur la réparation définitive de son préjudice d'affection,

* une somme de 20.000 € à valoir sur la réparation définitive de son préjudice d'accompagnement,

- à Mr [F] [J] et Mr [S] [J] :

* une somme de 8.000 € chacun à valoir sur la réparation définitive de leur préjudice d'affection,

* une somme de 10.000 € chacun à valoir sur la réparation définitive de leur préjudice d'accompagnement,

- condamner le Groupement agricole d'exploitation en commun de [Localité 13] à leur régler, indivisément entre eux, une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le Groupement agricole d'exploitation en commun de [Localité 13] à leur rembourser la somme de 1.000 € que le juge des référés leur a fait indûment supporter, par ordonnance du 25 mars 2015,

- condamner le Groupement agricole d'exploitation en commun de [Localité 13] aux dépens de première instance et d'appel, incluant d'ores et déjà les frais d'expertise judiciaire, avec distraction de droit.

Au terme de ses conclusions notifiées le 15 septembre 2023, le GAEC de [Localité 13] demande à la cour de :

- le recevoir en ses demandes, fins, moyens et conclusions,

et y faisant droit,

à titre principal,

- juger que les consorts [J] ne rapportent pas la preuve d'un défaut du produit mis en circulation,

- juger que sa responsabilité du fait des produits défectueux n'est pas établie,

en conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble en ce qu'il :

- rejette les demandes de Mme [Y] [J], de Mr [W] [J], de Mr [F] [J] et de Mr [S] [J],

- condamne Mme [Y] [J] et Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J] à lui verser la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne Mme [Y] [J], Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J], aux entiers dépens de l'instance,

- rejeter l'ensemble des demandes formées par Mme [Y] [J], Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J], à son encontre,

à titre subsidiaire,

- lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la demande d'expertise médicale sur la personne de Mme [J], quant à l'évaluation de son préjudice corporel, conformément à la nomenclature [P],

- juger que l'expert devra se prononcer sur l'état antérieur de Mme [J] au regard de ses antécédents médicaux et ses traitements en cours au moment de la contamination, quant à la caractérisation et l'évaluation de ses postes de préjudices,

- compléter la mission de l'expert par l'assistance d'un sapiteur ergothérapeute afin d'établir une description d'une journée type de Mme [J],

- ordonner que l'expertise se fera aux frais avancés des demandeurs,

- débouter Mme [J] de sa demande de provision ad litem,

- débouter Mme [J] de sa demande de provision et à défaut, la limiter à 10.000 €,

- débouter Messieurs [W], [F] et [S] [J] de l'intégralité de leurs demandes provisionnelles,

en tout état de cause,

- rejeter toutes demandes, fins, moyens et conclusions plus amples ou contraires qui pourraient être formés à son encontre,

- débouter les consorts [J] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les consorts [J] à lui verser la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les consorts [J] aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

- juger, au regard de l'équité, que chacun devra supporter les frais de procédure engagés et réserver les dépens.

La MGEN, à qui la déclaration de saisine a été signifiée à personne habilitée par acte du 26 juin 2023, n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1° sur la responsabilité des produits défectueux :

Les consorts [J] demandent que soit retenue la responsabilité du GAEC de [Localité 13] sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil en raison de la défectuosité du fromage vendu à Mme [J].

Les consorts [J] qui font valoir au préalable que le rapport d'expertise confirme sans ambiguïté que 'la cause de l'infection à Lm contractée par Mme [Y] [J] est l'exposition à l'agent infectieux via l'ingestion d'un fromage contaminé par Lm considéré comme impropre à la consommation', soutiennent que :

- la preuve de la réalité de la consommation d'un fromage produit par le GAEC de [Localité 13] est établi par un rapport d'investigation du 17 janvier 2014 de l'Institut national de veille sanitaire selon lequel 'un fromage de chèvre au lait cru acheté au marché de [Localité 17] et produit par le GAEC de [Localité 13] a été identifié au domicile de la patiente par la DDPP38",

- aucun autre cas d'infection à la LM lié à une souche présentant de telles caractéristiques micro biologiques n'a été recensé en France en 2013,

- l'agent en charge du prélèvement du fromage par la DDPP38 n'a mentionné ni la date de fabrication ni le numéro de lot et a avancé une datation approximative et non sourcée de l'achat du produit entre le 20 et 30 octobre 2013 et le Dr [H] sapiteur infectiologue a bien établi que les souches de LM issues de l'hémoculture de Mme [J] et celles du fromage du GAEC de [Localité 13] retrouvé dans son réfrigérateur ainsi que celles identifiées sur les fromages et dans l'environnement du GAEC de [Localité 13] en novembre et décembre 2013 étaient les mêmes,

- le rapport d'expertise relève qu'il n'existe pas une autre circonstance, cause ou origine possible à la contamination bactérienne en cause et par ailleurs le déficit immunitaire de Mme [J] n'est qu'un facteur de risque de développer une infection invasive grave et non sa cause.

Le GAEC de [Localité 13] fait valoir en réplique que :

- en raison de la chronologie des faits le lien de causalité entre la contamination de Mme [J] par une bactérie et les fromages de chèvre qu'elle a produits n'est pas établi,

- alors que la production de ses fromages est régulièrement contrôlée, seules deux contaminations ont été relevées en 2013, en mars et novembre et la dernière est intervenue après l'apparition des symptômes de Mme [J] qui ne se sont manifestés qu'à partir du 17 octobre 2013,

- la listériose nécessite plusieurs semaines d'incubation et les test effectués sur la production du GAEC le 10 octobre 2013 étaient négatifs, par ailleurs le fromage litigieux a été fabriqué entre le 20 et le 30 octobre 2013 soit après l'apparition des symptômes de Mme [J] et il n'existe pas de preuve qu'elle ait consommé de fromage du GAEC de [Localité 13] avant le 17 octobre 2013,

- la responsabilité du fait des produits défectueux s'apprécie au regard de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, or le prélèvement effectué dans le réfrigérateur de Mme [J] dont la température était non conforme car supérieure à 9°c, révèle la présence de la bactérie avec une concentration inférieure à 10 UFC/g, alors que le seuil de tolérance de la concentration de listeria est fixé à 100 UFC/g, le fromage restant approprié à la consommation,

- il s'est peut-être avéré dangereux mais uniquement pour Mme [J] qui présentait plusieurs facteurs de risques : une immuno-dépression et la prise de médicaments favorisant le risque d'infections bactériennes et celle-ci n'a pour autant pas adapté son régime alimentaire alors que la consommation de fromage au lait cru était particulièrement risquée au regard de son état de santé.

Sur ce :

L'article 1386-1, aujourd'hui 1245 du code civil, dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

Aux termes de l'article 1386-4, aujourd'hui 1245-3, du même code, un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.

Enfin, conformément à l'article 1386-9, aujourd'hui 1245-8, du même code, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Dès lors, il incombe à la victime d'établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux, cette preuve pouvant être rapportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

En l'espèce, dans le rapport d'expertise, le docteur [H], médecin infectiologue, relève que:

'Faisant suite à la déclaration obligatoire de l'infection neuro-méningée à LM, une enquête alimentaire a été conduite par la direction départementale de la protection des populations 38 en novembre 2013. En date du 7 novembre 2013, la DDPP 38 retrouve plusieurs aliments dans le réfrigérateur de Mme [J] dont quatre fromages du GAEC de [Localité 13] achetés entre le 20 et le 30 octobre 2013. Un des quatre fromages est entamé et est positif pour la recherche de LM (présence

L'ensemble des souches de Lm, celles isolées dans l'hémoculture du 3 novembre de

Mme [J], celles isolées du fromage entamé retrouvé dans le réfrigérateur, celles identifiées sur les fromages et dans l'environnement du GAEC de [Localité 13] en novembre et décembre 2013, a été adressé au Centre National de référence pour typage de la souche et analyse du génome en biologie moléculaire en électrophorèse en champ pulsé (PFGE). Les souches sont toutes du groupe Iia (Sérovar 1/2a ou 3a). L'analyse génomique retrouve un même et unique profil de restriction (IIa/237105/190308). Ce profil de restriction est identique à celui des souches isolées de l'alerte de mars 2013 (non-conformité du plan de surveillance microbiologique du 15 mars pour critère LM (alerte 2013/168))'.

Les experts [N] et [H] concluent que compte tenu :

- de l'immuno-dépression présentée par Mme [J] en 2013 (polyarthrite rhumatoïde, corticothérapie au long cours, prise de méthotrexate) et d'autres facteurs de risque vis à vis de Lm tels que la prise d'anti-gastrique,

- de la chronologie compatible en regard de l'incubation habituelle des infection à Lm de 2 à 19 jours pour les formes neuro-méningées,

- de la présence d'un fromage entamé dans le réfrigérateur de Mme [J] provenant du GAEC de [Localité 13] présentant moins de 10 UFC par gramme de Lm (en raison du déficit immunitaire présenté par Mme [J], la présence de Lm est à elle suffisante,),

- de la présence de Lm sur le site du GAEC, notamment sur des fromages ou dans l'environnement (la réglementation française impose qu'en sortie de production, aucune trace de Lm ne soit détectée),

- de l'identification d'un profit de restriction (analyse du génome des Lm isolées) identique entre les souches isolées du sang de Mme [J], dans le fromage entamé du réfrigérateur de cette dernière et dans les prélèvements alimentaires et environnementaux réalisés au GAEC de [Localité 13] en novembre et décembre 2013 et en mars 2013 (récurrence des contaminations environnementales);

il peut être répondu que l'infection à Listeria monocytogènes présentée par Mme [J] peut être en lien avec le fromage du GAEC de [Localité 13].

Ils relèvent que du fait que les souches identifiées lors de cette infection neuro-méningée, lors des prélèvements alimentaires et environnementaux qui en ont suivi et lors de l'alerte de mars 2013 pour des auto-contrôles positifs à Lm au sein du GAEC, du fait que le profit identifié par analyse génomique soit le même entre la souche de Mme [J], les souches alimentaires et environnementales de novembre et décembre 2013 et celles de mars 2013, que ce profil particulier n'ait pas été identifié en 2013 dans d'autres alertes humaines, alimentaires et environnementales malgré les auto-contrôles réalisés réglementairement dans ce type d'entreprises alimentaires au niveau national, il peut être répondu qu'il n'existe pas d'autres circonstances, cause ou origine possible quant à la contamination bactérienne en cause.

Il ressort de ce rapport d'expertise qui repose sur une analyse précise et documentée des différentes pièce du dossier, qu'après élimination de toute autre cause possible et au vu des investigations réalisées, la preuve de ce que Mme [J] a été infectée par une bactérie contaminant un fromage vendu par le GAEC de [Localité 13] est rapportée sans doute possible.

Les conclusions des experts sont confirmées par le rapport d'investigation de l'Institut national de veille sanitaire du 17 janvier 2014 mentionnant que le profil identifié isolé dans le sang de la patiente et celui de la souche du fromage de chèvre trouvé dans son réfrigérateur, similaires celui des souches isolées au sein du GAEC de [Localité 13] est le seul à avoir été identifié en France au cours de l'année 2013.

L'avis du laboratoire vétérinaire départementale de l'Isère selon lequel le fromage retrouvé dans le réfrigérateur de Mme [J] aurait été fabriqué entre le 20 et le 30 octobre 2013, soit postérieurement aux premiers symptômes développés par Mme [J] le 17 octobre 2013, ne précise pas d'où son auteur tient cette information laquelle ne repose manifestement que sur une simple hypothèse qui n'est confirmée par aucun autre élément au dossier.

Il n'est donc nullement exclu que l'achat du fromage par la patiente soit antérieur au 20 octobre 2013 et le moyen tiré d'un problème de chronologie ne permet pas d'exclure le lien entre l'ingestion du fromage et la contamination de Mme [J] par la bactérie Lm.

En outre, les experts précisent que l'incubation habituelle des infection à Lm peut être de 2 jours pour les formes neuro-méningées

D'autre part, les experts ont exclu toute influence des conditions de température dans le réfrigérateur de Mme [J] et dans son compte-rendu d'enquête épidémiologique, le docteur [H] précise que la température non conforme à 9,6 ° est sans conséquence pratique sur la prolifération de la bactérie Lm.

Enfin, le fait que Mme [J] ait présenté plusieurs facteurs de risques et que son seuil de tolérance à la listeria soit particulièrement bas, en l'espèce 10 fois inférieur, est indifférent dans le débat sur la défectuosité du produit.

En effet, la seule question qu'il convient de se poser est celle de savoir si le produit vendu et consommé par Mme [J] offrait à cette dernière la sécurité à laquelle elle pouvait légitimement s'attendre.

Tel n'a manifestement pas été le cas en l'espèce eu égard aux importantes séquelles subies par la victime à la suite de l'ingestion de ce fromage.

Le docteur [H] précise d'ailleurs en réponse à un dire que les fromages produits par le GAEC de [Localité 13] entre le 23 septembre et le 15 novembre 2013 étaient considérés comme impropres à la consommation quel que soit leur niveau de contamination et quel que soit l'état immunitaire du consommateur.

Mme [J] rapporte ainsi la preuve d'un dommage, d'un défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut et le dommage et les conditions d'application de la responsabilité du fait des produits défectueux sont réunies en l'espèce.

Il convient, infirmant le jugement, de déclarer le GAEC de [Localité 13] entièrement responsable des conséquences dommageables pour Mme [J], mais également pour les membres de sa famille, victimes par ricochet, de cette contamination.

2° sur les demandes de Mme [J] :

Mme [J] sollicite une expertise avant dire-droit avec pour mission d'évaluer son dommage corporel conformément au droit commun et la condamnation du GAEC de [Localité 13] à lui régler une somme de 2.500 € à titre de provision ad litem et d'une indemnité provisionnelle de 60.000 € à valoir sur la réparation définitive de son préjudice corporel.

Le GAEC de [Localité 13] ne s'oppose pas, à titre subsidiaire, à la demande d'expertise conformément au droit commun, aux frais avancés des consorts [J], et demande en ce cas de donner pour mission à l'expert de déterminer l'état antérieur de Madame [J] au regard de ses antécédents médicaux et ses traitements en cours au moment de la contamination et de lui demander de s'adjoindre un expert sapiteur ergothérapeute afin de fournir la description d'une journée type de Mme [J].

Il s'oppose à la demande de provision ad litem, fait valoir que la demande de provision est injustifiée et disproportionnée et propose qu'elle soit ramenée à 10.000 €.

Sur ce :

Conformément à la demande de Mme [J], il y a lieu d'ordonner une expertise médicale contradictoire qui aura lieu à ses frais avancés afin de déterminer les conséquences médico-légales du dommage dont elle a été victime.

La mission confiée à l'expert comprend déjà celle de décrire l'état antérieur de la victime et de préciser l'éventuelle incidence des antécédents médicaux constatés sur les lésions ou séquelles et par ailleurs, il appartiendra à l'expert judiciaire, au vu de ces constatations et dans les conditions prévues par le code de procédure civile, d'apprécier s'il lui apparaît nécessaire de recourir aux services d'un sapiteur ergothérapeute ;

Il résulte du rapport du docteur [N] que Mme [J] a été hospitalisée pendant plus de deux mois et il est relevé d'importantes séquelles au niveau notamment de la motricité des membres supérieurs et de la force musculaire des membres inférieurs, une déviation du sourire, des problèmes de perception auditive, une négligence de l'hémicorps droit à la marche et un steppage de la marche.

Au vu de ces éléments, la cour alloue à Mme [J] une indemnité provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de 25.000 €.

Les circonstances du dossier ne justifient par contre pas l'allocation d'une provision ad litem et ce chef de demande est rejeté.

3° sur les demandes des consorts [J] :

Les consorts [J] sollicitent des provisions à valoir sur la réparation définitive de leur préjudice d'affection et de leur préjudice d'accompagnement.

Le GAEC de [Localité 13] conclut au rejet de ces demandes au motif qu'il n'est justifié d'aucun de ces préjudice, que le préjudice d'accompagnement n'est pas un poste [P] et que la jurisprudence le réserve généralement à la période précédant le décès de la victime directe, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Sur ce :

Il n'est pas discutable que Mr [W] [J], époux de la victime directe, d'une part, et que MM [F] et [S] [J], enfants du couple, nés respectivement en 1976 et 1980, ont subi un préjudice d'affection résultant du fait de voir leur épouse et mère diminuée et en souffrance, et peut être aussi de la crainte d'une issue irréversible.

La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour leur allouer, à chacun d'eux, à titre provisionnel et à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection, la somme de 5.000 €.

Par contre, en l'état des éléments produits par les appelants, la cour n'estime pas nécessaire de leur allouer une indemnité provisionnelle à valoir sur leur préjudice d'accompagnement qu'il leur appartiendra de caractériser et d'établir de façon plus précise dans le cadre d'un éventuel débat au fond.

4° sur les autres demandes des consorts [J] :

Le juge des référés a débouté les consorts [J] de leur demande d'expertise au motif qu'au vu des pièces qu'ils avaient produites, ils ne justifiaient pas d'un intérêt légitime au soutien de leur action.

Cette procédure de référé est autonome de la procédure au fond et il n'y a pas lieu de condamner le GAEC de [Localité 13] à leur rembourser la somme allouée à celui-ci en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les dépens de première instance et d'appel qui comprennent ceux afférents à la décision cassée sont à la charge du GAEC de [Localité 13] qui succombe en ses prétentions.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des consorts [J] et il lui est alloué à ce titre la somme de 5.000 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

statuant de nouveau et y ajoutant,

Déclare le GAEC de [Localité 13] entièrement responsable des conséquences dommageables pour les consorts [J] de la contamination par une bactérie dont Mme [Y] [J] a été victime en 2013 ;

Ordonne une expertise médicale de Mme [Y] [J] née le 21 juin 1956 à St Marcellin (38) demeurant [Adresse 10]) ;

Commet à cette fin

le docteur [L] [K]

Institut de Biologie et de Pathologie CHU - [Adresse 12]

[Localité 3]

Tél : [XXXXXXXX01]

Mèl : [Courriel 15]@chu-grenoble.fr

avec la mission suivante :

Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son niveau scolaire s'il s'agit d'un enfant ou d'un étudiant, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieure à l'accident et sa situation actuelle,

A partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins ;

Recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches ; l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gène fonctionnelle subie et leurs conséquences ;

Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;

Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

A l'issue de cet examen analyser dans un exposé précis et synthétique :

- la réalité des lésions initiales et la réalité de l'état séquellaire,

- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur

[Pertes de gains professionnels actuels]

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ;

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

Préciser la durée des arrêts de travail retenus par l'organisme social au vu des justificatifs produits (ex : décomptes de l'organisme de sécurité sociale), et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable ;

[Déficit fonctionnel temporaire]

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ;

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

[Consolidation]

Fixer la date de consolidation et, en l'absence de consolidation, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime; préciser, lorsque cela est possible, les dommages prévisibles pour l'évaluation d'une éventuelle provision ;

[Déficit fonctionnel permanent]

Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ;

En évaluer l'importance et en chiffrer le taux ; dans l'hypothèse d'un état antérieur préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ;

[Assistance par tierce personne]

Indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; préciser la nature de l'aide à prodiguer et sa durée quotidienne ;

[Dépenses de santé futures]

Décrire les soins futurs et les aides techniques compensatoires au handicap de la victime (prothèses, appareillages spécifiques, véhicule) en précisant la fréquence de leur renouvellement ;

[Frais de logement et/ou de véhicule adaptés]

Donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap ;

[Pertes de gains professionnels futurs]

Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne l'obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d'activité professionnelle ;

[Incidence professionnelle]

Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, « dévalorisation » sur le marché du travail, etc.) ;

[Souffrances endurées]

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation) ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;

[Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif]

Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7 ;

[Préjudice sexuel]

Indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité) ;

[Préjudice d'établissement]

Dire si la victime subit une perte d'espoir ou de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale ;

[Préjudice d'agrément]

Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir ;

[Préjudices permanents exceptionnels]

Dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents ;

Dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ;

Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission ;

Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu à son remplacement.

Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ; dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;

Dit que l'expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

Dit qu'après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l'expert devra déposer son rapport au greffe de la 1ère chambre civile B de la cour d'appel de Lyon avant le 31 décembre 2024, sauf prorogation de délai expressément accordée par le magistrat chargé du contrôle.

Fixe à 1.500 € la provision mise à la charge de Mme [J] que celle-ci devra consigner au greffe de la cour avant le 30 juin 2024.

Dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque par application des dispositions de l'article 271 du code de procédure civile à moins que le juge chargé du suivi à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime ne décide une prorogation du délai ou un relevé de caducité.

Dit qu'en cas de caducité, l'instance se poursuivra sauf à ce qu'il soit tiré toute conséquence de droit du refus de consigner.

Dit que l'expert informera le juge de l'avancement des ses opérations et de ses diligences.

Désigne le conseiller de la mise en état de la 1ère chambre civile B comme magistrat chargé du contrôle des expertises pour surveiller les opérations d'expertises.

Rappelle que l'article 173 du code de procédure civile fait obligation à l'expert d'adresser une copie de son rapport à chacune des parties ou, pour elles, à leur avocat;

Condamne le GAEC de [Localité 13] à payer à Mme [Y] [J] la somme provisionnelle de 25.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;

Condamne le GAEC de [Localité 13] à payer à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection à Mr [W] [J], Mr [F] [J] et Mr [S] [J] la somme provisionnelle de 5.000 € à chacun.

Condamne le GAEC de [Localité 13] à payer aux consorts [J], unis d'intérêt, la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne le GAEC de [Localité 13] aux dépens de première instance et d'appel qui comprennent ceux afférents à la décision cassée et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile..