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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 4 juin 2024, n° 23/00001

BESANÇON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Est Volailles (SAS)

Défendeur :

Est Volailles (SAS), Ajrs (SELARL), Helal Food (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Saunier, Mme Manteaux

Avocats :

Me Pauthier, Me Chamy, Me Michel, Me Giebenrath

T. com. Belfort, du 6 déc. 2022, n° 19-3…

6 décembre 2022

La société de droit allemand Helal Foods GmbH a pour activité la vente de produits alimentaires, et fournissait notamment la SAS Est Volailles.

Faisant état de 18 factures restées impayées pour des livraisons effectuées en 2016, 2017 et 2018, la société Helal Foods a saisi le président du tribunal de commerce de Belfort, qui a rendu le 14 mai 2019 une ordonnance enjoignant à la société Est Volailles de lui payer la somme de 204 263,01 euros.

La société Est Volailles a fait opposition à cette ordonnance par LRAR du 30 juillet 2019.

Par jugement du 20 novembre 2020, le tribunal de commerce de Belfort a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Est Volailles.

La société Helal Foods a déclaré sa créance.

Par jugement du 15 juin 2021, le tribunal de commerce a ordonné la radiation de l'instance sur opposition à ordonnance d'injonction de payer.

Par acte du 9 septembre 2021, la société Helal Foods a repris l'instance.

Elle a mis en cause les organes de la procédure.

Elle a maintenu sa demande au titre des factures impayées, soutenant que celles-ci étaient parfaitement justifiées, et s'est opposée au moyen de nullité, en faisant valoir que la constitution d'avocat valait élection de domicile en application de l'article 760 du code de procédure civile.

La société Est Volailles a soulevé la nullité de l'assignation sur le fondement de l'article 753 du code de procédure civile, faute d'élection de domicile en France de la société Helal Foods. Elle a par ailleurs réclamé le rejet des demandes et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 648 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et discriminatoire des relations commerciales.

Par jugement rendu le 6 décembre 2022 en l'absence de comparution des organes de la procédure, le tribunal de commerce a :

- débouté la société Est Volailles de sa demande tendant à déclarer nulle sur le fondement de l'article 753 du code de procédure civile la demande formée par la société Helal Foods GmbH à son encontre ;

- déclaré l'opposition recevable en la forme ;

- débouté la société Est Volailles de sa demande tendant au prononcé de l'extinction de la créance déclarée par la société Helal Foods GmbH ;

- fixé la créance détenue au titre de 18 factures impayées antérieures au jugement de redressement judiciaire du 20 novembre 2020 par la société Helal Foods GmbH au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Est Volailles à la somme de 216 998,01 euros, à titre de créance chirographaire ;

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société Est Volailles tendant à voir condamner la société Helal Foods GmbH à des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi en raison d'une rupture abusive des relations commerciales entre les parties ;

- invité la société Est Volailles à mieux se pourvoir ;

- débouté la société Est Volailles de sa demande tendant à voir condamner la société Helal Foods GmbH au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi en raison d'une rupture discriminatoire des relations commerciales entre les parties ;

- condamné la société Est Volailles à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée du surplus de sa demande ;

- dit que les frais irrépétibles ainsi alloués seront prélevés en frais privilégiés de procédure collective ;

- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement ;

- condamné la société Est Volailles à supporter les dépens de la présente instance, dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 60,22 euros ;

- dit que les dépens seront prélevés en frais privilégiés de procédure collective ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et moyens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

- sur la nullité de la demande, que l'instance avait été introduite par l'opposition à une ordonnance d'injonction de payer, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à application des dispositions de l'article 753 du code de procédure civile, traitant de la saisine par assignation ;

- que, s'agissant de l'extinction de la créance, il n'était pas justifié du rejet de la créance déclarée par le juge commissaire, lequel avait nécessairement dû constater qu'une instance était en cours ;

- que les justificatifs des livraisons étaient produits, et que, si la société Est Volailles faisait état de montages, elle n'en rapportait pas la preuve ; que la société Est Volailles avait apposé son tampon sur ces documents, et que la société Helal Foods produisait les courriers de refus de deux chèques de règlement émis par la société Est Volailles pour insuffisance de fonds ; que la défenderesse avait ainsi reconnu être débitrice de la société Helal Foods, et que la créance détenue par celle-ci au titre des 18 factures impayées devait être fixée au passif de la société Est Volailles pour la somme de 216 998,01 euros à titre chirographaire ;

- que la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'une rupture abusive des relations commerciales était fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce, qui étaient d'ordre public, et dont le contentieux relevait du tribunal de commerce de Nancy en application de l'article D. 442-3 et de l'annexe 4-2-1 du livre IV du même code ; que le tribunal de commerce de Belfort était donc incompétent pour en connaître ;

- que, s'agissant de la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'une rupture discriminatoire des relations commerciales, tirée de l'application abusive par la société Helal Foods des 'sanctions du gouvernement turc sur l'ensemble de ses citoyens d'origine où qu'ils soient', la société Est Volailles ne rapportait aucun élément probant au soutien de la discrimination alléguée, dont elle ne précisait au demeurant pas le fondement juridique, de sorte que cette demande devait être rejetée.

La société Est Volailles a relevé appel de cette décision le 2 janvier 2023.

Par conclusions transmises le 31 mars 2023, l'appelante demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- de statuer à nouveau ;

- de juger nulle et, en tout cas, irrecevable la demande faite par la société Helal Foods GmbH ;

- de débouter en conséquence l'intimée de toutes ses fins et conclusions ;

- de la condamner à la somme de 648 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Est Volailles en raison de la rupture abusive des relations commerciales entre les parties ;

- de la condamner à la somme de 648 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Est Volailles en raison de ses agissements discriminatoires ;

Si par impossible le tribunal (sic) devait retenir les montants allégués par l'intimée malgré l'absence des preuves de livraison :

- d'ordonner la compensation entre les montants allégués par elle et ceux dus en parallèle à la défenderesse ;

- de la condamner à verser à la SAS Est Volailles la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de la condamner aux entiers frais et dépens.

Par conclusions notifiées le 29 février 2024, la société Helal Foods demande à la cour :

Vu l'articIe 383 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;

- de débouter la société Est Volailles de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens ;

- de condamner la société Est Volailles à verser à la société Helal Foods GmbH la somme de 3 000 euros au titre de l'articIe 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société Est Volailles aux entiers frais et dépens de la procédure.

La société Est Volailles a fait signifier sa déclaration d'appel à la SELARL AJRS, en sa qualité de commissaire au plan par acte du 9 février 2023 remis à personne morale, ainsi qu'à Maître [G] [Y], en sa qualité de mandataire judiciaire, par acte du 8 février 2023 remis à étude. Elle leur a par la suite fait signifier ses conclusions.

La SELARL AJRS, ès qualités, et Maître [Y], ès qualités, n'ont pas constitué avocat.

Il sera statué par arrêt de défaut.

La clôture de la procédure a été prononcée le 12 mars 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur la nullité

L'appelante invoque la nullité de la demande faute d'élection de domicile dans l'assignation en violation de l'article 753 du code de procédure civile, et ajoute que cette nullité ne peut être couverte.

Toutefois, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'inapplicabilité à l'espèce de l'article 753 invoqué, dès lors que l'instance n'avait pas été engagée par voie d'assignation, mais par opposition à une ordonnance d'injonction de payer, étant observé que les articles 1405 et suivants du code de procédure civile, qui régissent cette procédure spécifique, ne renvoient pas à l'application de l'article 753.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté le moyen de nullité.

Sur l'extinction de la créance,

La société Est Volailles fait valoir que la créance revendiquée par la société Helal Foods était éteinte par application de l'article L. 624-2 du code de commerce, dès lors qu'elle avait été rejetée par le juge commissaire.

Toutefois, alors que la charge de la preuve lui incombe sur ce point, force est de constater que l'appelante ne justifie d'aucune manière de l'existence d'une décision par laquelle le juge commissaire aurait effectivement rejeté la créance déclarée par la société Helal Foods, étant d'ailleurs observé qu'à la date de la déclaration de créance, une procédure était déjà pendante au fond devant le tribunal de commerce en suite de l'opposition formée par la société Est Volailles contre l'ordonnance d'injonction de payer du 14 mai 2019. En effet, seuls sont versés aux débats le courrier de déclaration de créance ainsi qu'un courrier en réponse du mandataire judiciaire faisant état du fait que cette créance était contestée dans son intégralité.

Le tribunal sera donc approuvé en ce qu'il a écarté l'argument tiré de l'extinction de la créance.

Sur la créance,

La société Est Volailles conteste avoir reçu livraison des marchandises objet des factures mises en compte par la société Helal Foods.

Il doit d'abord être relevé que cette dernière verse bien aux débats des traductions en langue française des factures litigieuses,

Elle produit également divers justificatifs de livraison au profit de la société Est Volailles, ainsi que des lettres de voitures. Si ces documents ne portent pas sur la totalité des marchandises facturées, ils permettent néanmoins d'établir sans ambiguïté la réalité d'une relation commerciale établie entre les deux sociétés, que l'appelante ne conteste pas, puisqu'elle fait par ailleurs grief à l'intimée d'y avoir mis fin de manière abusive, et dont elle admet au demeurant dans ses écritures qu'elle portait sur des volumes d'affaires importants.

Si l'appelante soutient que les documents produits portant son tampon commercial constitueraient des montages, force est de relever qu'elle ne produit strictement aucun élément concret de conviction de nature à étayer de quelque manière que ce soit cette allégation, qui reste dès lors à l'état de pure pétition de principe.

Il est en outre reconnu par la société Est Volailles qu'elle a émis au titre des factures litigieuses des chèques revenus impayés pour défaut de provision qui, s'ils ne couvrent pas le montant total de la créance réclamée, n'en corroborent pas moins le principe d'une créance de la société Helal Foods.

Au regard des pièces produites aux débats, appuyées par l'existence de longue date de relations commerciales portant sur des fournitures de marchandises conséquentes, il y a lieu de considérer que le montant de la créance est suffisamment établi par les factures produites, dont rien ne permet de mettre en cause la sincérité, et de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé la céance de la société Helal Foods au passif de la procédure collective de cette société.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales.

C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'étant expressément fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5°du code de commerce (actuellement L. 442-1 II), cette demande relevait de la compétence spéciale du tribunal de commerce de Nancy en application de l'article D. 442-2 du code de commerce, et de l'annexe 4-2-1 du même code, et qu'ils ont en conséquence constaté l'incompétence de la juridiction saisie.

Il y a cependant lieu, en application de l'article 81 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement en ce qu'il a invité la société Est Volailles à mieux se pourvoir, et d'ordonner que le dossier soit renvoyé à la juridiction compétente, ce que le tribunal de commerce a omis de faire dans le dispositif de sa décision.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour agissements discriminatoires.

Si la société Est Volailles forme appel du chef du rejet de cette demande, et la formule à nouveau dans le dispositif de ses dernières conclusions, force est toutefois pour la cour de constater que l'appelante ne développe strictement aucun moyen à l'appui de cette prétention dans le corps de ces écritures.

Dans ces conditions, et étant supposé, au vu des énonciations du jugement de première instance, qu'il serait pris argument par la société Est Volailles de sanctions infligées à l'initiative du gouvernement turc, que la production d'un article tiré d'un site internet généraliste et de copies d'écran tronquées comportant des messages dont certains en langue étrangère, et dont la cour ignore la provenance, sont en tout état de cause parfaitement impropres à caractériser, la confirmation du jugement entrepris s'impose en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Sur les autres dispositions,

La décision déférée sera confirmée s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

La société Est Volailles sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Helal Foods la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

Statuant par défaut, après débats en audience publique,

Confirme le jugement rendu le 6 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Belfort, sauf en ce qu'il a invité la SAS Est Volailles à mieux se pourvoir suite à sa déclaration d'incompétence ;

Statuant à nouveau du chef infirmé, et ajoutant,

Désigne le tribunal de commerce de Nancy comme étant compétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts formée par la SAS Est Volailles à l'encontre de la société de droit allemand Helal Foods GmbH au titre d'une rupture abusive des relations commerciales entre les parties ;

Dit que le dossier de l'affaire sera transmis à la juridiction ainsi désignée par les soins du greffe du tribunal de commerce de Belfort ;

Condamne la SAS Est Volailles aux dépens d'appel ;

Condamne la SAS Est Volailles à payer à la société de droit allemand Helal Foods GmbH la somme de 2 000 uris en application de l'article 700 du code de procédure civile.