Décisions
CA Colmar, ch. 2 a, 31 mai 2024, n° 18/02820
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 224/2024
Copie exécutoire
aux avocats
Le 31 mai 2024
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE [Localité 12]
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 31 MAI 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 18/02820 - N° Portalis DBVW-V-B7C-GZOA
Décision déférée à la cour : 24 Mai 2018 par le tribunal de grande instance de [Localité 12]
APPELANTE :
La SCI ESCULAPE, représentée par son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 9] à [Localité 10]
représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.
INTIMÉE et appelante sur provocation :
Madame [F] [K] épouse [P]
demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.
Avocat plaidant : Me HEIDMANN, avocat à Strasbourg
INTIMÉS sur appels principal et provoqué :
2/ Monsieur [U] [W]
3/ Madame [D] [G] épouse [W]
demeurant ensemble [Adresse 7]
représentés par Me Joëlle LITOU-WOLF, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre, et madame Nathalie HERY, conseiller, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre,
Madame Myriam DENORT, conseiller
Madame Nathalie HERY, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement après prorogation du 26 janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 17 août 2007, la SCI Esculape a acquis de Mme [F] [K], épouse [P], plusieurs lots dans un immeuble en copropriété situé [Adresse 8], dont le lot n° 9 consistant en un garage. Mme [K], épouse [P], avait elle-même acquis ces lots, selon acte du 9 août 2004, de Mme [T] [A], veuve [W], en qualité d'usufruitière, et de son fils, M. [U] [W], marié sous le régime de la communauté universelle avec Mme [D] [G], en qualité de nus-propriétaires.
Mme [T] [A], veuve [W], est décédée en 2010.
La société Esculape prétendant avoir découvert en 2012, à l'occasion d'une déclaration préalable de travaux déposée en mairie en vue de l'édification d'un portail, que son garage composant le lot n° 9 empiétait sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2], appartenant à la commune de [Localité 13], et que cet empiètement constituait un vice caché qui dévalorisait l'ensemble de ses lots, a fait assigner Mme [K], épouse [P], ainsi que M. [W] et son épouse, Mme [D] [G] (ci-après les époux [W]), devant le tribunal de grande de [Localité 12], en restitution d'une partie du prix d'achat qu'elle a payé.
Par jugement en date du 24 mai 2018, le tribunal a, notamment, rejeté les demandes de la société Esculape et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [K], épouse [P], d'une part, et aux époux [W], d'autre part, une somme de 1 800 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que l'action de la société Esculape, fondée sur un vice caché, se heurtait à la clause de non-garantie stipulée dans l'acte de vente du 17 août 2007, dès lors qu'il n'était pas démontré que la venderesse, Mme [K], épouse [P], connaissait l'existence de l'empiètement.
La société Esculape a interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du [Cadastre 4] juin 2018.
Par arrêt avant dire droit du 28 janvier 2021, la cour, considérant ne pas disposer d'éléments suffisants pour appréhender la situation factuelle litigieuse, a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [L] [R], géomètre expert, aux frais avancés de la société Esculape, et a invité les parties à s'expliquer sur les travaux d'alignement réalisés par la copropriété suite à l'assemblée générale du 21 février 2014, et sur les suites du mandat donné à M. [W] afin d'obtenir de la commune la cession des parcelles n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3].
L'expert déposé son rapport le 18 mai 2022.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 5 décembre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er août 2023, la société Esculape demandent à la cour, de :
- infirmer le jugement entrepris,
- condamner Mme [K] au paiement d'un montant de 15 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'obligation de délivrance, subsidiairement de la garantie d'éviction,
- la débouter de l'ensemble de ses fins et conclusions,
- déclarer l'arrêt commun aux époux [W],
- « le » débouter de l'ensemble de ses fins et conclusions dirigées à son encontre,
- « la » condamner à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.
En réponse aux fins de non-recevoir soulevées par Mme [K], épouse [P], l'appelante oppose que sa demande fondée sur l'obligation de délivrance n'est pas nouvelle en appel puisque tendant aux même fins que sa demande formée en première instance sur un autre fondement ; qu'elle n'est pas prescrite, la prescription d'une durée d'un an prévue par l'article 1622 du code civil n'étant pas applicable dès lors que sa demande n'est pas fondée sur un défaut de contenance de la chose vendue ; que son action est à juste titre dirigée contre Mme [K], épouse [P], l'empiètement sur la parcelle communale cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2], étant aussi le fait de son garage et ne se limitant pas aux voies d'accès et gros 'uvres des parties communes de la copropriété ; que le risque d'éviction est avéré même si la commune ne revendique pas son droit de propriété, lequel est imprescriptible s'agissant des biens appartenant au domaine public.
En réponse aux moyens invoqués par les époux [W], elle soutient que pour se prononcer en connaissance de cause sur l'acquisition qu'elle a faite, il incombait aux époux [W] d'informer leur propre acquéreur de l'existence d'une difficulté quant à l'empiètement du garage et du paiement d'une indemnité annuelle à la commune de [Localité 13], afin qu'elle puisse elle-même bénéficier de cette information pour le moins importante, ce qui justifiait de les appeler en cause.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que l'effectivité de l'empiètement litigieux est démontrée par les plans topographiques versés aux débats et par le paiement chaque année à la commune d'un « droit de tolérance ».
Elle fonde sa demande, à titre principal, sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur en faisant valoir que la chose vendue n'est pas conforme au contrat, le garage étant construit, pour partie, sur une parcelle propriété de la commune sur laquelle il empiète. Elle prétend qu'elle n'a pas été informée de cette situation, ni d'un droit qui serait perçu par la ville, de sorte que ne peut lui être opposée une livraison sans réserve. Par ailleurs, elle ajoute que la vente de la chose d'autrui est nulle et qu'en tous cas, le vendeur manque à son obligation de délivrance conforme du bien aux dispositions du contrat de vente lorsqu'il déclare vendre un bien qui ne lui appartient pas. Elle prétend ainsi subir un aléa, qui est celui de la mise en 'uvre de son droit de propriété par la ville de [Localité 13], qui en raison des attributs du domaine public peut exercer ses droits à tout instant, de sorte qu'elle est, dès à présent, exposée à un risque de devoir restituer une partie du garage et le démolir.
Elle expose en outre qu'au sens de l'article 1604 du code civil que, la délivrance étant le transport de la chose vendue en la puissance et la possession de l'acheteur, la venderesse n'a pas satisfait à son obligation de délivrance dès lors qu'elle n'a pas été en mesure de lui remettre le titre de propriété concernant la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n°[Cadastre 2] sur laquelle est construit pour partie le garage.
S'agissant de l'évaluation de son préjudice résultant du défaut de conformité, elle soutient qu'elle doit être faite en fonction de la valeur du garage dont l'empiètement sur la parcelle communale pourrait conduire à sa démolition, raison pour laquelle elle sollicite que le montant de 6 000 euros initialement demandé en restitution du prix, soit augmenté du coût de démolition du garage chiffré à 4 080 euros TTC.
Subsidiairement, elle invoque, au visa des articles 1625 et 1626 du code civil, dans leur version applicable au jour de la vente, la garantie d'éviction du fait des tiers due par le vendeur, estimant subir un risque avéré de devoir délaisser à la commune la partie du garage qui empiète sur sa parcelle. Elle affirme que le trouble est bien antérieur à la vente et constitue un trouble de droit portant sur le droit de propriété. Elle allègue qu'il est également actuel, au motif que la ville s'est réservée le droit de reprendre les parcelles surbâties. Elle expose en outre qu'en application de l'article 1637 du code civil, la valeur de la partie de l'immeuble dont l'acquéreur se trouve évincé doit lui être remboursée suivant l'estimation à l'époque de l'éviction, l'acquéreur conservant la fraction de la chose dont il n'est pas évincé.
Elle soutient que si l'expert a confirmé l'empiètement du garage sur la parcelle n° [Cadastre 2], aucune des trois solutions qu'il préconise n'est satisfaisante, raison pour laquelle elle a proposé à la Mairie de [Localité 13], par courrier du [Cadastre 11] mars 2023 demeuré sans suite, de faire l'acquisition de la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2]. Elle précise ne pas être favorable aux deux dernières solutions préconisées par M. [R] dans son rapport d'expertise, car elles nécessitent la cession d'une partie de la surface du lot n° 1 propriété de Mme [B], épouse du gérant de la société Esculape, qui n'y est pas favorable. Par ailleurs, la mise en 'uvre de la première solution préconisée par l'expert consistant à couper la dalle du toit et à démolir la façade afin de la ramener aux droits de la limite parcellaire, conduit à un déficit de superficie du garage de 4 m², de nombreuses démarches étant en outre nécessaires, de sorte qu'il convient en définitive de chiffrer à 15 000 euros le montant de l'indemnisation, en tenant compte de la superficie perdue et des travaux à réaliser.
Elle soutient enfin, que M. [W] ne démontre pas que la commune aurait renoncé à exercer le droit de préemption qui était le corollaire du droit de tolérance perçu.
* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 mai 2023, Mme [F] [K], épouse [P], conclut à l'irrecevabilité de l'appel, en tous cas à son rejet, et sollicite la confirmation du jugement du 24 avril 2018 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Esculape, en ce qu'il a condamnée celle-ci aux dépens de l'instance et à lui payer la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle demande que la cour condamne solidairement, subsidiairement in solidum, les époux [W] à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre, en principal, frais et accessoires, et article 700 du code de procédure civile,
et en tant que de besoin, d'infirmer le jugement du 24 avril 2018 en ce qu'il a rejeté cette demande de garantie.
Très subsidiairement, elle demande que la cour réduise les prétentions de la société Esculape à une somme de 1 euro.
En tout état de cause, elle demande que la cour :
- déboute les époux [W] et la société Esculape de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions dirigées à son encontre,
- condamne solidairement, subsidiairement in solidum les époux [W] et la société Esculape, à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux de première instance.
Elle soutient que les demandes de la société Esculape sont irrecevables, comme nouvelles en appel et qu'elle ne s'inscrivent dans aucun cas de figure permettant la formulation de demandes nouvelles, ce d'autant que l'action en garantie des vices cachées dispose d'un caractère exclusif et ne peut se voir substituer un autre fondement juridique tel qu'un défaut de délivrance lorsque le défaut s'analyse à la fois comme un vice caché et comme un manquement à l'obligation de délivrance.
Elle prétend que la société Esculape se plaignant d'une erreur de contenance, son action est prescrite en application de l'article 1622 du code civil, de sorte que sa demande est aussi irrecevable de chef. Par ailleurs, elle souligne que cela fait plus de cinq ans que l'appelante indique s'être aperçue du prétendu empiètement, et que la demande fondée sur l'obligation d'éviction est aussi prescrite, outre le fait qu'elle est mal fondée, puisque la commune n'a entrepris aucune action à ce jour, comme le relève l'expert, pour l'évincer en tout ou en partie de la chose vendue.
Elle invoque enfin un défaut de légitimation active et passive, dès lors qu'il ressort du rapport de M. [R] que, l'empiètement est principalement limité aux voies d'accès et gros 'uvre des parties communes, constituant les parties communes de la copropriété, seuls 3 m² de l'intérieur du garage étant concernés.
Sur le fond, elle soutient que la non-conformité invoquée par l'appelante relève d'un défaut de contenance ou à tout le moins d'un vice caché, puisque que le garage serait en partie implanté sur une autre parcelle que celle désignée dans l'acte de vente et appartenant à la venderesse. Or, elle souligne que les extraits cadastraux versés aux débats par les époux [W] ne permettent pas ce constat, la situation du garage et de la parcelle communale section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2] n'y figurant pas. Elle indique qu'en tout état de cause, le garage est une construction ancienne, qui a été utilisée par tous les copropriétaires successifs, depuis l'établissement du règlement de copropriété.
Elle soutient que la situation ne lui est pas imputable, au motif que, d'une part, elle a acquis l'immeuble en l'état et que le garage litigieux a été construit par le père de M. [W] en 1977, et d'autre part, qu'elle n'avait aucune connaissance de cette situation qui ne figurait ni sur le plan cadastral, ni sur l'état descriptif de copropriété, l'esquisse d'étages, ou le règlement de copropriété. De plus, elle relève que ni la SCI Esculape, ni le notaire qui a reçu l'acte de vente, et qui a accompli les formalités relatives aux documents d'urbanisme nécessaires à la transaction ne se sont aperçus que l'un des lots empiétait sur une parcelle appartenant à la commune, de sorte qu'en tant que simple particulier, aucun manque de diligence pour permettre la révélation de cette situation ne saurait lui être reproché.
Elle ajoute que les époux [W] ne l'ont pas informée de l'empiètement du garage sur la parcelle communale, dont ils avaient connaissance.
Elle expose qu'en tout état de cause, la non-conformité est couverte par l'acceptation de la livraison sans réserve, et la prise de possession des lieux en l'état.
Elle affirme enfin qu'en réalité le conflit oppose les époux [W] et la société Esculape laquelle est en mesure d'agir contre les premiers, puisqu'en cas de ventes successives le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur et dispose donc, contre le vendeur initial, d'une action directe fondée sur le non-respect de l'obligation de délivrance.
Subsidiairement et sur appel incident, elle forme un appel en garantie contre les époux [W] sur le fondement des articles 331 et suivant du code de procédure civile, des articles 1103 et suivants du code civil, subsidiairement 1603 et suivants du code civil, encore plus subsidiairement 1637 et suivants du code civil, et à titre infiniment subsidiairement, 1641et suivants du même code, ces derniers en tant que constructeurs du garage litigieux ayant connaissance de l'empiètement.
* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 novembre 2023, les époux [W] concluent à l'irrecevabilité des demandes de la SCI Esculape, à tout le moins au rejet et au caractère abusif de ces demandes, spécialement à l'endroit de Mme [G], épouse [W].
Sur l'appel provoqué de Mme [K], épouse [P], ils demandent que la cour le déclare irrecevable, sinon mal fondé, et la déboute.
En tout état de cause, ils demandent que la cour :
- déboute tant la société Esculape que Mme [K], épouse [P], de toute conclusions prises à leur encontre et spécialement de Mme [G], épouse [W], ainsi que de l'ensemble de leurs fins et prétentions,
- condamne la société Esculape et Mme [K], épouse [P], in solidum à leur payer la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamne la société Esculape et Mme [K], épouse [P], in solidum à payer à Mme [D] [G], épouse [W], la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- condamne in solidum la société Esculape et Mme [K], épouse [P], aux entiers frais et dépens d'appel en ce compris les frais d'expertise, Mme [K] assumant seule la charges des dépens de son appel en garantie, et à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la demande de la société Esculape, ils font valoir que sa demande initiale était dirigée contre M. [W], alors qu'il n'était plus propriétaire du bien litigieux, et uniquement à titre personnel, et non pas en qualité d'héritier de sa mère, qui était usufruitière du bien en cause lors de la vente du 9 août 2004.
Ils soutiennent que la SCI Esculape n'est pas fondée à invoquer la non-conformité de la chose vendue, seule la garantie des vices cachées étant applicable en cas d'impropriété de la chose vendue à l'usage auquel elle est destinée ; que sa demande au titre de l'obligation de délivrance est nouvelle en appel et donc irrecevable ; que la commune avait renoncé, le [Cadastre 11] mars 2007, à son droit de préemption urbain qui était le corollaire de la tolérance accordée aux riverains, et ce antérieurement à la vente passée entre Mme [K] et la SCI ; que le préjudice de la société Esculape n'est pas établi, puisque la commune n'a pas l'intention de solliciter la suppression de l'empiètement qui grève sa parcelle et, si tel était le cas, la réduction de la superficie du garage n'empêchant pas d'y stationner un véhicule d'après les constations expertales.
Surabondamment, ils soutiennent que tant l'effet relatif des contrats, que l'absence de qualité à agir contre l'auteur de son vendeur, font obstacle à ce que la SCI Esculape puisse reprocher à M. [U] [W] et feue Mme [T] [A], veuve [W], de ne pas avoir informé leur acquéreur d'une situation qui lui serait préjudiciable.
Ils contestent toute perspective d'un projet de réaménagement après expropriation, alors que la commune a procédé au remplacement des conduites souterraines et à la réfection des trottoirs de la rue où se situe l'immeuble, ce qui serait inconcevable dans la perspective d'un réaménagement après expropriation.
Ils contestent enfin la recevabilité et le bien-fondé de l'appel en garantie dirigée par Mme [K], épouse [P], à leur encontre dès lors qu'elle n'a pas régularisé d'action contre les héritiers de Mme [T] [A], veuve [W], ès qualités, et que Mme [D] [G], épouse [W], qui n'est ni donataire des biens litigieux, ni héritière de sa belle-mère, n'était pas partie à l'acte de vente du 9 août 2004. En outre, cet acte comportait une clause de non-garantie des vices cachés, et la commune de [Localité 13] avait renoncé au droit de préemption avant même qu'elle ne cède le bien acquis. Ils ajoutent que Mme [K], épouse [P], à l'instar de la SCI Esculape ne justifient pas d'un risque de reprise par la commune de [Localité 13] d'une partie du garage, encore moins d'un préjudice certain, ni même éventuel.
Ils se prévalent d'un courrier du maire de la commune de [Localité 13] du 9 septembre 2022 indiquant, après avoir rappelé l'erreur d'implantation du garage, que la commune n'avait pas l'intention de remettre en cause la situation résultant de l'empiètement du garage sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 4] n° [Cadastre 2].
Ils critiquent enfin les différentes solutions proposées par l'expert judiciaire.
Ils estiment que la persistance de l'appelante et de Mme [K], épouse [P], à les maintenir dans une procédure vouée à être irrecevable et mal fondée doit conduire à leur condamnation pour procédure abusive. Ils invoquent un préjudice moral subi que Mme [G], épouse [W], causé par le fait qu'elle fait en vain l'objet d'une procédure accusatrice et vexatoire depuis onze ans, alors qu'il est incontestable qu'elle n'a pas été bénéficiaire de la donation-partage qui a conféré en 1978 la nue-propriété du bien litigieux à son époux, et qu'elle n'est pas héritière de Mme [A].
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour constate en premier lieu que Mme [P] conclut à l'irrecevabilité de l'appel mais sans soulever aucun moyen précis, les moyens qu'elle développe se rapportant à la recevabilité des demandes formulées par la SCI Esculape, et non à la recevabilité de l'appel. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, il y a lieu de déclarer l'appel recevable.
En second lieu, conformément à l'article 954 du code civil, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. En l'occurrence, bien que soulevant différentes fins de non-recevoir dans les motifs de ses conclusions, Mme [P] ne conclut pas, dans leur dispositif, à l'irrecevabilité des demandes de la SCI Esculape mais demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la SCI et donc, en ce qu'il a statué au fond.
1 - Sur les fin de non-recevoir soulevées par les époux [W]
Sur la qualité à défendre de M. et Mme [W]
M. [W] reproche à la SCI Esculape, ainsi qu'à Mme [K], de ne pas l'avoir attrait en la cause en qualité d'héritier de feue [T] [A], qui était usufruitière des biens cédés au moment de la vente du 9 août 2004.
Il convient toutefois de constater que M. [W] étant seul propriétaire des biens litigieux au jour de l'introduction de la demande, suite au décès de sa mère, Mme [T] [A], veuve [W], survenu en 2010, il n'avait pas à être assigné en qualité d'héritier de celle-ci puisque l'usufruit avait pris fin.
Par ailleurs, s'il est établi que M. [W] a reçu les biens litigieux de sa mère, suivant acte de donation partage du 13 février 1978, et s'il est constant que Mme [G], épouse [W] n'est pas héritière de Mme [A], pour autant il résulte des mentions de l'acte de vente du 9 août 2004, que les époux [W] ont adopté le régime de la communauté universelle, le 9 octobre 2003, et que la vente a été consentie par 'Mme [E] [W], née [A], et M. [U] [W] et son épouse Mme [D] [G]',(page 5 de l'acte), de sorte que les demandes dirigées contre Mme [W], qui a qualité à défendre, sont recevables.
Sur les demandes nouvelles
En application de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel, excepté dans les limites prévues aux articles 564 et 567 dudit code.
Selon l'article 565 du code de procédure civile les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, la SCI Esculape, qui agissait en première instance sur le fondement de la garantie des vices cachés, sollicitait une certaine somme au titre d'une diminution du prix de vente du garage sur le fondement de l'action estimatoire.
La demande de dommage et intérêts formulée par la société Esculape à hauteur d'appel, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme, subsidiairement de la garantie d'éviction, tend aux mêmes fins. En effet, les montants sollicités au titre d'une démolition du garage et d'un déficit de surfaces ont pour objet la réparation d'un même préjudice.
Dès lors les demandes formulées par la société Esculape n'étant pas nouvelles à hauteur d'appel, la fin de non-recevoir sera rejetée.
Sur la recevabilité de l'action de société Esculape pour manquement du vendeur à l'obligation de délivrance conforme
Selon l'article 1603 du code civil, le vendeur « a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend ».
Il résulte de cet article que le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme, ce qui implique que non seulement le bien délivré doit être celui qui a été désigné par le contrat, mais en outre que ce bien doit présenter les qualités et caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'en attendre.
L'exigence suivant laquelle la chose délivrée doit être identique à la chose vendue est prolongée par la disposition de l'article 1614, alinéa 1er, du code civil, qui énonce : « La chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la vente ».
Selon l'article 1641 du même code « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ».
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'action en garantie des vices cachées ne saurait en l'espèce primer sur celle fondée sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur, dès lors que le défaut invoqué la société Esculape, à hauteur d'appel, ne s'analyse pas comme une impropriété de la chose vendue à l'usage auquel elle est destinée. En effet, la société Esculape ne se plaint pas d'une impossibilité d'utiliser son garage, ou d'une diminution de cet usage, l'expert ayant constaté à cet égard que le garage pouvait toujours être utilisé pour le stationnement d'un véhicule en cas de réduction de sa superficie pour le mettre en conformité avec les limites cadastrales, mais de son implantation, pour partie, sur une parcelle autre que celle désignée sur l'acte de vente, appartenant à autrui.
La demande présentée par la SCI Esculape, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme du vendeur est donc recevable.
Sur le manquement du vendeur à l'obligation de délivrance conforme
Aux termes de l'acte authentique du [Cadastre 11] août 2007 conclu entre Mme [K] et la SCI Esculape, la vente portait sur les lots n° [Cadastre 11] (appartement), 2 (cave) et 9 (garage) d'un immeuble en copropriété cadastré section [Cadastre 4] n°[Cadastre 5]/[Cadastre 11], sis 47 rue du 3 décembre à [Localité 13], tels que lesdits lots se trouvent décrits dans un acte de règlement de copropriété - état descriptif de division reçu par Me [M] [V], alors notaire à [Localité 12], en date du 26 avril 1989.
Aux termes de son rapport du 18 mai 2022, M. [R], expert-judiciaire, confirme l'existence de l'empiètement allégué du garage composant le lot n° 9 sur la parcelle communale cadastrée section [Cadastre 4] n°[Cadastre 2], ce dont il résulte que ledit garage est pour partie construit sur la propriété d'autrui.
Si la vente de la chose d'autrui constitue une cause de nullité de la convention, il convient de constater que la SCI Esculape ne demande pas l'annulation de la vente pour ce motif, mais reproche à Mme [K] un manquement à son obligation de délivrance.
Or, il convient de constater que la description des biens vendus par Mme [K] correspond exactement à celle figurant dans l'acte authentique de vente du 9 août 2004 par lequel elle avait acquis lesdits lots des consorts [A] - [W]. Cet acte fait au surplus référence non seulement au règlement de copropriété - état descriptif de division précité, mais aussi à une esquisse d'étage dressée par M. [I] [C], géomètre-expert, le 12 avril 1989, certifiée par le service du cadastre sous le numéro 86, laquelle ne fait pas apparaître la parcelle n° [Cadastre 2], le garage litigieux apparaissant positionné en bordure de rue.
Dans ces conditions, il apparaît que Mme [K] a cédé et délivré à la SCI Esculape les biens immobiliers qu'elle avait elle-même acquis des consorts [W], tels qu'ils étaient visés dans l'acte de vente, et en leur état au jour de la vente, sans qu'il soit au surplus démontré qu'elle ait eu connaissance de l'existence d'un problème d'implantation du garage, lequel ne résultait ni de l'esquisse susvisée, ni d'un plan cadastral du 9 juillet 2004, concomitant à son acquisition, sur lequel n'apparaissaient ni la parcelle n°[Cadastre 2], ni le garage litigieux.
Aucun manquement à son obligation de délivrance conforme ne peut donc lui être reproché. Mme [K] ne pouvait en effet délivrer un titre concernant la partie du garage édifiée sur la parcelle n° [Cadastre 2], alors qu'elle ne disposait pas d'un tel titre n'ayant aucun droit sur cette parcelle qui ne faisait pas partie du périmètre de la vente, de sorte qu'elle n'a pas non plus cédé la chose d'autrui.
La demande de dommages et intérêts présentée par la SCI Esculape, sur le fondement d'un manquement du vendeur à son obligation de délivrance sera en conséquence rejetée.
Sur l'action en garantie d'éviction du fait d'un tiers formée par la société Esculape
L'article 1626 du code civil dispose que « le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu ».
Cette éviction peut résulter d'une prétention juridique émise, relativement à la chose vendue et donc à la jouissance paisible de l'acquéreur, par un tiers.
Toutefois, la garantie d'éviction du fait d'un tiers qui n'est due qu'en cas de trouble de droit, imputable au vendeur et antérieur à la vente, suppose en outre que soit démontré un trouble actuel, et non simplement éventuel. La simple connaissance par l'acheteur d'un droit au profit tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir en justice
En l'espèce, il est constant qu'à ce jour, la commune de [Localité 13] n'a pas manifesté son intention de faire valoir son droit de propriété sur la parcelle n°[Cadastre 2], ni entrepris aucune action en justice afin d'être rétablie dans ses droits, le maire de la commune de [Localité 13] ayant au contraire indiqué, dans un courrier du 16 décembre 2022, adressé au conseil des époux [W], que « la commune n'avait pas l'intention de remettre en cause cette situation », après avoir visé le fait que le garage de la copropriété de l'immeuble [Adresse 8] avait, à l'époque, était implanté par erreur sur une parcelle privée de la commune n°[Cadastre 1] section [Cadastre 4].
L'existence d'un trouble de droit actuel subi par la SCI Esculape n'étant pas établie, sa demande sur ce fondement doit également être rejetée .
Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a rejeté les demandes de la SCI Esculape.
L'appel en garantie formé par Mme [K], épouse [P] contre les époux [W] est dès lors sans objet, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts des époux [W]
Ils considèrent avoir été attraits à tort, spécialement Mme [W], et de manière abusive dans une procédure 'accusatrice et vexatoire' depuis 11 ans.
Il résulte de ce qui précède que Mme [G], épouse [W] apparaît comme venderesse dans l'acte de vente du 9 août 2004.
Par ailleurs, la mise en cause des époux [W], qui étaient les vendeurs de Mme [K], épouse [P], dont il est au surplus établi qu'ils avaient connaissance de l'implantation irrégulière du garage au titre de laquelle il versaient un 'droit de tolérance' à la commune, ne peut être considérée comme abusive, quand bien même la demande de la SCI Esculape est-elle rejetée, pas plus que l'appel en garantie formé par Mme [K], épouse [P] qui est la conséquence des demandes dirigées contre elle.
La demande de dommages et intérêts pour préjudice de moral de Mme [W] et celles des époux pour procédure abusive seront donc rejetées.
Sur les dépens et frais exclus des dépens
En considération de la solution du litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens.
La SCI Esculape qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel incluant les frais d'expertise judiciaire. Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et il sera alloué sur ce fondement une somme de 1 800 euros à Mme [K], épouse [P], d'une part et aux époux [W], d'autre part.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
DÉCLARE l'appel de la SCI Esculape recevable ;
REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par les époux [U] [W] et [D] [G] ;
DECLARE la demande de la SCI Esculape recevable ;
DECLARE l'appel incident de Mme [F] [K], épouse [P] recevable ;
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de [Localité 12] du 24 mai 2018, dans les limites de l'appel ;
Ajoutant au jugement,
REJETTE la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par les époux [U] [W] et [D] [G], ainsi que la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral présentée par Mme [D] [G], épouse [W] ;
REJETTE la demande de la SCI Esculape sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI Esculape aux dépens d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 800 euros (mille huit cents euros) d'une part, à Mme [F] [K], épouse [P], d'autre part, aux époux [U] [W] et [D] [G].
La greffière, Le présidente de chambre,
Copie exécutoire
aux avocats
Le 31 mai 2024
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE [Localité 12]
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 31 MAI 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 18/02820 - N° Portalis DBVW-V-B7C-GZOA
Décision déférée à la cour : 24 Mai 2018 par le tribunal de grande instance de [Localité 12]
APPELANTE :
La SCI ESCULAPE, représentée par son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 9] à [Localité 10]
représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.
INTIMÉE et appelante sur provocation :
Madame [F] [K] épouse [P]
demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.
Avocat plaidant : Me HEIDMANN, avocat à Strasbourg
INTIMÉS sur appels principal et provoqué :
2/ Monsieur [U] [W]
3/ Madame [D] [G] épouse [W]
demeurant ensemble [Adresse 7]
représentés par Me Joëlle LITOU-WOLF, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre, et madame Nathalie HERY, conseiller, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre,
Madame Myriam DENORT, conseiller
Madame Nathalie HERY, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement après prorogation du 26 janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 17 août 2007, la SCI Esculape a acquis de Mme [F] [K], épouse [P], plusieurs lots dans un immeuble en copropriété situé [Adresse 8], dont le lot n° 9 consistant en un garage. Mme [K], épouse [P], avait elle-même acquis ces lots, selon acte du 9 août 2004, de Mme [T] [A], veuve [W], en qualité d'usufruitière, et de son fils, M. [U] [W], marié sous le régime de la communauté universelle avec Mme [D] [G], en qualité de nus-propriétaires.
Mme [T] [A], veuve [W], est décédée en 2010.
La société Esculape prétendant avoir découvert en 2012, à l'occasion d'une déclaration préalable de travaux déposée en mairie en vue de l'édification d'un portail, que son garage composant le lot n° 9 empiétait sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2], appartenant à la commune de [Localité 13], et que cet empiètement constituait un vice caché qui dévalorisait l'ensemble de ses lots, a fait assigner Mme [K], épouse [P], ainsi que M. [W] et son épouse, Mme [D] [G] (ci-après les époux [W]), devant le tribunal de grande de [Localité 12], en restitution d'une partie du prix d'achat qu'elle a payé.
Par jugement en date du 24 mai 2018, le tribunal a, notamment, rejeté les demandes de la société Esculape et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [K], épouse [P], d'une part, et aux époux [W], d'autre part, une somme de 1 800 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que l'action de la société Esculape, fondée sur un vice caché, se heurtait à la clause de non-garantie stipulée dans l'acte de vente du 17 août 2007, dès lors qu'il n'était pas démontré que la venderesse, Mme [K], épouse [P], connaissait l'existence de l'empiètement.
La société Esculape a interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du [Cadastre 4] juin 2018.
Par arrêt avant dire droit du 28 janvier 2021, la cour, considérant ne pas disposer d'éléments suffisants pour appréhender la situation factuelle litigieuse, a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [L] [R], géomètre expert, aux frais avancés de la société Esculape, et a invité les parties à s'expliquer sur les travaux d'alignement réalisés par la copropriété suite à l'assemblée générale du 21 février 2014, et sur les suites du mandat donné à M. [W] afin d'obtenir de la commune la cession des parcelles n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3].
L'expert déposé son rapport le 18 mai 2022.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 5 décembre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er août 2023, la société Esculape demandent à la cour, de :
- infirmer le jugement entrepris,
- condamner Mme [K] au paiement d'un montant de 15 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'obligation de délivrance, subsidiairement de la garantie d'éviction,
- la débouter de l'ensemble de ses fins et conclusions,
- déclarer l'arrêt commun aux époux [W],
- « le » débouter de l'ensemble de ses fins et conclusions dirigées à son encontre,
- « la » condamner à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.
En réponse aux fins de non-recevoir soulevées par Mme [K], épouse [P], l'appelante oppose que sa demande fondée sur l'obligation de délivrance n'est pas nouvelle en appel puisque tendant aux même fins que sa demande formée en première instance sur un autre fondement ; qu'elle n'est pas prescrite, la prescription d'une durée d'un an prévue par l'article 1622 du code civil n'étant pas applicable dès lors que sa demande n'est pas fondée sur un défaut de contenance de la chose vendue ; que son action est à juste titre dirigée contre Mme [K], épouse [P], l'empiètement sur la parcelle communale cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2], étant aussi le fait de son garage et ne se limitant pas aux voies d'accès et gros 'uvres des parties communes de la copropriété ; que le risque d'éviction est avéré même si la commune ne revendique pas son droit de propriété, lequel est imprescriptible s'agissant des biens appartenant au domaine public.
En réponse aux moyens invoqués par les époux [W], elle soutient que pour se prononcer en connaissance de cause sur l'acquisition qu'elle a faite, il incombait aux époux [W] d'informer leur propre acquéreur de l'existence d'une difficulté quant à l'empiètement du garage et du paiement d'une indemnité annuelle à la commune de [Localité 13], afin qu'elle puisse elle-même bénéficier de cette information pour le moins importante, ce qui justifiait de les appeler en cause.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que l'effectivité de l'empiètement litigieux est démontrée par les plans topographiques versés aux débats et par le paiement chaque année à la commune d'un « droit de tolérance ».
Elle fonde sa demande, à titre principal, sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur en faisant valoir que la chose vendue n'est pas conforme au contrat, le garage étant construit, pour partie, sur une parcelle propriété de la commune sur laquelle il empiète. Elle prétend qu'elle n'a pas été informée de cette situation, ni d'un droit qui serait perçu par la ville, de sorte que ne peut lui être opposée une livraison sans réserve. Par ailleurs, elle ajoute que la vente de la chose d'autrui est nulle et qu'en tous cas, le vendeur manque à son obligation de délivrance conforme du bien aux dispositions du contrat de vente lorsqu'il déclare vendre un bien qui ne lui appartient pas. Elle prétend ainsi subir un aléa, qui est celui de la mise en 'uvre de son droit de propriété par la ville de [Localité 13], qui en raison des attributs du domaine public peut exercer ses droits à tout instant, de sorte qu'elle est, dès à présent, exposée à un risque de devoir restituer une partie du garage et le démolir.
Elle expose en outre qu'au sens de l'article 1604 du code civil que, la délivrance étant le transport de la chose vendue en la puissance et la possession de l'acheteur, la venderesse n'a pas satisfait à son obligation de délivrance dès lors qu'elle n'a pas été en mesure de lui remettre le titre de propriété concernant la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n°[Cadastre 2] sur laquelle est construit pour partie le garage.
S'agissant de l'évaluation de son préjudice résultant du défaut de conformité, elle soutient qu'elle doit être faite en fonction de la valeur du garage dont l'empiètement sur la parcelle communale pourrait conduire à sa démolition, raison pour laquelle elle sollicite que le montant de 6 000 euros initialement demandé en restitution du prix, soit augmenté du coût de démolition du garage chiffré à 4 080 euros TTC.
Subsidiairement, elle invoque, au visa des articles 1625 et 1626 du code civil, dans leur version applicable au jour de la vente, la garantie d'éviction du fait des tiers due par le vendeur, estimant subir un risque avéré de devoir délaisser à la commune la partie du garage qui empiète sur sa parcelle. Elle affirme que le trouble est bien antérieur à la vente et constitue un trouble de droit portant sur le droit de propriété. Elle allègue qu'il est également actuel, au motif que la ville s'est réservée le droit de reprendre les parcelles surbâties. Elle expose en outre qu'en application de l'article 1637 du code civil, la valeur de la partie de l'immeuble dont l'acquéreur se trouve évincé doit lui être remboursée suivant l'estimation à l'époque de l'éviction, l'acquéreur conservant la fraction de la chose dont il n'est pas évincé.
Elle soutient que si l'expert a confirmé l'empiètement du garage sur la parcelle n° [Cadastre 2], aucune des trois solutions qu'il préconise n'est satisfaisante, raison pour laquelle elle a proposé à la Mairie de [Localité 13], par courrier du [Cadastre 11] mars 2023 demeuré sans suite, de faire l'acquisition de la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2]. Elle précise ne pas être favorable aux deux dernières solutions préconisées par M. [R] dans son rapport d'expertise, car elles nécessitent la cession d'une partie de la surface du lot n° 1 propriété de Mme [B], épouse du gérant de la société Esculape, qui n'y est pas favorable. Par ailleurs, la mise en 'uvre de la première solution préconisée par l'expert consistant à couper la dalle du toit et à démolir la façade afin de la ramener aux droits de la limite parcellaire, conduit à un déficit de superficie du garage de 4 m², de nombreuses démarches étant en outre nécessaires, de sorte qu'il convient en définitive de chiffrer à 15 000 euros le montant de l'indemnisation, en tenant compte de la superficie perdue et des travaux à réaliser.
Elle soutient enfin, que M. [W] ne démontre pas que la commune aurait renoncé à exercer le droit de préemption qui était le corollaire du droit de tolérance perçu.
* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 mai 2023, Mme [F] [K], épouse [P], conclut à l'irrecevabilité de l'appel, en tous cas à son rejet, et sollicite la confirmation du jugement du 24 avril 2018 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Esculape, en ce qu'il a condamnée celle-ci aux dépens de l'instance et à lui payer la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle demande que la cour condamne solidairement, subsidiairement in solidum, les époux [W] à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre, en principal, frais et accessoires, et article 700 du code de procédure civile,
et en tant que de besoin, d'infirmer le jugement du 24 avril 2018 en ce qu'il a rejeté cette demande de garantie.
Très subsidiairement, elle demande que la cour réduise les prétentions de la société Esculape à une somme de 1 euro.
En tout état de cause, elle demande que la cour :
- déboute les époux [W] et la société Esculape de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions dirigées à son encontre,
- condamne solidairement, subsidiairement in solidum les époux [W] et la société Esculape, à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux de première instance.
Elle soutient que les demandes de la société Esculape sont irrecevables, comme nouvelles en appel et qu'elle ne s'inscrivent dans aucun cas de figure permettant la formulation de demandes nouvelles, ce d'autant que l'action en garantie des vices cachées dispose d'un caractère exclusif et ne peut se voir substituer un autre fondement juridique tel qu'un défaut de délivrance lorsque le défaut s'analyse à la fois comme un vice caché et comme un manquement à l'obligation de délivrance.
Elle prétend que la société Esculape se plaignant d'une erreur de contenance, son action est prescrite en application de l'article 1622 du code civil, de sorte que sa demande est aussi irrecevable de chef. Par ailleurs, elle souligne que cela fait plus de cinq ans que l'appelante indique s'être aperçue du prétendu empiètement, et que la demande fondée sur l'obligation d'éviction est aussi prescrite, outre le fait qu'elle est mal fondée, puisque la commune n'a entrepris aucune action à ce jour, comme le relève l'expert, pour l'évincer en tout ou en partie de la chose vendue.
Elle invoque enfin un défaut de légitimation active et passive, dès lors qu'il ressort du rapport de M. [R] que, l'empiètement est principalement limité aux voies d'accès et gros 'uvre des parties communes, constituant les parties communes de la copropriété, seuls 3 m² de l'intérieur du garage étant concernés.
Sur le fond, elle soutient que la non-conformité invoquée par l'appelante relève d'un défaut de contenance ou à tout le moins d'un vice caché, puisque que le garage serait en partie implanté sur une autre parcelle que celle désignée dans l'acte de vente et appartenant à la venderesse. Or, elle souligne que les extraits cadastraux versés aux débats par les époux [W] ne permettent pas ce constat, la situation du garage et de la parcelle communale section [Cadastre 4], n° [Cadastre 2] n'y figurant pas. Elle indique qu'en tout état de cause, le garage est une construction ancienne, qui a été utilisée par tous les copropriétaires successifs, depuis l'établissement du règlement de copropriété.
Elle soutient que la situation ne lui est pas imputable, au motif que, d'une part, elle a acquis l'immeuble en l'état et que le garage litigieux a été construit par le père de M. [W] en 1977, et d'autre part, qu'elle n'avait aucune connaissance de cette situation qui ne figurait ni sur le plan cadastral, ni sur l'état descriptif de copropriété, l'esquisse d'étages, ou le règlement de copropriété. De plus, elle relève que ni la SCI Esculape, ni le notaire qui a reçu l'acte de vente, et qui a accompli les formalités relatives aux documents d'urbanisme nécessaires à la transaction ne se sont aperçus que l'un des lots empiétait sur une parcelle appartenant à la commune, de sorte qu'en tant que simple particulier, aucun manque de diligence pour permettre la révélation de cette situation ne saurait lui être reproché.
Elle ajoute que les époux [W] ne l'ont pas informée de l'empiètement du garage sur la parcelle communale, dont ils avaient connaissance.
Elle expose qu'en tout état de cause, la non-conformité est couverte par l'acceptation de la livraison sans réserve, et la prise de possession des lieux en l'état.
Elle affirme enfin qu'en réalité le conflit oppose les époux [W] et la société Esculape laquelle est en mesure d'agir contre les premiers, puisqu'en cas de ventes successives le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur et dispose donc, contre le vendeur initial, d'une action directe fondée sur le non-respect de l'obligation de délivrance.
Subsidiairement et sur appel incident, elle forme un appel en garantie contre les époux [W] sur le fondement des articles 331 et suivant du code de procédure civile, des articles 1103 et suivants du code civil, subsidiairement 1603 et suivants du code civil, encore plus subsidiairement 1637 et suivants du code civil, et à titre infiniment subsidiairement, 1641et suivants du même code, ces derniers en tant que constructeurs du garage litigieux ayant connaissance de l'empiètement.
* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 novembre 2023, les époux [W] concluent à l'irrecevabilité des demandes de la SCI Esculape, à tout le moins au rejet et au caractère abusif de ces demandes, spécialement à l'endroit de Mme [G], épouse [W].
Sur l'appel provoqué de Mme [K], épouse [P], ils demandent que la cour le déclare irrecevable, sinon mal fondé, et la déboute.
En tout état de cause, ils demandent que la cour :
- déboute tant la société Esculape que Mme [K], épouse [P], de toute conclusions prises à leur encontre et spécialement de Mme [G], épouse [W], ainsi que de l'ensemble de leurs fins et prétentions,
- condamne la société Esculape et Mme [K], épouse [P], in solidum à leur payer la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamne la société Esculape et Mme [K], épouse [P], in solidum à payer à Mme [D] [G], épouse [W], la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- condamne in solidum la société Esculape et Mme [K], épouse [P], aux entiers frais et dépens d'appel en ce compris les frais d'expertise, Mme [K] assumant seule la charges des dépens de son appel en garantie, et à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la demande de la société Esculape, ils font valoir que sa demande initiale était dirigée contre M. [W], alors qu'il n'était plus propriétaire du bien litigieux, et uniquement à titre personnel, et non pas en qualité d'héritier de sa mère, qui était usufruitière du bien en cause lors de la vente du 9 août 2004.
Ils soutiennent que la SCI Esculape n'est pas fondée à invoquer la non-conformité de la chose vendue, seule la garantie des vices cachées étant applicable en cas d'impropriété de la chose vendue à l'usage auquel elle est destinée ; que sa demande au titre de l'obligation de délivrance est nouvelle en appel et donc irrecevable ; que la commune avait renoncé, le [Cadastre 11] mars 2007, à son droit de préemption urbain qui était le corollaire de la tolérance accordée aux riverains, et ce antérieurement à la vente passée entre Mme [K] et la SCI ; que le préjudice de la société Esculape n'est pas établi, puisque la commune n'a pas l'intention de solliciter la suppression de l'empiètement qui grève sa parcelle et, si tel était le cas, la réduction de la superficie du garage n'empêchant pas d'y stationner un véhicule d'après les constations expertales.
Surabondamment, ils soutiennent que tant l'effet relatif des contrats, que l'absence de qualité à agir contre l'auteur de son vendeur, font obstacle à ce que la SCI Esculape puisse reprocher à M. [U] [W] et feue Mme [T] [A], veuve [W], de ne pas avoir informé leur acquéreur d'une situation qui lui serait préjudiciable.
Ils contestent toute perspective d'un projet de réaménagement après expropriation, alors que la commune a procédé au remplacement des conduites souterraines et à la réfection des trottoirs de la rue où se situe l'immeuble, ce qui serait inconcevable dans la perspective d'un réaménagement après expropriation.
Ils contestent enfin la recevabilité et le bien-fondé de l'appel en garantie dirigée par Mme [K], épouse [P], à leur encontre dès lors qu'elle n'a pas régularisé d'action contre les héritiers de Mme [T] [A], veuve [W], ès qualités, et que Mme [D] [G], épouse [W], qui n'est ni donataire des biens litigieux, ni héritière de sa belle-mère, n'était pas partie à l'acte de vente du 9 août 2004. En outre, cet acte comportait une clause de non-garantie des vices cachés, et la commune de [Localité 13] avait renoncé au droit de préemption avant même qu'elle ne cède le bien acquis. Ils ajoutent que Mme [K], épouse [P], à l'instar de la SCI Esculape ne justifient pas d'un risque de reprise par la commune de [Localité 13] d'une partie du garage, encore moins d'un préjudice certain, ni même éventuel.
Ils se prévalent d'un courrier du maire de la commune de [Localité 13] du 9 septembre 2022 indiquant, après avoir rappelé l'erreur d'implantation du garage, que la commune n'avait pas l'intention de remettre en cause la situation résultant de l'empiètement du garage sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 4] n° [Cadastre 2].
Ils critiquent enfin les différentes solutions proposées par l'expert judiciaire.
Ils estiment que la persistance de l'appelante et de Mme [K], épouse [P], à les maintenir dans une procédure vouée à être irrecevable et mal fondée doit conduire à leur condamnation pour procédure abusive. Ils invoquent un préjudice moral subi que Mme [G], épouse [W], causé par le fait qu'elle fait en vain l'objet d'une procédure accusatrice et vexatoire depuis onze ans, alors qu'il est incontestable qu'elle n'a pas été bénéficiaire de la donation-partage qui a conféré en 1978 la nue-propriété du bien litigieux à son époux, et qu'elle n'est pas héritière de Mme [A].
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour constate en premier lieu que Mme [P] conclut à l'irrecevabilité de l'appel mais sans soulever aucun moyen précis, les moyens qu'elle développe se rapportant à la recevabilité des demandes formulées par la SCI Esculape, et non à la recevabilité de l'appel. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, il y a lieu de déclarer l'appel recevable.
En second lieu, conformément à l'article 954 du code civil, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. En l'occurrence, bien que soulevant différentes fins de non-recevoir dans les motifs de ses conclusions, Mme [P] ne conclut pas, dans leur dispositif, à l'irrecevabilité des demandes de la SCI Esculape mais demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la SCI et donc, en ce qu'il a statué au fond.
1 - Sur les fin de non-recevoir soulevées par les époux [W]
Sur la qualité à défendre de M. et Mme [W]
M. [W] reproche à la SCI Esculape, ainsi qu'à Mme [K], de ne pas l'avoir attrait en la cause en qualité d'héritier de feue [T] [A], qui était usufruitière des biens cédés au moment de la vente du 9 août 2004.
Il convient toutefois de constater que M. [W] étant seul propriétaire des biens litigieux au jour de l'introduction de la demande, suite au décès de sa mère, Mme [T] [A], veuve [W], survenu en 2010, il n'avait pas à être assigné en qualité d'héritier de celle-ci puisque l'usufruit avait pris fin.
Par ailleurs, s'il est établi que M. [W] a reçu les biens litigieux de sa mère, suivant acte de donation partage du 13 février 1978, et s'il est constant que Mme [G], épouse [W] n'est pas héritière de Mme [A], pour autant il résulte des mentions de l'acte de vente du 9 août 2004, que les époux [W] ont adopté le régime de la communauté universelle, le 9 octobre 2003, et que la vente a été consentie par 'Mme [E] [W], née [A], et M. [U] [W] et son épouse Mme [D] [G]',(page 5 de l'acte), de sorte que les demandes dirigées contre Mme [W], qui a qualité à défendre, sont recevables.
Sur les demandes nouvelles
En application de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel, excepté dans les limites prévues aux articles 564 et 567 dudit code.
Selon l'article 565 du code de procédure civile les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, la SCI Esculape, qui agissait en première instance sur le fondement de la garantie des vices cachés, sollicitait une certaine somme au titre d'une diminution du prix de vente du garage sur le fondement de l'action estimatoire.
La demande de dommage et intérêts formulée par la société Esculape à hauteur d'appel, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme, subsidiairement de la garantie d'éviction, tend aux mêmes fins. En effet, les montants sollicités au titre d'une démolition du garage et d'un déficit de surfaces ont pour objet la réparation d'un même préjudice.
Dès lors les demandes formulées par la société Esculape n'étant pas nouvelles à hauteur d'appel, la fin de non-recevoir sera rejetée.
Sur la recevabilité de l'action de société Esculape pour manquement du vendeur à l'obligation de délivrance conforme
Selon l'article 1603 du code civil, le vendeur « a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend ».
Il résulte de cet article que le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme, ce qui implique que non seulement le bien délivré doit être celui qui a été désigné par le contrat, mais en outre que ce bien doit présenter les qualités et caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'en attendre.
L'exigence suivant laquelle la chose délivrée doit être identique à la chose vendue est prolongée par la disposition de l'article 1614, alinéa 1er, du code civil, qui énonce : « La chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la vente ».
Selon l'article 1641 du même code « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ».
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'action en garantie des vices cachées ne saurait en l'espèce primer sur celle fondée sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur, dès lors que le défaut invoqué la société Esculape, à hauteur d'appel, ne s'analyse pas comme une impropriété de la chose vendue à l'usage auquel elle est destinée. En effet, la société Esculape ne se plaint pas d'une impossibilité d'utiliser son garage, ou d'une diminution de cet usage, l'expert ayant constaté à cet égard que le garage pouvait toujours être utilisé pour le stationnement d'un véhicule en cas de réduction de sa superficie pour le mettre en conformité avec les limites cadastrales, mais de son implantation, pour partie, sur une parcelle autre que celle désignée sur l'acte de vente, appartenant à autrui.
La demande présentée par la SCI Esculape, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme du vendeur est donc recevable.
Sur le manquement du vendeur à l'obligation de délivrance conforme
Aux termes de l'acte authentique du [Cadastre 11] août 2007 conclu entre Mme [K] et la SCI Esculape, la vente portait sur les lots n° [Cadastre 11] (appartement), 2 (cave) et 9 (garage) d'un immeuble en copropriété cadastré section [Cadastre 4] n°[Cadastre 5]/[Cadastre 11], sis 47 rue du 3 décembre à [Localité 13], tels que lesdits lots se trouvent décrits dans un acte de règlement de copropriété - état descriptif de division reçu par Me [M] [V], alors notaire à [Localité 12], en date du 26 avril 1989.
Aux termes de son rapport du 18 mai 2022, M. [R], expert-judiciaire, confirme l'existence de l'empiètement allégué du garage composant le lot n° 9 sur la parcelle communale cadastrée section [Cadastre 4] n°[Cadastre 2], ce dont il résulte que ledit garage est pour partie construit sur la propriété d'autrui.
Si la vente de la chose d'autrui constitue une cause de nullité de la convention, il convient de constater que la SCI Esculape ne demande pas l'annulation de la vente pour ce motif, mais reproche à Mme [K] un manquement à son obligation de délivrance.
Or, il convient de constater que la description des biens vendus par Mme [K] correspond exactement à celle figurant dans l'acte authentique de vente du 9 août 2004 par lequel elle avait acquis lesdits lots des consorts [A] - [W]. Cet acte fait au surplus référence non seulement au règlement de copropriété - état descriptif de division précité, mais aussi à une esquisse d'étage dressée par M. [I] [C], géomètre-expert, le 12 avril 1989, certifiée par le service du cadastre sous le numéro 86, laquelle ne fait pas apparaître la parcelle n° [Cadastre 2], le garage litigieux apparaissant positionné en bordure de rue.
Dans ces conditions, il apparaît que Mme [K] a cédé et délivré à la SCI Esculape les biens immobiliers qu'elle avait elle-même acquis des consorts [W], tels qu'ils étaient visés dans l'acte de vente, et en leur état au jour de la vente, sans qu'il soit au surplus démontré qu'elle ait eu connaissance de l'existence d'un problème d'implantation du garage, lequel ne résultait ni de l'esquisse susvisée, ni d'un plan cadastral du 9 juillet 2004, concomitant à son acquisition, sur lequel n'apparaissaient ni la parcelle n°[Cadastre 2], ni le garage litigieux.
Aucun manquement à son obligation de délivrance conforme ne peut donc lui être reproché. Mme [K] ne pouvait en effet délivrer un titre concernant la partie du garage édifiée sur la parcelle n° [Cadastre 2], alors qu'elle ne disposait pas d'un tel titre n'ayant aucun droit sur cette parcelle qui ne faisait pas partie du périmètre de la vente, de sorte qu'elle n'a pas non plus cédé la chose d'autrui.
La demande de dommages et intérêts présentée par la SCI Esculape, sur le fondement d'un manquement du vendeur à son obligation de délivrance sera en conséquence rejetée.
Sur l'action en garantie d'éviction du fait d'un tiers formée par la société Esculape
L'article 1626 du code civil dispose que « le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu ».
Cette éviction peut résulter d'une prétention juridique émise, relativement à la chose vendue et donc à la jouissance paisible de l'acquéreur, par un tiers.
Toutefois, la garantie d'éviction du fait d'un tiers qui n'est due qu'en cas de trouble de droit, imputable au vendeur et antérieur à la vente, suppose en outre que soit démontré un trouble actuel, et non simplement éventuel. La simple connaissance par l'acheteur d'un droit au profit tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir en justice
En l'espèce, il est constant qu'à ce jour, la commune de [Localité 13] n'a pas manifesté son intention de faire valoir son droit de propriété sur la parcelle n°[Cadastre 2], ni entrepris aucune action en justice afin d'être rétablie dans ses droits, le maire de la commune de [Localité 13] ayant au contraire indiqué, dans un courrier du 16 décembre 2022, adressé au conseil des époux [W], que « la commune n'avait pas l'intention de remettre en cause cette situation », après avoir visé le fait que le garage de la copropriété de l'immeuble [Adresse 8] avait, à l'époque, était implanté par erreur sur une parcelle privée de la commune n°[Cadastre 1] section [Cadastre 4].
L'existence d'un trouble de droit actuel subi par la SCI Esculape n'étant pas établie, sa demande sur ce fondement doit également être rejetée .
Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a rejeté les demandes de la SCI Esculape.
L'appel en garantie formé par Mme [K], épouse [P] contre les époux [W] est dès lors sans objet, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts des époux [W]
Ils considèrent avoir été attraits à tort, spécialement Mme [W], et de manière abusive dans une procédure 'accusatrice et vexatoire' depuis 11 ans.
Il résulte de ce qui précède que Mme [G], épouse [W] apparaît comme venderesse dans l'acte de vente du 9 août 2004.
Par ailleurs, la mise en cause des époux [W], qui étaient les vendeurs de Mme [K], épouse [P], dont il est au surplus établi qu'ils avaient connaissance de l'implantation irrégulière du garage au titre de laquelle il versaient un 'droit de tolérance' à la commune, ne peut être considérée comme abusive, quand bien même la demande de la SCI Esculape est-elle rejetée, pas plus que l'appel en garantie formé par Mme [K], épouse [P] qui est la conséquence des demandes dirigées contre elle.
La demande de dommages et intérêts pour préjudice de moral de Mme [W] et celles des époux pour procédure abusive seront donc rejetées.
Sur les dépens et frais exclus des dépens
En considération de la solution du litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens.
La SCI Esculape qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel incluant les frais d'expertise judiciaire. Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et il sera alloué sur ce fondement une somme de 1 800 euros à Mme [K], épouse [P], d'une part et aux époux [W], d'autre part.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
DÉCLARE l'appel de la SCI Esculape recevable ;
REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par les époux [U] [W] et [D] [G] ;
DECLARE la demande de la SCI Esculape recevable ;
DECLARE l'appel incident de Mme [F] [K], épouse [P] recevable ;
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de [Localité 12] du 24 mai 2018, dans les limites de l'appel ;
Ajoutant au jugement,
REJETTE la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par les époux [U] [W] et [D] [G], ainsi que la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral présentée par Mme [D] [G], épouse [W] ;
REJETTE la demande de la SCI Esculape sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI Esculape aux dépens d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 800 euros (mille huit cents euros) d'une part, à Mme [F] [K], épouse [P], d'autre part, aux époux [U] [W] et [D] [G].
La greffière, Le présidente de chambre,