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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 30 mai 2024, n° 21/05223

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Reboux-Lebon, Me Goumot, Me Hays, Me de Bouglon

TJ Valence, du 18 nov. 2021, n° 21/01505

18 novembre 2021

Faits et procédure :

1. Suivant acte authentique du 10 juin 2000, [Z] [E] [R] [L] a donné à bail à usage commercial à la société [J] [G] Décoration, exerçant une activité de commerce de détail de quincaillerie sous l'enseigne « Monsieur Bricolage », une parcelle de terrain cadastrée section ZR n°[Cadastre 2], sise [Adresse 12], pour une durée de neuf ans à compter du 15 juin 2000, moyennant le versement d'un loyer de 96.000 francs hors taxes, soit 14.653 euros HT. Il a été stipulé que le bailleur donne son consentement exprès à la construction par le locataire de tous locaux à usage commercial ou industriel.

2. La parcelle cadastrée section ZR n°[Cadastre 2] a été divisée en deux nouvelles parcelles n°[Cadastre 5] et [Cadastre 6] le 30 septembre 2004. La parcelle cadastrée section ZR n°[Cadastre 6] a été elle-même divisée en trois nouvelles parcelles cadastrées [Cadastre 7],[Cadastre 8] et [Cadastre 9].

3. Le bail a été tacitement reconduit le 15 juin 2009.

4. [K] [V] épouse [M] et [N] [V] sont venus aux droits de [Z] [E] [R] [L], décédée le 20 mai 2011.

5. En 2019, la société [J] [G] Décoration s'est acquittée d'un loyer de 20.597,52 euros. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 décembre 2019, [K] [V] épouse [M] et [N] [V] ont proposé à leur locataire de porter le loyer à un montant annuel de 40.250 euros HT.

6. En l'absence de réponse du preneur, par mémoire signifié le 7 mai 2021, [K] [V] épouse [M] et [N] [V] ont sollicité la constatation de l'existence d'un motif de déplafonnement du loyer, du fait de la prolongation tacite du bail et de la modification notable des facteurs locaux de commercialité, ainsi que la fixation du prix du loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 35.500 euros HT.

7. Par acte d'huissier du 18 juin 2021, les bailleurs ont assigné la société [J] [G] Décoration devant le juge des loyers commerciaux, auquel ils ont demandé notamment de fixer le loyer annuel à la somme de 35.500 euros hors taxes par an, et subsidiairement d'ordonner une mesure d'expertise.

8. Par jugement réputé contradictoire du 18 novembre 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Valence a :

- fixé le loyer du bail renouvelé, conclu initialement entre [Z] [E] [R] [L] et la Sas [J] [G] Décoration, à la somme annuelle de 35.500 euros HT à compter du 16 décembre 2019 ;

- condamné la Sas [J] [G] Décoration à payer à [K] [V] épouse [M] et [N] [V] une indemnité de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté [K] [V] épouse [M] et [N] [V] du surplus de leurs demandes ;

- condamné la Sas [J] [G] Décoration aux dépens de l'instance ;

- rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

9. La Sas [J] [G] Décoration a interjeté appel de cette décision le 17 décembre 2024, en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.

10. Par arrêt avant dire droit du 27 avril 2023, la présente cour a :

- ordonné une mesure d'expertise judiciaire,

- désigné pour y procéder monsieur [B] [U] (') avec mission de:

. convoquer et entendre les parties, assistées le cas échéant de leur conseil et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise,

. se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

.s'entourer, si besoin est, de tout sachant et/ou technicien de son choix,

. visiter les lieux situés à [Localité 10] [Adresse 13] et cadastrés section ZR n° [Cadastre 5], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9], les décrire,

. rechercher tous éléments permettant d'apprécier, dans le cadre des dispositions des articles L.145-37 et L.145-38 du code de commerce, le montant du loyer révisé,

. et en particulier, déterminer la valeur locative des biens loués, décrire les éventuelles modifications matérielles des facteurs locaux de commercialité intervenues entre la fixation du loyer et la demande de révision, analyser leurs éventuelles conséquences sur la variation de la valeur locative,

. fournir toutes constatations utiles à l'examen des prétentions des parties,

- dit que l'expert effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,

- dit que l'expert devra, lors de l'établissement de sa première note aux parties, indiquer les pièces nécessaires à l'exécution de sa mission, le calendrier de ses opérations et le coût prévisionnel de l'expertise,

- dit que l'expert adressera aux parties un pré-rapport de ses constatations et observations et leur fixera un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du code de procédure civile, - dit que l'expert déposera son rapport dans un délai de six mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité auprès du magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise,

- désigné le président de la chambre ou son délégué pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur d'éventuels incidents,

- fixé à 3.000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par [K] [V] épouse [M] et [N] [V], dans un délai de six semaines à compter de la présente décision, sans autre avis,

- dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 7 décembre 2023,

- sursis à statuer sur les dépens de l'instance.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 22 mars 2024.

Prétentions et moyens de la société [J] [G] Décoration :

11. Selon ses conclusions n°5 remises par voie électronique le 6 mars 2024, elle demande à la cour, au visa de l'article 5 du code de procédure civile, des articles L145-36, L 145-37, L 145-38 et suivants, R145-9 du code de commerce :

- de la déclarer recevable et bien fondée dans son appel ;

- y faisant droit, à titre liminaire, et vu les carences du rapport déposé par monsieur [U], d'ordonner un complément de mission pour que l'expert réponde précisément à sa mission ;

- en toute hypothèse, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence, en sa juridiction dédiée aux loyers commerciaux, en date du 18 novembre 2021 ;

- statuant à nouveau, de fixer le montant du loyer du bail révisé à la somme de 23.985,31 euros et ce à compter du 28 août 2020, date de la demande de révision légale formée par les consorts [V] ;

- subsidiairement, de donner acte à la concluante de ce qu'elle a pris le soin de faire séquestrer sur le compte CARPA de son conseil, le 8 mars 2022, la somme de 32.288,62 euros correspondant à cette date à l'augmentation contestée du loyer ;

- de dire et juger que la somme sera séquestrée et le restera jusqu'à ce que les parties se soient mises d'accord sur le montant du loyer, que ce soit amiablement ou par l'arrêt à intervenir, ou encore ensuite de l'expertise judiciaire qui pourrait être ordonnée ;

- de condamner solidairement [N] [V] et [K] [V] épouse [M] à payer à la concluante la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner les mêmes aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de maître Marie Laure Reboux Lebon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'appelante expose :

12. - que le rapport déposé par l'expert judiciaire est imprécis et confus dans la méthode utilisé pour fixer le loyer du bail révisé, puisque s'il a fixé ce prix avec effet rétroactif au 16 décembre 2019 à 25.800 euros HT et hors charges, il a également proposé une valeur locative de 49.829 euros HT et HC ; qu'il n'a pas justifié que la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité est acquise et qu'elle a entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative conformément à l'article L145-38 du code de commerce ;

13. - que selon ce texte, la demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé, alors que de nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable ; que sauf modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer ; qu'en aucun cas, il n'est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours ;

14. - qu'en l'espèce, si l'expert a retenu une augmentation notable des facteurs locaux de commercialisation, il n'a qualifié aucune modification matérielle ; qu'il n'a pas démontré une variation de plus de 10 % de la valeur locative ; qu'il n'a effectué aucune étude des facteurs locaux de commercialité comme prévu à l'article R145-6 ; qu'il a seulement retenu une augmentation de la population sur les communes avoisinantes, une augmentation du flux routier et un dynamisme commercial environnant, alors que le critère matériel exclut une simple évolution quantitative de facteurs anciens matériellement inchangés ; qu'il n'a pas trouvé de valeurs locatives en 2019 concernant des terrains nus constructibles ; qu'il a procédé à un calcul ne correspondant à aucune méthode usuelle et sans explication ; qu'il n'a pris en compte qu'une seule référence mais concernant un immeuble bâti ;

15. - que si la méthode de l'expert est suivie, elle aboutit en réalité à un prix du loyer de 25.510 euros, soit proche à quelques euros de la variation indiciaire, puisqu'il convient de retenir une surface de 8.012 m² (contre 8.946 m²) avec un taux moyen de surface bâtie de 40 % et une pondération fiscale de 0,10, pour un prix moyen au mètre carré bâti de 79,60 euros (8.012 x 0,40 x 79,60 x 0,10) ; que la concluante a ainsi indiqué à l'expert

que la surface était à minorer en raison de la voirie communale, alors que le bien loué est en retrait des dessertes principales et qu'il convient de soustraire les emplacements réservés pour cause de bassin de rétention et de parkings ;

16. - que les intimés ne sont pas recevables à solliciter l'infirmation du jugement déféré pour demander que le loyer soit fixé à 49.829 euros HT et HC, puisqu'ils ont demandé initialement la confirmation de ce jugement ;

17. - que si les intimés ont demandé au juge de fixer le loyer révisé du bail à 35.500 euros HT par an, le juge a cependant fixé le loyer du bail « renouvelé » à cette somme à compter du 16 novembre 2019, alors qu'aucune demande de renouvellement n'avait été formée par les parties, le bail étant toujours en tacite prolongation depuis le 14 juin 2009 ; que la demande de révision n'a pu ainsi avoir d'effet qu'à compter du 28 août 2020, date à laquelle les intimés ont demandé la révision du loyer ; que le juge a ainsi statué ultra petita ;

18. - qu'il appartient en conséquence à la cour de fixer le prix du loyer du bail révisé à compter de la demande faite par les intimés, soit à compter du 28 août 2020, avec l'application de la règle de plafonnement ; que la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative n'est pas prouvée ; que la révision légale du loyer permet ainsi d'aboutir, au 28 août 2020, à un prix de 23.985,31 euros (14.635,11 € pour le loyer initial, rapporté à l'évolution de l'indice applicable au 28 août 2020 / l'indice de référence au 3° trimestre 2019), puisqu'il ne s'agit que d'une demande de révision du prix du bail en l'absence de demande de renouvellement;

19. - que si les intimés ont fait réaliser une expertise par madame [W], son rapport n'est pas contradictoire, alors qu'elle n'a annexé aucun document et n'a pas étudié l'assiette locative prévue dans le bail puisqu'il s'est agi de la location de terrains nus ; qu'elle n'a pas tenu compte de l'économie générale du contrat, puisqu'une promesse de vente avait été stipulée.

Prétentions et moyens de [K] et [N] [V] :

20. Selon leurs conclusions n°5 remises par voie électronique le 13 mars 2024, ils demandent à la cour, au visa des articles L.145-33, L.145-37 et L.145-38 du code de commerce, de l'article 21 II de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 :

- à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé le loyer révisé du bail conclu initialement entre madame [L] et l'appelante à compter du 16 décembre 2019; en ce qu'il a condamné l'appelante à payer aux concluants une indemnité de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- d'infirmer ce jugement en ce qu'il a fixé le loyer révisé du bail conclu initialement entre madame [L] et l'appelante à la somme annuelle de 35.500 euros HT ;

- statuant à nouveau, de fixer le loyer révisé du bail conclu initialement entre madame [L] et l'appelante à la somme annuelle de 49.829 euros HT et HC ;

- de débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- à titre subsidiaire, d'ordonner que le complément de mission de l'expert judiciaire ait lieu aux frais avancés de l'appelante ;

- d'exclure le montage contractuel prévu par les parties comme élément à prendre en compte pour la détermination de la valeur locative ;

- en toute hypothèse, de condamner l'appelante à payer aux concluants la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner l'appelante aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise.

Les intimés indiquent :

21. - que suite au décès de leur auteur, le notaire chargé du règlement de la succession a établi une attestation immobilière évaluant l'ensemble immobilier à 290.411,26 euros, soit 32,46 euros /m², ce qui est nettement supérieur à l'évaluation effectuée dans l'acte du 10 juin 2000 ; que madame [I] a fait ressortir dans son rapport une évolution des facteurs locaux de commercialité depuis 20 ans justifiant un déplafonnement du loyer, puisqu'à l'origine, les terrains étaient d'anciennes vignes et on pouvait encore voir beaucoup de terrains agricoles alentour, de sorte que l'activité n'était pas comparable ; que la tendance actuelle est au développement des zones commerciales à l'extérieur des centres-villes ; que la zone Sud de [Localité 10] est active et accessible notamment aux gros porteurs ; qu'elle a ainsi retenu un loyer annuel de 35.500 euros HT, après un premier avis retenant 40.250 euros ;

22. - que si le bail a stipulé une clause d'échelle mobile, avec une révision automatique chaque année à compter du 15 janvier 2021, les parties n'ont jamais fait application de cette clause, sans que cela vaille renonciation à l'exercice du droit de révision des loyers ; que cette clause ne fait pas obstacle à la possibilité de demander une révision dans les conditions de l'article L145-38 du code de commerce, ce que le bail a stipulé ;

23. - que le bail ayant été conclu et n'ayant pas été renouvelé avant le 1er septembre 2014, la règle du lissage du plafonnement ne s'applique pas, de sorte que le montant du loyer révisé est immédiatement applicable, ainsi que prévu par le nouvel article L145-38, puisque le bail a été renouvelé automatiquement le 15 juin 2009 ;

24. - concernant le montant du loyer, que madame [I] a tenu compte de biens similaires loués sur le territoire de la commune de [Localité 10] et dans la zone industrielle en cause ; qu'elle rappelle que le [Adresse 11] a connu un développement urbain très important depuis 20 ans, ce qui atteste de sa situation attractive ; que l'expert a retenu un prix de 35.500 euros HT après les observations de l'appelante ;

25. - que si l'appelante indique que ce rapport ne prend pas en compte l'existence d'une promesse de vente consentie par la bailleresse parallèlement au bail, cela n'a pas d'incidence sur la valeur locative, d'autant que la demande d'exécution forcée de l'appelante a été déclarée irrecevable car prescrite par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire le 27 octobre 2022, ce qui a été confirmé par arrêt du 20 juin 2023 ; qu'aucun des cinq critères de l'article L145-33 du code de commerce ne permet de prendre en compte cette promesse, alors qu'elle avait été accordée au profit exclusif du preneur ;

26. - que le rapport de l'expert judiciaire constate une évolution manifeste des facteurs locaux de commercialité avec une variation de plus de 10 %: augmentation de 30 % de la zone de chalandise, évolution des infrastructures publiques importante, évolution de l'offre commerciale ;

27. - que l'expert judiciaire a cependant commis une erreur en limitant la fixation du loyer révisé à 10 % du loyer de référence, en application de l'article L145-34, puisque ce texte ne concerne que le lissage de l'augmentation afin d'éviter une hausse trop brutale du loyer jusqu'à l'obtention du loyer déplafonné, et ce pour les baux renouvelés ; que le montant du loyer doit ainsi être fixé à 49.829 euros HT et HC ;

28. - concernant la date du commencement du prix du loyer révisé, que celle-ci est la date de la demande de révision selon l'article L145-38 ; que c'est par courrier du 16 décembre 2019 que les concluants ont sollicité cette révision ;

29. - que les concluants sont recevables à modifier le montant de leur demande, dans la mesures où elles sont le résultat du dépôt du rapport d'expertise, le montant initialement sollicité étant fondé sur un rapport de 2019 actualisé en 2020 ;

30. - que la demande de complément d'expertise est mal fondée, puisque l'expert judiciaire a repris les éléments visés à l'article R145-6 du code de commerce, et a constaté une variation de 210 % de la valeur locative ; qu'il ne lui a pas été confié la mission de donner son avis sur le déplafonnement.

*****

31. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur la recevabilité de la modification des demandes des intimés concernant le prix du loyer :

32. La cour constate que dans leurs premières conclusions notifiées le 23 mai 2022, les intimés ont alors demandé, à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a notamment fixé le loyer du bail à la somme annuelle de 35.500 euros HT à compter du 16 décembre 2019. Ils ont maintenu cette demande dans leurs secondes conclusions notifiées le 10 octobre 2022, ainsi que dans leurs conclusions n°3 notifiées le 16 novembre 2022. Ce n'est que dans leurs conclusions n°4 notifiées le 26 février 2024 qu'ils ont modifié cette demande, en sollicitant que le montant du loyer soit fixé à 49.829 euros, prétention reprise dans leurs dernières conclusions n°5.

33. Selon l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

34. En l'espèce, l'évolution de cette demande résulte du dépôt du rapport de l'expert judiciaire le 23 novembre 2023, qui a proposé , par comparaison avec une valeur moyenne cohérente, une valeur locative de 49.829 euros, ramenée à 25.800 euros en raison du plafonnement annuel de 10 % prévu par l'article L145-34 du code de commerce modifié par la loi du 20 juin 2014.

35. Cependant, si les intimés peuvent, sous les conditions précisées par l'article 910-4 du code de procédure civile, modifier leurs demandes, c'est dans les limites des chefs du jugement critiqués. Or, la cour ne peut que constater que dans leurs trois premières conclusions, les intimés n'ont pas remis en cause le jugement déféré en ce qu'il a retenu une valeur locative de 35.500 euros, dont ils ont sollicité la confirmation sur ce point. Il en résulte qu'ils ne sont pas recevables à solliciter une valeur locative supérieure. Il en ressort que si l'appelante n'a pas, dans le dispositif de ses conclusions, demandé de prononcer l'irrecevabilité de cette demande, la cour ne pourra aller au-delà de ce qui a été accepté par les intimés dans leurs trois premières conclusions.

2) Sur le fond :

36. La cour ne peut que reprendre les motifs de son arrêt avant dire droit, ayant retenu que par lettre recommandée du 16 décembre 2019, les intimés ont, pour la première fois, demandé la révision du loyer sur le fondement de l'article L145-37 du code de commerce en offrant sa fixation à la somme annuelle de 40.250 euros HT. Il ne peut également qu'être retenu que si le bail du 10 juin 2000, qui s'est poursuivi tacitement après son terme le 14 juin 2009, comporte une clause d'échelle mobile prévoyant la prévision annuelle automatique du loyer en fonction de la variation en plus ou en moins de l'indice du coût de la construction, cette clause de révision conventionnelle n'est pas exclusive de la révision triennale légale prévue à l'article L145-38 et ne fait pas obstacle à la faculté offerte aux parties de se prévaloir de ces dispositions d'ordre public, plutôt que de recourir à celles de l'article L145-39. Conformément aux dispositions de l'article L145-33, le montant des loyers des baux révisés doit ainsi correspondre à la valeur locative, qui se détermine en fonction des caractéristiques des locaux, leur destination, les obligations des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage, ces éléments s'appréciant dans les conditions énoncées par les articles R145-3 à R145-11.

37. La cour précise qu'il n'y a pas eu de renouvellement du bail, mais seulement des reconductions tacites. Conformément au 21 II de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, les nouvelles dispositions de l'article L145-38 ne sont applicables qu'aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014. Il en résulte qu'en l'absence de tout renouvellement, l'évolution du prix du loyer reste soumis à l'ancien article L145-38. La phrase de l'article L145-38 actuellement en vigueur, disposant que la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente, ne concerne pas la présent litige. A ce titre, l'expert judiciaire a commis une erreur en appliquant cette limitation au prix initialement retenu, d'autant que cette nouvelle règle ne prévoit qu'un effet de lissage dans le temps de l'augmentation du nouveau prix du loyer, qui doit rester fixé à la valeur locative.

38. Concernant la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la cour constate que le bien donné à bail a porté initialement sur un terrain nu et comme établi par les intimés, le secteur comportait essentiellement des terrains agricoles, ce que confirme le plan annexé au bail initial. L'expertise permet effectivement de constater que désormais, la zone est classée par la commune de [Localité 10] en zone à vocation urbaine industrielle et commerciale. La photographie aérienne figurant dans le rapport de l'expert judiciaire confirme que la zone s'est notablement développée, avec des infrastructures en ayant modifié notablement la desserte, et l'implantation de nombreuses enseignes. Il n'est pas contestable que la zone de chalandise a été notablement augmentée en raison des apports de population constatés par l'expert sur l'arrondissement de [Localité 10], l'augmentation relevée étant de 30 % depuis le début des années 2000. Comme retenu par l'expert, le développement de cette zone a entraîné un dynamisme commercial.

39. La cour ne peut que relever que l'expert a précisé qu'il n'a pu trouver de références concernant des terrains nus constructibles à destination commerciale. De ce fait, il a justement retenu une méthode consistant à déterminer une valeur au mètre carré concernant des locaux de commerce de détail, mais en retenant une pondération de 0,1 applicable fiscalement aux terrains non bâtis. La cour indique que si une promesse de vente a été initialement conclue, figurant dans le corps de l'acte notarié constatant le bail commercial, elle est sans effet sur la valeur locative, puisque le prix du terrain a été fixé au mètre carré, avec une indexation sur l'indice du coût de la construction.

40. Les surfaces retenues par l'expert judiciaire ne sont pas contestables, de même que la surface exploitable en fonction du plan local d'urbanisme, de sorte que la surface commerciale est de 6.262 m². L'expert a valablement retenu une pondération de 0,1 comme préconisé par les services fiscaux, puisqu'il s'agit d'un bail portant sur un terrain nu, la révision du loyer ne pouvant donc inclure les aménagements réalisés par le preneur au sens de l'article L145-38. Il en résulte que la valeur commerciale pondérée est ramenée à 626 m². Au regard d'un prix de référence de 79,60 euros/m², l'expert a justement retenu une valeur locative de 49.829 euros.

41. La cour retire de ces éléments qu'il n'y a pas lieu d'organiser un complément, voire une nouvelle expertise, en raison des éléments de fait relevés dans le rapport de l'expert judiciaire, qui a répondu au dire de l'appelante concernant la bande de terre préemptée par la commune, laquelle se trouve à l'extérieur du terrain exploité par l'appelante. En outre, dans cette réponse, l'expert a précisé à l'appelante que ses recherches indiquent une valeur locative de 100 à 110 euros / m² pour des locaux se trouvant « en second rideau » par rapport aux axes principaux, raison pour laquelle il a proposé un prix de 79,60 euros / m².

42. La cour en retire également que la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative est rapportée, puisque par application de l'indexation du loyer initial, le loyer au 1er décembre 2019 n'est que de 23.399,15 euros.

43. Concernant la date à laquelle le nouveau prix du loyer devient effectif, la cour ne peut que relever que les intimés ont sollicité la révision de son montant par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 décembre 2019, conformément à l'article R145-20 du code de commerce. La révision part ainsi à compter de cette date.

44. Il en résulte que le jugement déféré ne peut ainsi qu'être confirmé en toutes ses dispositions. Il n'appartient pas à la cour de statuer sur la demande de donner acte de l'appelante, qui ne constitue pas une prétention.

45. Succombant en son appel, la société [J] [G] Décoration sera condamnée à payer aux intimés la somme complémentaire de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel, qui intégreront le coût de l'expertise judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles L145-33 et suivants du code de commerce ;

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant ;

Condamne la société [J] [G] Décoration à payer à [K] et [N] [V] la somme complémentaire de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [J] [G] Décoration aux dépens, qui incluront les frais d'expertise ;

SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.