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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 31 mai 2024, n° 23/18457

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Uni-Commerces (SAS)

Défendeur :

Julie Pressing (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Le Cotty, M. Birolleau

Avocat :

Me Pineau-Braudel

TJ Evry, du 12 sept. 2023, n° 23/00283

12 septembre 2023

ARRÊT :

- PAR DÉFAUT

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Par contrat du 9 février 2016, la société Uni-Commerces a consenti un bail commercial à la société Julie Pressing portant sur un local situé au centre commercial « [5] », [Adresse 6], pour y exercer une activité de teinturerie, pressing, blanchisserie, moyennant un loyer annuel de 75.000 euros hors taxes et hors charges, payable trimestriellement et d'avance.

Par acte du 7 mars 2022, le bailleur a fait délivrer à la société Julie Pressing un commandement de payer visant la clause résolutoire pour avoir paiement de la somme de 176.847,89 euros en principal, au titre des loyers et charges impayés.

Par acte du 17 mars 2023, la société Uni-Commerces a assigné la société Julie Pressing devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, expulsion de la locataire et condamnation de celle-ci au paiement d'une provision de 374.014,15 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 23 janvier 2023, outre la somme de 61.772,88 euros TTC au titre de l'indemnité de relocation.

Par ordonnance contradictoire du 12 septembre 2023, le juge des référés a :

dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Uni-Commerces ;

rejeté toute demande plus ample ou contraire ;

dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Uni-Commerces aux entiers dépens.

Par déclaration du 16 novembre 2023, la société Uni-Commerces a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 26 janvier 2024, elle demande à la cour de :

la dire recevable et bien fondée en son appel ;

En conséquence,

réformer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau en y ajoutant,

constater l'acquisition de la clause résolutoire à son profit et la résiliation de plein droit du bail à effet du 8 avril 2022 ou subsidiairement à effet du 30 octobre 2023 ;

ordonner l'expulsion de la société Julie Pressing et de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique en cas de besoin ;

condamner par provision, sous la réserve de l'actualisation de la dette locative, la société Julie Pressing à lui payer les sommes suivantes, selon décomptes au 24 janvier 2024, sauf à parfaire :

loyers, charges et accessoires en principal : 443.531,08 euros

réintégration des paliers sur loyers : 21.305,48 euros

réintégration des abattements au titre de l'avenant du 10 juin 2019 : 48.000 euros

indemnité forfaitaire de 10 % : 51.283,65 euros

indemnité participation travaux avenant du 1er août 2017 : à parfaire au jour du paiement

intérêts de retard au taux contractuel : à parfaire au jour du paiement

total des sommes dues à parfaire : 564.120,21 euros

fixer le montant de l'indemnité d'occupation due au dernier loyer annuel courant, charges et taxes comprises, majoré de 50%, à compter du 8 avril 2022 ou subsidiairement à effet du 30 octobre 2023 et jusqu'à libération des lieux ;

condamner par provision la société Julie Pressing à lui payer la somme de 63.398,08 euros TTC au titre de l'indemnité de relocation, correspondant à six mois de loyer de base toutes taxes comprises ;

ordonner la reconstitution du dépôt de garantie entre les mains du bailleur ;

dire que le dépôt de garantie lui sera définitivement acquis, conformément aux stipulations contractuelles ;

condamner la société Julie Pressing à lui payer la somme de 6.000 euros par application des stipulations contractuelles et, très subsidiairement, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Julie Pressing aux entiers dépens incluant le coût des commandements, de la saisie conservatoire et de levée de l'état des inscriptions sur le fonds.

La société Julie Pressing, à qui la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées respectivement les 5 janvier et 29 janvier 2024, n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelante pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et la demande de provision au titre de l'arriéré locatif

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En l'espèce, le bail commercial contient une clause résolutoire en vertu de laquelle un commandement de payer a été délivré à la société Julie Pressing le 7 mars 2022 pour avoir paiement de la somme de 176.847,89 euros en principal, au titre des loyers et charges impayés au 28 février 2022.

Il résulte du décompte du 24 janvier 2024 produit par la bailleresse que cette somme n'a pas été réglée dans le délai d'un mois, aucun règlement n'étant intervenu dans ce délai (un prélèvement de 32.072,39 euros a eu lieu le 1er avril 2022 mais il a été rejeté).

Depuis lors, la dette n'a cessé d'augmenter pour atteindre la somme de 443.531,08 euros au 24 janvier 2024, échéance du 1er janvier 2024 incluse, de nombreux règlements étant revenus impayés.

La locataire, à qui les conclusions d'appelant ont été signifiées à personne morale, n'a pas constitué avocat pour contester, le cas échéant, les prétentions de l'appelante et les pièces produites par celle-ci.

En conséquence, l'acquisition de la clause résolutoire du bail ne peut qu'être constatée au 8 avril 2022, faute de règlement des causes du commandement de payer dans le délai d'un mois, et l'expulsion de l'intimée sera ordonnée, avec toutes conséquences de droit.

La bailleresse a produit, depuis l'ordonnance de référé entreprise, les justificatifs des régularisations de charges ainsi que des décomptes plus lisibles que ceux soumis au premier juge.

Il est en particulier relevé que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le décompte arrêté au 23 janvier 2023 ne mentionne pas un solde de 23.484,90 euros au 1er janvier 2022, mais un solde de 234.484,90 euros, supérieur à celui objet du commandement de payer du 7 mars 2022.

L'obligation de paiement de la locataire n'étant pas sérieusement contestable, elle sera condamnée au paiement d'une provision de 443.531,08 euros au titre de l'arriéré de loyers, charges et indemnités d'occupation au 24 janvier 2024, échéance du 1er janvier 2024 incluse, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 7 mars 2022 sur somme de 176.847,89 et à compter du présent arrêt sur le surplus.

Elle sera également tenue au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle égale au montant du loyer majoré des charges et taxes qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi et ce, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux, sans la majoration de 50% prévue au bail, laquelle s'analyse en une clause pénale manifestement excessive et susceptible de modération par le juge du fond.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, d'expulsion et de condamnation de la locataire au paiement à titre provisionnel de l'arriéré locatif.

Sur les autres demandes de provision formées par la société Uni-Commerces

La société Uni-Commerces réclame une provision de 21.305,48 euros au titre de la « réintégration des paliers sur loyers », exposant que la locataire a bénéficié d'une franchise totale de loyer de base ainsi que d'une réduction du loyer pendant les deux premières années du bail et qu'en cas de résiliation du bail, le preneur doit rembourser au bailleur la totalité de la réduction du loyer depuis la prise d'effet du bail.

Elle réclame également la réintégration des abattements au titre de l'avenant du 10 juin 2019, à hauteur de la somme de 48.000 euros TTC, au motif qu'il a été convenu qu'en cas de résiliation du bail, le preneur serait déchu du bénéfice de la mesure d'abattement octroyée.

Ces stipulations, prévues à l'article 11.1 - T1 - article 4.1 « loyer de base : franchise partielle » du bail et à l'article 2 de l'avenant n° 2 du 10 juin 2019, s'analysent toutefois en des clauses pénales susceptibles de revêtir un caractère manifestement excessif, au sens de l'article 1231-5 du code civil. Le juge des référés ne pouvant qu'appliquer la clause pénale sans pouvoir de modération de la somme forfaitaire contractuellement prévue, la demande de provision se heurte à une contestation sérieuse et sera rejetée.

Il en est de même de l'indemnité forfaitaire de 10 % (soit la somme de 51.283,65 euros) prévue à l'article 26.2.1 du bail, ainsi que de la conservation du dépôt de garantie prévue à titre de clause pénale par l'article 26.2.3.

La société Uni-Commerces demande encore une provision de 63.398,08 euros TTC au titre de l'indemnité de relocation, correspondant à six mois de loyer de base.

L'article 26.2.4 du titre II du bail stipule que « le preneur devra réparer l'intégralité du préjudice du bailleur du fait de la résiliation fautive (perte de loyer durant la période de relocation, perte de valeur de loyer, remboursement de la participation du bailleur aux travaux, de la franchise et des aménagements de loyer )».

L'appelante soutient que la seule vacance des locaux, entre la libération et la relocation, s'élève dans les faits à six mois de loyer TTC minimum, soit la somme de 63.398,08 euros TTC.

En l'état, aucun préjudice n'est toutefois établi, la locataire n'ayant pas quitté les lieux, de sorte que la perte de loyer n'est qu'hypothétique. La demande de provision se heurte donc à une contestation sérieuse de ce chef également.

Il n'y a en conséquence pas lieu à référé sur l'ensemble des demandes complémentaires de provision formées par l'appelante.

Sur les frais et dépens

La société Julie Pressing, partie perdante, sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, qui incluront le coût du seul commandement afférent à la présente procédure, soit celui du 7 mai 2022 (et non de celui du 29 septembre 2023 délivré postérieurement à l'ordonnance entreprise) et le coût de la levée de l'état des inscriptions sur le fonds, mais non le coût d'une saisie conservatoire qui aurait été pratiquée et dont il n'est pas justifié.

Ayant contraint la société Uni-Commerces à engager des frais, la société Julie Pressing sera condamnée à l'indemniser à hauteur de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Constate l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant les parties au 8 avril 2022 ;

Ordonne en conséquence l'expulsion de la société Julie Pressing et celle de tous occupants de son chef des locaux loués, situés au centre commercial « [5] », [Adresse 6], avec l'assistance, si besoin est, de la force publique et d'un serrurier ;

Dit que le sort des meubles trouvés sur place sera régi par les articles L. 433-1 et suivants, R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne la société Julie Pressing à payer à la société Uni-Commerces une indemnité d'occupation provisionnelle égale au loyer majoré des charges et taxes qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi, à compter du 8 avril 2022 et jusqu'à la libération effective des lieux ;

Condamne la société Julie Pressing à payer à la société Uni-Commerces la somme provisionnelle de 443.531,08 euros au titre de l'arriéré de loyers, charges et indemnités d'occupation au 24 janvier 2024, échéance du 1er janvier 2024 incluse, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2022 sur somme de 176.847,89 et à compter du présent arrêt sur le surplus ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes de provision formées par la société Uni-Commerces ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de conservation du dépôt de garantie formée par la société Uni-Commerces ;

Condamne la société Julie Pressing aux dépens de première instance et d'appel, incluant le coût du commandement de payer du 7 mars 2022 et de la levée de l'état des inscriptions ;

Condamne la société Julie Pressing à payer à la société Uni-Commerces la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.