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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 31 mai 2024, n° 23/01771

BORDEAUX

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

L'angelys (SAS)

Défendeur :

Asdechamps (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

M. Breard, M. Potee

Avocats :

Me Bonnaric, Me Cotnoir, Me Bove

CA Bordeaux n° 23/01771

30 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La SARL Asdeschamps a déposé le 29 juin 2022, la demande d'enregistrement n°488 0765, portant sur le signe complexe ANGELA ARTISAN GLACIER.

Le 16 août 2022, la Sas L'Angelys a formé opposition à l'enregistrement de cette marque, sur la base de la marque verbale de l'Union Européenne L.ANGELYS déposée le 11 janvier 2006 et renouvelée sous le n°00482 85 47, sur le fondement du risque de confusion.

Par décision OP 22-3391 du 8 mars 2023, l'INPI a rejeté l'opposition.

Par déclaration enregistrée au greffe le 12 avril 2023, la SAS L'Angelys a formé un recours contre la décision rendue par l'INPI.

Par dernières conclusions déposées le 10 juillet 2023, la société requérante demande à la cour de :

- déclarer la société L'Angelys recevable et bien fondé en son recours,

- annuler la décision OP22-3391 du 8 mars 2023 du Directeur de l'INPI en ce qu'elle a rejeté l'opposition formée par la société L'Angelys,

En conséquence,

- rejeter la demande d'enregistrement de la marque ANGELA ARTISAN GLACIER déposée le 29 juin 2022 par la société Asdeschamps sous le n°4880765 ;

En outre,

- condamner la société Asdeschamps à payer à la société L'Angelys la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Asdeschamps aux dépens,

- débouter La société Asdeschamps de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires existantes ou à venir.

Par dernières conclusions déposées le 10 août 2023, la SARL Asdeschamps demande à la cour de :

- déclarer recevables les présentes conclusions en la forme,

- déclarer la S.A.S. L'Angelys irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- confirmer la décision OP22-3391 du 8 mars 2023 du Directeur de l'INPI en qu'elle a rejeté l'opposition formée par la SAS L'Angelys,

En conséquence, rejeter l'opposition formée par la SAS L'Angelys,

- déclarer fondée la demande d'enregistrement de la marque contestée sous le numéro 4880765 déposée le 29 juin 2022 par la SARL Asdeschamps, ANGELA ARTISAN GLACIER,

- condamner reconventionnellement la SAS L'Angelys à payer à la SARL Asdeschamps la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS L'Angelys aux entiers dépens.

Par courrier transmis au greffe le 10 janvier 2024, le directeur général de l'INPI a présenté ses observations dans lesquelles il considère que, si les produits sont identiques ou similaires, les signes présentent des différences prépondérantes aux plans visuel, phonétique et intellectuel. Il estime qu'au regard de l'ensemble des facteurs à prendre en compte, les marques en cause présentent des différences importantes qui ne sauraient être compensées par la proximité des produits, de sorte qu'il a exclu tout risque de confusion entre elles.

Le 4 mars 2024, le ministère public a indiqué s'en rapporter.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 19 mars 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

I Sur la demande d'annulation de la décision du directeur de l'INPI du 8 mars 2023.

La société L'Angelys, au visa des articles L.711-3 et L.713-2 du code de la propriété intellectuelle conteste la décision objet du présent litige en estimant qu'il existe un risque de confusion entre sa marque et celle de son adversaire.

A ce titre, elle rappelle que les produits ont été retenus par la décision attaquée comme identiques ou similaires, comme relevant de la classe 30.

S'agissant de la similitude entre les signes objets du présent litige, elle soutient que l'INPI n'a pas pris correctement en compte les éléments distinctifs et dominants.

En premier lieu, la société appelante reproche à la décision attaquée d'intégrer comme élément de distinctivité ou dominant la mention 'ARTISAN GLACIER' qui figure dans le signe adverse, alors que celle-ci n'est que descriptive au vu de l'activité concernée et devrait donc être écartée à ce titre.

S'agissant de sa propre marque, elle remet en cause le fait que la lettre L suivie d'un point dans l'ensemble L.ANGELYS soit intégrée dans la comparaison, n'étant qu'un article indéfini, donc un élément négligeable dans l'analyse des signes.

Sur le plan visuel, elle avance que la demande contestée vise un signe semi-figuratif représentant le prénom ANGELA en lettres blanches sur fond noir, avec sur son côté droit une représentation stylisée d'une silouette de jeune femme de profil tenant une glace se détachant par sa couleur blanche du fond et, sous ces deux éléments, la mention 'ARTISAN GLACIER' écrite également en blanc dans une taille nettement inférieure, alors que sa marque est verbale reproduite en lettres capitales noire dénommée 'L.ANGELYS'. Ces éléments ne sont pas distinctifs à ses yeux, contrairement à ce qu'a retenu la décision du directeur de l'INPI, faute qu'ils participent à une perception différente de l'ensemble des deux signes.

Elle indique que si l'analyse est réalisée au cas par cas, l'élément verbal reste le plus distinctif s'agissant des produits concernés. Elle affirme que l'élément dominant reste ANGELA, similaire avec L.ANGELYS, du fait de sa racine linguistique et partageant cinq de ses six lettres.

Elle argue de ce l'orthographe faiblement distincte des deux signes l'emporte sur la similitude entre les éléments verbaux.

Ainsi, elle remarque que phonétiquement, le nombre et la séquence des syllabes influencent l'impression d'ensemble perçue à ce titre et que la décision critiquée a tenu compte des éléments dominant de manière erronée. En ce qui concerne la marque attaquée, elle retient que l'élément dominant est ANGELA, composé de trois syllabes, alors que sa marque antérieure comporte une lettre muette placée devant le mot ANGELYS, et est donc composé également de trois syllabes.

Elle note que le rythme de prononciation des deux signes est identique, notamment du fait de leurs lettres communes, ont une même sonorité, ce dont il résulte une forte similarité.

Sur le plan intellectuel, elle considère que la décision du 8 mars 2022 commet également une erreur en ce que les deux signes se réfèrent au terme ANGE dont ils ne sont qu'une déclinaison, ce qui va conduire le consommateur moyen à les confondre en considérant que l'un n'est qu'une variante de l'autre.

Au final, elle estime que l'appréciation globale entre les deux signes, du fait des similitudes relevées, notamment au vu de l'identité des produits concernés, engendre un risque de confusion pour le consommateur moyen au vu de l'image qu'il se fait des deux marques.

En effet, elle avance que le degré de similarité entre les produits des deux marques est élevé, voir qu'ils sont identiques, en particulier en ce qu'ils empruntent les mêmes canaux de distribution, visent les mêmes consommateurs en matière agro-alimentaire, élément renforcé par de la similitude entre les signes AGENLYS/ANGELA en tant qu'éléments dominants de chaque marque.

***

L'article L.711-3 énonce que 'I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :

1° Une marque antérieure :

a) Lorsqu'elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée ;

b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ;

2° Une marque antérieure enregistrée ou une demande de marque sous réserve de son enregistrement ultérieur, jouissant d'une renommée en France ou, dans le cas d'une marque de l'Union européenne, d'une renommée dans l'Union, lorsque la marque postérieure est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et lorsque l'usage de cette marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice ;

3° Une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

4° Un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

5° Une indication géographique enregistrée mentionnée à l'article L. 722-1 ou à une demande d'indication géographique sous réserve de l'homologation de son cahier des charges et de son enregistrement ultérieur ;

6° Des droits d'auteur ;

7° Des droits résultant d'un dessin ou modèle protégé ;

8° Un droit de la personnalité d'un tiers, notamment à son nom de famille, à son pseudonyme ou à son image ;

9° Le nom, l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ;

10° Le nom d'une entité publique, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.

II.-Une marque antérieure au sens du 1° du I s'entend :

1° D'une marque française enregistrée, d'une marque de l'Union européenne ou d'une marque ayant fait l'objet d'un enregistrement international ayant effet en France ;

2° D'une demande d'enregistrement d'une marque mentionnée au 1°, sous réserve de son enregistrement ultérieur ;

3° D'une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle.

L'antériorité d'une marque enregistrée s'apprécie au regard de la date de la demande d'enregistrement, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué ou de l'ancienneté valablement revendiquée par une marque de l'Union européenne au sens de l'article L. 717-6.

III.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque dont l'enregistrement a été demandé par l'agent ou le représentant du titulaire d'une marque protégée dans un Etat partie à la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, en son propre nom et sans l'autorisation du titulaire à moins que cet agent ou ce représentant ne justifie sa démarche'.

L'article L.713-2 du même code ajoute que 'Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque'.

La cour constate tout d'abord que les produits concernés relevant de l'alimentation humaine et de la consommation courante à ce titre, ils s'adressent au grand public et donc à des consommateurs dotés d'un degré d'attention normal.

De même, les parties s'accordent sur la similarité des produits concernés.

S'agissant de la comparaison des signes, il revient à la cour d'analyser les différents éléments de comparaison en recourant aux critères visuel, phonétique, intellectuel et global afin de vérifier s'il existe ou non une similitude.

Sur le plan visuel, il sera rappelé que la marque antérieure est exclusivement verbale, ayant été présentée en lettres majuscules d'imprimerie, droites et noires, alors que le signe contesté est semi-figuratif, associant au sein d'une cartouche noire rectangulaire le terme ANGELA écrit en blanc dans une police d'écriture manuscrite, avec une mention 'ARTISAN GLACIER' sur une ligne inférieure et la représentation d'une jeune femme tenant un cornet de glace.

Il ressort de l'observation de ces signes que si les termes ANGELA et L.ANGELYS sont effectivement dominants et donc retiennent l'attention, il existe cependant également des différences.

Comme le souligne justement la partie défenderesse et le directeur de l'INPI, tant l'attaque que la terminaison des deux signes sont différentes. Ainsi, l'existence d'un point après le L au sein de la marque antérieure ne peut qu'être remarquée par le consommateur qui ne manquera pas de s'interroger dessus, d'autant que la terminaison en Y sera également remarquable.

Aussi, s'il existe une ressemblance visuelle des deux termes dominant dans les marques précitées, notamment du fait de leurs séquences communes avec les lettres ANGEL, il demeure toutefois une impression d'ensemble différente pour le public concerné qui n'a pas nécessairement les deux signes sous les yeux en même temps.

Sur le plan phonétique, la mention 'ARTISAN GLACIER', en ce qu'elle est secondaire du fait de son emplacement et de sa mise en valeur, ne saurait être pertinente et ne sera pas retenue.

Néanmoins, il est exact que la lettre L placée en attaque de la marque de la demanderesse ne saurait être ignorée lors de la prononciation par un consommateur moyen. Si ce dernier peut être interpellé par le point placé devant, il aura néanmoins tendance à l'intégrer dans la marque de la requérante et la prononcera de ce fait comme une apostrophe et non pas muette.

C'est pourquoi, la sonorité d'attaque sera différenciée, tout autant que la finale, amenant à une différenciation qui ne peut que rester dans l'esprit du consommateur moyen.

Sur le plan intellectuel, s'il est exact qu'il existe une séquence commune de cinq lettres aux deux termes dominant dans les marques objets du présent litige, il sera relevé que le signe contesté renvoie immédiatement à un prénom féminin, lequel est renforcé dans l'esprit de l'observateur par la présence d'une jeune femme voisine sur le visuel présenté, alors que le nom 'L.ANGELYS' renvoie pour sa part soit à un nom de famille, à une appellation fantaisie ou à une plante utilisée en Poitou-Charentes dans la confection de sucrerie (bonbons, confitures...).

Ainsi d'un point de vue intellectuel, l'impression d'ensemble est différente pour le public concerné, nonobstant la séquence de cinq lettres communes, du fait du fort renvoi opéré par la marque en litige, semi figurative, à l'élément féminin qui accapare toute son attention, élément totalement absent de la marque de la société L'Angelys

Sur le plan global, il ne saurait exister de similitude des signes, celui attaqué ne pouvant être considéré comme la déclinaison de celui déposé antérieurement, en particulier en ce que la séquence de cinq lettres communes ne saurait être prépondérante, contrairement à ce que soutient la société L'Angélys.

Il en résulte qu'il n'existe pas de risque de confusion entre les marques, quand bien même celle-ci présentent des produits particulièrement proches.

L'opposition formée par la société L'Angélys sera donc rejetée.

III Sur les demandes annexes.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l'espèce, l'équité commande que la société L'Angélys soit condamnée à régler un montant de 2.000 € à la société Asdeschamps en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est statué en la matière sans dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Rejette le recours formé par la société L'Angélys contre la décision du directeur général de l'INPI du 8 mars 2023 ;

- Condamne la société l'Angélys à verser à la société Asdeschamps la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que la présente décision sera notifiée par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties et à M. le directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.