Livv
Décisions

Cass. crim., 5 juin 2024, n° 23-82.819

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Gillis

Avocat général :

Mme Viriot-Barrial

Avocat :

SCP Spinosi

Bastia, du 7 déc. 2022

7 décembre 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [C] [I], maire de sa commune, et M. [Y] [G], son concubin, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, la première pour prises illégales d'intérêts, le second pour recel de ces prises illégales d'intérêts.

3. Les juges du premier degré les ont condamnés de ces chefs, chacun, à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité.

4. Les intéressés ont relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et le troisième moyen

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [I] coupable du délit de prise illégale d'intérêts pour avoir pris part à la délibération du conseil municipal portant sur la cession du fonds de commerce de la société [2] et a spécifiquement pris en considération ces faits pour fixer le quantum des sanctions pénales qu'elle prononçait, alors :

« 3°/ que le délit de prise illégale d'intérêt suppose que l'agent public ait pris, reçu ou conservé un intérêt dans une entreprise ou dans une opération dont il a la charge ; qu'en retenant que « Monsieur [G] avait sans doute connaissance avant la délibération du 28 octobre 2016 du projet de vente de fonds et qu'il avait déjà commencé les pourparlers avant cette date » (arrêt, p. 8, § 3) et que « cette concordance entre la délibération du 28 octobre 2016, les pourparlers quasi immédiats, voir antérieurs et la cession actée en janvier 2017 sont autant d'éléments qui démontrent que (…) Madame [I] avait intérêt à cette délibération » (arrêt, p. 8, § 4), lorsque l'intérêt de la prévenue dans la cession du fonds de commerce ne pouvait exister qu'à la condition qu'elle ait eu, au moment de la délibération, connaissance du fait que la cession était susceptible d'être consentie au profit de la société [3], de sorte qu'il appartenait aux juges de déterminer avec certitude la date à laquelle les pourparlers entre la société [2] et la société [3] avaient débuté, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs hypothétiques sur ce point a privé sa décision de base légale au regard des articles 432-12 Code pénal et 593 du Code de procédure pénale »

7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [G] du délit de recel de prise illégale d'intérêts, alors « que le délit de recel n'existe qu'autant qu'il existe une infraction principale punissable ; que la cassation à intervenir sur les premier et deuxième moyens de cassation, par lesquels il est reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré Mme [I] coupable du délit de prise illégale d'intérêt, doit entraîner, faute d'infraction principale punissable, l'annulation par voie de conséquence du chef du dispositif de l'arrêt ayant déclaré M. [G] coupable de recel de ce délit. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

9. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour déclarer Mme [I] coupable de prise illégale d'intérêts pour avoir présidé le conseil municipal de sa commune du 28 octobre 2016 et pris part au vote de la délibération du même jour relative à la vente du fonds de commerce de la société [2], l'arrêt attaqué relève que cette commune a signé le 28 juin 2011 un bail commercial avec cette société afin que soit exercé un commerce de « bar restaurant » sur une parcelle appartenant à la commune.

11. Les juges ajoutent que la délibération du 28 octobre 2016 a approuvé à l'unanimité la vente de ce fonds de commerce. Ils indiquent toutefois que cette délibération était inutile puisqu'il n'appartenait pas à la commune de donner un avis sur cette cession et qu'on ne comprend donc pas la pertinence et l'intérêt de cette délibération, sauf pour acter de façon certaine et définitive la vente du fonds, laquelle sera ultérieurement réalisée au profit de M. [G], compagnon de Mme [I].

12. Ils relèvent encore que, par acte notarié du 30 janvier 2017, le fonds de commerce a été cédé par la société [2] à la société [3], présidée par M. [G], et que ce dernier a indiqué à la barre que les pourparlers relatifs à cette cession avaient duré quatre à cinq mois.

13. Ils indiquent que ces éléments démontrent que M. [G] avait sans doute connaissance avant la délibération du 28 octobre 2016 du projet de vente de fonds et qu'il avait déjà commencé les pourparlers avant cette date.

14. Ils en déduisent que la concordance entre la délibération, les pourparlers quasi immédiats, voire antérieurs, et la cession actée en janvier 2017 sont autant d'éléments qui démontrent qu'en vertu de son pouvoir de surveillance et d'administration, dont elle a fait usage lors de la délibération du 28 octobre 2016, Mme [I] avait un intérêt à cette délibération.

15. En se déterminant ainsi, par des motifs hypothétiques, dès lors que la cour d'appel ne pouvait se fonder sur ce que M. [G] avait « sans doute » connaissance du projet de cession avant la délibération et que des pourparlers sur la cession avaient peut être débuté antérieurement à celle-ci,
la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs. Elle entraîne par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable des faits de recel de la prise illégale d'intérêts commise par Mme [I] en prenant part à la délibération du conseil municipal portant sur la cession du fonds de commerce de la société [2].

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation à intervenir concerne toutes les dispositions à l'exception de celles relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [I] pour les faits de prise illégale d'intérêts commis le 27 novembre 2018 en signant en qualité de maire de sa commune des concessions de plage au profit de la société [3] et de la société [1] et de celles relatives à la déclaration de culpabilité de M. [G] pour recel de cette prise illégale d'intérêts.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les quatrième et cinquième moyens de cassation proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 7 décembre 2022, en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [I] pour les faits de prise illégale d'intérêts commis le 27 novembre 2018 en signant en qualité de maire de sa commune des concessions de plage au profit de la société [3] et de la société [1] et de celles relatives à la déclaration de culpabilité de M. [G] pour recel de cette prise illégale d'intérêts, qui sont expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille vingt-quatre.