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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 30 mai 2024, n° 22/14178

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

SCP BTSG² (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Simon-Thibaud, Me Court-Menigoz

T. com. Antibes, du 18 oct. 2022, n° 202…

18 octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La Sarl SRV Immo, immatriculée le 14 septembre 2006 au RCS d'Antibes, a été constituée entre trois associés, M. [R] [X], M. [P] [C] et [G] [U] avait une activité de marchand de biens.

Le 23 novembre 2007, M. [L] [A] est entré dans le capital social par un rachat de 150 parts et en mai 2009, M. [C] cède ses 150 parts à M. [R] [X].

Par jugement du 25 novembre 2016, le tribunal de commerce d'Antibes a prononcé à l'encontre de M. [R] [X] une interdiction de gérer une entreprise commerciale pour une durée de 10 ans, à la suite de la liquidation judiciaire de la société [X] Rénovation et un administrateur provisoire a été désigné par ordonnance de référé du 13 novembre 2017, en la personne de Me [I] [Y] de la Selarl BG&A.

Le 9 février 2018, Me [I] [Y] ès qualités provoque une assemblée générale réunissant les trois associés, en vue de la révocation de M. [R] [X] de ses fonctions de gérant compte tenu de l'interdiction de gérer dont il a été frappé. Les trois associés ne parviennent pas à s'accorder sur la personne de M. [U], ni sur la dissolution de la société.

L'administrateur provisoire va, dans ces conditions, déposer une déclaration de cessation des paiements avec demande de liquidation judiciaire, le 11 septembre 2019.

La Sarl SRV Immo fera l'objet d'une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce d'Antibes par jugement du 2 octobre 2018, la date de cessation des paiements étant fixée au 2 avril 2017. La SCP BTSG² représentée par Me [K] [W] est désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Il apparaissait que M. [R] [X] occupait un des appartements de l'immeuble dont il avait la clé et qu'il utilisait à sa guise, causant un dégât des eaux dans l'appartement du dessous occupé par Mme [O], et dont il aurait enlevé les éléments de cuisine payés par la société, d'une valeur de 2 688,43 euros.

Par jugement en date du 18 octobre 2022, le tribunal de commerce d'Antibes a condamné M. [R] [H], gérant de la Sarl de Rachat Vente Immobilière à payer la somme de 53 402,13 euros au titre de l'insuffisance d'actif, en raison des fautes de gestion qui ont été retenues contre lui, outre la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens. Le jugement est assorti de l'exécution provisoire.

Le passif de la liquidation judiciaire a été arrêté à 254 402,13 euros. L'actif réalisé est de 201 000 euros (actif immobilier de la société acquis 180 000 euros est estimé en l'état par l'administrateur provisoire dans la déclaration de cessation des paiements à 200 000 euros). Il s'agit d'un immeuble sis à [Localité 5] (Alpes de Haute Provence)- [Adresse 4], de 3 étages et combles au quatrième, divisé en 7 appartements dont un vendu en 2012, avec caves en rez-de-chaussée, d'une surface habitable de 646 m²

Les dettes pour l'essentiel sont constituée des deux comptes courants des deux associés :

- M. [U] dont la créance a été déclarée à hauteur de 30 631,78 euros

- M. [A] dont la créance a été partiellement admise à hauteur de 213 516 euros.

Les fautes de gestion retenues par le tribunal sont :

- une absence de rigueur dans la gestion de l'entreprise, désintérêt qui l'a conduit à ne pas convoquer les associés en assemblée générale,

- une absence de tenue de comptabilité à partir de 2014, ce que l'intéressé a reconnu lors d'une assemblée générale du 9 février 2018

- la résiliation de l'assurance du bien immobilier de la société.

Le tribunal a considéré que ce comportement a conduit à l'appauvrissement de la société et que M. [H] a utilisé une partie de l'actif sans autorisation des associés et sans contrepartie pour la société.

M. [R] [X] a interjeté appel du jugement le 25 octobre 2022.

Aux termes de ses conclusions responsives et récapitulatives déposées et notifiées par RPVA le 14 février 2024, M. [R] [X] demande à la cour de :

- réformer et infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter la SCP BTSG² de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Il conteste les motifs adoptés par les premiers juges et considère que c'est la mésentente entre les associés, au demeurant liés par des liens de famille, qui a paralysé le fonctionnement de la société ; que M. [R] [X] avait alerté ses associés sur le fait que la société ne faisait plus de bénéfices et qu'il n'était donc plus en mesure d'honorer les charges telles que la taxe foncière, l'assurance, les honoraires du comptable,

Il soutient que M. [A] refusait délibérément de participer et payer sa part ; que les événements familiaux ont eu des répercussions sur la société, créant des tensions entre les associés qui ont perturbé le fonctionnement de la société, ce qui avait été relevé par l'administrateur provisoire dans son rapport du 12 avril 2018 ; que l'administrateur provisoire avait évalué le bien immobilier (immeuble de 7 appartements) le 9 octobre 2018 à 516 000 euros et que ce bien a été vendu à une valeur bien moindre.

Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées par RPVA le 27 février 2024, la SCP BTSG² représentée par Me [K] [W] ès qualités, demande à la cour, au visa de l'article L651-2 du code de commerce :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de condamner M. [R] [X] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle fait valoir que M. [R] [X] était bien gérant de droit de la société de novembre 2006 à sa révocation en février 2018. En cette qualité il a omis de convoquer les associés en assemblée générale à partir de 2009, n'a pas tenu de comptabilité, s'est désintéressé du sort de la société, les travaux s'étant arrêtés et le bien n'étant plus entretenu ni assuré depuis 2014, le précédent contrat d'assurance ayant été résilié pour défaut de paiement des cotisations. M. [X] n'a souscrit de nouvelle police d'assurance couvrant les biens de la société que le 17 avril 2018 ; quant aux taxes foncières, elles ne sont plus payées.

M. [R] [X] a occupé sans verser aucun loyer un des appartements de l'immeuble, ce qu'il a reconnu lors de l'AG du 9 février 2018.

Le ministère public par un avis du 13 février 2024 faisant sienne la motivation du liquidateur judiciaire dans ses dernières conclusions, requiert la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.

L'affaire a été fixée à l'audience du 13 mars 2024 et l'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mars 2024.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, encadrée par les articles L. 651-1 et suivants du code de commerce, suppose la démonstration par le liquidateur judiciaire d'une faute de gestion, d'un préjudice (l'insuffisance d'actif) et d'un lien de cause à effet entre la faute et le préjudice.

A cet égard, il résulte de l'article L. 651-2 du code de commerce, que la faute de gestion commise antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, doit avoir, pour permettre d'engager la responsabilité du dirigeant social, contribué à l'insuffisance d'actif, quand bien même n'y a-t-elle concouru que pour partie, la jurisprudence n'exigeant pas que cette faute ait eu une part exclusive dans le préjudice que constitue l'insuffisance d'actif. Elle doit exister à la date à laquelle le dirigeant a cessé ses fonctions.

Pour que l'action initiée par la SCP BTSG² es qualités puisse prospérer il faut que soit établi :

1) une insuffisance d'actif

2) une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à M. [R] [X]

3) un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif

Sur l'insuffisance d'actif:

L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice.

Il est constant qu'en l'espèce, le passif de la liquidation judiciaire a été arrêté à de 254 402,13 euros, et est constitué, pour l'essentiel, des soldes des comptes courants associés totalisant la somme de 244'147,85 euros.

Quant à l'actif, constitué du seul bien immobilier, celui-ci a été vendu aux enchères pour la somme de 201 000 euros.

L'insuffisance d'actif s'établit donc à la somme de 43'147,85 euros.

Sur les fautes de gestion

M. [R] [X] met en avant la mésentente et les tensions existant entre les associés qui ont perturbé le bon fonctionnement de la société SRV Immo, l'arrêt du financement des travaux qui n'ont pas permis de mettre en location des appartements, l'absence de bénéfices, le refus d'un des trois associés de verser sa part, ces différents facteurs l'ayant mis dans l'incapacité de régler les charges telles que la taxe foncière, l'assurance et les honoraires du comptable.

Toutefois, étant gérant de droit de la société SRV Immo il lui incombait de s'assurer, compte tenu de la situation de blocage insurmontable entre ceux-ci depuis au moins l'année 2015, conduisant à l'arrêt des travaux de réhabilitation de l'immeuble et à la mise en location de nouveaux logement, au non paiement des charges et impositions et en l'absence de recettes, de provoquer une assemblée générale en vue de décider de la poursuite ou de la dissolution de la société, ce que s'est abstenu de faire M. [R] [X], lequel était gérant de droit la société SRV Immo de novembre 2006 à sa révocation en février 2018.

L'incurie dont il a fait montre dans l'exercice de ses fonctions de gérant à compter, au moins de mars 2015, date de la plainte des associés à son encontre, excède la simple négligence et caractérise autant de fautes de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce qui ont directement contribué à l'insuffisance d'actif, en ce que l'absence de convocation des associés à une assemblée générale pendant plusieurs années ne leur a pas permis d'être informés sur les comptes comme sur la situation financière de la société, en l'absence de toute comptabilité, ni de se prononcer sur la poursuite ou la dissolution de celle-ci. Cette incurie a en outre aggravé le passif en l'absence de recettes, compte tenu du non paiement des impositions.

Il y a lieu par conséquent de mettre à la charge de M. [R] [X] la somme de 40 000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société SRV Immo.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu à l'encontre de M. [R] [X] des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif et réformé quant au montant de celle-ci et la somme mise à la charge de M. [R] [X] en comblement de cette insuffisance d'actif.

Sur les demandes accessoires

M. [R] [X] succombant sera condamné aux dépens. Il est infondé en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sera rejetée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCP BTSG² ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SRV Immo les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés dans le cadre de la procédure d'appel. M. [R] [X] sera par conséquent condamné à payer à la SCP BTSG² la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [R] [X] sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce d'Antibes en ce qu'il a retenu à l'encontre de M. [R] [X] des fautes de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société SRV Immo ;

L'infirme sur le montant de l'insuffisance d'actif et sur la somme mise à la charge de M. [R] [X] au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif ;

Fixe le montant de la contribution que devra supporter M. [R] [X] à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société SRV Immo, à la somme de 40 000 euros ;

Condamne en conséquence M. [R] [X] à payer la somme de 40 000 euros à la SCP BTSG² ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SRV Immo ;

Condamne M. [R] [X] à payer à la SCP BTSG² ès qualités la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] [X] aux dépens d'appel.