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Décisions

CJUE, 2e ch., 30 mai 2024, n° C-665/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Amazon Services Europe Sàrl

Défendeur :

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prechal

Juges :

M. Biltgen, M. Wahl, M. Passer, M. Arastey Sahún

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

Me Angeloni, Me Berliri, Me Borocci, Me Gelera, Me Moretti

CJUE n° C-665/22

29 mai 2024

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

30 mai 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Prestataires de services de la société de l’information – Obligation de fournir des informations relatives à la situation économique d’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne – Directive 2000/31/CE – Domaine coordonné – Principe du contrôle dans l’État membre d’origine – Dérogations – Notion de “mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information” – Règlement (UE) 2019/1150 – Objectif »

Dans l’affaire C‑665/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), par décision du 10 octobre 2022, parvenue à la Cour le 21 octobre 2022, dans la procédure

Amazon Services Europe Sàrl

contre

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Amazon Services Europe Sàrl, par Mes F. Angeloni, M. Berliri, S. Borocci, G. Gelera et F. Moretti, avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes L. Delbono et R. Guizzi, avvocati dello Stato,

pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, Mme T. Suchá et M. J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour l’Irlande, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, MM. A. Joyce et M. Tierney, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,

pour la Commission européenne, par Mmes L. Armati, M. Escobar Gómez, MM. S. L. Kalėda et L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 janvier 2024,

rend le présent

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1), de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), ainsi que de l’article 56 TFUE.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Amazon Services Europe Sàrl (ci-après « Amazon »), société de droit luxembourgeois, à l’Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (Autorité de tutelle des communications, Italie) (ci-après l’« AGCOM ») au sujet de mesures adoptées par cette dernière à l’égard des fournisseurs de services d’intermédiation en ligne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement 2019/1150

Les considérants 3, 7 et 51 du règlement 2019/1150 énoncent :

Les consommateurs ont adopté le recours aux services d’intermédiation en ligne. La compétitivité, l’équité et la transparence de l’écosystème en ligne, dans lequel les entreprises adoptent un comportement responsable, sont aussi essentiels au bien-être des consommateurs. Garantir la transparence et la confiance au sein de l’économie des plateformes en ligne dans les relations entre entreprises pourrait également indirectement renforcer la confiance des consommateurs dans l’économie des plateformes en ligne. Les répercussions directes du développement de l’économie des plateformes en ligne sur les consommateurs relèvent cependant d’autres branches du droit de l’Union, en particulier de l’acquis en matière de protection des consommateurs.

Un ensemble ciblé de règles contraignantes devrait être établi à l’échelon de l’Union [européenne] afin de garantir un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour les opérations commerciales en ligne au sein du marché intérieur. En particulier, les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne devraient bénéficier d’une transparence appropriée ainsi que de possibilités de recours efficaces dans l’ensemble de l’Union, afin de faciliter les activités commerciales transfrontières au sein de l’Union et, partant, le bon fonctionnement du marché intérieur, et de répondre à un possible phénomène émergent de fragmentation dans les domaines spécifiques régis par le présent règlement.

Étant donné que l’objectif du présent règlement, à savoir mettre en place un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour l’activité économique en ligne au sein du marché intérieur, ne peut pas être atteint de manière suffisante par les États membres mais peut, en raison de sa dimension et de ses effets, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

Aux termes de l’article 1er de ce règlement :

1. Le présent règlement a pour objet de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en fixant les règles visant à garantir que les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne et les utilisateurs de sites [I]nternet d’entreprise en relation avec des moteurs de recherche en ligne bénéficient d’une transparence appropriée, d’équité et de possibilités de recours efficaces.

2. Le présent règlement s’applique aux services d’intermédiation en ligne et aux moteurs de recherche en ligne fournis, ou proposés à la fourniture, aux entreprises utilisatrices et aux utilisateurs de sites [I]nternet d’entreprise dont le lieu d’établissement ou de résidence se situe dans l’Union et qui, au travers de ces services d’intermédiation en ligne ou de ces moteurs de recherche en ligne, proposent des biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union, quel que soit le lieu d’établissement ou de résidence des fournisseurs de ces services et quel que soit par ailleurs le droit applicable.

5. Le présent règlement est sans préjudice du droit de l’Union, et notamment du droit de l’Union applicable dans les domaines de la coopération judiciaire en matière civile, de la concurrence, de la protection des données, de la protection du secret des affaires, de la protection des consommateurs, du commerce électronique et des services financiers. »

L’article 2, point 1, dudit règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

1) “entreprise utilisatrice”, tout particulier qui agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle ou toute personne morale qui, par le biais de services d’intermédiation en ligne, offre des biens ou services aux consommateurs à des fins liées à son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

La directive 2000/31

Aux termes de l’article 1er de la directive 2000/31 :

« 1. La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

5. La présente directive n’est pas applicable :

a) au domaine de la fiscalité ;

L’article 2, sous h), de cette directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

h) “domaine coordonné” : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux.

i)Le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent :

–l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences en matière de qualification, d’autorisation ou de notification,

–l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire.

L’article 3 de ladite directive énonce :

« 1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.

2. Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

4. Les États membres peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les conditions suivantes sont remplies :

a)les mesures doivent être :

i)nécessaires pour une des raisons suivantes :

–l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,

–la protection de la santé publique,

–la sécurité publique, y compris la protection de la sécurité et de la défense nationales,

–la protection des consommateurs, y compris des investisseurs ;

ii)prises à l’encontre d’un service de la société de l’information qui porte atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui constitue un risque sérieux et grave d’atteinte à ces objectifs ;

iii)proportionn[ées] à ces objectifs.

b)l’État membre a préalablement et sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale :

–demandé à l’État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et ce dernier n’en a pas pris ou elles n’ont pas été suffisantes,

–notifié à la Commission [européenne] et à l’État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.

La directive 2006/123

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prévoit :

« La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services. »

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive :

« Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d’un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l’autre acte communautaire prévaut et s’applique à ces secteurs ou professions spécifiques. [...] »

L’article 16, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants :

a) la non-discrimination : l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies ;

b) la nécessité : l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement ;

c) la proportionnalité : l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

La directive 2015/1535

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

e) “règle relative aux services”, une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services au sens du point b) et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point.

f) “règle technique”, une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 7, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

L’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive prévoit :

« Sous réserve de l’article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. »

Le droit italien

La loi no 249, du 31 juillet 1997

L’article 1er de la legge n. 249 – Istituzione dell’Autorità per le garanzie nelle comunicazioni e norme sui sistemi delle telecomunicazioni e radiotelevisivo (loi no 249, instituant l’Autorité de tutelle des communications et portant normes relatives aux systèmes des télécommunications et de la radiotélévision), du 31 juillet 1997 (supplément ordinaire à la GURI no 177, du 31 juillet 1997), dispose :

29. Les personnes qui, dans les communications demandées par l’[AGCOM], fournissent des données comptables ou des faits concernant l’exercice de leur activité qui ne correspondent pas à la réalité sont soumises aux peines prévues à l’article 2621 du code civil.

30. Les personnes qui ne communiquent pas, dans les délais et selon les modalités prescrits, les documents, données et informations demandés par l’[AGCOM] sont punies d’une amende administrative d’un montant d’un million [de lires italiennes (ITL) (environ 516 euros) à deux cents millions de ITL (environ 103000 euros)] infligée par cette autorité.

La loi no 249, du 31 juillet 1997, telle que modifiée par la legge n. 178 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2021 e bilancio pluriennale per il triennio 2021-2023 (loi no 178, portant bilan prévisionnel de l’État pour l’année financière 2021 et bilan pluriannuel pour la période triennale 2021 à 2023), du 30 décembre 2020 (supplément ordinaire à la GURI no 322, du 30 décembre 2020), prévoit, à son article 1er, paragraphe 6, sous c), point 14-bis :

« Les responsabilités de l’[AGCOM] sont identifiés comme suit :

c) le conseil :

14-bis) veille à l’application adéquate et effective du règlement [2019/1150], notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes ».

La décision no 397/13

Le 25 juin 2013, l’AGCOM a adopté la delibera n. 397/13/CONS – Informativa economica di sistema (décision no 397/13/CONS, portant déclaration économique systématique) (ci-après la « décision no 397/13).

L’article 2, paragraphe 1, de la décision no 397/13 énumère les catégories de personnes qui sont tenues d’envoyer à l’AGCOM un document dénommé « Informativa economica di sistema » (déclaration économique systématique) (ci-après l’« IES »).

L’article 6 de cette décision prévoit :

« 1. Les personnes qui, aux fins de l’obligation visée à l’article 2 de la présente décision, communiquent des données qui ne correspondent pas à la réalité sont punies conformément à l’article 1er, paragraphe 29, de la loi no [249, du 31 juillet 1997].

2. Les personnes qui ne s’acquittent pas, dans les délais et selon les modalités prescrites, de l’obligation visée à l’article 2 sont punies conformément à l’article 1er, paragraphe 30, de la loi no [249, du 31 juillet 1997]. »

La décision no 161/21

Le 12 mai 2021, l’AGCOM a adopté la delibera n. 161/21/CONS – Modifiche alla delibera n. 397/13 del 25 giugno 2013« Informativa Economica di Sistema » (décision no 161/21/CONS, portant modifications de la décision no 397/13 du 25 juin 2013« Déclaration économique systématique ») (ci-après la « décision no 161/21 »).

Aux termes du préambule de la décision no 161/21 :

Vu le règlement 2019/1150 [...]

Vu la loi [no 178, du 30 décembre 2020,] [...]

Considérant que l’[IES] est une déclaration annuelle que sont tenus [de remplir] les opérateurs de communication et qui concerne les données d’identification et les données économiques relatives à l’activité exercée par les personnes concernées, afin de recueillir les éléments nécessaires pour satisfaire à des obligations légales précises, dont la valorisation du Sistema integrato delle comunicazioni [(système intégré des communications) (SIC)] et la vérification des limites [de concentration] dans le cadre de celui-ci ; les analyses du marché et des éventuelles positions dominantes ou qui portent en tout état de cause atteinte au pluralisme ; le rapport annuel et les enquêtes [...], ainsi que pour permettre la mise à jour de la base statistique des opérateurs de communication ;

Considérant que la loi [no 178, du 30 décembre 2020,] attribue de nouvelles compétences à l’[AGCOM], en lui confiant la mission d’assurer “l’application adéquate et effective du règlement [2019/1150], notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes” ;

[Considérant], dès lors, qu’il est nécessaire d’étendre [certaines] obligations de communication de l’IES aux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne afin de recueillir chaque année des informations pertinentes et d’accomplir les activités visant à assurer l’application adéquate et effective du règlement 2019/1150 et l’exercice des fonctions confiées à l’[AGCOM] par la loi [no 178, du 30 décembre 2020] ;

L’article 1er, paragraphe 1, de cette décision a modifié la liste figurant à l’article 2 de la décision no 397/13 en vue d’étendre l’obligation d’envoyer l’IES à l’AGCOM aux deux catégories de personnes suivantes :

h) Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne : personnes physiques ou morales qui, même si elles ne sont pas établies ou résidentes sur le territoire national, fournissent ou proposent de fournir des services d’intermédiation en ligne, tels que définis par le règlement 2019/1150, aux entreprises utilisatrices établies ou résidant en Italie ;

i) Les fournisseurs de moteurs de recherche en ligne : personnes physiques ou morales qui, même si elles ne sont pas établies ou résidentes sur le territoire national, fournissent, ou proposent de fournir un moteur de recherche en ligne, tel que défini par le règlement 2019/1150, en langue italienne ou aux utilisateurs établis ou résidant en Italie.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

Amazon, dont le siège social est établi au Luxembourg, gère une plateforme en ligne visant à mettre en relation des vendeurs et des consommateurs en vue de la réalisation de transactions entre eux portant sur la vente de biens.

À la suite des modifications du cadre juridique national résultant de la loi no 178, du 30 décembre 2020, et de la décision no 161/21, adoptées par les autorités italiennes notamment en vue d’assurer l’application du règlement 2019/1150, Amazon, en tant que fournisseur de services d’intermédiation en ligne, est désormais soumise à l’obligation d’envoyer à l’AGCOM l’IES, un document dans lequel doivent être insérées des informations relatives à la situation économique du fournisseur.

Amazon a formé un recours, auprès du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), qui est la juridiction de renvoi, tendant notamment à l’annulation de la décision no 161/21.

Devant cette juridiction, Amazon fait valoir que cette décision, en ce qu’elle lui impose d’envoyer l’IES à l’AGCOM, est contraire au principe de la libre prestation des services, au règlement 2019/1150 et à plusieurs directives.

À cet égard, ladite juridiction rappelle, en premier lieu, que, à la suite de l’adoption du règlement 2019/1150, le législateur italien a, par la loi no 178, du 30 décembre 2020, modifié la loi no 249, du 31 juillet 1997.

Ainsi, l’AGCOM serait chargée de veiller à l’application du règlement 2019/1150, notamment par la collecte d’informations [article 1er, paragraphe 6, sous c), point 14-bis, de la loi no 249, du 31 juillet 1997, telle que modifiée par la loi no 178, du 30 décembre 2020].

En second lieu, la juridiction de renvoi expose que, par la décision no 161/21, l’AGCOM a modifié la décision no 397/13 afin de tenir compte des mesures adoptées par le législateur italien pour l’application du règlement 2019/1150. Par conséquent, l’obligation d’envoyer l’IES à l’AGCOM a été étendue aux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne (ci-après les « fournisseurs des services concernés ») proposant des services en Italie.

Cette juridiction précise que l’envoi de l’IES a été initialement prévu pour les besoins du Garante per la radiodiffusione e l’editoria (garant pour la radiodiffusion et l’édition, Italie), en vertu de dispositions législatives qui lui conféraient le pouvoir d’adopter des mesures visant à déterminer les données comptables et les autres informations que certaines entités devaient lui communiquer, et que les compétences de ce garant ont été transférées à l’AGCOM.

Ladite juridiction considère que, par la décision no 161/21, l’AGCOM a imposé aux fournisseurs des services concernés l’obligation de lui transmettre des informations importantes et spécifiques relatives à leur situation économique. Ainsi, par exemple, ces fournisseurs seraient tenus de communiquer les recettes totales provenant de sites de vente en ligne, les montants perçus en tant que redevances pour les abonnements et en tant que frais d’inscription, d’affiliation ou de souscription au titre de l’utilisation de la plateforme de vente en ligne de ces fournisseurs par des utilisateurs établis en Italie pour proposer des biens ou des services aux consommateurs, les commissions fixes et variables prélevées sur les ventes, réalisées via la plateforme de vente en ligne, de biens ou de services proposés aux consommateurs par des entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, au sens de l’article 2, point 1, du règlement 2019/1150 (ci-après les « entreprises utilisatrices »), établies en Italie, les commissions fixes et variables versées par les entreprises utilisatrices établies en Italie pour les ventes de biens ou de services proposés aux consommateurs via la plateforme de vente en ligne, les autres recettes provenant des services d’intermédiation, autres que la publicité, fournis à des entreprises utilisatrices ou à d’autres utilisateurs que ces entreprises, établis en Italie et qui proposent des biens ou des services aux consommateurs via la plateforme de vente en ligne.

La juridiction de renvoi souligne que le défaut d’envoi de l’IES à l’AGCOM ou la communication de données inexactes sont passibles des sanctions prévues à l’article 1er, paragraphes 29 et 30, de la loi no 249, du 31 juillet 1997.

Au vu de ces éléments, cette juridiction estime que l’obligation d’envoyer l’IES à l’AGCOM pourrait, à plusieurs égards, être incompatible avec le droit de l’Union, en particulier le principe de la libre prestation des services, le règlement 2019/1150 et plusieurs directives.

S’agissant du règlement 2019/1150, la juridiction de renvoi considère qu’il n’existe aucun rapport entre le respect des obligations prévues par celui-ci et les informations requises au titre de l’IES, qui portent principalement sur les recettes des fournisseurs des services concernés et ne sont pas pertinentes afin d’assurer la transparence et l’équité des relations entre ces fournisseurs et les entreprises utilisatrices. Ladite juridiction estime que, par les mesures nationales en vertu desquelles les fournisseurs des services d’intermédiation en ligne sont désormais tenus d’envoyer l’IES à l’AGCOM (ci-après les « mesures nationales litigieuses »), les autorités italiennes ont introduit dans leur ordre juridique des dispositions prévoyant un contrôle portant sur des éléments inhérents à ces fournisseurs, qui serait totalement différent du contrôle prévu par ce règlement, portant sur le respect par ces derniers des obligations prévues par ledit règlement.

La même juridiction précise notamment que, dans l’hypothèse où les informations à insérer dans l’IES ne seraient pas considérées comme étant pertinentes ni utiles à la bonne application du règlement 2019/1150, la décision no 161/21 serait invalide, dans la mesure où la loi no 178, du 30 décembre 2020, attribue à l’AGCOM la fonction de veiller à l’application adéquate et effective de ce règlement, et non le pouvoir d’adopter d’autres actes de réglementation dans le secteur concerné.

S’agissant de la directive 2015/1535, la juridiction de renvoi, se référant aux articles 1er et 5 de celle-ci, estime que les dispositions nationales obligeant les fournisseurs des services concernés à adresser l’IES à l’AGCOM introduisent spécifiquement une exigence générale concernant la prestation de services de la société de l’information, de sorte que, à défaut d’avoir préalablement été notifiées à la Commission, elles ne sont pas opposables aux particuliers.

S’agissant du principe de la libre prestation des services, visé à l’article 56 TFUE et spécifié dans les directives 2000/31 et 2006/123, la juridiction de renvoi relève, d’une part, que l’article 3 de la directive 2000/31 établit le principe selon lequel, dans le « domaine coordonné », au sens de l’article 2, sous h), de celle-ci, les services de la société de l’information doivent être soumis au régime juridique de l’État membre dans lequel le prestataire est établi, les États membres ne pouvant adopter de mesures qui dérogent à ce principe que dans le respect de certaines conditions, substantielles et procédurales, définies au paragraphe 4 dudit article 3. Or, selon cette juridiction, les mesures nationales litigieuses ne remplissent pas ces conditions.

La juridiction de renvoi rappelle, d’autre part, que, selon l’article 16 de la directive 2006/123, les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité. Or, selon cette juridiction, les mesures nationales litigieuses sont disproportionnées.

C’est dans ces conditions que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le règlement [2019/1150] s’oppose-t-il à une disposition nationale qui, dans le but spécifique de garantir [l’application] adéquate et effective de ce règlement, notamment par la collecte d’informations pertinentes, impose aux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne une obligation de transmettre périodiquement des informations importantes sur leurs recettes ?

2) Aux termes du règlement [2019/1150], les informations à fournir dans [l’IES], qui portent principalement sur les recettes réalisées, peuvent-elles être considérées comme étant pertinentes et utiles à la réalisation de l’objectif poursuivi par [ce] règlement ?

3) La directive [2015/1535] impose-t-elle aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne une obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ? Dans l’affirmative, [cette] directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ?

4) L’article 3 de la directive [2000/31] s’oppose-t-il à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, dans le but déclaré de garantir [l’application] du règlement [2019/1150], imposent aux opérateurs établis dans un autre [État membre], mais qui opèrent en Italie, des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ?

5) Le principe de la libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE, à l’article 16 de la directive [2006/123] et dans la [directive 2000/31] s’oppose-t-il à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, dans le but déclaré de garantir [l’application] du règlement [2019/1150], imposent à des opérateurs établis dans un autre [État membre] des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ?

6) L’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive [2000/31] impose-t-il aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne une obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ? Dans l’affirmative, [cette] directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité de la deuxième question

Le gouvernement italien conteste la recevabilité de la deuxième question, en ce que la juridiction de renvoi demanderait à la Cour d’examiner la pertinence et l’utilité des informations à insérer dans l’IES au regard de l’objectif du règlement 2019/1150, ce qui conduirait cette dernière à procéder à des appréciations d’ordre factuel relevant de la compétence de la juridiction de renvoi, qui, par ailleurs, aurait omis d’exposer en quoi lesdites informations seraient non pertinentes ou inutiles.

Il importe de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, afin de donner à celle‑ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu’elle juge nécessaires (arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 30 et jurisprudence citée).

En outre, s’il n’appartient pas à la Cour d’interpréter les règles du droit interne d’un État membre, elle peut néanmoins donner à la juridiction de renvoi les clarifications requises quant aux dispositions du droit de l’Union susceptibles de s’opposer auxdites règles (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 64 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F. A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

En l’occurrence, il y a lieu de considérer que la deuxième question forme un tout avec la première question et que, par ces questions, la juridiction de renvoi sollicite de la Cour l’interprétation du règlement 2019/1150 dans le contexte factuel et juridique qu’elle expose dans sa demande de décision préjudicielle.

Il s’ensuit que la deuxième question est recevable.

Sur le fond

Sur les premières, deuxième, quatrième et cinquième questions

Par ses première, deuxième, quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner conjointement et en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE, l’article 16 de la directive 2006/123 ou l’article 3 de la directive 2000/31 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des mesures adoptées par un État membre, dans le but déclaré de veiller à l’application adéquate et effective du règlement 2019/1150, en vertu desquelles, sous peine de sanctions, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, établis dans un autre État membre, sont soumis, en vue de prester leurs services dans le premier État membre, à l’obligation d’envoyer périodiquement à une autorité de cet État membre un document relatif à leur situation économique, dans lequel doivent être détaillées de nombreuses informations relatives notamment aux recettes du fournisseur.

À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, la directive 2006/123, adoptée sur le fondement de l’article 47, paragraphe 2, CE et de l’article 55 CE, dont les termes ont été repris, en substance, respectivement à l’article 53, paragraphe 1, TFUE et à l’article 62 TFUE, a pour objet, notamment, de faciliter la libre circulation des services. Pour sa part, la directive 2000/31, adoptée sur le fondement de l’article 47, paragraphe 2, CE, de l’article 55 CE et de l’article 95 CE, dont les termes ont été repris, en substance, respectivement à l’article 53, paragraphe 1, TFUE, à l’article 62 TFUE et à l’article 114 TFUE, a pour objectif, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

Dès lors que ces deux directives concrétisent la libre prestation des services consacrée à l’article 56 TFUE, s’il était établi que l’une ou l’autre directive s’oppose à des mesures nationales telles que celles en cause au principal, il n’y aurait pas lieu d’examiner les première, deuxième, quatrièmes et cinquièmes questions au regard de cet article 56.

S’agissant dudit article 56, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 6 de ses conclusions, certes, selon la jurisprudence, il est applicable aux mesures relevant du domaine de la fiscalité, qui est exclu du champ d’application de la directive 2000/31, en vertu de l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 38). Toutefois, en l’occurrence, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement italien ne font valoir que les mesures nationales litigieuses sont liées à la nécessité d’assurer l’exécution d’obligations fiscales.

Par ailleurs, il convient de relever que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prévoit notamment que, si ses dispositions sont en conflit avec une disposition d’un autre acte de l’Union régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques, la disposition de cet autre acte prévaut et s’applique à ces secteurs spécifiques.

Or, compte tenu du fait que l’article 3 de la directive 2000/31 concerne des aspects spécifiques de l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information et de l’exercice de cette activité, ainsi que l’a exposé, en substance, M. l’avocat général aux points 204 à 207 de ses conclusions, dans l’hypothèse où il serait établi, d’une part, que des mesures nationales telles que celles en cause au principal relèvent de cette disposition et, d’autre part, que cette dernière s’oppose auxdites mesures, il n’y aurait pas lieu d’examiner les première, deuxième, quatrième et cinquième questions au regard de la directive 2006/123.

Dès lors, il convient en premier lieu d’interpréter l’article 3 de la directive 2000/31.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que cet article 3 prévoit, à son paragraphe 1, que chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné. Le paragraphe 2 dudit article 3 précise que les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

Par ailleurs, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, les États membres peuvent, sous certaines conditions cumulatives, prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information relevant du domaine coordonné, des mesures qui dérogent au principe de libre circulation des services de la société de l’information (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 83).

S’agissant du « domaine coordonné » visé à l’article 3 de la directive 2000/31, il convient de préciser que l’article 2, sous h), de cette directive définit ce domaine comme couvrant les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux. Ce domaine a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences en matière de qualification, d’autorisation ou de notification, et l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service.

La directive 2000/31 repose ainsi sur l’application des principes du contrôle dans l’État membre d’origine et de la reconnaissance mutuelle, de telle sorte que, dans le cadre du domaine coordonné défini à l’article 2, sous h), de cette directive, les services de la société de l’information sont réglementés dans le seul État membre sur le territoire duquel les prestataires de ces services sont établis (arrêt du 9 novembre 2023, Google Ireland e.a., C‑376/22, EU:C:2023:835, point 42).

Par conséquent, d’une part, il incombe à chaque État membre en tant qu’État membre d’origine de services de la société de l’information de réglementer ces services et, à ce titre, de protéger les objectifs d’intérêt général mentionnés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31 (arrêt du 9 novembre 2023, Google Ireland e.a., C‑376/22, EU:C:2023:835, point 43).

D’autre part, conformément au principe de reconnaissance mutuelle, il appartient à chaque État membre, en tant qu’État membre de destination de services de la société de l’information, de ne pas restreindre la libre circulation de ces services en exigeant le respect d’obligations supplémentaires, relevant du domaine coordonné, qu’il aurait adoptées (arrêt du 9 novembre 2023, Google Ireland e.a., C‑376/22, EU:C:2023:835, point 44).

Il s’ensuit que l’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose, sous réserve des dérogations autorisées selon les conditions prévues au paragraphe 4 de cet article 3, à ce que le prestataire d’un service de la société de l’information souhaitant prester ce service dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel il est établi soit soumis à des exigences relevant du domaine coordonné imposées par cet autre État membre.

En l’occurrence, il est constant que les mesures nationales litigieuses, en ce qu’elles exigent, sous peine de sanctions, l’envoi de l’IES à l’AGCOM par les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne qui sont établis dans d’autres États membres que la République italienne, imposent à ceux-ci de satisfaire à des conditions qui ne sont pas requises dans leur État membre d’établissement.

De même, il n’est pas contesté que ces services relèvent des « services de la société de l’information », visés à l’article 2, sous a), de la directive 2000/31.

En revanche, le gouvernement italien soutient que l’obligation d’envoyer l’IES à l’AGCOM ne relève pas du « domaine coordonné », au sens de l’article 2, sous h), de cette directive, dès lors qu’elle tend à permettre à l’AGCOM d’obtenir des fournisseurs des services concernés les informations permettant à celle-ci d’exercer ses fonctions de surveillance. Ainsi, cette obligation ne viserait pas à ce que les fournisseurs desdits services obtiennent un agrément en vue d’accéder à une activité de services de la société de l’information ou d’exercer une telle activité.

À cet égard, le fait que l’obligation de transmettre périodiquement à une autorité d’un État membre des informations sur la situation économique de l’entreprise concernée, sous peine de sanctions en cas de non-respect de cette obligation, soit imposée aux fins de la surveillance, par cette autorité, de la régularité de l’exercice de l’activité des services de la société de l’information n’affecte aucunement la portée de cette obligation, en vertu de laquelle les fournisseurs de tels services qui sont établis dans un autre État membre et qui souhaitent prester ces services dans le premier État membre sont tenus de respecter ladite obligation. Par ailleurs, le fait qu’un prestataire puisse de facto commencer et poursuivre la fourniture d’un service de la société de l’information sans satisfaire à la même obligation n’a pas d’incidence sur la nécessité de s’acquitter de celle-ci pour pouvoir légalement exercer l’activité en cause.

Partant, contrairement à ce que le gouvernement italien soutient, une obligation telle que celle de transmettre périodiquement l’IES à l’AGCOM constitue une exigence concernant l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, de telle sorte que cette obligation relève du « domaine coordonné », au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31.

Dès lors, l’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose à des mesures adoptées par un État membre en vertu desquelles, sous peine de sanctions, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, établis dans un autre État membre, sont soumis, en vue de prester leurs services dans le premier État membre, à l’obligation de transmettre périodiquement à une autorité de cet État membre un document relatif à leur situation économique, dans lequel doivent être détaillées de nombreuses informations relatives notamment aux recettes du fournisseur, sauf si lesdites mesures remplissent les conditions prévues au paragraphe 4 de cet article 3.

Cette interprétation ne saurait être remise en cause par l’argument du gouvernement tchèque selon lequel ledit article 3 pourrait ne pas s’opposer à de telles mesures, au regard de la jurisprudence relative à l’article 56 TFUE, qui serait applicable par analogie, selon laquelle ne se heurte pas à l’interdiction posée à cet article 56 une législation nationale opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national, n’ayant pas pour objet de régler les conditions concernant l’exercice de la prestation des services des entreprises concernées et dont les effets restrictifs qu’elle pourrait produire sur la libre prestation des services sont trop aléatoires et trop indirects pour que l’obligation qu’elle édicte puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté (arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

En effet, ainsi que l’a exposé, en substance, M. l’avocat général aux points 166 et 167 de ses conclusions, d’une part, les exigences relevant du domaine coordonné ne sauraient satisfaire aux conditions résultant de cette jurisprudence, dès lors que, par définition, elles ont pour objet de régler l’accès à l’activité consistant à fournir un service de la société de l’information ainsi que l’exercice de cette activité. D’autre part, par un acte de droit dérivé, le législateur de l’Union peut concrétiser une liberté fondamentale consacrée par le traité FUE en créant des conditions encore plus favorables au bon fonctionnement du marché intérieur que celles résultant du droit primaire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a., C‑593/13, EU:C:2015:399, point 40).

Il y a lieu, dès lors, de vérifier si des mesures nationales telles que celles mentionnées au point 63 du présent arrêt remplissent les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

À cette fin, en premier lieu, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de cette disposition, seules les mesures « prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information » peuvent relever de ladite disposition.

À cet égard, il importe de rappeler que, dans l’arrêt du 9 novembre 2023, Google Ireland e.a. (C‑376/22, EU:C:2023:835), la Cour a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que des mesures générales et abstraites visant une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant indistinctement à tout prestataire de cette catégorie de services ne relèvent pas de la notion de « mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information », au sens de cette disposition.

En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble que les mesures nationales litigieuses ont une portée générale et abstraite, de sorte qu’elles ne sauraient être qualifiées de « mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information », au sens de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31.

Par ailleurs, en vertu de cette disposition, des mesures nationales, pour être considérées comme étant conformes à ladite disposition, doivent être nécessaires afin de garantir l’ordre public, la protection de la santé publique, la sécurité publique ou la protection des consommateurs.

Ainsi, il convient de vérifier si tel est le cas en ce qui concerne des mesures nationales adoptées dans le but déclaré de garantir l’application du règlement 2019/1150.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 1er, paragraphe 5, du règlement 2019/1150, celui-ci est sans préjudice du droit de l’Union, notamment dans le domaine du commerce électronique.

Dès lors que, à l’évidence, la directive 2000/31 relève de ce domaine, des mesures telles que les mesures nationales litigieuses ne peuvent être considérées comme étant conformes à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de cette directive, au motif qu’elles visent à garantir l’application du règlement 2019/1150, que s’il est établi que l’objectif de ce dernier correspond à l’un des objectifs énumérés à cette disposition.

Or, il ressort de ses considérants 7 et 51 que le règlement 2019/1150 vise à établir un ensemble ciblé de règles contraignantes à l’échelon de l’Union afin de mettre en place un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour les opérations commerciales en ligne au sein du marché intérieur. En particulier, les entreprises utilisatrices devraient bénéficier d’une transparence appropriée ainsi que de possibilités de recours efficaces dans l’ensemble de l’Union, afin de faciliter les activités commerciales transfrontières au sein de l’Union et, partant, le bon fonctionnement du marché intérieur.

L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement précise que celui-ci contribue au bon fonctionnement dudit marché en fixant les règles visant à garantir que les entreprises utilisatrices et les utilisateurs de sites Internet d’entreprise en relation avec des moteurs de recherche en ligne bénéficient d’une transparence appropriée, d’équité et de possibilités de recours efficaces.

Ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 186 à 190 de ses conclusions, à supposer même que des mesures nationales telles que les mesures nationales litigieuses visent à garantir l’objectif du règlement 2019/1150, il n’existe pas de lien direct entre, d’une part, cet objectif et, d’autre part, ceux qui sont énumérés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31, rappelés au point 70 du présent arrêt.

En effet, il est constant que l’objectif du règlement 2019/1150 ne concerne ni l’ordre public, ni la protection de la santé publique, ni la sécurité publique.

Quant à la protection des consommateurs, il convient de relever, d’abord, que celle-ci ne couvre pas la protection des entreprises. Or, le règlement 2019/1150 énonce des règles relatives aux relations entre les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et les entreprises utilisatrices.

Ensuite, il résulte du considérant 3 du règlement 2019/1150 que le lien entre « la transparence et la confiance au sein de l’économie des plateformes en ligne dans les relations entre entreprises » et le « [renforcement de] la confiance des consommateurs dans l’économie des plateformes en ligne » n’est qu’indirect.

Enfin, ce considérant 3 précise que les « répercussions directes du développement de l’économie des plateformes en ligne sur les consommateurs relèvent cependant d’autres branches du droit de l’Union, en particulier de l’acquis en matière de protection des consommateurs ».

Il convient d’ajouter que le paragraphe 4 de l’article 3 de la directive 2000/31, en tant qu’exception au principe du contrôle dans l’État membre d’origine, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, par analogie, arrêts du 22 novembre 2012, Probst, C‑119/12, EU:C:2012:748, point 23, et du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C‑817/19, EU:C:2022:491, point 70). Aussi cette exception ne saurait‑elle être appliquée à des mesures qui sont susceptibles, tout au plus, de présenter un lien seulement indirect avec l’un des objectifs visés à cette disposition.

Partant, il ne saurait être inféré du fait que des mesures nationales aient été adoptées dans le but déclaré d’assurer l’application du règlement 2019/1150 que ces mesures sont nécessaires pour garantir l’un des objectifs énumérés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31.

Par conséquent, des mesures adoptées par un État membre en vertu desquelles, sous peine de sanctions, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, établis dans un autre État membre, sont soumis, en vue de prester leurs services dans le premier État membre, à l’obligation de transmettre périodiquement à une autorité de cet État membre un document relatif à leur situation économique, dans lequel doivent être détaillées de nombreuses informations relatives notamment aux recettes du fournisseur, ne remplissent pas les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31.

Dès lors que les mesures nationales litigieuses relèvent du domaine coordonné visé par la directive 2000/31 et que l’interprétation de cette dernière permet de répondre aux première, deuxième, quatrième et cinquième questions, telles que reformulées au point 44 du présent arrêt, il n’y a pas lieu, conformément aux considérations exposées aux points 45 à 49 du présent arrêt, d’interpréter également l’article 56 TFUE ou la directive 2006/123.

Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première, deuxième, quatrième et cinquième questions que l’article 3 de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des mesures adoptées par un État membre, dans le but déclaré de veiller à l’application adéquate et effective du règlement 2019/1150, en vertu desquelles, sous peine de sanctions, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, établis dans un autre État membre, sont soumis, en vue de prester leurs services dans le premier État membre, à l’obligation d’envoyer périodiquement à une autorité de cet État membre un document relatif à leur situation économique, dans lequel doivent être détaillées de nombreuses informations relatives notamment aux recettes du fournisseur.

Sur les troisièmes et sixièmes questions

Les troisième et sixièmes questions concernent les obligations de notification préalable prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535, dont le non-respect emporte l’inopposabilité aux particuliers des mesures qui auraient dû être notifiées et qui ne l’ont pas été.

Toutefois, compte tenu des réponses apportées aux première, deuxième, quatrièmes et cinquièmes questions, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et sixièmes questions.

Sur les dépens

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 L’article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),

 doit être interprété en ce sens que :

 il s’oppose à des mesures adoptées par un État membre, dans le but déclaré de veiller à l’application adéquate et effective du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, en vertu desquelles, sous peine de sanctions, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, établis dans un autre État membre, sont soumis, en vue de prester leurs services dans le premier État membre, à l’obligation d’envoyer périodiquement à une autorité de cet État membre un document relatif à leur situation économique, dans lequel doivent être détaillées de nombreuses informations relatives notamment aux recettes du fournisseur.