Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 5 juin 2024, n° 23/02889

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bsm Négoce (SAS)

Défendeur :

Groupe Geo (SARL), Geo Technic (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Abello, Me Feliciaggi, Me Lebouteiller, Me De Roquette

TJ Paris, 3e ch. 1re sect., du 12 janv. …

12 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société GROUPE GEO conçoit des solutions d'isolation des bâtiments par l'extérieur. Ses produits sont commercialisés sous licence par sa filiale la société GEO TECHNIC.

La société GROUPE GEO est titulaire d'un brevet français n° FR 1 859 278 ayant pour titre « Dispositif de déport pour la fixation d'un volet à un bâtiment et procédé de déport d'un volet », délivré le 25 septembre 2020 et qui a été frappé d'opposition par une société SIMADIS.

Convaincues que le produit dénommé "Décale volet" commercialisé par la société BSM NEGOCE, dont l'un des dirigeants est commun à la société SIMADIS, constitue une contrefaçon des revendications du brevet FR 278, les sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC (ci-après, les sociétés GEO) ont sollicité et obtenu, par une ordonnance du 4 mars 2022 du délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, l'autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon au siège de la société BSM NEGOCE à Villeurbanne.

Les opérations se sont déroulées le 18 mars 2022, l'huissier ayant placé sous séquestre provisoire, à la demande du saisi et conformément aux termes de l'ordonnance, un certain nombre de pièces.

Par acte du 14 avril 2022, les sociétés GEO ont assigné la société SIMADIS et la société BSM NEGOCE devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon du brevet FR 1 859 278. L'affaire est actuellement pendante devant ce tribunal.

C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier délivré le 15 avril 2022, la société BSM NEGOCE a fait assigner en référé les sociétés GEO aux fins d'obtenir le maintien du séquestre jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'opposition de la société SIMADIS (demande de sursis à statuer) et, subsidiairement, l'organisation d'un tri des éléments saisis afin d'en extraire ceux couverts par les règles relatives au secret des affaires et inutiles pour la résolution du litige, et en particulier les pièces comportant l'identité de ses clients.

A 1'audience du 23 novembre 2022, la société BSM NEGOCE a renoncé à sa demande de sursis, le brevet ayant été maintenu sous une forme modifiée par une décision du directeur de l'INPI en date du 22 octobre 2022. Elle a maintenu en revanche sa demande tendant à ce que certaines données, en particulier l'identité de ses clients, qui devait demeurer confidentielle à ce stade, soient extraites des documents saisis avant leur remise au saisissant.

Les sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC ont demandé, quant à elles, au juge des référés de lever le séquestre et de rejeter toutes les demandes de la société BSM NEGOCE.

Par ordonnance rendue le 12 janvier 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- maintenu le séquestre jusqu'à l'expiration du délai d'appel de sa décision ou jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel à intervenir si un appel était interjeté ;

- dit qu'à l'issue de ce délai, Me [V], commissaire de justice associé à [Localité 5] (69), n'est autorisé à remettre aux sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC, que les factures, bons de commandes et listes saisis, selon le procès-verbal dressé par lui le 18 mars 2022 dans les locaux de la société BSM NEGOCE, que sous la forme de copies expurgées des données d'identification (noms, adresses, numéros de téléphone, emails...) des clients de la société BSM NEGOCE ;

- dit que les factures de son fournisseur, la société SIMADIS, pourront être remises sans occultation aux sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BSM NEGOCE a interjeté appel de ce jugement le 3 février 2023.

L'affaire, initialement attribuée à la chambre 2 du pôle 5 a été redistribuée à la chambre 1 du pôle 5 de cette cour.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et transmises le 26 février 2024, la société BSM NEGOCE, appelante, demande à la cour de :

- surseoir à statuer sur les modalités de communication des pièces saisies et placées sous séquestre à la suite de la saisie-contrefaçon diligentée le 18 mars 2022, ce jusqu'à ce qu'un jugement définitif soit rendu dans l'affaire pendante (n° RG 22/04756) relative à la validité de cette mesure de saisie-contrefaçon ;

- subsidiairement,

- infirmer l'ordonnance de référé-rétractation entreprise en ce qu'elle a :

- dit qu'à l'issue de ce délai, Me [V], commissaire de justice associé à [Localité 5] (69), n'est autorisé à remettre aux sociétés GROUPE GÉO et GÉO TECHNIC, que les factures, bons de commandes et listes saisis, selon le procès-verbal dressé par lui le 18 mars 2022 dans les locaux de la société BSM NÉGOCE, que sous la forme de copies expurgées des données d'identifications (noms, adresses, numéros de téléphone, emails...) des clients de la société BSM NÉGOCE et dit que les factures de son fournisseur, la société SIMADIS, pourront être remises sans occultation aux sociétés GROUPE GÉO et GÉO TECHNIC ;

- statuant à nouveau,

- modifier l'ordonnance de saisie-contrefaçon du 4 mars 2022 en ajoutant à la fin du dernier paragraphe, les trois paragraphes suivants :

« Disons que le commissaire de justice instrumentaire transmettra les pièces saisies et placées sous séquestre provisoire, dans leur version confidentielle intégrale, par tous moyens, au juge qui a rendu l'ordonnance et au conseil du saisi, à l'exclusion de toute autre partie ou conseil,

Disons que le conseil de la partie saisie remettra au juge qui a rendu l'ordonnance une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire précisant, pour chaque pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires, en application de l'article R. 153-3 du code de commerce,

Disons que le juge qui a rendu l'ordonnance, après avoir éventuellement entendu BSM NÉGOCE, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et les sociétés GROUPE GÉO et GÉO TECHNIC, statuera sans audience sur la communication des pièces saisies et placées sous séquestre provisoire et les modalités. »

- en tout état de cause,

- condamner solidairement les sociétés GROUPE GÉO et GÉO TECHNIC à verser à la société BSM NÉGOCE la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés GROUPE GÉO et GÉO TECHNIC en tous les dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Michel ABELLO, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, numérotées 2 et transmises le 5 février 2024, les sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC, intimées, demandent à la cour de :

Vu les articles 112, 496 et 564 du code de procédure civile,

Vu l'article R. 153-7 du code de commerce,

- déclarer la demande de sursis à statuer de la société BSM NEGOCE irrecevable et mal fondée ;

- rejeter la demande d'infirmation de l'ordonnance de référé rétractation formulée par l'appelante ;

- rejeter la demande de BSM NEGOCE en modification de l'ordonnance de saisie contrefaçon du 4 mars 2022 ;

- condamner la société BSM NEGOCE aux dépens de l'instance, en vertu de l'article 699 du code de procédure civile ;

- condamner la société BSM NEGOCE « aux paiements des dépenses ne couvrant pas les dépens au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;

- débouter BSM NEGOCE de toutes ses demandes contraires.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande principale de sursis à statuer de la société BSM NEGOCE,

La société BSM NEGOCE fait valoir que l'évolution de la procédure justifie le prononcé d'un sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ; qu'en effet, les sociétés BSM NEGOCE et SIMADIS, défenderesses dans le cadre de l'instance en contrefaçon initiée par les sociétés GEO, ayant soulevé la nullité de la saisie-contrefaçon, la décision du tribunal judiciaire de Paris est susceptible d'avoir une incidence directe sur la solution du présent litige ; que si la cour ne peut préjuger de la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, elle peut cependant apprécier le sérieux du moyen d'annulation invoqué dans le cadre de la procédure de contrefaçon au fond ; que ce moyen tient à la déloyauté des sociétés demanderesses qui ont fait mention devant le juge des requêtes de la procédure d'opposition alors pendante devant l'INPI, mais d'une façon empêchant ce juge d'avoir une appréciation éclairée des faits, dès lors qu'a été passé sous silence l'avis d'instruction de l'INPI qui concluait à la nullité de toutes les revendications indépendantes pour défaut d'activité inventive et au rejet de l'ensemble des requêtes auxiliaires présentées par les sociétés GEO ; que le prononcé d'un sursis dans l'attente de la décision au fond sur la validité de la saisie-contrefaçon n'entraînera aucune conséquence préjudiciable pour les sociétés GEO (absence de risque de dépérissement des preuves du fait du séquestre des documents saisis) ; qu'enfin, le brevet a déjà fait l'objet de deux limitations en réponse aux très nombreuses antériorités, ce qui démontre que sa validité est incertaine, de sorte qu'il serait disproportionné de contraindre BSM NEGOCE à divulguer ses secrets d'affaire ; que sa demande de sursis à statuer est recevable dès lors qu'elle vise à faire écarter les prétention adverses, au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Les sociétés GROUPE GEO et GEO TECHNIC s'opposent à cette demande de sursis à statuer, contestant à la fois sa recevabilité et son bien-fondé. Elles soutiennent, sur le premier point, que la demande de sursis à statuer est nouvelle en cause d'appel et donc irrecevable, cette demande ne visant pas, contrairement à ce qui est soutenu, à écarter les prétentions adverses mais à retarder la communication de documents nécessaires à l'action en contrefaçon actuellement en cours. Elles soutiennent, sur le second point, que la demande de nullité des opérations de saisies sur laquelle repose la demande de sursis à statuer ne repose sur aucun moyen sérieux, alors qu'au moment de la présentation de la requête, l'existence de l'avis d'instruction de l'INPI a bien été indiquée, de même que l'existence de la procédure d'opposition en cours ; que l'absence de communication de l'avis d'instruction de l'INPI, par nature provisoire, n'entache en rien l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon ; que le contenu de l'avis d'instruction est de toute façon sans incidence puisqu'il indique « (') cet avis préliminaire et non contraignant ne préjuge en rien de la décision qui sera rendue au terme de la procédure » ; qu'aucune déloyauté n'est donc caractérisée au jour où la requête a été présentée ; qu'en outre, l'INPI a maintenu le brevet sous une forme modifiée qui n'exclut nullement les griefs de contrefaçon invoqués ; que dans son assignation en référé du 15 avril 2022, la société BSM NEGOCE n'a aucunement critiqué les conditions de délivrance de l'ordonnance ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en invoquant le défaut de communication de l'avis d'instruction de l'INPI, se bornant à demander la modification de l'ordonnance, et renonçant ainsi à demander la rétractation de l'ordonnance pour le prétendu grief de nullité ; que le grief de nullité des opérations de saisie-contrefaçon a été soulevé par SIMADIS dans ses conclusions du 31 janvier 2023 et repris par BSM NEGOCE dans les siennes, après que l'ordonnance dont appel ait été rendue, le 12 janvier 2023 ; que cette ordonnance ne lui ayant pas donné pleine satisfaction, BSM NEGOCE a alors soulevé cette nullité dans la présente procédure de référé au soutien d'une nouvelle demande de sursis à statuer, pour un motif qui n'a jamais été abordé dans la procédure de référé qu'elle a elle-même initiée ; qu'il convient donc, pour une bonne administration de la justice, de rejeter la demande de sursis à statuer.

Sur la recevabilité,

Selon l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

En l'espèce, il est constant que dans le cadre de l'instance au fond en contrefaçon, la société SIMADIS, défenderesse, a soulevé la nullité des opérations de saisie-contrefaçon dans ses conclusions du 31 janvier 2023, donc postérieures à l'ordonnance de référé-rétractation dont appel qui a été rendue le 12 janvier 2023. La contestation élevée par la société SIMADIS à l'occasion de l'instance au fond dans ses conclusions du 31 janvier 2023, que la société BSM NEGOCE a par la suite reprise à son compte dans ses propres écritures au fond, constitue pour cette dernière la survenance d'un fait nouveau qui lui permet de s'en prévaloir dans le cadre de la présente instance de référé, à l'appui de sa demande de sursis à statuer, sans encourir l'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. En outre, la société BSM NEGOCE plaide à juste raison que la demande de sursis à statuer, qui implique le maintien du séquestre, vise à faire écarter la prétention adverse tendant à la mainlevée des éléments séquestrés, le cas échéant expurgés de données relevant du secret des affaires.

La fin de non-recevoir des sociétés GEO sera donc rejetée et la demande de sursis à statuer de la société BSM NEGOCE déclarée recevable.

Sur le bien-fondé

Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

En l'espèce, s'il n'appartient pas à cette cour de préjuger de la validité ou de la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, le moyen de nullité invoqué par les sociétés SIMADIS et BSM NEGOCE, tiré de la déloyauté des sociétés GEO au moment de la présentation de leur requête aux fins d'être autorisées à faire réaliser des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société BSM NEGOCE, n'apparaît pas d'évidence fondé. En effet, si les sociétés GEO n'ont pas communiqué au juge des requêtes l'avis d'instruction en date du 22 décembre 2021 rendu par l'INPI, ni informé ce juge qu'au terme de son avis, l'INPI concluait qu'« Après examen (') des éléments soumis par les parties à ce stade de la procédure, un avis défavorable au maintien du brevet tel que délivré et au maintien du brevet sous forme modifié selon les requêtes auxiliaires n° 1 à 9 est émis », elles ont néanmoins mentionné dans leur requête qu'une opposition avait été formée à l'encontre du brevet par la société SIMADIS et fait état de l'existence de l'avis d'instruction rendu par l'INPI, indiquant que dans cet avis l'INPI reconnaissait comme inventives les revendications 2, 3, 4 et 7 du brevet (pièce 3.1 BSM NEGOCE). Par ailleurs, l'avis d'instruction de l'INPI ne préjugeait pas de la décision qui serait rendue au terme de la procédure d'opposition, ainsi qu'il est indiqué en toute fin de cet avis (« Pour information, cet avis préliminaire et non contraignant ne préjuge en rien de la décision qui sera rendue au terme de la procédure ») (pièce 4.5 BSM NEGOCE). Il est constant, enfin, que le brevet a été finalement maintenu par l'INPI sous une forme modifiée.

Par ailleurs, cette cour ne peut préjuger de la validité du brevet et la société BSM NEGOCE forme, dans la présente instance en référé, des demandes tendant à la préservation de ses secrets d'affaires.

En conséquence, l'intérêt d'une bonne administration de la justice ne commande pas de faire droit à la demande de sursis à statuer dans l'attente d'un jugement définitif dans l'instance au fond à l'occasion de laquelle sera examinée la validité de la saisie-contrefaçon.

La demande sera donc rejetée.

Sur la demande subsidiaire de la société BSM NEGOCE relative à l'organisation de la protection du secret des affaires

La société BSM NEGOCE fait grief à la décision entreprise d'avoir méconnu les règles encadrant la levée du séquestre et la protection du secret des affaires en ordonnant « d'office » la communication des documents saisis expurgés des données d'identification de ses clients. Elle fait valoir qu'ainsi, le juge des référés n'a pas mis en œuvre les mesures préalables de remise par le saisi d'un mémoire et de versions intégrales et non confidentielles (ou résumées) des pièces comportant des secrets d'affaires, telles que définies par l'article R.153-3 du code de commerce ; que s'il est acquis que les données d'identification des clients de BSM NEGOCE sont des secrets d'affaires, comme l'a admis le juge des référés, il n'est pas exclu que d'autres éléments parmi les pièces saisies relèvent également du secret des affaires, seul le commissaire de justice, qui a procédé lui-même à des recherches sur le logiciel de comptabilité de BSM NEGOCE et n'a pas dressé la liste des pièces saisies, connaissant leur contenu exact ; que de ce fait, la communication aux sociétés GÉO des pièces saisies et placées sous séquestre, même expurgées des données d'identification des clients, est encore de nature à porter atteinte à des secrets d'affaires de BSM NÉGOCE ; qu'il incombait au juge des référés de modifier l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon afin de prévoir que le commissaire de justice remettra la copie intégrale de ces pièces au magistrat et au conseil du saisi en vue d'aménager les modalités de communication des pièces saisies et placées en séquestre, en application des articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce ; qu'il convient que la cour modifie l'ordonnance de saisie-contrefaçon en ce sens.

Les sociétés GEO répondent qu'il appartient au juge, en fonction du cas d'espèce, de déterminer parmi les dispositions applicables des articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce celles qui doivent trouver application ; qu'en l'espèce, le juge des référés a rendu son ordonnance en application de l'article R. 153-7 du code de commerce, considérant que seuls certains éléments des pièces saisies sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, en l'occurrence les données d'identifications (noms, adresses, numéros de téléphone, emails...) des clients de la société BSM NÉGOCE ; qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article R. 153-3 du code de commerce comme le soutient l'appelante ; que sa demande d'infirmation est d'ailleurs déconcertante puisqu'elle faisait valoir dans ses écritures de première instance que « toutes les informations relatives à l'identité des acheteurs, qui ont été saisies par l'huissier, ne sont pas nécessaires à la solution du litige » et que c'est sur les arguments même de BSM NÉGOCE que le juge des référés a considéré que les informations susceptibles de devoir être protégées sont les identités de ses clients ; que l'appelante cherche à retarder la communication des pièces dont la levée des séquestres est pourtant fixée conformément à l'article R. 153-7 du code de commerce et est donc conforme à l'article L.153-1 du même code.

Ceci étant exposé, l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle relatif aux mesures probatoires en matière de brevets prévoit notamment qu'en cas de saisie-contrefaçon, « Le président peut autoriser l'huissier à procéder à toute constatation utile en vue d'établir l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon. Afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues l'article R.153-1 du code de commerce ».

L'article R. 153-3 du code de commerce dispose qu'« A peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :

1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;

2° Une version non confidentielle ou un résumé ;

3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.

Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce », l'article R. 153-4 précisant que le juge statue, sans audience, sur la communication ou la production de la pièce et ses modalités.

L'article R. 153-5 prévoit que « Le juge refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n'est pas nécessaire à la solution du litige » et l'article R. 153-6 que « Le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans sa version intégrale lorsque celle-ci est nécessaire à la solution du litige, alors même qu'elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires. Dans ce dernier cas, le juge désigne la ou les personnes pouvant avoir accès à la pièce dans sa version intégrale. Lorsqu'une des parties est une personne morale, il désigne, après avoir recueilli son avis, la ou les personnes physiques pouvant, outre les personnes habilitées à assister ou représenter les parties, avoir accès à la pièce ».

Et aux termes de l'article R. 153-7, « Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d'un résumé, selon les modalités qu'il fixe ».

En l'espèce, il est constant que lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 18 mars 2022 au siège de la société BSM NEGOCE, l'huissier a saisi quatre factures et trois bons de livraison, tous ces documents portant une date et une référence, une liste des acheteurs du produit litigieux et des quantités vendues et un fichier Excel de quatre pages concernant les commandes et les livraisons du produit litigieux, toutes ces pièces ayant été placées sous séquestre provisoire à la demande du saisi.

Il ressort des conclusions de la société BSM NEGOCE produites dans le cadre de la procédure de référé, qu'elle a transmises en cours de délibéré conformément à la demande de la cour, qu'elle a demandé au juge des référés d'organiser la protection de ses secrets d'affaires selon la procédure prévue à l'article R. 153-3 du code de commerce, arguant, d'une part, que toutes les informations relatives à l'identité de ses clients n'étaient pas nécessaires à la solution du litige et que leur communication serait susceptible de porter atteinte à la vie privée de ses clients qui sont pour partie des particuliers, outre qu'elle emporterait un risque de concurrence déloyale, dénigrement ou démarchage déloyal et, d'autre part, comme elle le soutient encore devant cette cour, qu'il n'était « pas exclu que d'autres éléments parmi les pièces saisies relèvent du secret des affaires », précisant que seul l'huissier était en mesure de connaître le contenu exact des pièces saisies et qu'elle-même n'était pas en mesure de remettre au juge la version confidentielle de chacune des pièces.

Le juge des référés a estimé que les données d'identification des clients de la société BSM NEGOCE avaient le caractère de secrets d'affaires et que leur communication n'était pas nécessaire à la solution du litige au sens de l'article R. 153-7 du code de commerce ' ce qui n'est plus contesté en appel par les sociétés GEO ' et a autorisé la levée du séquestre provisoire de telle sorte que les pièces saisies soient remises aux sociétés GEO sous la forme de copies expurgées des données d'identification des clients, seules les factures de la société SIMADIS (co-défenderesse à l'action en contrefaçon) pouvant être remises sans occultation.

Ce faisant, le juge des référés, qui a fait application de l'article R. 153-7 du code de commerce, n'a pas méconnu les règles encadrant la levée du séquestre et la protection du secret des affaires, ni ordonné « d'office » la communication des documents saisis, le cas échéant expurgés, dès lors (i) que les sociétés GEO demandaient la levée pure et simple du séquestre et le rejet de l'ensemble des demandes de la société BSM NEGOCE, (ii) que la société BSM NEGOCE n'était pas en mesure de dire, malgré le faible nombre de pièces saisies, toutes parfaitement individualisées, quelles étaient celles comportant, selon elle, des secrets d'affaires et (iii) que, comme le soulignent les intimées, il appartient au juge, en fonction du cas d'espèce, de déterminer parmi les dispositions applicables du code de commerce relatives à la protection du secret des affaires, celles qui doivent trouver application.

L'ordonnance, qui n'encourt pas les critiques qui lui sont adressées, sera confirmée.

Sur les dépens et frais irrépétibles,

La société BSM NEGOCE, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de son appel, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Il ne sera pas fait droit à la demande présentée par les sociétés GEO au titre de l'article 700 du code de procédure civile en page 12 de leurs écritures, cette demande n'étant pas chiffrée dans le dispositif desdites écritures et la cour n'étant valablement saisie que des seules demandes contenues au dispositif des conclusions des parties, en application de l'article 954 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Dit recevable mais mal fondée la demande de sursis à statuer de la société BSM NEGOCE ; en conséquence, la rejette ;

Confirme l'ordonnance de référé-rétractation rendue 12 janvier 2023 ;

Condamne la société BSM NEGOCE aux dépens d'appel ;

Constate qu'elle n'est pas régulièrement saisie d'une demande des sociétés GEO au titre de l'article 700 du code de procédure civile.