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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 5 juin 2024, n° 23/04747

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Time Service Catalyst Handling GmbH (Sté)

Défendeur :

Crealyst-Group (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me De la Touanne-Andrillon, Me Setton Bouhanna, Me Olivier, Me Bloret-Pucci

TJ Paris, 3e ch. 3e sect., du 11 janv. 2…

11 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit allemand Time Service Catalyst Handling (Time) se présente comme spécialisée dans la manipulation des catalyseurs des réacteurs dans les raffineries et les usines de production pétrochimique.

La société Crealyst-Group se présente comme spécialisée dans le remplissage dense de récipients verticaux cylindriques, notamment les réacteurs des usines pétrochimiques.

La société Crealyst-Group est titulaire du brevet européen EP1687223 (EP 223), déposé le 24 novembre 2004 et délivré le 14 mai 2008, intitulé « appareil destiné au remplissage d'un récipient avec des particules solides ».

Elle est également titulaire du brevet français FR3083526 (FR 526) déposé le 4 juillet 2018 et publié le 31 juillet 2020, intitulé « système de remplissage perfectionné ». Les technologies brevetées et son savoir-faire ont été développés par cette société sous l'appellation Calydens.

Les sociétés Time et Crealyst-Group ont conclu plusieurs contrats, le 1er mars 2004 complété par un avenant, puis le 25 janvier 2011 complété par un avenant, puis le 1er avril 2016 ayant expiré le 31 décembre 2016, autorisant la société Time à utiliser la machine Calydens de la société Crealyst-Group pour des prestations de chargement dense.

La société Time a déposé le 31 mars 2017 un brevet européen EP3436187 (EP187), sous priorité d'un brevet européen EP16163229 déposé le 31 mars 2016, intitulé « dispositif de remplissage d'un récipient avec un matériau particulaire ». Ce brevet a fait l'objet d'une opposition par la société Crealyst-Group. Une décision a été rendue le 27 novembre 2023 par la division d'opposition de l'Office européen des brevets maintenant le brevet sous une forme modifiée. Une procédure est pendante devant la chambre des recours de l'OEB.

Estimant que la machine dénommée Prodense développée par la société Time reprenait des éléments du savoir-faire qu'elle lui avait transmis dans le cadre de leurs relations contractuelles, la société Crealyst-Group l'a attraite le 16 mars 2021 devant le tribunal de commerce de Paris lui reprochant des manquements contractuels et des fautes délictuelles.

Par jugement du 9 juin 2022, le tribunal de commerce, saisi d'une exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire, a dit non fondée ladite exception, ce jugement ayant fait l'objet d'un arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris du 21 avril 2023.

Par acte d'huissier du 14 février 2022 la société Time a fait assigner la société Crealyst-Group en nullité de la partie française du brevet EP 223 et du brevet FR 526.

Par conclusions du 14 mai 2022, la société Crealyst-Group a saisi le juge de la mise en état d'un incident visant à déclarer la demanderesse irrecevable en ses demandes faute d'intérêt à agir et, subsidiairement, à déclarer l'action prescrite.

Par ordonnance rendue le 11 janvier 2023, dont appel, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré les demandes de la société Time Service Catalyst Handling en annulation des brevets européen EP1687223 et français FR3083526 irrecevables, faute d'intérêt à agir ;

- condamné la société Time Service Catalyst Handling aux dépens ;

- condamné la société Time Service Catalyst Handling à payer cinq mille euros (5000 €) à la SAS Crealyst-Group en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Time a interjeté appel de cette ordonnance le 8 mars 2023.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 28 mars 2024, la société Time, appelante, demande à la cour de :

Vu les articles 31, 32, 122, 699 et 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article L615/8-1 du code de la Propriété Intellectuelle,

Vu la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte,

- recevant l'appel, le disant fondé et y faisant droit,

- infirmer l'ordonnance rendue le 11 janvier 2023 par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Paris en ce qu'il a :

considéré irrecevable l'action en nullité des brevets intentée par T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH à l'encontre des brevets EP 1 687 223 et FR 3 083 526 de Crealyst-Group ;

condamné T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH à verser à Crealyst 5.000€ euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens ;

pour le surplus :

Statuant à nouveau,

- juger que la société T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH justifie d'un intérêt à agir en nullité à l'encontre de la partie française du brevet européen EP 1 687 223 et du brevet français FR 3 083 526, dont Crealyst-Group est titulaire ;

- juger que l'action en annulation de T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH à l'encontre de la partie française du brevet européen EP 1 687 223 B1 n'est pas prescrite ;

- juger l'action de la société T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH recevable à l'encontre des la partie française du brevet européen EP 1 687 223 et du brevet français FR 3 083 526 ;

En conséquence :

- débouter Crealyst-Group de son appel incident ;

- débouter Crealyst-Group de toutes demandes, fins ou conclusions ;

- renvoyer l'affaire devant le Tribunal Judiciaire de Paris à qui il appartiendra de convoquer les parties ou fixer une date d'audience pour connaître de l'ensemble des demandes formées par les parties ;

- condamner Crealyst-Group à verser la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner Crealyst-Group aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux modalités de l'article 699 du CPC.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 21 mars 2024, la société Crealyst-Group demande à la cour de :

Vu les articles 31, 32 et 122 du Code de procédure civile,

Vu les articles 2, 2222 et 2224 du Code civil,

Vu l'article L. 615-8-1 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte,

- confirmer l'Ordonnance du Juge de la mise en état du 11 janvier 2023 en ce qu'elle a :

déclaré les demandes de la société T.I.M.E Service Catalyst Handling GMBH en annulation des brevets européen EP 1687223 et français FR 3083526 irrecevables, faute d'intérêt à agir ;

condamné la société T.I.M.E Service Catalyst Handling GMBH aux dépens

condamné la société T.I.M.E Service Catalyst Handling GMBH à payer cinq mille euros (5.000 €) à la SAS Crealyst-GROUP en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si la société T.I.M.E Service venait à être considérée comme étant pourvue d'un intérêt à agir,

- juger que l'action en annulation de la société T.I.M.E Service, en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du brevet EP1687223, est prescrite ;

En conséquence :

- juger la société T.I.M.E Service irrecevable en ses demandes formées à l'encontre du brevet EP 1 687 223 ;

En tout état de cause :

- condamner la société T.I.M.E Service à payer à la société Crealyst la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société T.I.M.E Service aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur l'intérêt à agir

La société Time fait valoir qu'elle a intérêt à agir en ce qu'elle est concurrente sur le même marché qui est celui du chargement de réacteur et du sous-domaine qui est celui du chargement dense ; qu'il n'est pas contesté qu'elle propose des services de chargement de réacteurs, en France, et a notamment mis au point une machine de chargement dense à cet effet ; qu'elle a, par ses recherches et développements, mis au point, déposé et obtenu un brevet pour « un dispositif de remplissage d'un récipient avec un matériau particulaire » ; qu'il n'est pas contesté que les brevets litigieux EP 223 et FR 526 de Crealyst sont tous deux rattachés au domaine technique du chargement de réacteurs, et à la sous-catégorie du chargement dense ; que le domaine du chargement des réacteurs et de la technique du chargement dense est en évolution constante ; qu'elle est active en recherche et développement dans ce secteur ; que son dépôt d'une demande de brevet dans le domaine technique du chargement de réacteur (sous-catégorie du chargement dense) n'est pas contesté, ni le fait que ce brevet soit attaqué par la société Crealyst par voie d'opposition ; que ces éléments sont une preuve suffisante de son projet concret, de son activité de recherche et développement dans le domaine technique des brevets litigieux, et de son intérêt à agir en nullité des brevets litigieux EP 223 et FR 526 de la société Crealyst ; qu'elle démontre qu'au-delà d'un projet d'activité pertinent, elle est déjà active dans le domaine technique concerné, procède elle-même à des développements, invente, met au point des machines utilisant la technique du chargement dense ; que les justificatifs souhaités par le juge de la mise en état sont de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit d'agir en nullité et au secret des affaires.

Elle ajoute que le brevet EP 223 vient au soutien des demandes formées par Créalyst ; que le fait que la société Crealyst ait choisi de produire ce document au titre de l'art antérieur dans le cadre de la procédure d'opposition qu'elle a initiée devant l'OEB démontre que la société Crealyst considère comme pertinente la technologie qu'elle revendique comme propriétaire au regard des développements technologiques effectués et revendiqués par sa concurrente Time ; que dans la procédure engagée devant le tribunal de commerce, si le brevet litigieux était annulé, les fautes qui lui sont reprochées ne seraient plus constituées ; que l'annulation du brevet EP 223 mettrait un terme à la question de savoir si la demande de brevet EP187 de Time porte sur un brevet équivalent au brevet EP 223 ; que la question de la validité du brevet EP 223 a donc un impact direct sur les fautes délictuelles de concurrence déloyale qui lui sont reprochées dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de commerce de Paris.

La société Crealyst-Group soutient que la situation de concurrence ne suffit pas à elle seule à caractériser un intérêt à agir ; qu'il faut démontrer que les brevets litigieux constituent une entrave à l'exercice de l'activité économique du demandeur à la nullité ; que l'entrave doit être certaine et non potentielle ; qu'il doit être démontré que l'annulation des brevets litigieux améliorerait la situation juridique et/ou économique du demandeur à la nullité ; que la société Time ne produit aucun élément concret permettant de caractériser que les brevets EP 223 et FR 526 entravent ou sont susceptibles d'entraver l'exercice de son activité, ni que leur éventuelle annulation améliorerait sa situation tant juridique qu'économique ; que la société Time reconnaît qu'elle est déjà active dans le domaine technique concerné, procède elle-même à des développements, invente, met au point des machines utilisant la technique du chargement dense de sorte qu'elle a pu, depuis plusieurs années, développer son activité sans que les brevets en litige viennent l'entraver.

Elle ajoute que l'action qu'elle a initiée devant le tribunal de commerce a un double fondement, contractuel et délictuel ; que du point de vue contractuel, il est reproché à la société Time d'avoir manqué à certaines des obligations lui incombant en vertu des différents contrats conclus entre elles, et en particulier à son obligation de faire ses meilleurs efforts pour utiliser la technologie et le savoir-faire Calydens de façon effective, sérieuse, loyale et continue ; que ces manquements sont liés à la reprise, dans la machine ProDense de Time d'éléments extérieurs caractéristiques de la machine Calydens tenant en particulier à son apparence, lesquels ne sont pas ceux protégés par brevet, mais correspondent à de la technologie et du savoir-faire de Crealyst non-brevetés ; que du point de vue délictuel, il est reproché à Time d'avoir négocié de mauvaise foi le contrat conclu avec Crealyst en 2016, et d'avoir commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale ; qu'alors que les parties négociaient la conclusion du nouveau contrat du 1er avril 2016, qui prévoyait un engagement de la société Time de ne pas déposer de brevet équivalent à ceux de la société Crealyst, la société Time préparait et déposait son brevet EP 16163229 le 31 mars 2016, sans en révéler l'existence à la société Crealyst ; qu'une éventuelle annulation des brevets en litige resterait sans aucune incidence sur la procédure parallèle devant le tribunal de commerce, ainsi que cela ressort de la décision rendue le 9 juin 2022 par le tribunal de commerce, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel du 21 avril 2023 ; qu'une éventuelle annulation des brevets EP223 et FR526 n'aurait également aucun impact sur le brevet EP 3 436 187 de la société Time, sur la procédure d'opposition en cours à l'OEB ou encore sur la capacité de Time à déposer d'autres demandes de brevets ; que tout brevet, même annulé, constitue un document technique divulgué pouvant théoriquement être invoqué à l'encontre d'un brevet postérieur.

Sur ce,

Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'article 32 du même code précise qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Aux termes de l'article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'intérêt à agir à titre principal en nullité d'un brevet doit être personnel et direct, légitime, né et actuel. Il est apprécié in concreto, le demandeur devant justifier qu'il exerce ou projette d'exercer une activité dans le domaine précis dont relève l'invention brevetée, sans qu'il soit exigé d'expliciter quelles revendications seraient contrefaites par le produit qu'il commercialise ou se prépare à commercialiser.

En l'espèce, il est établi que le domaine technique des brevets litigieux EP 223 et FR 526, dont la société Time sollicite la nullité, est celui du chargement des réacteurs, et plus particulièrement du chargement dense. Il n'est pas davantage contesté que la société Time propose des services de chargement de réacteurs en France, qu'elle exploite un équipement qui comprend un « appareil de remplissage de récipient avec des particules solides » ou un élément s'approchant de cette désignation, qui est celle du brevet EP 223 qu'elle attaque en nullité, et que les sociétés Time et Crealyst-Group se trouvent donc, au moins en partie, en situation de concurrence. Il est également constant que la société Time a déposé et obtenu un brevet pour « un dispositif de remplissage d'un récipient avec un matériau particulaire » qui est dans le domaine technique du chargement dense de réacteur, lequel fait l'objet d'une procédure d'opposition pendante devant la chambre de recours de l'OEB, initiée par la société Créalyst-Group, laquelle a produit le brevet litigieux EP 223 comme élément de l'art antérieur pertinent.

Il résulte de ces éléments que la société Time justifie d'un intérêt à agir en annulation de la partie française du brevet européen 1687223 et du brevet français 3083526 pour mettre fin aux monopoles revendiqués par la société Créalyst-Group dans le secteur desdits brevets dans lequel elle est déjà active et procède à des développements, sans qu'elle ait à expliciter le détail des développements qu'elle envisage sur ses machines en les confrontant aux revendications des brevets litigieux qui seraient contrefaites par lesdites machines qu'elle commercialise ou se prépare à commercialiser.

L'ordonnance entreprise, qui a déclaré irrecevable les demandes de la société Time en annulation des brevets EP 223 et FR 526, faute d'intérêt à agir, sera infirmée de ce chef.

Sur la prescription de l'action à l'encontre du brevet EP 223

La société Crealyst-Group fait valoir que l'action de la société Time à l'encontre du brevet EP 223 est prescrite en ce qu'elle intervient plus de cinq ans après que la société Time a été informée de l'existence de ce brevet ; que l'imprescriptibilité de l'action en annulation de brevet telle qu'issue de la loi Pacte ne peut en aucun cas faire renaître un droit éteint ; que l'action en annulation initiée par la société Time, en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du brevet EP223, se trouvait déjà prescrite à la date de publication de la loi Pacte, le 23 mai 2019.

La société Time fait valoir que le brevet EP 223, objet de son action en nullité, était en vigueur au jour de la publication de la loi Pacte ; qu'il n'existe aucune décision de justice antérieure au 24 mai 2019 et ayant force de chose jugée qui retiendrait la prescription de l'action en nullité de la société Time à l'encontre du brevet EP 223 ; qu'en conséquence et conformément à l'article L.615-8-1 du code de la propriété intellectuelle, l'action en nullité de brevet intentée par la société Time à l'encontre de la partie française du brevet EP 223 n'est pas prescrite.

Sur ce,

Les parties s'accordent sur le fait que le 14 février 2022, jour de la délivrance de l'assignation introduisant l'action en nullité des brevets, l'article L. 615-8-1 du code de la propriété intellectuelle s'appliquait dans sa version issue de l'article 124 de la loi Pacte 2019-486 du 22 mai 2019 disposant : « L'action en nullité d'un brevet n'est soumise à aucun délai de prescription.»

L'article 124 III de la loi PACTE rappelle en outre que « ces dispositions s'appliquent aux titres en vigueur au jour de la publication de la loi. Ils sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée. »

Avant l'entrée en vigueur de la loi 2019-486 du 22 mai 2019, l'action principale en nullité d'un brevet était soumise au délai de prescription de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

L'article 2 du code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a pas d'effet rétroactif.

En l'absence d'une volonté contraire expressément affirmée, la loi ne peut produire effet que pour l'avenir. Il résulte de ce principe que, lorsque le législateur modifie le délai d'une prescription, cette loi n'a point d'effet sur la prescription définitivement acquise (Cass., Civ.1, 27 septembre 1983, 82-13.035).

Une loi modifiant un délai de prescription est sans effet sur une prescription acquise (Cass., Civ.2, 3 février 2005 n°03-20.224).

Enfin l'article 2222 du code civil prévoit que « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ».

Il résulte de ces dispositions que lorsque le législateur allonge le délai d'une prescription, cette loi n'a pas d'effet sur la prescription définitivement acquise, à moins qu'une volonté contraire soit expressément affirmée dans ladite loi.

Les nouvelles dispositions relatives à la prescription de l'action en nullité d'un brevet doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription, puisqu'elles rendent celle-ci imprescriptible. En outre, aucune mention expresse dans le texte en cause ne permet de caractériser une volonté contraire sur ce point du législateur, le fait que la loi Pacte ait abrogé l'article 23 II de l'ordonnance du 9 mai relative au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet, qui prévoyait que l'absence de prescription des actions en nullité était sans effet sur une prescription acquise, ne caractérisant pas une telle volonté, cette disposition s'appliquant seulement au brevet européen à effet unitaire. Il s'ensuit que le nouvel article L. 615-8-1 du code de la propriété intellectuelle n'est pas applicable aux actions en nullité de brevet dont la prescription était déjà acquise lors de l'entrée en vigueur de la loi Pacte le 24 mai 2019.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'action en annulation initiée par la société Time, en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du brevet EP 223, se trouvait déjà prescrite à la date de publication de la loi Pacte, le 23 mai 2019.

Le principe nouveau d'imprescriptibilité ne saurait, conformément aux développements ci-dessus, faire renaître ce droit éteint, de sorte que l'action de la société Time à l'encontre du brevet EP223 sera jugée irrecevable.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme l'ordonnance entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la société Time justifie d'un intérêt à agir ;

Dit que l'action en annulation du brevet EP 1 687 223 de la société Time est prescrite, et que la société Time est donc irrecevable en ses demandes formées à l'encontre du brevet EP 1 687 223 ;

Condamne la société Crealyst-Group aux dépens de première instance et d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre, pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, une somme de 10 000 euros.