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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 juin 2024, n° 21/18389

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Premium Audiotel (SAS)

Défendeur :

Microsoft Ireland Operations Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

M. Richaud, Mme Dallery

Avocats :

Me Bernabe, Me Dubucq, Me Teytaud, Me Christol

T. com. Marseille, du 14 sept. 2021, n° …

14 septembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

Le 28 novembre 2016, la société Premium Audiotel, qui a pour activité le service de renseignements téléphoniques, a souscrit aux services de Microsoft Advertising, service de publicité en ligne de la société Microsoft Ireland Operations Limited (ci-après "Microsoft"), qui a pour activité la gestion de certains services internet proposés aux utilisateurs situés en Europe et, notamment, les services de publicité en ligne.

Ce service permet aux annonceurs de promouvoir leur activité par le référencement, et donc par l'achat de publicités sponsorisées.

Le 24 mars 2021, Microsoft a adressé un courriel à Premium Audiotel lui indiquant la suspension du compte Bing n°F110H443, au motif que certaines annonces ne seraient pas en conformité avec les politiques éditoriales de Bing.

Par acte du 21 avril 2021, Premium Audiotel a assigné Microsoft devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 14 septembre 2021, le tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :

- Se déclare territorialement compétent pour connaître du litige ;

- Dit que la clause des politiques Microsoft Advertising en vertu de laquelle Microsoft Ireland Operations Limited peut refuser ou supprimer une annonce et désactiver un compte à sa seule discrétion n'est pas constitutive de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

- Constate l'absence de rupture des relations commerciales en l'état entre la SAS Premium Audiotel et Microsoft Ireland Operations Limited, celles-ci étant actuellement simplement suspendues ;

- Déboute la SAS Premium Audiotel de toutes ses demandes, fins et conclusions au fond ;

- Condamne la SAS Premium Audiotel à payer la somme de 5 000 euros à Microsoft Ireland Operations Limited ;

- Condamne la SAS Premium Audiotel aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 70,55 euros ;

- Rejette tout surplus des demandes, fins et conclusions comme non fondées et non justifiées.

Premium Audiotel a interjeté appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 21 octobre 2021.

Par des dernières conclusions déposées et notifiées le 20 février 2024 sur le RPVA, Premium Audiotel demande à la Cour, de :

Vu le règlement n°1215/2021 dit "Bruxelles I bis", et notamment son article 25

Vu l'Accord transitoire du 12 novembre 2019 conclu entre l'Union européenne et le Royaume Uni,

Vu la Convention de la Haye sur les accords d'élection de for du 30 juin 2005

Vu l'article 9-1 du règlement Rome I, Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Vu les articles L. 442-1, L. 442-4-III, D. 442-3 et l'annexe 4-2 du Code de commerce ;

Vu la jurisprudence précitée ;

Vu les pièces versées aux débats ;

IN LIMINE LITIS :

- DIRE ET JUGER que le tribunal de commerce de Marseille, et la cour d'appel de Paris à sa suite, sont compétents pour juger du présent litige ;

- DIRE ET JUGER que le présent litige est soumis aux dispositions de l'article L.442-1 du Code de commerce par application du règlement Rome I, non seulement en raison du caractère de loi de police du régime de la rupture brutale, mais également en raison du fait que le régime de la rupture brutale institue une responsabilité d'ordre public auquel les parties ne peuvent déroger par accord ;

- CONFIRMER en conséquence le jugement du 14 septembre 2021 rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il s'est déclaré territorialement compétent pour connaître du présent litige, et reconnu la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige, ainsi que l'application au litige de la loi française ;

- DIRE ET JUGER par la même voie de conséquence que l'appel incident formalisé par la société Microsoft Ireland Operations Limited au terme de ses conclusions d'intimée, et tendant à solliciter la réformation partielle du jugement querellé en ce qu'il a admis la compétence du t ribunal de commerce de Marseille pour statuer sur le litige, et en ce qu'il a reconnu l'application du droit français au présent litige, est irrecevable ou à tout le moins malfondé ;

- DEBOUTER la société Microsoft Ireland Operations Limited en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et en particulier de son appel incident formalisé au terme de ses dernières conclusions d'intimée ;

- INVITER le cas échéant, avant-dire droit, les parties à conclure sur le fondement du droit anglais, dans l'hypothèse où la Cour confirmerait la compétence des juridictions françaises, mais venait néanmoins à estimer le droit anglais applicable au fond du litige ;

SUR LE FOND :

A titre liminaire :

- CONSTATER qu'au terme de ses conclusions d'intimée, la société Microsoft Ireland Operations Limited ne formule dans son dispositif aucune demande de confirmation du jugement du 14 septembre 2021, en particulier en ce qu'il a débouté la société Premium Audiotel de ses demandes fondées sur la rupture brutale des relations commerciales, et rupture abusive du contrat, et sur les frais irrépétibles et les dépens,

- DIRE ET JUGER en conséquence que n'étant saisie d'aucune demande de confirmation du jugement sur ces points, la Cour ne pourra que réformer le jugement sur les points dont l'infirmation est sollicitée par la société Premium Audiotel ;

- INFIRMER en conséquence le jugement du 14 septembre 2021 rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions portant grief à l'appelante, et notamment en ce qu'il a :

* Dit que la clause des Politiques Microsoft Advertising en vertu de laquelle Microsoft Ireland Operations Limited peut refuser ou supprimer une annonce et désactiver un compte à sa seule discrétion n'est pas constitutive de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

* Constaté l'absence de rupture des relations commerciales en l'état entre la SAS PREMIUM AUDIOTEL et Microsoft Ireland Operations Limited, celle-ci étant actuellement simplement suspendues ;

* Débouté la SAS Premium Audiotel de toutes ses demandes, fins et conclusions,

* Condamné la SAS Premium Audiotel à payer la somme de 5 000 euros à Microsoft Ireland Operations Limited au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* Condamné la SAS Premium Audiotel aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile ;

En toutes hypothèses :

- DIRE ET JUGER que la société Microsoft Ireland Operations Limited a commis une rupture brutale de relation commerciale établie au préjudice de la société Premium Audiotel ;

- INFIRMER en conséquence le jugement du 14 septembre 2021 rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions portant grief à l'appelante, et notamment en ce qu'il a :

* Dit que la clause des Politiques Microsoft Advertising en vertu de laquelle Microsoft Ireland Operations Limited peut refuser ou supprimer une annonce et désactiver un compte à sa seule discrétion n'est pas constitutive de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

* Constaté l'absence de rupture des relations commerciales en l'état entre la SAS Premium Audiotel et Microsoft Ireland Operations Limited, celle-ci étant actuellement simplement suspendues ;

* Débouté la SAS Premium Audiotel de toutes ses demandes, fins et conclusions,

* Condamné la SAS Premium Audiotel à payer la somme de 5 000 euros à Microsoft Ireland Operations Limited au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* Condamné la SAS Premium Audiotel aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile ;

ET STATUANT A NOUVEAU :

- DIRE ET JUGER que la société Microsoft Ireland Operations Limited a rompu brutalement sa relation commerciale établie avec Premium Audiotel, et engage sa responsabilité à son égard ;

- DIRE ET JUGER que la clause des Politiques Microsoft Advertising en vertu de laquelle Microsoft peut refuser ou supprimer une annonce et désactiver un compte à sa seule discrétion crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

- DIRE ET JUGER que cette même clause constitue une violation du Règlement n° 2019/1150 du 20 juin 2019 ;

A titre principal :

- CONDAMNER la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société Premium Audiotel la somme de 235.830 euros au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie ;

- CONDAMNER la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société Premium Audiotel la somme de 1.895.900 euros au titre de la réparation de la perte de son fonds de commerce ;

- DIRE que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation introductive,

A titre subsidiaire :

- ORDONNER la désignation de quelque expert financier que ce soit inscrit sur la liste de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence aux fins de chiffrage du préjudice subi par la société PREMIUM AUDIOTEL du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société Microsoft Ireland Operations Limited ;

- CONDAMNER la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer, à titre provisionnel, à faire valoir sur son préjudice final, à la société Premium Audiotel la somme de 680 000 euros au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie ;

- DIRE que les frais d'expertise seront à la charge de la société Microsoft Ireland Operations Limited ;

- SURSEOIR à statuer dans l'attente du rapport d'expertise financière ;

EN TOUTES HYPOTHESES :

- DEBOUTER la société Microsoft Ireland Operations Limited en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- CONDAMNER la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société Premium Audiotel la somme de 50.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Microsoft Ireland Operations Limited aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise ;

- ORDONNER la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site internet https://www.bing.com/'cc=fr et ce aux frais de la société Microsoft Ireland Operations Limited ;

Par des dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 9 février 2024, Microsoft demande à la Cour, de :

Vu la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for,

Vu le Règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles,

Vu l'article L.442-1 du code de commerce et l'article 1171 du code civil,

Vu le Règlement n°2019/1150 du 20 juin 2019,

Vu les articles 564, 910-4 et700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée, Vu les pièces produites,

Il est demandé à la cour d'appel de Paris de bien vouloir :

In limine litis,

- RÉFORMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 14 septembre 2021 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige ; par voie de conséquence,

- RENVOYER Premium Audiotel à mieux se pourvoir devant une "High Court of Justice" localisée en Angleterre ou au Pays de Galles parce que l'article 13 du Contrat Microsoft Advertising qui désigne les "tribunaux d'Angleterre et du pays de Galles" pour tout "différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuels) ou [l']utilisation de Microsoft Advertising" est parfaitement valable et applicable ;

Sur le fond,

- RÉFORMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 14 septembre 2021 en ce qu'il a statué sur le fondement de dispositions de droit français manifestement inapplicables au litige, parce que l'article13 du Contrat Microsoft Advertising prévoit que "les lois d'Angleterre et du pays de Galles régissent le présent contrat, ainsi que toutes obligations non contractuelles découlant dudit contrat, les réclamations concernant sa violation et votre utilisation de Microsoft Advertising, sans égard aux principes des conflits de lois" ;

- DÉCLARER IRRECEVABLES les demandes nouvelles formulées par Premium Audiotel dans ses dernières écritures qui consistent à (i) "INVITER le cas échéant, avant-dire droit, les parties à conclure sur le fondement du droit anglais, dans l'hypothèse où la Cour confirmerait la compétence des juridictions françaises, mais venait néanmoins à estimer le droit anglais applicable au fond du litige", (ii) solliciter la condamnation de Microsoft Ireland Operations Limited à lui verser la somme de 235 830 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie et (iii) solliciter la condamnation de Microsoft Ireland Operations Limited à lui verser la somme de 1 895 900 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de son fonds de commerce ;

- CONFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 14 septembre 2021 en ce qu'il a constaté l'absence de rupture des relations commerciales entre Premium Audiotel et Microsoft Ireland Operations Limited ;

- DÉBOUTER Premium Audiotel de toutes ses demandes, fins et conclusions parce que la relation commerciale entre Premium Audiotel et Microsoft Ireland Operations Limited a été suspendue et non rompue et que cette suspension d'est ni abusive ni entachée de mauvaise foi ;

- En tout état de cause, CONDAMNER Premium Audiotel à payer à Microsoft Ireland Operations Limited la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2024.

MOTIVATION

Sur la compétence des juridictions françaises

Premium Audiotel soutient que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître du litige en raison de l'inopposabilité des conditions générales invoquées par Microsoft.

- L'imprimé écran fournit par Microsoft, dont l'origine est inconnue, ne démontre pas l'acceptation, par premium Audiotel des conditions générales.

- L'extrait de compte ouvert au nom de Premium Audiotel ne permet pas non plus de prouver l'acceptation de ces conditions.

- Premium produit une pièce 6, qui sont des conditions générales de Microsoft et les seules que Premium a acceptées. Ces conditions ne prévoient pas de clause attributive de juridiction au profit des juridictions anglaises.

Premium estime qu'en toute hypothèse, la clause serait inopposable au regard de la convention de la Haye de 2005 sur les accords d'élection de for.

- Le règlement Bruxelles I Bis n'est pas applicable au litige, dès lors que l'accord transitoire entre le Royaume-Uni et l'Union européenne prévoyait l'expiration de son application aux clauses désignant le Royaume-Uni à la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020. La présente action ayant été intentée postérieurement au 1er janvier 2021, il convient d'appliquer la convention de la Haye de 2005.

- L'article 6 de la convention de la Haye de 2005 prévoit que "Tout tribunal d'un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique, sauf si ['] c) donner effet à l'accord (') serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal saisi", c'est-à-dire, notamment lorsque la clause conduirait à écarter une loi de police impérative de l'ordre juridique français. Or, la Cour de cassation considère le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies comme une loi de police impérative, particulièrement dans le cadre de l'action du ministre, mais également sans faire de distinction, dans des arrêts récents.

- En toute hypothèse, l'article 6 c) de la convention n'exige pas la qualification de loi de police, mais simplement que l'application de la clause soit contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal choisi. Il n'est justement pas contesté que le régime de la rupture brutale est considéré comme étant d'ordre public.

- L'application de la clause pourrait constituer également une injustice manifeste au sens de l'article 6 de la convention dès lors que Premium se trouve dans une situation d'urgence et a dû assigner à jour fixe, que le contexte sanitaire au moment de l'introduction de l'instance n'était pas propice à des déplacements au Royaume-Uni, de même que le recours à un avocat local aurait entraîné un surcoût, outre, ainsi que l'a retenu le tribunal, la distance géographique favorisant Microsoft, qui est en position de force.

Premium soutient, enfin, que la clause est inapplicable au regard du principe d'application effective du droit européen.

- Les agissements de Microsoft constituent une violation du règlement n° 2019/1150 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne, qui impose au fournisseur d'intermédiation en ligne de préciser les motifs des décisions qu'elle prend à l'égard de ses utilisateurs, de donner un préavis au terme duquel la décision entre en vigueur et respecter les droits de la défense des utilisateurs. Ce règlement doit être considéré comme une disposition européenne impérative. Or, il n'est pas garanti que le juge anglais applique effectivement ces dispositions.

Microsoft rétorque que la relation commerciale la liant à Premium est exclusivement régie par le contrat Microsoft Advertising, qui a été accepté par Premium.

- La pièce 6 que communique Premium et qui serait les seules conditions générales qu'elle aurait acceptées constitue le Contrat de services Microsoft, lequel ne mentionne aucunement Microsoft Advertising parmi les services qu'il régit.

- L'extrait de compte communiqué par Microsoft démontre que Premium a coché et donc accepté les conditions générales.

- La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, reprise par la Cour de cassation, a validé la technique d'acceptation par "clic", qui constitue bien une transmission par voie électronique permettant de consigner durablement la convention, dès lors que la technique permet l'impression et la sauvegarde du texte préalablement à la conclusion du contrat.

Microsoft soutient, ensuite, que la clause attributive de juridiction est pleinement valable et applicable.

- L'article 1171 du code civil n'est pas applicable au litige : il ressort de la rédaction du texte et du rapport au Président que l'article n'a pas vocation à s'appliquer aux clauses abusives qui relèveraient déjà d'un des deux autres dispositifs existants du code de commerce et du code de la consommation en matière de clauses abusives. Or, la présente relation entre bien dans le champ d'application de l'article L. 442-1 du code de commerce, qui s'applique aux rapports entre un producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers.

- La clause attributive de juridiction n'est pas déséquilibrée : il n'est pas possible de retenir le prétendu caractère déséquilibré de la clause dès lors que cela reviendrait à apprécier la validité de la clause et par extension, la juridiction compétente selon des règles de fond. Or, aux fins de déterminer la juridiction compétente, seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en 'uvre. En outre, Premium est parfaitement en capacité de s'adresser aux juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles. Cela ne représenterait nullement un surcoût au regard des moyens de liaisons entre les pays et le déplacement physique n'est même pas nécessaire au vu des moyens de communication et des règles de procédures, permettant la visioconférence. Si la distance peut être prise en compte dans le cadre d'un litige avec un consommateur, tel n'est pas le cas avec une entreprise, a fortiori une entreprise avec les moyens de Premium.

- La clause est valide en application de la Convention de la Haye : elle est prévue par écrit, elle est rédigée en termes clairs, précis, en caractères apparents et dans le corps du contrat. En outre, au titre de la validité substantielle, seule la loi de l'Etat du tribunal élu entre en considération et non celle de la juridiction saisie à tort.

- L'application de la clause n'aboutirait à aucune injustice manifeste et ne serait pas manifestement contraire à l'ordre public français au sens de la Convention de la Haye.

* L'article L.442-1 du code de commerce n'est pas qualifié de loi de police dans un litige privé, mais seulement lorsque l'action est mise en 'uvre par le ministre de l'économie, au titre de sa mission de gardien de l'ordre public économique.

* L'éventuelle qualification de loi de police n'a aucun impact sur les clauses attributives de juridiction. Il ressort du rapport explicatif de la Convention que l'expression "manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal saisi" a vocation à viser les "normes ou principes fondamentaux de cet Etat". Il s'agit donc d'un seuil différent.

* Les clauses attributives de juridiction sont applicables aux allégations de rupture brutale d'une relation internationale, principe que la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises.

* La clause ne produit aucune injustice manifeste : selon le rapport explicatif de la convention, cette notion renvoie à une "situation exceptionnelle dans laquelle l'une des parties ne pourrait obtenir un procès équitable dans l'Etat étranger, éventuellement pour cause de partialité ou corruption" ou, le cas échéant, aux "circonstances particulières entourant la conclusion de l'accord - par exemple, s'il a résulté d'une fraude. Le niveau exigé est censé être élevé : la disposition ne permet pas à un tribunal de ne pas tenir compte d'un accord d'élection de for au seul motif qu'il ne serait pas contraignant en droit interne". Or, Premium ne démontre rien de tel et la " situation d'urgence " dont elle se prévaut n'est pas à même de justifier d'évincer la clause.

- Premium ne peut invoquer le principe d'application effective du droit européen dès lors que le règlement 2019/1150 qu'elle invoque n'est pas applicable à Microsoft Advertising. Microsoft n'exerce aucune des activités mentionnées au sein de l'article 1er du règlement. Au contraire, elle exerce une activité d'échanges publicitaires laquelle est expressément exclue de l'application du règlement par son article 1er, 3°. De même, Microsoft ne facilite pas l'engagement de transactions directes, car elle ne met pas en relation les entreprises utilisatrices et les consommateurs, mais les entreprises utilisatrices et les éditeurs.

Réponse de la Cour

La clause attributive de compétence opposée par Microsoft à Premium Audiotel qui figure à l'article 13 du contrat Microsoft Advertising applicable en 2021 (pièce 1 de Microsoft) intitulé "Droit applicable et lieu de règlement des différends est rédigée en ces termes :

"(')

Si votre siège social est situé en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique ("EMOA") les lois de l'Angleterre et du pays de Galles régissent le présent contrat, ainsi que toutes obligations contractuelles découlant dudit contrat, les réclamations concernant sa violation et votre utilisation de Microsoft Advertising sans égard aux principes de conflit des lois.

(')

Si un différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuel(s) ou votre utilisation de Microsoft Advertising venait à être entendu par un tribunal, le forum exclusif sera les tribunaux (a) d'Angleterre et du pays de Galles, si votre siège social est dans l'EMOA ;

(')".

Premium Audiotel soutient que cette clause ne lui serait pas opposable comme ne figurant pas sur le contrat qu'elle a souscrit le 28 novembre 2016 avec les services Bing Ads devenu Microsoft Advertising et qu'elle n'aurait pas accepté les conditions générales.

Cependant, ainsi que le fait valoir Microsoft, le contrat de services Microsoft produit par Premium Audiotel (sa pièce 6) ne mentionne pas Bing Ads ou Microsoft Advertising parmi les services qu'il régit.

En revanche, Microsoft établit que la création d'un compte Microsoft Advertising passe par l'acceptation des conditions générales du contrat par un simple clic.

Le préambule du contrat (version 2021) prévoit "Vous acceptez (le client) ce contrat en signant ou en passant une commande pour Microsoft Advertising ou en continuant d'utiliser le compte après avoir été avisé d'une modification au présent contrat".

Le contrat applicable lors de la souscription de Bing Ads par Premium Audiotel (version 2016 - pièce 15 de Microsoft) mentionnait déjà en son article 7 : "Votre utilisation de Big Ads après la prise d'effet des modifications vaudra acceptation des dites modifications" et l'article 9 "Loi applicable et tribunal compétent" dispose :

"(') En cas d'action en justice nous opposant, en rapport avec le présent Contrat, ou son applicabilité (y compris en cas de litige ou réclamations concernant la responsabilité contractuelle) ou votre utilisation de Bing Ads, nous acceptons la compétence exclusive des tribunaux de (a) l'Angleterre et du Pays de Galles, si votre siège social se trouve en Europe (')"

Par conséquent, Premium Audiotel, en créant un compte, a accepté les termes du contrat ainsi que toutes les mises à jour par l'utilisation continue des services de Microsoft Advertising.

Dès lors la clause attributive de compétence figurant à l'article 13 du contrat Microsoft qui est valide comme rédigée en termes clairs, précis, en caractères apparents et dans le corps du contrat, est opposable à Premium Audiotel.

Premium oppose encore que cette clause lui serait inopposable au regard de la convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for

Il est constant que le règlement Bruxelles I Bis n'est pas applicable au litige, s'agissant d'une action intentée postérieurement au 31 décembre 2020, conformément à l'accord transitoire entre le Royaume-Uni et l'Union européenne prévoyant l'expiration de son application aux clauses désignant le Royaume-Uni à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020.

Selon l'article 6 "Obligation du tribunal non élu" de la convention de la Haye du 30 juin 2005 applicable en l'espèce, "Tout tribunal d'un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique, sauf si ['] c) donner effet à l'accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal saisi".

Mais, Premium Audiotel ne démontre pas que donner effet à la clause attributive de compétence au profit des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles "aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal saisi".

En effet, même à admettre ainsi qu'il est soutenu la qualification de loi de police de l'article L 442-1 du code de commerce sur lequel est fondé l'action, cette circonstance serait indifférente à cet égard.

En effet, les clauses attributives de compétence s'appliquent dans l'ordre international, combien même des dispositions impératives constitutives de loi de police seraient applicables au fond du litige. (1ère Civ, 18 janvier 2017, n°15-26.105).

Et, il n'est pas établi, en quoi le renvoi devant les juridictions d'Angleterre et du pays de Galles heurterait les normes ou principes fondamentaux français.

De même, il n'est pas démontré en quoi l'application de la clause produirait une injustice manifeste comme ne permettant pas à l'intéressée d'obtenir un procès équitable.

A cet égard, la " situation d'urgence " invoquée est sans emport.

Il en est de même du surcoût entrainé par le recours à un avocat local, étant observé que la société ne justifie pas d'un état d'impécuniosité et que les moyens modernes de communication permettent d'éviter un déplacement dans le pays élu.

De même, le principe d'application effective du droit européen n'est pas de nature en tant que tel à faire obstacle à une clause d'élection de for, combien même il s'agirait de l'application d'une disposition impérative.

Et Premium Audiotel qui soutient que les agissements de Microsoft constitueraient une violation du règlement (UE) n° 2019/1150 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne, qui impose au fournisseur d'intermédiation en ligne de préciser les motifs des décisions qu'elle prend à l'égard de ses utilisateurs, de donner un préavis au terme duquel la décision entre en vigueur et respecter les droits de la défense des utilisateurs, soulève un moyen de fond relativement à l'application de ce règlement à Microsoft Advertising.

Par conséquent la clause d'élection de for, qui s'applique à un différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuel(s) ou à l'utilisation de Microsoft Advertising, est rédigée dans des termes suffisamment larges pour englober la rupture brutale des relations commerciales établies, rupture qui procède directement ou indirectement du contrat dans lequel elle est insérée, est opposable à la société Premium Audiotel dont le siège social est situé en Europe.

Il convient dès lors, sans avoir à se prononcer sur la loi applicable, infirmant le jugement de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Premium Audiotel qui succombe est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; elle est également déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée sur ce fondement à verser la somme de 5000 € sur ce fondement en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Premium Audiotel aux dépens et à payer la somme de 5 000 € à la société Microsoft Ireland Opérations Limited sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Se déclare incompétent ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Condamne la société Premium Audiotel aux dépens d'appel et à payer la somme de 5 000 € à la société Microsoft Ireland Opérations Limited sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires.