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Décisions

CA Riom, ch. com., 5 juin 2024, n° 22/02098

RIOM

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, Mme Berger

Avocats :

Me Constant, Me Gutton Perrin

TJ Clermont-Ferrand, ch1c1, du 13 mai 20…

13 mai 2022

ARRET :

Prononcé publiquement le 05 juin 2024, après prorogé du délibéré prévu initialement le 15 mai 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par acte du 29 janvier 2015, un contrat de bail précaire a été conclu entre Mme [M] [H], propriétaire et M. [W] [Y], locataire, pour une durée d'un an portant sur la période du 1er février 2015 au 31 janvier 2016

Ce bail portait sur un local de pizzas à emporter, situé [Adresse 7] (63), pour un loyer annuel de 4.800 €, payable en 12 échéances, soit un montant mensuel de 400 € pour une surface de 45 m2 en rez-de-chaussée.

Une promesse de vente portant sur l'immeuble loué était insérée au contrat de bail. Mme [H] s'engageait à vendre à M. [Y] l'immeuble loué pour la somme de 50.000 euros à son expiration. M. [Y] devait faire connaître son intention de mettre en 'uvre cette clause au plus tard un mois avant l'échéance du bail, soit le 1er janvier 2016. Il n'a formulé aucune revendication en faveur de celle-ci.

A échéance, la convention s'est poursuivie de manière tacite selon l'article L.145-5 alinéa 2, celle-ci étant arrivée à son terme sans que Mme [H] n'ait donné congé.

Par acte du 26 mai 2020, M et Mme [Y] ont fait assigner Mme [H] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, notamment aux fins de voir ordonner la conclusion du bail commercial et à défaut de voir prononcer une astreinte provisoire pour la régularisation de ce bail.

Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :

- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que M. [Y] est titulaire d'un bail commercial soumis au statut pour une durée de neuf ans à compter du 1er février 2016,

- dit que les clauses de ce bail, à l'exception de celles contraires aux dispositions d'ordre public du statut, sont maintenues,

- enjoint à Mme [H] d'établir un nouveau bail, sans astreinte, aux mêmes clauses et conditions que celui signé le 29 janvier 2015, obéissant au statut des baux commerciaux,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples,

- condamné Mme [H] à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [H] aux dépens.

Le tribunal a considéré que Mme [Y] n'avait pas la qualité de locataire, le contrat de bail ayant été conclu entre M. [Y] et Mme [H] ; que les parties avaient volontairement dérogé au statut des baux commerciaux, mais qu'en application des dispositions de l'article L145-5 du code de commerce, du fait du maintien dans les lieux de M. [Y] à l'expiration du bail dérogatoire, un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux s'était opéré.

Par déclaration du 28 octobre 2022, enregistrée le 31 octobre 2022, Mme [H] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées et notifiées le 25 juillet 2023, Mme [H] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du 13 mai 2022 ;

Statuant à nouveau :

- de débouter les époux [Y] de l'intégralité de leurs demandes et de leur appel incident ;

- de condamner les mêmes à lui verser la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de les condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir qu'aucune disposition légale ne permet de réclamer en justice la régularisation par écrit d'un bail commercial qui n'est par ailleurs pas contesté, et encore moins la régularisation d'un bail écrit reconduit tacitement.

Elle ajoute que le paiement du loyer à partir du compte de Mme [Y] ne saurait être créateur de droit au même titre que les quittances de loyer établies à son nom ne pouvaient à elles seules valoir reconnaissance de la qualité de locataire.

Enfin, s'agissant des clauses particulières, elle considère que le bail verbal est régulier et qu'aucun fondement juridique ne permet d'obliger au bailleur d'établir un bail écrit.

Par conclusions déposées et notifiées le 26 avril 2023, les époux [Y] demandent à la cour :

- de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 13 mai 2022 en ce qu'il a :

- dit que devait être conclu un bail commercial soumis au statut pour une durée de neuf ans à compter du 01 février 2016 ;

- enjoint à Mme [H] d'établir un nouveau bail, obéissant au statut des baux commerciaux,

- débouté Mme [H] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [H] à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [H] aux dépens.

Y ajoutant,

- de réformer le jugement en ce qu'il a :

- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que M. [Y] est titulaire du bail commercial ;

- dit que les clauses de ce bail, à l'exception de celles contraires aux dispositions d'ordre public du statut, sont maintenues,

- débouté M. [Y] de ses demandes plus amples.

En conséquence,

A titre principal,

- d'ordonner à Mme [H] la conclusion du bail commercial au profit de Mme [Y] ;

A titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le bail serait conclu au nom de M. [Y].

En tout état de cause :

- de dire et juger que le bail devra comporter les clauses suivantes.

- Le contrat de bail commercial concernera le local commercial d'une surface de 45 m2 situé [Adresse 7] sur la commune de [Localité 8] ainsi que les deux étages au-dessus,

- Les locaux susvisés seront destinés à l'usage de pizzeria / commerce de restauration,

- Le bail sera consenti et accepté moyennant un loyer mensuel de 400 euros, matériel compris, hors droits et charges que le preneur s'oblige à payer au bailleur le 10 de chaque mois,

- de prononcer, à défaut de la régularisation du contrat de bail, une mesure d'astreinte provisoire à hauteur de 150 euros par jour commençant à courir dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- de condamner Mme [H] à leur payer la somme de 4.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner Mme [H] aux dépens et faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de La SELARL Lexavoue [Localité 6] [Localité 4], prise en la personne de Maître Barbara Gutton.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que Mme [H] ne justifie d'aucun motif pour s'opposer à la rédaction d'un bail écrit.

Ils indiquent que Mme [Y] a repris l'activité de son époux et qu'en accord avec Mme [H] le bail s'est poursuivi à son profit.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2024.

MOTIVATION :

Les époux [Y] sollicitent devant la cour que le bail soit formalisé par écrit, et que Mme [Y] soit mentionnée en tant que locataire.

Sur le caractère écrit du bail commercial :

L'article L. 145-5 du code de commerce dispose que « Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.

Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local ».

Si à l'expiration du bail dérogatoire, le preneur reste et est laissé en possession pendant un mois, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce (Cass. Civ 3ème, 22 janvier 2003), cette règle étant applicable même si le bail dérogatoire est d'une durée inférieure à trois ans (Cass. Civile 3ème, 25 novembre 1975).

En l'espèce, chacune des parties admet le fait que le bail dérogatoire au statut des baux commerciaux s'est converti en bail commercial en application de l'article 145-5 du code de commerce.

Ce nouveau bail est soumis aux articles 145-1 et suivants du code de commerce.

Les dispositions des articles L. 145-1 et suivants ne soumettent la formation de ce contrat à aucune formelle. Ainsi, le bail commercial n'est soumis à aucune condition de forme particulière. La forme écrite n'est, en principe, pas exigée (Civ. 3e, 12 févr. 1985), sauf en matière de débits de boissons et de baux supérieurs à douze ans. Le contrat de bail commercial peut être verbal (Civ. 3e, 16 juin 2004), conclu par acte sous seing privé ou par acte authentique.

De plus, lorsqu'à l'expiration du contrat, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail, le statut des baux commerciaux s'applique automatiquement, se substituant au bail dérogatoire, et ce, aux mêmes conditions et clauses que celles du bail expiré, à défaut de nouvelles conventions (Civ. 3e, 10 juill. 1973).

En l'espèce, le bail initial, qui était dérogatoire, a été conclu par acte sous seing privé

Il convient ainsi de souligner :

- que l'article L. 145-5 du code de commerce ne soumet pas la conversion du bail dérogatoire en bail commercial à la rédaction d'un écrit, l'alinéa 2 de ce même article organisant le régime de la fin du bail dérogatoire ne mentionne d'ailleurs aucune formalisation du nouveau bail par écrit,

- que les dispositions relatives aux baux prévoient qu'un bail peut se faire par écrit ou verbalement (article 1714 du code civil),

- que plus généralement, les dispositions du code de commerce n'imposent pas de formalisme écrit s'agissant du bail commercial,

- que le bail se poursuit aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré de telle sorte qu'aucune confusion ne semble pouvoir naître de la situation

Par conséquent, il n'existe aucune disposition légale ou jurisprudentielle imposant de formaliser le bail commercial par écrit, y compris lorsqu'il résulte de la conversion d'un bail dérogatoire en bail commercial, de telle sorte que le premier juge ne pouvait formuler cette injonction à l'égard des parties.

Par conséquent, le jugement sera infirmé sur ce point et les consorts [Y] seront déboutés de leur demande sur ce point.

Sur la désignation de Mme [Y] comme locataire :

Mme [Y] entend être considérée comme titulaire du bail. Elle fait valoir que l'écrit doit être établi à son profit, Mme [H] ayant en effet admis le changement de titulaire depuis 5 ans révolus.

Mme [H] fait quant à elle valoir que si les loyers sont réglés à partir du compte de Mme [Y], cela ne saurait être créateur de droit à son profit dès lors qu'elle n'a jamais accepté une quelconque cession de bail.

L'article 1103 du code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

L'article 1104 du code civil dispose que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

L'article 1216 du code civil dispose que « un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé. Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte.

La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité ».

En l'espèce, il n'est pas contesté que les contractants mentionnés au sein du contrat de cession étaient désignés comme suit :

- Mme [H] (cédante)

- M. [Y] (cessionnaire).

Mme [Y] n'est pas partie à ce contrat. Elle ne justifie pas d'une « cession de bail » à son profit, acceptée par Mme [H]. Le fait que cette dernière ait indiqué dans les quittances de loyer avoir reçu le loyer de Mme [Y] ne signifie pas qu'elle acceptait que cette dernière devienne titulaire du bail commercial en remplacement de son époux. Pour être opposable au propriétaire l'accord allégué devrait résulter d'un écrit consacrant l'accord des parties et le consentement du propriétaire à une telle modification. Cette preuve n'étant pas rapportée le jugement sera confirmé sur ce point.

Enfin, il convient de rappeler que la cour n'a pas le pouvoir d'ordonner la modification du titulaire du bail, le contrat étant la chose des parties et restant soumis à ce titre à leur négociation et à leur accord.

Les consorts [Y] demandent à titre subsidiaire que soit confirmé la conclusion du bail commercial au profit de M. [Y], demande à laquelle il sera fait droit.

Par conséquent, la cour constate que le bail est établi entre M. [Y] et Mme [H] et que Mme [Y] sera déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes des consorts [Y]

Ils sollicitent l'inscription dans le bail écrit de nouvelles clauses concernant la situation juridique du contrat, la durée du bail, la cessation de bail, la désignation des locaux, et demandent à ce titre que la location porte également sur les deux étages supérieurs.

Mme [H] fait valoir que le bail est déjà régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce et qu'il est impossible d'imposer au bailleur d'autres conditions au bail initial qui fait la loi des parties.

Sur ce,

L'article 1103 du code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

L'article 1104 du code civil dispose que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

L'article 1193 du code civil dispose que « les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ».

La règle est en réalité et prévue comme telle par la législation que, lorsqu'à l'expiration du contrat, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail, le statut des baux commerciaux s'applique automatiquement, se substituant au bail dérogatoire, et ce, aux mêmes conditions et clauses que celles du bail expiré, à défaut de nouvelles conventions (Civ. 3e, 10 juill. 1973). De plus, les clauses qui ne seraient pas compatibles avec le statut des baux commerciaux deviennent caduques.

Il existe ainsi un principe d'intangibilité des contrats, qui suppose un nouvel accord entre les parties afin de modifier le contrat sauf tempéraments (clause prévue dans le contrat, prévu par la loi ou autorisé par la jurisprudence).

En l'espèce, au sein du contrat de cession, était stipulée une clause « bail dérogatoire » précisant la désignation des biens donnés à bail, la durée du bail, le loyer, le dépôt de garantie ainsi que la taxe foncière.

La désignation des biens est ainsi rédigée : « au rez-de-chaussée sur une surface de 45 m2 ».

Ce bail dérogatoire s'est automatiquement converti à son expiration (31 janvier 2016), en bail commercial.

En vertu des règles susmentionnées, le contrat se poursuit aux mêmes conditions et clauses prévues, sauf pour celles qui seraient incompatibles. La désignation des locaux loués est donc la même que celle prévue initialement.

En conséquence, elle ne prend pas en compte les deux étages supérieurs sollicités par les consorts [Y].

La cour ne peut se substituer à la volonté des parties et décider que le contrat porte sur les deux étages supérieurs alors même que le contrat est en cours, régulier et qu'il a été accepté par chacune des parties.

Le contrat qui lie les parties ne peut être modifié que par leur accord commun, aucun des tempéraments prévus par la loi ou la jurisprudence n'ayant ici vocation à s'appliquer.

Pour l'ensemble de ces raisons, il ne pourra être fait droit aux demandes des consorts [Y] ainsi qu'à la demande d'une astreinte, devenue sans objet.

Sur les autres demandes :

M et Mme [Y] succombant en leurs demandes seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de ne pas laisser à la charge de l'appelante la charge de ses frais de défense. M et Mme [Y] seront condamnés à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que M. [W] [Y] est titulaire d'un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux pour une durée de neuf années à compter du 1er février 2016

- dit que les clauses de ce bail, à l'exception de celles contraires aux dispositions d'ordre public sont maintenues ;

Statuant à nouveau :

Rejette la demande de M. [Y] tendant à voir enjoindre à Mme [H] d'établir, sous astreinte, un contrat de bail écrit ;

Condamne M. [W] [Y] et Mme [J] [N] épouse [Y] à verser à Mme [M] [H] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [W] [Y] et Mme [J] [N] épouse [Y] aux dépens de première instance et d'appel.