CA Rennes, 5e ch., 5 juin 2024, n° 23/06018
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Le Champion
Vice-président :
Mme Parent
Conseiller :
Mme Hauet
Par acte du 28 septembre 2009, M. [T] [Y] et Mme [L] [Z] épouse [Y] ont renouvelé le bail consenti à M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] d'un local à usage mixte, situé [Adresse 2].
Les locataires ne payant pas régulièrement les loyers échus, les demandeurs ont fait délivrer le 14 avril 2023 un commandement d'avoir à payer la somme de 43 355,81 euros.
Faisant valoir que le commandement est demeuré infructueux et invoquant les dispositions de la clause résolutoire insérée dans le bail, les époux [Y] ont fait assigner les locataires, par acte du 25 mai 2023, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes pour voir constater la résiliation dudit bail, voir ordonner l'expulsion des locataires et les voir condamner à leur payer à titre provisionnel sur le montant des loyers et charges impayés, et voir condamner à payer la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité au titre des frais non compris dans les dépens.
Par ordonnance en date du 28 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes a :
- constaté la résiliation du bail du 28 septembre 2009 avec toutes conséquences de droit et notamment, ordonné l'expulsion des époux [K] et de tous occupants de leur chef et sans délai, ce, au besoin avec 1'assistance de la force publique,
- condamné solidairement les époux [K] par provision à régler aux époux [Y] la somme de 44 932,64 euros au titre des sommes dues au 7 septembre 2023, outre le règlement, à compter de ce jour et jusqu'à la parfaite libération des lieux, d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamné les époux [K] au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens qui comprendront le coût du commandement du 14 avril 2023.
Le 20 octobre 2023, les époux [K] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 2 avril 2024, ils demandent à la cour de :
- les juger recevables et bien fondés en leurs écritures, fins et conclusion,
- réformer l'ordonnance de référé rendue le 28 septembre 2023 par le tribunal judiciaire de Nantes en ce qu'elle :
* a constaté la résiliation du bail du 28 septembre 2009 avec toutes conséquences de droits et notamment ordonné leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef et sans délai, ce, au besoin avec l'assistance de la force publique,
* les a condamnés solidairement par provision à régler aux époux [Y] la somme de 44 932,64 euros au titre des sommes dues au 7 septembre 2023, outre le règlement, à compter de ce jour et jusqu'à la parfaite libération des lieux, d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
* a rejeté tout autre demande plus ample ou contraire,
* les a condamnés au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens qui comprendront le coût du commandement du 14 avril 2023,
- retrancher les dispositions accordant aux époux [Y] l'assistance de la force publique et les condamnant par provision à régler aux époux [Y] une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
- constater l'existence d'une contestation sérieuse,
- débouter les époux [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner les époux [Y] à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les époux [Y] aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières conclusions notifiées le 3 avril 2024, les époux [Y] demandent à la cour de :
- confirmer la décision entreprise,
Y additant,
- condamner les époux [K] à leur payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les époux [K] en tous les dépens.
L'ordonnance de clôture à bref délai est intervenue le 3 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur les dispositions de l'ordonnance rendue ultra petita
Les époux [K] demandent de réformer la décision entreprise en ses dispositions relatives à l'assistance de la force publique dans le cadre de l'expulsion et à leur condamnation à régler par provision une indemnité d'occupation au motif que le premier juge a statué ultra petita au visa de l'article 5 du code de procédure civile.
Les époux [Y] n'ont pas conclu sur ce point.
Aux termes des dispositions de l'article 5 du code de procédure civile, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
En l'espèce, il est constant que les époux [Y] n'ont pas sollicité le recours à la force publique dans leur demande d'expulsion et n'ont pas formulé de demande d'indemnité d'occupation de sorte que le premier juge, en accordant aux époux [Y] l'assistance à la force publique et en condamnant les époux [K] par provision à une indemnité d'occupation du montant du loyer, a statué ultra petita. La décision sera infirmée en ses dispositions.
- Sur l'existence de contestations sérieuses
Les époux [K] invoquent l'existence de contestations sérieuses justifiant de débouter les époux [Y] de leur demande de constat de résiliation de bail et de demande de provision. Ils font valoir que le juge des référés ne peut constater l'acquisition de la clause résolutoire d'un bail s'il doit trancher au fond la contestation sérieuse afférente à la réunion ou non des conditions de l'exception d'inexécution de nature à faire obstacle à l'obligation de paiement des loyers.
Ils reprochent à la décision entreprise de ne pas avoir tenu compte du caractère indécent du logement, objet du bail litigieux, et considèrent que les bailleurs n'ont pas délivré le commandement du 14 avril 2023 de bonne foi. Ils exposent que, malgré le rapport de contrôle de l'ARS et l'arrêté préfectoral de juillet 2018, il résulte du rapport d'expertise judiciaire de M. [U] du 20 juillet 2022 que les bailleurs ont délibérément refusé de réaliser les travaux qui auraient permis de rendre le logement décent.
Ils indiquent qu'ils ont été contraints de quitter l'habitation en juillet 2018 et n'ont jamais pu y revenir depuis de sorte que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance en ce que la destination mixte du bail n'a pas été respectée. Ils précisent qu'ils ont continué à régler les loyers jusqu'en janvier 2020 et que postérieurement 'la rétention du loyer était destinée à faire réagir les bailleurs'. Ils disent que suite à la réalisation des travaux attendus depuis 5 ans, ils ont mis fin à la rétention du loyer et ont effectué des paiements dont les bailleurs ne font pas état.
S'agissant de la réalisation des travaux, ils contestent avoir fait obstacle à leur réalisation et contestent les pièces produites par les bailleurs.
Ils évaluent leur préjudice à la somme de 66 500 euros correspondant aux loyers versés, aux trajets entre leur logement et le local commercial et l'achat d'un nouveau véhicule.
Ils ajoutent que la mauvaise foi des bailleurs apparaît dans le décompte joint au commandement qui ne mentionne pas les intérêts de la créance de restitution prononcée en leur faveur par la décision du juge des loyers commerciaux le 13 février 2023 mais également lorsqu'ils n'ont pas tenu compte du jugement du tribunal de commerce du 23 février 2022 qui a retenu que le bâtiment était vétuste et que la créance des bailleurs était contestée.
Les époux [Y] sollicitent la confirmation de l'ordonnance.
Ils font valoir que les loyers sont impayés depuis décembre 2019 et que les locataires restent redevables d'une somme de 43 355,81 euros arrêtée en avril 2023 après déduction d'une somme de 241,75 euros ayant déjà donné lieu à condamnation suite à une précédente ordonnance de référé. Ils indiquent que le montant du loyer renouvelé a été fixé à 11 225 euros HT par décision du 13 février 2023 soit une somme très proche de celle proposée par eux, la demande de baisse significative du loyer des locataires ayant été rejetée. Ils exposent que la cause du commandement n'a pas été réglée dans le délai d'un mois de sorte que la clause résolutoire est acquise.
Ils reprochent aux époux [K] d'avoir systématiquement adopté une attitude dilatoire et d'invoquer l'état des lieux de 2018 alors qu'ils ont réalisé de nombreux travaux. Ils exposent que l'indécence invoquée par les locataires, pour justifier leur départ de la partie habitation, n'a jamais été constatée par les experts judiciaires, M. [U] ou Mme [W], celle-ci ayant été désignée pour évaluer la valeur locative du bien. Ils affirment que les époux [K] ont quitté le logement pour des raisons personnelles. Ils ajoutent qu'ils ont fait systématiquement obstacle aux entreprises mandatées pour réaliser des travaux.
Ils précisent que les époux [K] ne justifient pas avoir effectué des paiements s'imputant sur la cause du commandement et que les rares paiements qu'ils ont effectués, ont été affectés, comme il se doit, sur la dette la plus ancienne comme ils l'ont mentionné dans le décompte qu'ils présentent.
Aux termes des dispositions de l'article 864 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux et de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Aux termes des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans tous les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le bail commercial renouvelé conclu le 28 septembre 2009 comprend une clause résolutoire ainsi rédigée 'à défaut pour le locataire d'exécuter une seule des charges et conditions du présent bail, qui sont toutes de rigueur, ou de payer exactement à son échéance un seul terme du loyer, le présent bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit et sans aucune formalité judiciaire, un mois après le un simple commandement de payer ou d'exécuter contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause et demeuré sans effet pendant ce délai.'
Les époux [Y] ont délivré aux époux [K] un commandement de payer des loyers commerciaux en date du 14 avril 2023 pour un montant en principal de 43 355,81 euros.
Il n'est pas contesté que les causes de ce commandement n'ont pas été totalement apurées.
Faute d'avoir payé ou contesté les sommes visées au commandement dans le délai imparti, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail sauf à démontrer le sérieux des contestations sur le bien fondé des demandes en paiement des sommes qui figurent sur le commandement.
Les époux [K] invoquent l'exception d'inexécution pour faire obstacle à leur obligation de payer le loyer. Il leur appartient en conséquence de rapporter la preuve de l'existence de cette contestation sérieuse.
Il convient de relever que l'exception d'inexécution soulevée par les époux [K] ne porte que sur la partie habitation. Il n'est pas contesté que les locataires continuent d'exploiter la boulangerie qui se trouve dans le local commercial donné à bail de sorte que l'exception d'inexécution ne porte pas sur l'ensemble du local donné à bail.
Les locataires versent aux débats à ce titre :
- le rapport de contrôle de l'ARS du 19 juillet 2018 qui indique que le logement présente un danger imminent pour la santé et la sécurité des occupants et préconise de mettre en sécurité l'installation électrique aux normes et de supprimer le risque d'intoxication au monoxyde de carbone lié à l'absence d'amenée d'air dans la pièce où se situe la gazinière. Le rapport relève également des moisissures au niveau des murs et des fenêtres de la salle d'eau, de la buanderie, du salon et des chambres, les murs étant humides dans le logement.
- l'arrêté préfectoral du 26 juillet 2018 qui met en demeure les époux [Y] de mettre en sécurité l'installation électrique aux normes et de supprimer le risque d'intoxication au monoxyde de carbone dans un délai de 15 jours.
- le rapport de visite de contrôle de l'ARS du 15 octobre 2018 qui constate que les travaux d'urgence ont été réalisés partiellement, que les travaux de mise aux normes électriques ont été effectués mais que la création d'une amenée d'air n'a pas été réalisée
Toutefois, il résulte des pièces produites par les bailleurs que :
- l'expertise judiciaire de M. [U] du 20 juillet 2022, ordonnée par décision de référé du 7 janvier 2021 suite à la demande des époux [K] se plaignant de désordres dans le local donné à bail, que le gros oeuvre ne présente pas de signe d'alerte de désorganisation structurelle, que l'électricité est à remettre à niveau en matière de protection contre les chocs électriques, que la ventilation n'est pas conforme et qu'une solive du grenier doit être rescellée.
- l'expertise judiciaire de Mme [W] du 28 février 2022, réalisée dans le cadre de la procédure de fixation du loyer du bail renouvelé, décrit les locaux comme présentant une qualité architecturale 'ordinaire', une qualité technique 'bonne' et retient que les locaux présentent un état courant, sans équipement ou aménagement récent (absence d'isolation, aménagement limité pour la cuisine).
- le jugement du juge des loyers commerciaux du 13 février 2023 a retenu que la partie habitation était habitable au vu de la visite des locaux par l'expert judiciaire, Mme [W] et par les photographies de l'expertise.
- un courrier de la société OSE du 29 avril 2019 qui indique avoir remis la ventilation aux normes et une facture de la même société du 2 février 2024 sur la modification de la ventilation.
- les courriers de plusieurs entreprises mandatées pour réaliser des travaux qui font état du refus par les locataires d'accéder aux locaux.
Il résulte de ces éléments que les époux [K] ne démontrent pas que les locaux loués ont été rendus impropres à l'usage auxquels ils étaient destinés et notamment qu'ils étaient dans l'impossibilité d'habiter dans la partie habitation des locaux donnés à bail
Il convient en conséquence de dire que l'exception d'inexécution que les appelants allègue ne constitue pas une contestation sérieuse. L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire et ordonné l'expulsion des locataires.
S'agissant du montant de la provision allouée, la cour constate que son montant n'est pas contesté, les époux [Y] indiquant qu'ils ont mis fin à la 'rétention du loyer' suite à la réalisation des travaux. Par ailleurs, les versements qu'ils allèguent (28 novembre 2023, 3 janvier 2024, 16 janvier 2024, 4 mars 2024 ) sont postérieurs à la date à laquelle la somme allouée de 44 932,64 euros a été arrêtée s'agissant des sommes dues au 7 septembre 2023. La décision entreprise sera confirmée quand à la provision allouée.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant en leur appel, les époux [K] seront condamnés à verser la somme de 3 000 euros aux époux [Y] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel et aux entiers dépens d'appel. Les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
- accordé l'assistance de la force publique à M. [T] [Y] et à Mme [L] [Z] épouse [Y],
- condamné M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] à régler par provision une indemnité d'occupation égale au montant du loyer à compter de la décision et jusqu'à la parfaite libération des lieux,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à accorder l'assistance de la force publique à M. [T] [Y] et à Mme [L] [Z] épouse [Y] et n'y avoir lieu à condamner M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] à régler par provision une indemnité d'occupation égale au montant du loyer ;
Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus ;
Y ajoutant,
Déboute M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] du surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;
Condamne M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] à payer à M. [T] [Y] et à Mme [L] [Z] épouse [Y] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;
Condamne M. [O] [K] et Mme [R] [X] épouse [K] aux entiers dépens d'appel.