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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 6 juin 2024, n° 20/07238

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 20/07238

6 juin 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 06 JUIN 2024

N° 2024/106

Rôle N° RG 20/07238 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGDJB

[N] [S]

C/

[R] [Y]

[I] [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Danielle DEOUS

Me Fabien BARNOIN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 22 Janvier 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 2017J00077.

APPELANT

Monsieur [N] [S]

né le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 9] (83)

demeurant [Adresse 6]

représenté et assisté de Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON, plaidant

INTIMES

Monsieur [R] [Y]

né le [Date naissance 5] 1977 à [Localité 8] (13),

demeurant [Adresse 3]

représenté et assisté de Me Fabien BARNOIN, avocat au barreau de TOULON, plaidant

Monsieur [I] [G]

né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 7] (83), demeurant [Adresse 2]

représenté et assisté de Me Fabien BARNOIN, avocat au barreau de TOULON, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Avril 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024,

Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [N] [S], M. [R] [Y] et M. [I] [G] avaient pour projet de constituer une société holding dénommée Ansena et de devenir associés à parts égales.Des statuts avaient initialement été établis en ce sens le 30 octobre 2013.

Ce projet initial n'a pas pu aboutir, car, lors de l'étude du dossier de crédit par la banque fin 2013, il est apparu que M. [N] [S] avait été inscrit au fichier des incidents de paiement de la Banque de France.

Le 27 janvier 2014, les parties ont modifié les statuts de la société Ansena et, élaborant un nouveau projet , ont prévu que M. [N] [S] ne serait plus associé au sein de la société et qu'il serait remplacé par M. [B] [O].

Pour permettre à Messieurs [Y] et [G] de financer leurs apports prévus par le projet de statuts du 27 janvier 2014 et de constituer la société Ansena au sein duquel ils voulaient être associés, M. [N] [S] a accepté de leur prêter des sommes d'argent, soit

25 000 euros à chacun.

Pour concrétiser ces prêts, les parties ont conclu , le 10 mars 2014, deux actes de prêts sous seing privés, intitulés « reconnaissance de dette' aux termes duquel il est prévu que M. [N] [S] avance à M. [R] [Y] et M. [I] [G], la somme de 25 000 euros à chacun et ce 'pour les besoins de l'acquisition de parts sociales d'une société en cours de formation'.

Les prêts étaient stipulés sans intérêt.

Les virements des deux sommes prêtées de 25 000 euros étaient effectués par M. [N] [S] au profit de chacun des deux coemprunteurs, par ordres du lendemain, le 11 mars 2014.

Le 12 mars 2014, la banque Cic Lyonnaise de banque attestait du dépôt en ses comptes du capital de la société Ansena en cours de formation, décomposé comme suit :

- M.[R] [Y] : 3000 parts à 30 000 euros,

- M. [I] [G] : 3000 parts à 30 000 euros,

- M. [B] [O] : 60 parts à 600 euros.

Le 25 mars 2014, les statuts de la société Ansena, nouvellement constituée, étaient déposés au greffe du tribunal de commerce de Toulon.

Un litige s'est noué entre M. [N] [S] d'une part, Messieurs [R] [Y] et [I] [G] d'autre part concernant le remboursement des sommes prêtées et plus particulièrement concernant la forme que devait prendre le remboursement d'une partie des sommes prêtées.

Les coemprunteurs ont en effet chacun remboursé une somme de 10 000 euros en numéraires conformément aux stipulations contractuelles, mais, concernant le reliquat restant dûs (soit 15 000 euros pour chacun), les parties étaient en désaccord sur la forme que devait prendre ce remboursement : pour le prêteur, les 15 000 euros devaient lui être restitués sous forme de parts sociales de la société Ansena, tandis que pour les emprunteurs, ces remboursements devaient intervenir sous la forme de numéraires.

Les coemprunteurs ont refusé de céder des parts sociales de la société Ansena à M. [N] [S] et ont chacun consigné le solde restant dû ( 15 000 euros x2) sous forme de numéraires

sur un compte CARPA les 23 et 24 janvier 2017.

Un second litige s'est noué entre les parties concernant un autre prêt que M. [N] [S] soutient avoir également de nouveau accordé à Messieurs [R] [Y] et M. [I] [G], le 18 janvier 2016, à hauteur de 1660 euros à chacun d'entre-eux, afin, selon lui, qu'ils puissent racheter le fonds de commerce dénommé 'le bar de la Poissonnerie' au travers de la société Le Labo.

Une première procédure a opposé les parties devant le juge des référés du tribunal de commerce de Toulon concernant le remboursement des sommes résiduelles de 15 000 euros dues par Messieurs [R] [Y] et [I] [G].

Par actes d'huissier de justice du 30 décembre 2016, M. [N] [S] a en effet fait assigner ses codébiteurs devant le juge des référés du tribunal de commerce de Toulon pour demander de maintenir sous séquestre judiciaire les parts sociales de la société Ansena.

Par ordonnance de référé du 5 avril 2017, confirmée en toutes ses dispositions par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 31 octobre 2017, le juge des référés de Toulon s'est déclaré incompétent au profit du juge des fonds.

Pour se déterminer ainsi la cour d'appel relevait :

- M. [N] [S] ne justifiait pas détenir présentement un titre de promesse de cession des parts sociales qu'il revendiquait au regard des termes contestés des deux actes sur lesquels il se fondait, qualifiés expressément par les parties de reconnaissance de dette au profit du prêteur,

- que M. [N] [S] ne caractérisait pas l'existence d'un risque de péril portant sur la disparition des parts sociales

Par acte d'huissier de justice du 31 janvier 2017, M. [N] [S] a fait assigner Messieurs [R] [Y] et [I] [G] devant le tribunal de commerce de Toulon.

Il sollicitait en particulier la vente forcée à son profit de parts sociales détenues par les emprunteurs au sein de la société Ansena à titre de remboursement du reliquat des prêts.

Par jugement du 22 janvier 2020 , le tribunal de commerce de Toulon a statué en ces termes :

- vu les articles 1134, 1382 et suivants du code civil, 700 du code procédure civile,

- dit que le remboursement des sommes prêtées par M. [S] [N] devant se faire en nature par la cession de parts sociales de la SARL Ansena sont qualifiés de promesse de vente et d'achat ,

mais,

- dit qu'à la conclusion de ces actes M. [R] [Y] [R] et M. [I] [G] [I] ont été induits en erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession ,

et

- remet les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant la signature des actes ,

- déboute M. [N] [S] de ses demandes concernant la vente forcée à son profit des parts

sociales de la SARL Ansena détenues par M. [R] [Y] et M. [I] [G],

- condamne M. [R] [Y] à payer à M. [N] [S] la somme de l6.600 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter du délai de 1 mois après la signification du jugement à venir, nonobstant appel éventuel ,

- condamne M. [I] [G] à payer A M. [N] [S] la somme de l6.600 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard, A compter du délai d' 1 mois après la signification du jugement à venir, nonobstant appel éventuel,

- autorise M. [N] [S] à déconsigner à son profit auprès de la CARSAT de [Localité 9] la somme de 30 000 euros et dit que cette déconsignation viendra en compensation de la somme de 33.200 euros due solidairement par M. [R] [Y] et M. [I] [G],

- condamne solidairement M. [R] [Y] et M. [I] [G] à payer à M. [N] [S] la somme de 10.000 euros au titre du préjudice subi et le déboute du surplus de sa demande,

à ce titre,

- condamne solidairement M. [R] [Y] et M. [I] [G] à payer à M. [S] [N] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute les parties du surplus de leurs demandes,

- condamne solidairement M. [R] [Y] et M. [I] [G] aux entiers dépens liquides A la somme de 99,32 euros T.T.C., dont T.V.A. 16,55 euros (non compris les frais de citation),

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a d'abord retenu que les actes du 10 mars 2014 conclus entre les parties intitulés ' reconnaissance de dette'devaient être qualifié de promesse de vente et d'achat, précisant que le remboursement des sommes prêtées par M. [N] [S] devait se faire en nature par la cession de parts sociales de la société.

Même si le tribunal estimait que les deux actes du 10 mars 2014 étaient des promesses de vente et d'achat des parts sociales de la société Ansena, il rejetait les demandes de M. [N] [S] de demandes concernant la vente forcée des parts sociales de la société Ansena à son profit.

Le tribunal considérait en effet que Messieurs [R] [Y] et [I] [G] avaient été induits en erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession et que les parties devaient être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la signature des actes.

En conséquence , concernant le remboursement des prêts accordés par M. [N] [S], le tribunal condamnait Messieurs [Y] et [G] à payer à ce dernier le reliquat des sommes dues (15 000 euros X 2) au titre des deux prêts principaux. Le tribunal retenait également l'existence de prêts supplémentaires de 1660 euros chacun faits par M. [N] [S] également au profit des mêmes et prononçait également une condamnation en ce sens.

Pour faire droit à la demande de M. [N] [S] de dommages-intérêts pour préjudice moral (tout en la limitant à 10 000 euros), le tribunal retenait que :

- les parties avaient prévu de s'associer à parts égales pour l'acquisition de la société Le Bar à thym',

- même si M. [N] [S] n'avait pas pu devenir associé et caution des prêts consentis, il avait participé financièrement et par son travail à l'expansion de la société Ansena jusqu'à la fm de son contrat de travail,

- sans les erreurs figurant sur les actes de prêts, M. [N] [S] serait devenu associé à part égale avec M. [R] [Y] [R] et M. [G] [I] de la société Ansena.

M. [N] [S] a formé un appel le 31 juillet 2020.

La déclaration d'appel est ainsi rédigée : 'appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : il est demandé l'infirmation du jugement rendu en ce qu'il a

- considéré que les erreurs matérielles contenues dans l'acte qualifié de promesse devente et d'achat avaient induit en erreur Messieurs [Y] et [G],

- en conséquence, remis les parties en l'état où elles se trouvaient avant la signature des actes - débouté M [S] [N] de ses demandes concernant la venteforcée à son profit des parts sociales de la SARL Ansena détenues par M [Y] [R] et M [G] [I],

- débouté M [S] [N] du surplus de ses demandes.'

La procédure a été clôturée par ordonnance prononcée le 12 mars 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2024 , M. [N] [S] demande à la cour de :

vu les articles 1156,1157, 1184, 1589 et 1961 du code civil,

à titre principal,

- déclarer recevable et bien fondé l'appel de M. [N] [S],

- confirmer le jugement dont appel ayant qualifié l'acte intitulé « reconnaissance de dette » de promesse de vente de parts sociales.

- infirmer le jugement dans sa disposition retenant l'existence d'une erreur ayant vicié le consentement des emprunteurs Messieurs [Y] et [G],

en conséquence,

- ordonner la vente forcée au profit de M. [N] [S] des parts sociales suivantes :

- l'équivalent de la somme de 15 000 euros à la valeur nominale déclarée dans les

statuts constitutifs (10 euros la part) : 1 500 parts sociales détenues par M.

[G] dans le capital de la SARL Ansena, n° 4500 à 6000 inclus,

- l'équivalent de la somme de 15 000 euros à la valeur nominale déclarée dans les statuts

constitutifs (10 euros la part) : 1 500 parts sociales détenues par M. [R] [Y]

dans le capital de la SARL Ansena, n° 3001 à 4500 inclus,

- de sorte que M. [S] se voit garanti de préserver l'assiette de sa

contestation, portant sur un total de 3 000 parts sociales de la SARL Ansena,

- désigner tel mandataire ad hoc qu'il plaira à la cour, qui recevra pour mission de :

- convoquer une assemblée générale extraordinaire comprenant la résolution de constater l'attribution judiciaire au profit de M. [S] des parts sociales détenues par M. [I] [G] dans le capital de la SARL Ansena, n ° 4500 à 6000 inclus, et celles détenues par M. [R] [Y] n o 3001 à 4500 inclus,

- procéder à la modification des statuts et aux formalités subséquentes,

- juger que les honoraires du mandataire ad hoc désigné et tous les frais de la cession de

parts seront à la charge de Messieurs [G] et [Y], qui se verront solidairement

condamnés à rembourser ces frais avancés par M. [S], sur présentation de

justificatifs et ce sous astreinte,

à titre subsidiaire,

- condamner M. [R] [Y] à rembourser à M. [S] les sommes prêtées lors de la constitution des sociétés Ansena et le Labo, soit au total 16 660 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance,

- condamner M. [I] [G] à rembourser à M. [S] les sommes prêtées lors de la constitution des sociétés Ansena et le Labo, soit au total 16 660 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance

en toute hypothèse,

- confirmer la décision rendue par le tribunal de commerce ayant condamné solidairement Messieurs [G] et [Y] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi par M. [S],

- condamner solidairement Messieurs [G] et [Y] à verser M. [S] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile , ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, y compris les frais de timbres fiscaux.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 8 mars 2024, Messieurs [R] [Y] et [I] [G] demandent à la cour de :

vu les articles 1109 et 1110 (anciennes numérotations) du code civil,

à titre principal,

- déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par M. [R] [Y] et M. [I] [G],

- réformer le jugement en qu'il a qualifié l'acte de promesse de vente et d'achat,

- réformer le jugement en qu'il a condamné M. [R] [Y] et M. [I] [G] au paiement de la somme de 10 000 euros à M. [S] au titre d'un préjudice moral non caractérisé,

- juger que l'acte conclu entre M. [S] [N] et Messieurs [R] [Y] et [I] [G] doit être qualifié de reconnaissance de dette et ne peut être qualifiée de promesse de vente et d'achat ,

- juger que M. [S] [N] ne peut prétendre qu'au remboursement de la somme de 30 000 euros qu'il a prêté à Messieurs [R] [Y] et [I] [G],

- juger que M. [S] [N] n'a pas été agrée par l'assemblée générale des associés de la société Ansena et qu'il ne peut prétendre à la qualité d'associé ,

- constater que cette somme de 30 000 euros est actuellement séquestrée sur compte CARPA ,

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement dans ses dispositions retenant l'existence d'une erreur ayant vicié le consentement de Messieurs [R] [Y] et [I] [G],

- juger qu'à la conclusion de cet acte Messieurs [R] [Y] et [I] [G] ont été induits en erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession,

- remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la signature de l'acte en

restituant prononçant la restitution de la somme de 30 000 euros à M. [N] [S],

- condamner M. [S] [N] à payer à M. [R] [Y] et M. [I] [G] la somme de 5000 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] [N] aux entiers dépens.

MOTIFS

1-sur la portée des actes de prêt du 10 mars 2014 intitulés 'reconnaissance de dette'

Selon l'article 1156 du code civil :On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.

L'article 1157 du même code ajoute :Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun.

En l'espèce, les parties s'opposent sur la qualification et la portée à donner aux deux actes de prêt conclus entre eux le 10 mars 2014 , étant précisé que chacun de ces actes a été intitulé 'reconnaissance de dette'.

Pour l'appelant, ces deux actes auraient, nonobstant leur appellation, une portée plus riche que celle laissée présumée par ladite appellation en ce qu'ils prévoient notamment :

- qu'il consent un prêt de 25 000 euros à chacun des deux cointimés,

- des modalités particulières de remboursement des prêts ainsi consentis , soit un remboursement de 10 000 euros en numéraire et un remboursement de 15 000 euros sous la forme d'une cession des parts sociales de la SCI Ansena.

Pour les cointimés, qui forment un appel incident en ce que le jugement qualifie l'acte de promesse de cession et d'achat de parts sociales, cet acte contient au contraire seulement une reconnaissance de dette de leur part en faveur de l'appelant.

Face à ces analyses divergentes des actes de prêt du 10 mars 2014, concernant les modalités de remboursement des sommes prêtées, la cour doit en examiner leur portée contractuelle.

Tout d'abord, ce n'est évidemment pas parce que ces deux actes ont comme titre celui de 'reconnaissance de dette'que cela signifie que leur contenu se limite nécessairement à une reconnaissance de dette. La portée de l'acte s'apprécie en effet au regard de l'intégralité des clauses stipulées par les parties, le contenu du titre n'étant pas prioritaire sur le reste de l'acte.

Par ailleurs, les cointimés font valoir que ces deux actes ont été rédigés par un avocat, ce qui ne signifie pas pour autant que leur interprétation de la portée de ces deux actes est la bonne.

Concernant la portée des deux actes litigieux quant aux modalités de remboursement du prêt de 25 000 euros accordé à chacun des cointimés, ces derniers contiennent les clause utiles suivantes:

- une clause intitulée 'montant et objet du prêt' laquelle stipule : 'le prêteur avance à l'emprunteur, la somme de 25 000 euros (...) Pour les besoins du financement de l'acquisition de parts sociales d'une SARL en cours de formation (...)',

- une clause intitulée '3° modalités de remboursement de la somme prêtée' en ces termes ::« Remboursement de la somme de 15 000 euros (Quinze mille euros) au plus tard dans les 12 mois suivant le virement opéré. Le remboursement de cette somme se fera en nature, par la donation ou la cession à 1 euros symbolique, de parts sociales détenues par L 'emprunteur dans la SARL Ansena, actuellement en cours de constitution.

Les parties conviennent d'ores et déjà que ce remboursement aura lieu avant la clôture de son premier exercice comptable, soit avant le 31 décembre 2015, les 15 000 euros correspondront donc 1 500 parts sociales de 100 euros chacune (valeur nominale).

En cas d'inexécution de la présente disposition avant le 31 décembre 2015, l'emprunteur se verra autorisé à demander en justice l'exécution forcée de la cession de parts, outre la prise en charge des frais de procédure et des dommages et intérêts à l'emprunteur défaillant. »

- remboursement de la somme de 10 000 euros (Dix mille euros) en numéraire, au plus tard dans les 5 années suivant le virement opéré, soit le 14 mars 2019. »

- une clause intitulée 'intervention à l'acte de M. [Y]/[G]' rédigée ainsi :' La société Ansena dont les statuts constitutifs demeurent annexés aux présentes, prévoient une clause d'agrément de tout tiers à la société ainsi stipulée :' Elles (les parts sociales) ne peuvent être cédées à titre onéreux ou gratuit, à quelque cessionnaire que ce soit, y compris les conjoints , ascendants ou descendants, qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié du capital sociale , cette majorité étant déterminée compte tenu de la personne et des parts de l'associé cédant'. M [R] [Y] (M. [I] [G]) intervient en conséquence pour agréer dès à présent M. [N] [S] , le 'prêteur' dans le capital de la société Ansena afin d'assurer l'effectivité des modalités de remboursement en nature du prêt à hauteur de 15 000 euros (...)',

Ce contenu contractuel, clair et précis, ne nécessite aucune interprétation, malgré quelques imprécisions et incohérences qui n'altèrent pas le sens général.

Ainsi, concernant la portée du contenu contractuel, les cointimés reconnaissent avoir bénéficié d'un prêt de 25 000 euros chacun qui leur a été octroyé, sans intérêt, par M. [N] [S]. Ensuite, concernant les modalités de remboursement des prêts, les parties ont décidé dans les actes de prêt du 10 mars 2014, qu'une partie de la dette ( à hauteur de 10 000 euros) serait remboursée en numéraire avant le 14 mars 2019 tandis qu'une autre partie (à hauteur de 15 000 euros) serait remboursée en nature sous la forme d'une cession au prêteur de parts sociales détenues par les coemprunteurs au sein de la société Ansena (et ce avant le avant le 31 décembre 2015).

Ces clauses litigieuses comportent tout à la fois concomitamment une reconnaissance de dette et une promesse de vente et d'achat de parts sociales.Le sens clair des clauses ci-dessus rappelé est corroboré par d'autres clauses du contrat et notamment par une clause qui prévoit qu'en cas de violation de leur engagement par les coemprunteurs, M. [N] [S] est autorisé à solliciter l'exécution forcée de la cession des parts. Si l'exécution forcée de la cession des parts lui est permise par l'acte du 10 mars 2014, c'est bien parce qu'il existe un engagement volontaire de la part des codébiteurs de céder à l'appelant leurs parts à titre de remboursement du reliquat du prêt.

C'est ainsi que le 3° alinéa 5 de l'acte de prêt stipule :'« En cas d'inexécution de la présente disposition avant le 31 décembre 2015, l'emprunteur se verra autorisé à demander en justice l'exécution forcée de la cession de parts, outre la prise en charge des frais de procédure et des dommages et intérêts à l'emprunteur défaillant. »

Surtout, les deux actes du 10 mars 2014 comportent les mentions manuscrites suivantes apposées par chacun des coemprunteurs : 'bon pour agrément de M. [N] [S] dans le capital de la société Ansena'.

Si Messieurs [I] [G] et [R] [Y] n'avaient pas la qualité d'associés au moment de l'acte litigieux du 10 mars 2014,en raison du fait que que les statuts n'étaient pas encore signés, que la société n'était pas immatriculée et que les apports n'avait pas encore été réalisé, cela n'enlève toutefois rien à l'existence d'un engagement de leur part de céder des parts sociales à leur prêteur une fois qu'ils seraient associés et que la société existerait.

Pour s'opposer à la reconnaissance d'une promesse de cession des parts sociales de leur part, les cointimés se prévalent de nombreuses incohérences ou imprécisions disséminées dans les actes du 10 mars 2014.

Concernant ces incohérences, il est exact que les deux actes du 10 mars 2014 évoquent un remboursement sous forme d'une donation ou d'une cession à un euro symbolique de parts sociales (au lieu simplement d'une cession), stipulent aussi que l'emprunteur peut demander en justice l'exécution forcée de la cession des parts ( au lieu de mentionner que c'est le prêteur qui peut faire une telle demande). Les deux actes commettent également une erreur de calcul , concernant la valeur des parts sociales devant être cédées à titre de remboursement d'une partie du prêt, en mentionnant par erreur que 'les 15 000 € correspondront donc à 1 500 parts sociales de 100 € chacune (valeur nominale). »

Cependant, il y a lieu de rappeler que, malgré ces indéniables imprécisions, le reste de l'acte est suffisamment précis et cohérent pour que le sens général ne soit pas altéré. En outre, comme le soutient M. [N] [S] ce n'est pas parce que les termes 'promettant', 'bénéficiaires', 'cédant' et 'cessionnaires' ne sont pas utilisés par l'acte que cela suffit à exclure l'existence d'une promesse de parts sociales à son profit.

En effet, les parties étaient libres d'utiliser le vocabulaire qu'elles souhaitaient pour exprimer l'existence de la promesse de cession de parts sociales au profit de l'appelant , étant précisé que les actes mentionnent non seulement l'obligation pour les coemprunteurs de procéder à un remboursement d'une partie du prêt , en nature , sous la forme d'une cession de parts sociales mais également l'agrément donné par chacun des coemprunteurs de M. [N] [S] dans le capital de la SARL Ansena.

Le jugement est confirmé en ce qu'il dit que le remboursement d'une partie des sommes prêtées par M. [N] [S] devait se faire en nature par la cession de parts sociales sauf à préciser que :

- les actes du 10 mars 2014 prévoyaient une promesse de cession des parts sociales d'une valeur de 15 000 euros,

- ce remboursement en nature concernait une partie seulement des sommes prêtées ( soit 15 000 euros pour chacun de deux coemprunteurs),

- les deux actes du 10 mars 2014 contenaient tout à la fois, entre-autres, une reconnaissance de dette et une promesse de cession de parts sociales.

2-sur l'erreur et le vice du consentement allégués concernant les actes du 10 mars 2014

Selon l'article 1109 du code civil dans sa version en vigueur jusqu'au 01 octobre 2016:

Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

L'article 1110 du même code ajoute :L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.Elle n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention.

Au soutien de leur demande tendant à ce qu'ils soient condamnés à restituer en numéraire à leur prêteur les sommes que ce dernier leur a prêtées le 10 mars 2014 , les cointimés estiment que le prêt est nul en raison de leur erreur ayant vicié leur consentement.

Selon eux, cette erreur est une erreur obstacle et elle concerne tant l'objet que le prix de la promesse de cession. Cette erreur résulte de la rédaction peu rigoureuse de l'acte et de ses nombreuses imprécisions et contradictions. Ils allèguent encore qu'en raison de cette erreur obstacle, l'acte doit être annulé et que cette nullité doit emporter restitution de la somme de 30 000 euros en numéraire et au total à M. [N] [S].

Au contraire, selon l'appelant, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu que les coemprunteurs avaient commis une erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession.

Il est de principe que l'erreur est une représentation erronée de la réalité.De plus, l'erreur dite obstacle, concerne une absence de consentement et une incompréhension mutuelle fondamentale concernant l'opération juridique même .

Concernant leur erreur, les intimés font valoir qu'ils n'ont jamais entendu céder leurs titres à Monsieur [S] et encore moins céder à ce dernier 50 % d'un holding détenant au travers de la société le Bar à Thym l'établissement éponyme qui génère un chiffre d'affaires au 31/12/2017 de 983 600 euros et 57 698 euros de résultat d'exploitation.

Cependant, en se limitant à affirmer qu'ils n'ont jamais voulu céder leurs titres à l'appelant, les intimés ne démontrent pas l'erreur de leur consentement. En particulier, ils ne précisent pas , s'ils ont réellement commis une erreur-obstacle, ce qu'ils ont alors compris de leur engagement.

Le sens général de actes du 10 mars 2014 est clair et précis. Dans les actes, il est fait mention, à plusieurs reprises, de la cession de parts sociales au profit du prêteur à titre de remboursement de la somme de 15 000 euros par chacun des coemprunteurs.

Ces deux actes indiquent encore à deux reprises -dont une fois sous la forme d'une mention manuscrite apposée de la main de Messieurs [R] [Y] et [I] [G] -que ces derniers donnent un agrément à M. [N] [S] pour entrer dans le capital social de la société Ansena

Les deux actes précisent encore expressément que l'entrée dans le capital social de M. [N] [S] permet 'd'assurer l'effectivité des modalités de remboursement du prêt à hauteur de 15 000 euros (...)'

Si l'acte stipule que le remboursement se fera en nature 'par la donation ou la cession à 1 euros symbolique, de parts sociales détenues par l'emprunteur dans la SARL Ansena', cette clause est immédiatement précisée par la clause suivante et qui est rédigée en ces termes :'Les parties conviennent d'ores et déjà que ce remboursement aura lieu avant la clôture de son premier exercice comptable, soit avant le 31 décembre 2015, les 15 000 euros correspondront donc à 1 500 parts sociales de 100 euros chacune (valeur nominale). »

Pour tenter d'étayer la thèse d'une erreur-obstacle, les cointimés se prévalent encore, en particulier, des imprécisions rédactionnelles suivantes de l'acte du 10 mars 2014 :

- d'une erreur matérielle affectant les actes du 10 mars 2014 en ce qu'ils indiquent en effet par erreur que 'les 15 000 euros correspondront à 1500 parts sociales de 100 euros',

- l'inversion des termes emprunteurs et prêteurs

Cependant, concernant tout d'abord l'erreur matérielle de calcul relativement aux parts sociales représentant une valeur de 15 000 euros , ces imprécisions ou incohérences mineures constituent une simple erreur de plume. En effet, les actes du 10 mars 2014 rappellent à deux reprises que les parts sociales promises par les cointimés doivent couvrir une partie de leur dette de remboursement et ce à hauteur précisément d'un montant de 15 000 euros.

Concernant ensuite les imprécisions rédactionnelles des actes du 10 mars 2014 en ce qu'ils inversent les termes 'emprunteur' et 'prêteur', il n'est pas établi en quoi cette inversion de termes aurait vicié le consentement des codébiteurs concernant leur engagement de vendre leurs parts sociales.

Ainsi, les cointimés, sur qui pèse la charge de la preuve des erreurs invoquées, échouent à démontrer le vice du consentement dont ils entendent se prévaloir.

Le jugement est infirmé en ce qu'il :

- dit qu'à la conclusion de ces actes M. [R] [Y] [R] et M. [I] [G] [I] ont été induits en erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession ,

et,

- remet les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant la signature des actes.

Statuant à nouveau, la cour rejette les demandes des cointimés de voir retenir une erreur ayant vicié leurs consentements et tendant à remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la signature de l'acte en prononçant la restitution de la somme de 30 000 euros à M. [N] [S].

3-sur l'efficacité juridique de la promesse de cession des parts sociales de la société Ansena au profit de l'appelant

Vu l'article 1134 du code civil dans sa version applicable lors de la souscription des actes du 10 mars 2014,

L'article L223-14 du code de commerce, dans ses alinéa 1 et 2, prévoit :Les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte.Lorsque la société comporte plus d'un associé, le projet de cession est notifié à la société et à chacun des associés. Si la société n'a pas fait connaître sa décision dans le délai de trois mois à compter de la dernière des notifications prévues au présent alinéa, le consentement à la cession est réputé acquis.

L'article R223-11 du même code ajoute :La notification du projet de cession ou de nantissement de parts sociales, prévue au deuxième alinéa de l'article L. 223-14 et à l'article L. 223-15, est faite par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

L'article R223-12 du même code dispose :Dans le délai de huit jours à compter de la notification qui lui a été faite en application de l'article R. 223-11, le gérant convoque l'assemblée des associés pour qu'elle délibère sur le projet de cession des parts sociales ou, si les statuts le permettent, consulte les associés par écrit sur ce projet.La décision de la société est notifiée au cédant par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Selon l'article L 223-14 al 7 du code de commerce :Toute clause contraire aux dispositions du présent article est réputée non écrite.

Pour s'opposer à la demande de l'appelant de voir ordonner la vente forcée à son profit de parts sociales de la société Ansena, d'une valeur de 15 000 euros, à titre de remboursement d'une partie des deux prêts consentis, les cointimés se prévalent en tout état de cause de l'inefficacité juridique des actes du 10 mars 2014 et plus précisément de l'inefficacité de l'agrément donné à l'appelant par les coemprunteurs dans ces actes. Ils en déduisent que l'appelant n'a pas pu acquérir des parts sociales et qu'il ne saurait obtenir la vente forcée desdites parts à son profit.

Au soutien de leur moyen tiré de l'inefficacité juridique de l'agrément donné à M. [N] [S] par les actes du 10 mars 2014, M [R] [Y] et M. [I] [G] invoquent les stipulations contractuelles suivantes tirées dans des actes du 10 mars 2014 que des statuts de la société Ansena :

- l'article 5 des actes du 10 mars 2014 rédigé en ces termes 'Monsieur [I] [G] M. [R] [Y]) intervient en conséquence, pour agréer dès à présent Monsieur [N] [S], « le prêteur », dans le capital social de la SARL Ansena, afin d'assurer l'effectivité des modalités de remboursement en nature du prêt à hauteur de 15 000 euros (...)',

- l'article 10 des statuts de la société Ansena , concernant la cession et transmission des parts qui prévoit : « III - Elles ne peuvent être cédées à titre onéreux ou gratuit, à quelque cessionnaire que ce soit qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié du capital social, cette majorité étant déterminée compte tenu de la personne et des parts de l'associé cédant. Le projet de cession doit être notifié à la société et à chacun des associés par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire. »

- l'article 16 des statuts de la société Ansena, concernant les 'décisions collectives extraordinaires' en ces termes : « Sont qualifiées d'extraordinaires les décisions des associés portant agrément de nouveaux associés ou modification des statuts, sous réserve des exceptions prévues par la loi.. Les associés peuvent, par décisions collectives extraordinaires, apporter toutes modifications permises par la loi aux statuts. »

Il résulte de ce qui précède que les cointimés avaient, dans les actes du 10 mars 2014, donné leur agrément à l'entrée de leur prêteur dans le capital social de la société Ansena afin 'd'assurer l'effectivité des modalités de remboursement en nature du prêt à hauteur de 15 000 euros'.

Cependant, il est de principe que les règles d' agrément du cessionnaire étranger à la société sont impératives.

Pour dire que M. [N] [S] ne peut pas avoir été valablement agréé par eux et ne peut donc valablement entrer dans le capital social de la société Ansena, les intimés soutiennent encore que plusieurs conditions relativement à la procédure d'agrément font défaut :

- aucune assemblée générale n'a délibéré sur l'agrément d'un nouvel associé contrairement aux exigences des stipulations statutaires,

- le projet de cession n'a pas été notifié à la société et à chacun des associés par lettre recommandée avec accusé de réception contrairement aux articles L 223-14, al. 2 et R 223-11, al. 1 du code de commerce,

- la notification n'est pas intervenue préalablement à la réalisation entraînant le transfert des parts,

- le gérant n'a pas convoqué l'assemblée des associés dans le délai de huit jours à compter de la notification faite à la société pour qu'elle délibère sur le projet de cession conformément aux statuts. (article R 223-12, al. 1 du code de commerce).

En l'espèce , il résulte des différentes clauses précédemment citées (soit l'article 5 des actes du 10 mars 2014 et soit les articles 10 et 16 des statuts) que l'entrée d'un tiers dans le capital social de la société Ansena, soit en l'espèce M. [N] [S], ne pouvait voir lieu qu'avec l'agrément des associés c'est-à-dire avec 'le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié du capital social'.

En outre, concernant les conditions dans lesquelles des parts sociales pouvaient être cédées et concernant les conditions dans lesquelles un nouvel associé pouvait être agréé , l'article 16 des statuts de la société Ansena prévoit que : 'sont qualifiées d'extraordinaires les décisions des associés portant agrément de nouveaux associés ou modification des statuts'.

Sur ce point, il ressort aussi de l'article R223-12 du code de commerce que dans le délai de huit jours à compter de la notification qui lui a été faite, le gérant convoque l'assemblée des associés pour qu'elle délibère sur le projet de cession des parts sociales ou, si les statuts le permettent, consulte les associés par écrit sur ce projet.La décision de la société est notifiée au cédant par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Or, en l'espèce, contrairement aux exigences des statuts et de l'article R 223-12 précédemment cité, il n'est pas établi qu'il y aurait eu une assemblée générale des associés de la société Ansena ayant donné lieu à une décision extraordinaire des associés portant agrément de M. [N] [S] comme nouvel associé. De plus, les statuts ne permettaient pas de consulter les associés par écrit sur le projet de cession des parts sociales, consultation écrite qui n'est au demeurant pas démontrée.

Par ailleurs l'agrément donné par Messieurs [I] [G] et [R] [Y] dans les actes du 10 mars 2014 n'a pas pu avoir d'efficacité juridique dès lors que ces derniers n'avaient pas encore la qualité d'associés à cette date.

En effet, d'une part, il résulte des articles 1134 du code civil et les articles L. 223-2, L. 223-6 et L. 223-7 du code de commerce que toute personne qui, aux termes des statuts, a souscrit des parts sociales et effectué l'apport correspondant, a la qualité d'associé et peut exercer les droits et actions qui s'y attachent.D'autre part, au moment de ces actes du 10 mars 2014 , Messieurs [I] [G] et [R] [Y] n'avaient pas encore effectué leurs apports et n'avaient pas encore souscrit des parts sociales.

En l'espèce, c'est justement à la date du 10 mars 2014 que M. [N] [S] leur a prêté des fonds leur permettant de financer leurs apports pour constituer la société Ansena et pour acquérir des parts sociales au sein de ladite société. Dès lors, à cette même date, les intimés n'avaient pas pu réaliser leurs apports et acquérir des parts sociales. Ce n'est que le 11 mars 2014 que les fonds nécessaires à l'acquisition de leurs parts sociales leur ont été remis par le prêteur par virements . Ce n'est ensuite que le 12 mars 2014, que la banque CIC Lyonnaise de Banque attestait du dépôt en ses comptes du capital de la société Ansena, décomposé comme suit.

Il résulte de ce qui précède que M. [N] [S] n'a pas été régulièrement et efficacement agréé pour acquérir des parts sociales et pour pouvoir devenir associé au sein de la société Ansena.

Confirmant le jugement, la cour rejette les demandes principales de M. [N] [S] tendant à obtenir la vente forcée à son profit de parts sociales de la société Ansena et de désigner un mandataire ad hoc pour y parvenir.

4-Sur la demande subsidiaire de l'appelant de remboursement en numéraire des sommes prêtées

Vu les articles 1134 et 1315 du code civil dans leurs versions en vigueur au moment des actes intitulés 'reconnaissance de dette' du 10 mars 2014,

- sur le remboursement des sommes prêtées le 10 mars 2014

Il est établi que M. [N] [S] a consenti le 10 mars 2014 à chacun des deux cointimés un prêt de 25 000 euros à chacun (soit une somme globale prêtée de 50 000 euros aux deux).

S'agissant des montants d'ores et déjà remboursés par les emprunteurs, il est également acquis qu'à ce jour, les codébiteurs n'ont remboursé qu'une seule partie du prêt soit 10 000 euros chacun en numéraires.

Concernant le solde à rembourser au prêteur (15 000 euros par chacun), les coemprunteurs l'ont consigné sur un compte CARPA, les 23 et 24 janvier 2017.M. [N] [S] établit donc que les codébiteurs lui sont encore redevables à ce jour des sommes résiduelles de de 15 000 euros chacun au titre des prêts consentis.

Le jugement a à juste titre retenu que les cointimés devaient être condamnés à rembourser chacun la somme de 15 000 euros à l'appelant.

Il sera précisé que les sommes dues produiront intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 31 janvier 2017.

Concernant la déconsignation des sommes de 15 000 euros, dues à M. [N] [S], le juge a également à bon droit autorisé l'intéressé à déconsigner à son profit la somme de 30.000 euros sauf a préciser que cette déconsignation aura lieu auprès de la CARPA de Toulon.

La cour confirme donc également la jugement sur cette déconsignation.

Le jugement est en revanche infirmé en ce qu'il prononce une astreinte pour assurer l'exécution des condamnation précédentes, dès lors que l'appelant ne demande plus le bénéfice d'une telle mesure.

- sur la demande de remboursement au titre des deux prêts supplémentaires allégués à hauteur de 1660 euros chacun

M. [N] [S] soutient que les cointimés lui seraient également redevables de sommes supplémentaires de 1660 euros chacun, au titre du remboursement non encore effectué , de deux autres prêts qu'il aurait consenti à chacun d'entre-eux en 2016.

Pour M. [N] [S], ces deux autres prêts de 1660 euros étaient destinés à permettre aux cointimés de 'financer le rachat du fonds de commerce du Bar de la Poissonnerie au travers de la SARL Le Labo.'

Si le tribunal a estimé devoir faire droit à ces demandes, les cointimés ne reconnaissent cependant pas ces supposées dettes admettant seulement devoir encore chacun à M. [N] [S] les deux seules sommes consignées de 15 000 suros au titre des deux seuls prêts de 25 000 euros.

Dans la mesure où les cointimés ne se reconnaissent nullement les débiteurs de l'appelant au titre de deux autres supposés prêts de 1660 euros , il appartient à ce dernier de rapporter non seulement la preuve de de la remise des fonds aux intimés mais également la preuve de l'existence des contrats de prêt, c'est-à-dire la cause des remises.

En effet, la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation de celle-ci de les restituer.

Or, en l'espèce, si l'appelant démontre avoir remis des fonds aux cointimés-en produisant la preuve de deux virements bancaires de 1660 euros à leur profit et ce le 21 décembre 2016 -il n'établit pas pour autant la cause lesdits versements et leur obligation de lui restituer les sommes remises.

En conséquence, infirmant le jugement à ce titre, la cour déboute M. [N] [S] de sa demande de remboursement des deux sommes de 1660 euros formulées contre Messieurs [Y] et [G].

5-sur la demande de l'appelant de dommages-intérêts

Vu l'article 1134 du code civil dans sa version applicable lors de la conclusion des actes de prêt du 10 mars 2014,

M. [N] [S] sollicite des dommages-intérêts en ces termes : 'En outre, le jugement ayant condamné les intimés au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts sera confirmé.'De leur côté, les cointimés forment un appel incident contre ce chef de jugement, invoquant l'absence de préjudice moral pour l'appelant.

Concernant les obligations mises à la charge des coemprunteurs par les actes de prêt du 10 mars 2014, il y a lieu de rappeler que cette cour a jugé qu'ils s'étaient valablement engagés à rembourser la somme de 15 000 euros, en nature, par la cession de parts sociales détenues dans la société Ansena, au profit de leur prêteur, M. [N] [S].

Cependant, les cointimés ont commis une faute contractuelle puisque, malgré cette promesse qui les engageait envers M. [N] [S], ils n'ont finalement pas mis en oeuvre les moyens juridiques qui auraient permis de concrétiser cette promesse de cession de parts sociales ,moyens qui étaient pourtant en leur pouvoir.

En effet, alors qu'ils avaient donné leur agrément à l'entrée dans le capital social de la société Ansena de l'appelant et alors qu'ils sont les cogérants de la société Ansena et qu'ils représentent plus de la moitié du capital social , aucune assemblée des associés n'a eu lieu pour délibérer sur le projet de cession de parts sociales, ce qui a privé d'effet leur promesse.

Il convient de rappeler que tant les statuts que l'article R 223-12 du code de commerce exigent une assemblée générale et une décision extraordinaire des associés pour délibérer sur le projet de parts sociales.

S'agissant du préjudice subi par M. [S] [N] en lien avec cette faute contractuelle des coemprunteurs, si ce dernier ne démontre pas l'existence d'un préjudice financier particulier, il souffre en revanche d'un important préjudice moral . En effet, alors que le projet initialement convenu était de l'intégrer dans la société Ansena et que ce projet n'a pas pu aboutir, ce dernier a tout de même prêté une importante somme d'argent pour que M. [R] [Y] [R] et M. [I] [G] [I] puissent, pour leur part, financer leurs apports et devenir associés au sein de la société Ansena. Sans les prêts de M. [S] [N], prêts stipulés sans intérêts, aucun projet n'aurait pu aboutir. En outre, au regard de l'engagement contractuel des coemprunteurs de lui rembourser en nature sous forme d'une cession de parts sociales une partie du prêt, ce dernier a cru qu'il parviendrait tout de même à entrer dans le capital social de la société Ansena, comme initialement convenu.

Une indemnité de 8 000 euros réparera intégralement le préjudice moral très important subi par M. [S] [N].

Le jugement sera infirmé et, statuant à nouveau, la cour condamne Messieurs [R] [Y] et [I] [G] à payer in solidum à M. [N] [S] la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral subi.

6-sur les frais du procès

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dès lors que les intimés succombent à titre principal même s'il a été fait droit à certaines de leurs demandes dans le cadre de leur appel incident, ils seront condamnés à payer in solidum une somme de 3 500 euros à M. [N] [S].

Pour la même raison, Messieurs [R] [Y] et [I] [G] sont condamnés in solidum aux entiers dépens, en ce compris les frais de timbres fiscaux.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement :

- confirme le jugement en ce qu'il :

- dit que le remboursement d'une partie des sommes prêtées par M. [S] [N] devait se faire en nature par la cession de parts sociales sauf à préciser que le montant concerné par cette forme de remboursements était de 30 000 euros (soit 15 000 euros pour chacun des deux coemprunteurs ),

- rejette les demandes principales de M. [N] [S] tendant à obtenir la vente forcée à son profit de parts sociales de la société Ansena et de désigner un mandataire ad hoc pour y parvenir,

- autorise M. [S] [N] à déconsigner à son profit la somme de 30 000 euros sauf à préciser que cette déconsignation aura lieu auprès de la CARPA de Toulon,

- infirme le jugement pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,

statuant à nouveau et y ajoutant,

- dit que les deux actes du 10 mars 2014 contenaient tout à la fois une reconnaissance de dette de la part de M. [R] [Y] et de M. [I] [G] ainsi qu' une promesse de cession de parts sociales faite par ces derniers à M. [N] [S] à hauteur de 30 000 euros au total,

- rejette les demandes de M. [R] [Y] et de M. [I] [G] tendant à dire qu'à la conclusion de ces actes ils ont été induits en erreur tant sur l'objet que sur le prix de la promesse de cession,

- rejette les demandes de M. [R] [Y] et de M. [I] [G] tendant à voir dire que les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la signature des actes,

- condamne M. [R] [Y] à payer à M. [N] [S] la somme de 15 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2017,

- condamne M. [I] [G] à rembourser à Monsieur [S] la somme de 15 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2017,

- rejette les demandes de M. [N] [S] de condamnation des intimés à lui rembourser chacun la somme de 1660 euros au titre de deux autres supposés prêts supplémentaires,

- condamne M. [R] [Y] et M. [I] [G] à payer in solidum à M. [N] [S] la somme de 8000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamne M. [R] [Y] et de M. [I] [G] à payer in solidum à M. [N] [S] la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. [R] [Y] et de M. [I] [G] in solidum aux entiers dépens incluant les frais de timbres fiscaux.

LE GREFFIER LE PRESIDENT