CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 23 mai 2024, n° 21/12206
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Rital (SAS)
Défendeur :
Mermoz Arim (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Regnier, Me Mayet, Me Lesenechal, Me Jacquin
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 19 décembre 2013, la société civile immobilière Mermoz Arim, a donné à bail à la société Le Rital, des locaux commerciaux situés [Adresse 1] à [Localité 7], pour neuf ans à compter du 1er janvier 2014, moyennant un loyer annuel principal de 46 800 euros, des réductions étant consenties compte tenu des travaux d'aménagement à effectuer par le preneur, la destination prévue étant notamment : l'activité de "restauration rapide, salon de thé, pizza four électrique sans besoin d'extraction particulière, épicerie et vente de tous produits d'alimentation en générale, à consommer sur place et à emporter chaud et froid toute cuisine et transformation sur place, étant ici précisé que le simple réchauffage des plats ou produits au four de type micro-ondes est autorisé, et tous produits annexes et connexes ainsi tous produits ordinairement vendus dans les magasins exerçant ce type d'activité, à l'exclusion de toute autre activité". Les locaux étaient anciennement à usage de galerie d'art et la société Le Rital exploitait depuis 2010, sous l'enseigne Casa Stella, un commerce d'épicerie, traiteur, alimentation sur place et à emporter, dans des locaux situés [Adresse 3], soit pratiquement en face des locaux situés au 23 de la même rue.
Lors de leur assemblée générale du 29 avril 2014, les copropriétaires de l'immeuble dont dépendent les locaux loués ont rejeté la demande d'autorisation d'installer une gaine d'extraction formée par la bailleresse. Le recours de celle-ci à l'encontre de cette décision a été rejeté par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 mai 2016.
Par acte du 16 décembre 2016, la société Le Rital a fait citer la société civile immobilière Mermoz Arim aux fins notamment de voir prononcer la résolution du bail pour manquement à l'obligation de délivrance en raison de l'absence de système d'extraction, de se voir décharger du paiement des loyers à compter du 1er janvier 2017 jusqu'au prononcé de la résolution du bail et de voir condamner la bailleresse au paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts. Postérieurement à cette assignation, le preneur a procédé, de son propre chef à la consignation des loyers sur le compte CARPA de son conseil.
À compter d'avril 2017, l'enseigne du fonds « Casa Stella » exploité [Adresse 3] est modifiée en « Pizza Al Taglio Mio ».
Suivent la signification, à la requête de la bailleresse d'un commandement de payer visant la clause résolutoire et des saisies-conservatoires, peu fructueuses.
Le 12 juillet 2018, la bailleresse a fait délivrer au preneuse un congé avec dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux pour défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
À la suite d'un contrôle sanitaire survenu le 20 juillet 2018, la Direction départementale de la protection des populations de [Localité 6] a enjoint à la société Le Rital, par lettre du 9 août 2018, de procéder à des mesures correctives. Fin août 2018, le preneur a indiqué à la bailleresse mettre fin à son activité.
Les parties ont conclu un protocole de résiliation en date du 3 juillet 2020, lequel constate la consignation de loyers à hauteur de la somme de 109 084,02 euros entre les mains du conseil du preneur et les locaux ont été restitués à cette date.
Par jugement en date du 11 mai 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Paris a, en substance, débouté la société Le Rital de sa demande tendant à voir prononcer la résolution du bail du 19 décembre 2013 aux torts de la société civile immobilière Mermoz Arim pour manquement à l'obligation de délivrance, de celles aux fins de voir condamner la bailleresse à lui payer la somme de 123 191,11 euros en restitution des loyers et charges versés entre le 1er trimestre 2014 et le 4e trimestre 2016, aux fins de se voir déchargée du paiement des loyers à compter du 1er janvier 2017 jusqu'au prononcé de la résolution du bail et en paiement de dommages-intérêts, a dit que la résiliation intervenue le 3 juillet 2020 était imputable à la locataire, ramené les sommes réclamées au titre de la clause pénale et des intérêts de retard majorés à la somme globale de 10 euros, condamné la société Le Rital à payer à la société civile immobilière Mermoz Arim la somme de 124 485 euros TTC au titre de la dette locative au 2e trimestre 2019, comprenant les loyers, charges, intérêts et pénalités contractuels après déduction du dépôt de garantie, a débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné le preneur aux dépens.
Le preneur a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 30 juin 2020. La bailleresse a formé appel incident par voie de conclusions.
MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D'APPEL
Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :
Vu les conclusions récapitulatives de la société Le Rital, en date du 9 mai 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Le Rital de sa demande tendant à voir prononcer la résolution du bail aux torts de la société Mermoz Arim et en ce qu'il a condamné la société Le Rital au paiement des loyers sur la période du 1er janvier 2017 au 3 juillet 2020, soit la somme de 124 485 euros, débouter la société Mermoz Arim de son appel incident, statuant à nouveau, prononcer la résolution du bail aux torts exclusifs du bailleur, en tout état de cause, condamner la société Mermoz Arim au paiement de la somme de 123 191,11 euros correspondant au montant des loyers et charges versés par la société Rital entre le 1er trimestre 2014 et le 4e trimestre 2016 inclus, à titre de dommages et intérêts, décharger la société Le Rital de l'obligation de paiement des loyers dus en contrepartie de l'occupation des lieux loués sur la période du 1er janvier 2017 et jusqu'au prononcé de la résolution du bail, ou résiliation, condamner, en conséquence, la société Mermoz Arim à rembourser la somme de 124 485 euros, la condamner, à titre de dommages et intérêts, au paiement de la somme de 25 000 euros correspondant au droit d'entrée versé par la société Le Rital dans les lieux loués, de celle de 70 620,24 euros correspondant au coût total HT des travaux et aménagements réalisés par la société Le Rital dans les lieux loués, de celle de 1 500 euros HT correspondant au coût de l'étude réalisée par Mme [U] [O], au remboursement du dépôt de garantie qui est en sa possession et qui correspond à trois mois de loyer TTC, soit à la somme de 14 040 euros TTC, de la somme de 385 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité d'exploiter l'activité « pizzeria » sur la période du 1er trimestre 2014 au 4e trimestre 2017, débouter la société Mermoz Arim de toutes ses demandes, la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Vu les conclusions récapitulatives de la société civile immobilière Mermoz Arim, en date du 18 mars 2024, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ramené les sommes réclamées au titre de la clause pénale et des intérêts de retard majorés à une somme globale de 10 euros, condamné la société Le Rital à payer à la société civile immobilière Mermoz Arim la somme de 124 485 euros TTC au titre de la dette locative au 2e trimestre 2019 comprenant les loyers, charges, intérêts et pénalités contractuels après déduction du dépôt de garantie, débouté la société civile immobilière Mermoz Arim de ses demandes de dommages et intérêts et de celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, condamner la société Le Rital à lui régler une somme de 35 633,01 euros TTC, au titre des loyers et charges arrêtés au 1er février 2024 inclus, avec intérêts au double du taux d'intérêt légal en vigueur à chaque date d'exigibilité, dire que ladite somme sera majorée de 10 %, au titre de la majoration contractuelle, la condamner à lui payer une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, celle de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, confirmer le jugement entrepris, pour le surplus.
DISCUSSION
Sur le manquement à l'obligation de délivrance et la résolution du bail :
Il résulte de l'article 1719 du code civil que l'obligation de délivrance est l'obligation principale du bailleur et, dans le cas d'un bail commercial ou professionnel, elle lui impose de permettre au locataire d'exploiter les lieux conformément à leur destination. Il doit donc notamment vérifier que les diverses autorisations nécessaires sont acquises et les différentes réglementations respectées. Il en va de même du fonctionnement des équipements. Les travaux rendus obligatoires par l'administration peuvent aussi être rattachés à l'obligation de délivrance conforme du bailleur. L'obligation de délivrance concerne le local principal et ses accessoires et doit porter sur un bien conforme à sa destination contractuelle.
à l'appui de sa demande en résolution du bail, le preneur invoque le manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance et soutient en substance, que la possibilité de faire des pizzas était bien prévue par le bail et qu'elle était déterminante de son consentement, raison pour laquelle la clause de destination mentionne expressément un four à pizza et que l'installation d'un tel four était impossible en raison de l'absence de système d'extraction.
Cependant, la clause de destination, si elle comprend le mot « pizza » exclut nécessairement l'installation d'un four à pizzas dès lors qu'elle indique expressément à la suite de ce mot « four électrique sans besoin d'extraction particulière » et qu'elle précise « le simple réchauffage des plats ou produits au four de type micro-ondes est autorisé ». Dès lors, le preneur n'est pas fondé à invoquer un manquement à une obligation de délivrer un local permettant une extraction et l'installation d'un four à pizza, exclues par la clause de destination contractuelle des lieux.
Sur l'exception d'inexécution :
Il se déduit de ce qui a été dit plus haut que le preneur est mal fondé à invoquer, pour les mêmes motifs, à l'égard du bailleur une exception d'inexécution fondée sur l'article 1220 du code civil.
Sur l'appel incident
Sur la dette locative :
Il résulte du dernier décompte produit par le bailleur que la dette locative, après déconsignation des sommes versées sur le compte CARPA du conseil du preneur et divers règlements, que la dette locative, déduction faite du dépôt de garantie, s'élèverait à la somme de 35 633,01 euros, étant précisé que le dernier mouvement du compte est en date du 30 septembre 2021.
Ce décompte ne faisant l'objet, en lui-même d'aucune contestation par le preneur, il convient de condamner le preneur au paiement de la somme de 35 633, 01 au titre des loyers impayés au 2e trimestre 2020.
Sur les intérêts contractuels majorés et la clause pénale :
L'article « sanctions » du bail stipule que le bailleur est en droit d'appliquer aux sommes dues et non payées à leur date d'exigibilité, un intérêt équivalent à deux fois le taux d'intérêt légal en vigueur et l'article « clauses pénales » prévoit l'application d'une majoration de 10 % sur les sommes dues et non payées à leur date d'exigibilité.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge et à ce que soutient le preneur, ces sanctions ne paraissent pas manifestement excessives et il n'y a pas lieu de les modérer.
Sur le dépôt de garantie :
à l'appui de sa demande d'infirmation du chef du jugement qui a déduit le montant du dépôt de garantie de la dette locative, la bailleresse soutient que la conservation du dépôt de garantie lui est acquise au titre de la clause du bail stipulant que : « Si le bail est résilié par le Bailleur pour inexécution des conditions ou de toute autre cause imputable au Preneur, le montant du dépôt de garantie restera acquis au Bailleur à titre de premiers dommages et intérêts, sans préjudice de tout autre. ».
Le preneur estime que cette conservation est injustifiée.
Il n'est pas discuté par les parties que les locaux ont été restitués en bon état de réparations locatives ainsi que l'a relevé le premier juge pour déduire son montant de celui de la dette locative.
Cependant, la clause du bail relative au dépôt de garantie s'analyse comme une clause pénale. Le protocole de résiliation stipule : « le sort final du dépôt de garantie sera également réglé dans le cadre de la procédure ; ainsi, le montant du dépôt de garantie sera affecté à l'une ou l'autre des parties, en tout ou en partie, suivant qu'elle sera créditrice ou débitrice de l'autre partie ». Il s'en déduit, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, que les parties ont lié sa restitution éventuelle à l'issue de la présente procédure et n'ont pas renoncé à sa qualification de clause pénale et à sa modération éventuelle par le juge, conformément à l'article 1231-5 du code civil. En l'espèce, l'application de la majoration de 10 % aux sommes restant dues et le doublement de l'intérêt légal permettent de considérer que la clause relative à la conservation dépôt de garantie est manifestement excessive et il convient de la réduire à la somme de 1 000 euros.
Sur les demandes de dommages-intérêts formées par la bailleresse :
La cour adopte les motifs du premier juge qui a notamment relevé que la bailleresse n'établissait pas l'existence de ces préjudices.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le preneur qui succombe principalement en son appel en supportera les dépens, sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à l'intimée en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a ramené les sommes réclamées au titre de la clause pénale et des intérêts de retard majorés à la somme globale de 10 euros, condamné la société Le Rital à payer à la société civile immobilière Mermoz Arim la somme de 124 485 euros TTC au titre de la dette locative au 2e trimestre 2019 comprenant les loyers, charges, intérêts et pénalités contractuels après déduction du dépôt de garantie ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Le Rital à payer à la société civile immobilière Mermoz Arim la somme de 35 633,01 euros TTC au titre de la dette locative au 30 septembre 2021 comprenant les loyers et charges dus au 2e trimestre 2020, déduction faite du dépôt de garantie avec intérêts au double du taux légal en vigueur à compter de chacune des échéances impayées, la somme de 3 563, 30 euros au titre de la majoration de 10 % et celle de 1 000 euros au titre de la conservation du dépôt de garantie ;
Condamne la société Le Rital aux dépens ainsi qu'à payer à la société civile immobilière Mermoz Arim la somme de de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.