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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 6 juin 2024, n° 20/07573

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Bagnoli, Me Salasca-Blanc, Me Tebiel, Me Atias

TJ Draguignan, du 2 juill. 2020, n° 17/0…

2 juillet 2020

EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique des 14 et 21 octobre 1985, M. [C] [Y] et son épouse [J] [I] ont donné à bail à messieurs [E] et [G] divers locaux à usage commercial, dans un immeuble situé au [Localité 5], pour une durée de neuf années à compter du 21octobre 1985.

Concernant la destination des lieux, le bail commercial initial stipule : 'les locaux faisant l'objet du présent bail devront servir au preneur à l'exploitation de tous commerce.'

En 1986, M. [X] [M] a acquis le fonds de commerce consistant en un garage automobile et une station-service. Il est devenu le nouveau locataire

Le bail est venu à expiration le 21 octobre 1994 et a été tacitement prolongé depuis cette date. Le 25 novembre 2005, le locataire a demandé aux bailleurs le renouvellement du bail pour une durée de 9 années à compter du 21 octobre 2006 et le bail s'est poursuivi avec l'accord des bailleurs.

Les locaux loués ont été cédés le 4 novembre 2014 par l'héritière des bailleurs (Mme [W] épouse [B]) à M. [T] [O] et à Mme [K] [U], lesquels sont donc devenus les nouveaux bailleurs.

Suivant acte extrajudiciaire signifié le 25 mars 2015, les bailleurs ont donné congé à M. [X] [M] pour le 21 octobre 2015, refusant le renouvellement du bail et lui offrant une indemnité d'éviction.

Un litige s'est noué entre les parties autour de la qualification du bail, de l'éviction du locataire, du montant de l'indemnité d'éviction et des indemnités d'occupation.

Une premier procédure en référé a opposé les parties.

Par ordonnance du 23 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de draguignan a désigné M. [R], expert judiciaire, aux fins de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction due au locataire.

Ce dernier a clos son rapport au 25 avril 2017.

Une seconde procédure, dont la cour est saisie, oppose les parties.

En effet, par acte d'huissier de justice du 25 octobre 2017, M. [X] [M] a fait assigner les bailleurs (M. [T] [O] et Mme [K] [U]) devant le tribunal de grande instance de Draguignan aux fins d'obtenir le versement d'une indemnité d'éviction fixée à 611 096 euros et de voir ramener l'indemnité d'occupation à de plus justes proportions. L'affaire a été enrôlée sous le numéros 17/8113.

Par actes d'huissier des 15 et 19 novembre 2018, M. [X] [M] a fait de nouveau assigner les bailleurs, outre Mme [W] épouse [B], aux fins notamment d'obtenir la requalification du bail commercial conclu les 14 et 21 octobre 1985 en un bail mixte commercial et d'habitation, l'annulation de la vente conclue entre Mme [W] épouse [B] et les bailleurs suivants pour non respect du droit de préemption du locataire.

Par jugement du 2 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Draguignan s'est prononcé en ces termes :

- rejette la demande de dommages-intérêts pour non respect du droit de préemption du locataire et la demande de condamnation sous astreinte des bailleurs à faire délivrer un nouveau congé,

- fixe le montant de l'indemnité d'éviction que M. [T] [O] et Mme [K] [U] sont solidairement tenus de payer à M. [X][M] à 106.500 euros,

- fixe le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [X] [M] à M.[T] [O] et Mme [K] [U] ensemble à1760 euros par mois hors taxes et hors charges par mois à compter du 22 octobre 2015 et le condamne, en tant que de besoin, à la payer jusqu'à la libération du local et la restitution des clés ou jusqu'à l'exercice du repentir par les bailleurs,

- rejette la demande de compensation,

- désigne le bâtonnier de l'ordre des avocats de Draguignan en qualité de séquestre du montant de la totalité de l'indemnité d'éviction fixée par le présent jugement en vue de l'application des dispositions des articles L. 145-29 et L 145-30 du code de commerce,

- rejette la demande d'expulsion,

- condamne M. [X] [M] à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de 2500 euros à d'une part M. [T] [O] et Mme[K] [U] ensemble et d'autre part à Mme [H] [A] épouse [B],

- rejette la demande de M. [X] [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. [X] [M] aux dépens qui seront recouvrés directement par les avocats de la cause qui en ont fait la demande et l'avance,

- ordonne l'exécution provisoire de la décision.

Pour rejeter la demande du locataire de requalification du bail commercial en un bail mixte commercial et à usage d'habitation, le tribunal retenait que le régime impératif des baux

commerciaux s'applique dès lors qu'un fonds de commerce est exploité dans les locaux. Le juge précisait qu'en espèce tel était bien le cas.

Le tribunal ajoutait qu'ayant rejeté la demande du locataire de requalification du bail, il ne pouvait que débouter également ce dernier de ses demandes accessoires tendant à l'annulation de la vente des murs et à l'annulation de la délivrance sous astreinte d'un congé avec offre de vente au prix pratiqué.

Sur le débouté du locataire de sa demande de dommages-intérêts, le tribunal estimait que la qualification de bail d'habitation n'étant pas retenue, la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect du droit du préemption du locataire prévue par la loi du 6 juillet 1989 n'était pas fondée.

Le 27 juillet 2020, les bailleurs ont consigné entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de Draguignan, désigné en qualité de séquestre, le montant de l'indemnité d'éviction fixé par le jugement du tribunal, assorti de l'exécution provisoire, soit la somme de 106 500 euros

M. [X] [M] a formé un appel le 10 août 2020, portant sur les chefs de jugement suivants :

'-rejette la demande de requalification du bail des 14 et 21 octobre 1985 ,

- rejette la demande de dommages-intérêts pour non respect du droit de préemption du locataire et la demande de condamnation sous astreinte des bailleurs à faire délivrer un nouveau congé

- fixe le montant de l'indemnité d'éviction que M.[T] [O] et Mme [K] [U] sont solidairement tenus de payer à M. [X][M] à la somme de 106.500 euros,

- fixe le montant de l'indemnité d'occupationdue par M. [X] [M] à M. [T] [O] et Mme [K] [U] ensemble à la somme de mille-sept-cent-soixante euros (1760 euros) hors taxes et hors charges par mois à compter du22 octobre 2015 et le condamne, en tant que de besoin, à la payer jusqu'à la libération du local et la restitution des clés ou jusqu'à l'exercice du repentir par les bailleurs ,

- rejette la demande de compensation ,

- désigner le bâtonnier de l'ordre des avocats de Draguignan en qualité de séquestre du montant de la totalité de l'indemnité d'éviction fixée par le présent jugement en vue de l'application des dispositions des articles L. 145-29 et L 145-30 du code de commerce ,

- rejette la demande d'expulsion ,

- condamne M. [X] [M] à payer à M. [T] [O] et Mme [K] [U] ensemble la somme 2.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. [X] [M] à payer à Mme [H] [A] épouse [B] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

- rejette la demande de M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

- condamne M. [X] [M] aux dépens qui seront recouvrés directement par les avocats de la cause qui en ont fait la demande et l'avance ,

- ordonne l'exécution provisoire de la décision.

La procédure a été clôturée par ordonnance prononcée le 7 novembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 novembre 2023 , M. [X] [M] demande à la cour de :

vu l'article 16 du code de procédure civile,

- déclarer nul et de nul effet le jugement ,

-à titre subsidiaire, si la cour de céans ne devait pas faire droit à cette demande, et en tout état

de cause, vu l'effet dévolutif de l'appel,

- réformer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'expulsion et appliqué un coefficient d'abattement sur l'indemnité d'occupation,

statuant de nouveau,

vu les dispositions des articles L145-14, L 145-28 et L 145-46-1 du code de commerce, 1240 du code civil, 12 du code procédure civile,

- condamner M. [T] [O] et Mme [K] [U] à payer à M. [M] une indemnité d'éviction globale de 611.096,80 euros.

- dire et juger qu'il sera appliqué un abattement de 40% sur le montant de l'indemnité d'occupation,

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 1.320 euros HT par mois à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner solidairement Mme [H] [B] née [W], M. [T] [O] et Mme [K] [U] à verser à M. [X] [M] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Eric Bagnoli sur son affirmation de droit

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 octobre 2023, M. [T] [O], Mme [K] [U], Mme [H] [W] épouse [B] demandent à la cour de :

vu les articles L. 145-1 et L 145-14 du code de commerce ,

- débouter M. [X] [M] de son appel comme étant infondé,

- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a :

- fixer le montant de l'indemnité d'éviction que M. [T] [O] et Mme [K] [U] sont solidairement tenus de payer à M. [X] [M] à la somme de 106.500 euros,

- désigner le bâtonnier de l'ordre des avocats de Draguignan en qualité de séquestre du montant de la totalité de l'indemnité d'éviction fixée par le présent jugement en vue de l'application des dispositions des articles L. 145-29 et L 145-30 du code de commerce ,

- condamner M. [X] [M] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

2500 euros à M. [T] [O] et Mme [K] [U]

2500 euros à Mme [H] [A] épouse [B]

- rejeter la demande de M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

- condamner M. [X] [M] aux dépens qui seront recouvrés directement par les avocats de la cause qui en ont fait la demande et l'avance ,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision,

- recevoir M. [O], Mme [U] et Mme [B] en leur appel incident,

y faisant droit,

infirmer le jugement en ce qu'il a :

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [X] [M] à M. [T] [O] et Mme [K] [U] ensemble à la somme de 1760 euros hors taxes et hors

charges par mois à compter du 22 octobre 2015 et le condamne, en tant que de besoin, à la payer jusqu'à la libération du local et la restitution des clés ou jusqu'à l'exercice du repentir par les bailleurs ,

- rejeté la demande de compensation,

- rejeté la demande d'expulsion,

et statuant à nouveau :

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [M] à la somme de 2.200 euros par mois à compter du 22 octobre 2015,

- ordonner la compensation entre l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation,

en conséquence,

- fixer le montant des sommes dues à M. [X] [M] par M. [O] et Mme [U] à 38.585,76 euros, arrêtées au 21 octobre 2023, diminuée de 1 % par jour de retard (soit 1.065,00 euros) pour la remise des clés passée la date du 5 décembre 2020, conformément aux dispositions de l'article L. 145-30 du code de commerce, la consignation de l'indemnité d'éviction par le bailleur ayant été signifiée au preneur le 4 septembre 2020,

- ordonner l'expulsion de M. [M] et de tous occupants de son chef sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du délai d'un mois suivant la signification de la décision à intervenir,

- débouter M. [X] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [X] [M] à payer à M. [T] [O] et Mme [K] [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner M. [X] [M] à payer à Mme [H] [B] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [X] [M] aux entiers dépens

MOTIFS

1-sur la demande d'annulation du jugement

L'appelant demande à la cour d'annuler le jugement au motif d'une méconnaissance par le juge de première instance du principe du contradictoire, prescrit par les articles 16 du code de procédure civile et 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'agissant des motifs de la violation du principe du contradictoire, l'appelant précise que ni lui, ni son avocat n'ont été avisés de la date de l'audience ce qui a eu comme conséquences de le priver de la possibilité de remettre au tribunal les pièces du dossier et et de se présenter à l'audience.

Comme autre motif de violation du principe du contradictoire, l'appelant soutient que la procédure sans audience, au sens de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 n'est possible qu'avec l'accord des parties, alors même qu'en l'espèce, il a toujours refusé une telle modalité de comparution.

L'article 16 du code de procédure civile dispose :Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement . Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Selon l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Droit à un procès équitable

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.'

Vu l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété dont il résulte que le président de la juridiction peut décider, avant l'ouverture de l'audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte,

Vu l'article 8 de l'ordonnance précédemment évoquée permettant une procédure sans audience lorsque la représentation est obligatoire si les parties ne s'y sont pas opposé dans une délai de quinze jours,

L'article 444 du code de procédure civile énonce enfin :'Le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés.En cas de changement survenu dans la composition de la juridiction, il y a lieu de reprendre les débats.'

Concernant tout d'abord le point de savoir si l'avocat de l'appelant avait bien été avisé de la tenue de l'audience du 28 mai 2020, il résulte des mentions du jugement que ce dernier l'avait bien été .

En effet, le jugement relève : 'Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure le 12 décembre 2019 et l'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 13 février 2020. A cette date, le renvoi a été prononcé au contradictoire des parties, à l'audience du 28 mai 2020 en raison du mouvement de grève des avocats. L'audience s'est tenue physiquement à cette date en publicité restreinte compte tenu des risques sanitaires liés à la pandémie de COVID 19.'

L'avocat de l'appelant estime toutefois qu'il ne savait pas si l'audience du 28 mai 2020 aurait bien lieu, en raison en particulier fait qu'il a été destinataire d'un mail que lui a adressé la juridiction le 6 mai 2020 rédigé en ces termes : 'il se pourrait que finalement les audiences physiques aient bien lieu aux mois de mai et juin. Vous serez informé en cas de modification de ces modalités.' ,

Cependant, un tel courriel ne remet pas en cause la connaissance par l'appelant de la tenue de l'audience du 28 mai 2020, seules les modalités de tenue de l'audience (en présentiel ou hors la présence des parties) sont incertaines.

En outre, le jugement relève que, lors de l'audience du 28 mai 2020, le conseil du demandeur n'a pas remis de dossier de ses pièces au tribunal. Ainsi, alors que l'affaire avait été renvoyée contradictoirement sur l'audience du 28 mai 2020, ce que l'avocat de M. [X] [M] savait, ce dernier n'a pas déposé ses pièces lors de cette audience.

Par ailleurs, l'avocat de M. [X] [M] avait déjà eu une première fois la possibilité de déposer ses pièces avant même l'audience du 28 mai 2020, puisque la juridiction lui avait demandé de les transmettre par voie électronique le 26 avril 2020.

S'agissant de l'argumentation de l'appelant selon laquelle la procédure aurait eu lieu sans audience malgré son absence d'accord, celle-ci est inopérante dés lors que la juridiction a bien tenu une audience et n'avait donc pas à rechercher un quelconque accord de M. [X] [M].

En effet, le jugement énonce clairement qu'une audience a bien lieu, même si elle s'est tenue en publicité restreinte et ce en ces termes , 'Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure le 12 décembre 2019 et'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 13 février 2020. A cette date, le renvoi a été prononcé au contradictoire des parties, à l'audience du 28 mai 2020 en raison du mouvementde grève des avocats. L'audience s'est tenue physiquement à cette date en publicité restreinte compte tenu des risques sanitaires liés à la pandémie de COVID 19".

Par ailleurs, si la juridiction de première instance a décidé de faire application des règles de la publicité restreinte lors de l'audience du 28 mai 2020, rien n'indique pour autant que les avocats ont été empêchés , s'ils le souhaitaient, de plaider oralement leurs conclusions écrites.

Pour ce qui est de l'absence de réouverture des débats par le tribunal, il ne saurait être reproché à ce dernier de ne pas avoir ordonné une telle mesure. En effet, le conseil de M [X] [M] avait été régulièrement convoqué pour l'audience du 28 mai 2020 et il aurait dû se présenter à cette audience pour déposer son dossier et plaider l'affaire.

Ainsi, les moyens de l'appelant tenant à la violation du principe du contradictoire sont inefficaces en l'espèce.

La cour rejette la demande de M. [X] [M] de voir déclarer nul et de nul effet le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan du 2 juillet 2020.

2-sur la demande de l'appelant de fixation d'une indemnité d'éviction globale de 611.096,80 euros

Selon l'article L145-14 du code de commerce dans sa version en vigueur depuis le le 21 septembre 2000 :Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

En l'espèce, l'appelant critique le jugement concernant le montant de l'indemnité d'occupation (due par les bailleurs). M. [X] [M] estime en effet que le montant fixé à

106 500 euros par le tribunal est trop faible, sollicitant que celui-ci soit augmenté à 611.096,80 euros.

Il est de principe que le preneur, qui dispose d'un droit au renouvellement peut cependant être évincé, sans pouvoir s'y opposer, à charge pour le bailleur de lui régler une indemnité d'éviction.

- sur le montant de l'indemnité principale

L'expert judiciaire a estimé à 70 000 euros la valeur de l'indemnité d'éviction correspondant à la valeur marchande du fonds et le jugement a accordé cette somme au preneur. Ce dernier sollicite l'infirmation du jugement de ce chef et sollicite une somme de 123 120, 20 euros .

Concernant en l'espèce la nature de l'indemnité d'éviction principale due au preneur (indemnité pour la perte du fonds de commerce ou indemnité pour le transfert), les parties s'accordent pour dire que cette dernière est une indemnité due pour perte du fonds et non pour transfert dudit fonds.

Pour les parties, l'indemnité d'éviction due au preneur doit donc correspondre à la valeur de remplacement du fonds de commerce en raison de la perte de la clientèle générée par le refus de renouvellement du bail commercial et non pas à la valeur de transfert.

En faveur d'une indemnité d'éviction correspondant à la perte du fonds de commerce, l'expert judiciaire retient d'ailleurs les éléments suivants :

- en page 27 :'la réinstallation dans un autre local est difficilement réalisable sans équipement spécifiques adaptés à l'activité de station-service et de garage',

- page 28 : '« Le fonds pourra difficilement être réinstallé. Cette hypoyhèse est a priori exclue ».

- en page 39 : « Faute de réinstallation, la perte de clientèle est prévisible. Elle est incluse dans la valeur marchande du fonds ».

S'agissant ensuite du montant de la valeur de remplacement due au locataire au titre de l'indemnité principale, cette dernière est constituée par la valeur la plus élevée entre la valeur marchande du fonds de commerce et la valeur du droit au bail

Pour retenir la valeur de 70 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction principale correspondant à la perte du fonds de commerce, l'expert judiciaire estime que la valeur la plus élevée en l'espèce est la valeur marchande du fonds de commerce.

Concernant la méthode utilisée pour parvenir à déterminer la valeur marchande du fonds de commerce, l'expert judiciaire a appliqué un taux moyen de 20 % au chiffre d'affaires moyen des années 2013, 2014, 2015 (soit 20 % de 351 772 euros) .

Pour critiquer le montant retenu par l'expert judiciaire, M. [X] [M] estime que le pourcentage qui a été appliqué à ce chiffre est trop faible et qu'il faudrait retenir un taux plus élevé de 35 %.

Cependant, le travail de l'expert judiciaire est sérieux et celui-ci s'est appuyé sur un barème reconnu. En outre, M. [X] [M] ne justifie pas suffisamment en quoi le pourcentage

retenu par l'expert judiciaire ne s'appliquerait pas à son établissement. Il affirme que l'emplacement du fonds de commerce est exceptionnel dans la mesure où il est situé sur un rond-point d'entrée du village de Plan de la Tour dans une zone très touristique, proche du golfe de [Localité 7] et qu'il s'agit de l'unique emplacement de station-service dans la commune. Cependant, il ne démontre aucunement le caractère très touristique de l'emplacement de son fonds de commerce, ni le fait que les touristes visitant le golfe de [Localité 7] se rendraient dans sa station service.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu le pourcentage appliqué par l'expert judiciaire et le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu une indemnité de de remplacement de 70 000 euros.

- sur les montants des indemnités accessoires

- sur les frais et droits de mutation :

L'expert a retenu la somme de 14.000 euros correspondant à 20 % de la valeur du fonds ou du droit au bail à acquérir et le premier juge a également retenu cette somme pour fixer l'indemnité due à ce titre. Le jugement est confirmé sur ce point en l'absence de toute contestation.

- sur les frais normaux de déménagement :

L'expert judiciaire a retenu l'existence, sur le principe, de frais de déménagement à indemniser pour le preneur et il a estimé le montant de l'indemnité à 8500 euros, montant retenu par le premier juge.

Tant l'appelant que les cointimés contestent ce montant, le premier réclamant une meilleure indemnité et ce à hauteur de 10 990 euros TTC et ces derniers déniant au preneur tout droit à indemnité.

Cependant, il est possible d'indemniser le preneur évincé pour ses frais de déménagement, même en cas d'indemnité de remplacement comme en espèce, dés lors qu'il doit restituer les locaux vides au preneur. Or, en l'espèce, le locataire, qui est tenu de déplacer son stock de matériel pour restituer les locaux vidés aux bailleurs, a droit sur le principe à une telle indemnité.

S'agissant du montant de ladite indemnité, l'appelant ne produit pas le devis à hauteur de 10 990 euros TTC dont il entend se prévaloir et en outre l'expert judiciaire a précisément indiqué pourquoi il estimait devoir retenir une somme inférieure, soit 8500 euros en analysant sérieusement les différents devis présentés. Compte tenu des explications de l'expert judiciaire, il doit être considéré que cette somme comprend le devis de transfert du pont de levage à hauteur de 1751, 40 euros, devis qui n'est d'ailleurs pas produit devant la cour d'appel.

Le montant de l'indemnité correspondant aux frais normaux de déménagement sera fixée à la valeur retenue par l'expert judiciaire, soit 8500 euros. Le jugement est confirmé à ce titre.

- sur les éléments récupérables :

L'ordonnance de référé du 23 décembre 2015 demande à l'expert judiciaire de « préciser la valeur des éléments éventuellement récupérables » . Ce dernier a retenu la somme de 14.000 euros uniquement pour le pont roulant démontable.

Toutefois, comme le font à juste titre observer les cointimés il n'y a pas lieu d'indemniser le preneur évincé pour le pont roulant démontable, dés lors qu'il n'est pas contesté que ce bien est démontable, qu'il peut être récupéré par ce dernier et qu'il ne sera pas la propriété des bailleurs en fin de bail dés lors qu'il n'est pas concerné par la clause d'accession.

Le jugement est confirmé en ce qu'il n'a retenu aucune indemnisation à ce titre.

- sur les frais de transfert

Cette indemnité retenue par l'expert judiciaire, à hauteur de 2500 euros, correspond au coûts suivants :

- faire connaître à la clientèle et aux fournisseurs la nouvelle adresse de l'exploitation,

- transférer les lignes téléphoniques,

- procéder aux actes et formalités de changement de siège.

Les parties ne contestent pas l'indemnisation proposée par l'expert judiciaire, ni dans son principe, ni dans son montant. Elle sera ainsi retenue à hauteur de 2500 euros et le jugement est confirmé à ce titre.

- sur l'indemnité au titre des frais de réinstallation :

Le bailleur est tenu d'indemniser le preneur évincé d'un fonds non transférable, dès lors qu'il ne peut apporter la preuve que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds, et ce sans pouvoir inverser la charge de la preuve. L'indemnité au titre des frais de réinstallation est donc due même dans le cadre d'une perte de fonds comme en l'espèce, il s'agit alors d'indemniser les frais de réinstallation à exposer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur, même les frais d' installations spécifiques à l'activité exercée.

L'indemnisation se limite cependant aux frais d'aménagement semblables à ceux qui existaient dans les locaux anciens.

Enfin, une clause d'accession sans indemnité stipulée au profit du bailleur ne fait pas obstacle au droit du preneur évincé d'être indemnisé des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d'aménagements et équipements similaires à celui qu'il a été contraint de quitter.

En espèce, sur le principe, les bailleurs ne s'opposent pas à l'indemnisation des frais de réinstallation du preneur, ne démontrant d'ailleurs pas que ce dernier ne se réinstallera pas dans un autre fonds.

S'agissant du montant de l'indemnité due au titre des frais de réinstallatoin, l'expert l'estime à 6000 euros, ce qui est le chiffre qui a été retenu par le premier juge.

Pour se déterminer ainsi, l'expert a retenu principalement deux éléments :

- il considère que le preneur n'a pas à supporter les frais de réinstallation coûteuse à proportion du degré d'amortissement des investissements qu'il abandonnera par la contrainte,

- il considère que le bailleur n'a pas à supporter un devis de 'création' aux normes actuelles d'une station de service et de lavage sur un terrain nu.

De son côté, le preneur réclame une indemnité au titre des frais de réinstallation à hauteur de 331.055 euros TTC, coût incluant les coûts travaux et équipements spécifiques suivants :

- stockage métallique : 22 000 euros

- Distribution : 62 135 euros

- armoire extérieure : 828 euros

- auvent : 30 000 euros

-équipement divers : 13 781 euros

- totem : 24 200 euros

- aspirateur et gonfleur : 2500 euros

- installations pétrolières : 43 290 euros

- génie civil : 60 000 euros

- fouille cuve : 27 145 euros

Il y a lieu de tenir compte, en l'espèce, de la clause d'accession du bail commercial stipulée en ces termes :'tous travaux, embellissements et améliorations quelconques qui seraient faits par le preneur même avec l'autorisation du bailleur, resteront en fin de bail la propriété de ce dernier sans indemnité'.

En premier lieu, l'expert judiciaire a retenu à juste titre que le bailleur n'avait pas à supporter le coût de la création aux normes actuelles d'une nouvelle station de service et de lavage, dés lors que, par principe, ce dernier est seulement tenu de prendre en charge les frais de réinstallation supportés par le locataire pour mettre en place, dans son nouveau fonds, des aménagements semblables à ceux perdus.

Cependant, c'est à juste titre que M. [X] [M] sollicite une indemnité au titre de certains équipements et travaux spécifiques à son activité commerciale que l'expert judiciaire a refusé de prendre en considération. En effet, certains de ces équipements vont rester la propriété du bailleur en raison de la clause d'accession insérée au bail commercial et rédigée en ces termes :' tous travaux, embellissements et améliorations quelconques qui seraient faits par le preneur même avec l'autorisation du bailleur , resteront en fin de bail la propriété de ce dernier sans indemnité'.

D'autre part, certains des travaux mis en avant par le preneur sont nécessaires à la réinstallation de son fonds de commerce avec des équipements semblables à l'ancien.

C'est donc à tort que le premier juge a refusé d'indemniser la perte de certains équipements spécifiques et la réalisation de certains travaux nécessaires.

Il convient de rappeler que le bailleur est tenu d'indemniser des frais de réinstallation du preneur évincé d'un fonds non transférable et que d'autre part, il est de principe qu'une clause d'accession sans indemnité stipulée au profit du bailleur ne fait pas obstacle au droit du preneur évincé d'être indemnisé des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d'aménagements et équipements similaires à celui qu'il a été contraint de quitter.

Les équipements spécifiques non transférables qui resteront acquis au bailleur en raison de la clause d'accession et ce sans indemnités, alors même qu'ils sont indispensables à l'exploitation de son nouveau fonds par M. [X] [M] sont les suivants (dans la mesure où les bailleurs n'indiquent que ces installations n'entreraient pas dans la catégories des améliorations et travaux non couverts par la clause d'accession) : les installations pétrolières et la distribution.

Il y a lieu également d'indemniser, sur le principe, certains travaux nécessaires dans la mesure où ils permettront de réinstaller les équipements spécifiques : les travaux de fouille cuve et les travaux de génie civil.

Concernant les autres équipements mis en avant, rien ne permet de dire qu'il s'agit d'éléments qui resteront acquis aux bailleurs en fin de bail parce qu'ils ne pourraient être enlevés sans endommager le sol. En outre, dans ses écritures, le preneur ne fournit aucun détail permettant d'identifier la finalité et la fonction lesdits équipements. Enfin, aucune indemnité ne sera accordée au titre du auvent, dans la mesure où les bailleurs contestent qu'il existerait actuellement un tel élément au sein du commerce de M. [X] [M] et où ce dernier ne le démontre effectivement pas.

Dans le cadre de ses écritures, le preneur met également en avant le coût de différents devis (réalisation d'un support pour éleveur, de rénovation d'un local, de réparation et de travaux de plâtrerie ), devis qu'il ne produit cependant pas et au sujet desquels il ne fournit que très peu d'explications. Aucune indemnité ne sera accordée à ce titre. S'agissant enfin du devis pour l'installation de l'alarme , celui-ci ne saurait donner lieu à une quelconque indemnisation, dés lors qu'il n'est pas soutenu qu'il existait un équipement similaire au sein du fonds de commerce litigieux et dés lors que s'il en existait une, rien ne permet de dire que M. [X] [M] ne peut pas la démonter pour la récupérer.

Concernant les coûts des équipements et travaux à indemniser, non pris en considération par l'expert judiciaire et qui doivent pourtant être indemnisés (distribution, installations pétrolières, génie civil, fouille cuve), le preneur ne produit aucun devis dans le cadre de son appel mais l'expert judiciaire a retranscrit en page 29 de son rapport certaines mentions d'un devis de réinstallation d'une station-service.

Au regard de ce ce qui précède, l'indemnisation au titre de frais de réinstallation doit être fixée à 80 000 euros et le jugement est infirmé de ce chef.

- le trouble commercial

Le trouble commercial vise à indemniser le preneur évincé du temps passé à préparer le départ des locaux, à informer ses salariés et à prévoir le réemploi de l'indemnité perçue. Il s'agit d'un travail improductif qu'il y a lieu d'indemniser.

Au titre du trouble commercial subi par le locataire évincé, l'expert judiciaire a retenu une indemnité de 11 700 euros.

Sur le principe, les bailleurs admettent l'existence d'un trouble commercial subi par le preneur en lien avec son éviction des locaux loués. Concernant le montant de l'indemnité devant réparer un tel trouble, les parties s'accordent sur une meilleure indemnité que celle retenue par l'expert judiciaire , à savoir 14 000 euros (l'expert judiciaire ayant pour sa part évalué une telle indemnité à 11 700 euros).

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu'il fixe la valeur de l'indemnisation du trouble commercial à 14 000 euros.

- sur la perte du logement

Il peut être alloué une indemnité liée à la perte du logement qui faisait partie du bail commercial.

En l'espèce, il est acquis que le logement de M. [X] [M] était assuré dans les locaux loués et qu'il va donc perdre son logement, ce qui lui ouvre droit, sur le principe, à l'indemnisation de ce préjudice.

Pour s'opposer à l'indemnisation d'un tel préjudice, les bailleurs affirment que l'expert judiciaire a d'ores et déjà inclus une telle indemnité dans le montant de l'indemnité principale.

Toutefois, il ne ressort aucunement des mentions du rapport d'expertise judiciaire que l'expert aurait tenu compte du préjudice particulier lié à la perte du logement dans son évaluation du montant de l'indemnité principale. Or, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, de sorte que la cour doit indemniser la perte de l'avantage constitué par le logement à usage d'habitation compris dans les locaux loués.

S'agissant du montant de l'indemnité due au titre de la perte du logement, l'expert judiciaire a retenu, dans le corps de son rapport en page 30 , une indemnisation de 55 000 euros. La méthode suivie par ce dernier pour évaluer ce préjudice est la suivante : il a estimé la valeur locative à 509 euros par mois soit 6108 euros par an et a multiplié cette valeur locative par 9 (ce chiffre correspondant à 9 années dans le cadre d'un bail commercial renouvelé).Ainsi, contrairement à ce qu'affirment les bailleurs la méthode suivie par l'expert judiciaire n'est pas incompréhensible.

Le jugement, qui n'a accordé aucune indemnité au preneur évincé à ce titre, doit être reformé. La cour fixe à 55 000 euros le montant de l'indemnité à allouer à M. [X] [M], indemnité compensant intégralement le préjudice né de la perte de son logement.

- sur les frais administratifs

Sont indemnisables les frais divers inhérents aux formalités liées au registre du commerce, aux diverses consultations juridiques, frais de correspondance (clients, fournisseurs notamment), mesures de publicité, résiliations de contrats en cours et autres frais divers tels que le changement des cartes de visite, de site internet. Il convient également de tenir compte, le cas échéant, des frais de transfert de siège social.

En l'absence de critiques particulières des parties, la cour fait sienne l'évaluation de l'expert qui retient une indemnité de 2500 euros correspondant aux actes et formalités de changement de siège. Le jugement est confirmé de ce chef.

- récapitulatif sur le montant total de l'indemnité d'éviction :

Les indemnités principales et accessoires qui ont été octroyées par la cour à M. [X] [M] suite à la perte de son fonds de commerce sont les suivantes :

- indemnité principale :70 000 euros

- frais normaux de déménagement : 8500 euros

- frais et droits de mutation : 14 000 euros

- perte du logement :55 000 euros

- frais de transfert (frais administratifs) : 2500 euros

- frais de réinstallation :80 000 euros

- trouble commercial :14 000 euros

- montant total de l'indemnité d'éviction :244 000 euros

La cour, infirmant le jugement sur le montant de l'indemnité d'éviction et statuant à nouveau, condamne Mme [K] [U] et M . [T] [O] à payer à M. [X] [M] la somme de 244 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction.

3-sur le versement de l'indemnité d'éviction entre les mains d'un séquestre

Selon l'article L145-29 du code de commerce :En cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre. A défaut d'accord entre les parties, le séquestre est nommé par le jugement prononçant condamnation au paiement de l'indemnité ou à défaut par simple ordonnance sur requête.L'indemnité est versée par le séquestre au locataire sur sa seule quittance, s'il n'y a pas d'opposition des créanciers et contre remise des clés du local vide, sur justification du paiement des impôts, des loyers et sous réserve des réparations locatives.

L'article L145-30 du même code ajoute :En cas de non-remise des clés à la date fixée et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité et restitue cette retenue au bailleur sur sa seule quittance.Lorsque le délai de quinzaine prévu à l'article L. 145-58 a pris fin sans que le bailleur ait usé de son droit de repentir, l'indemnité d'éviction doit être versée au locataire ou, éventuellement, à un séquestre, dans un délai de trois mois à compter de la date d'un commandement fait par acte extrajudiciaire qui doit, à peine de nullité, reproduire le présent alinéa.

Les bailleurs sollicitent la confirmation du jugement concernant la désignation d'un séquestre pour recevoir l'indemnité d'éviction et concernant la désignation du bâtonnier en cette qualité, ce qui est conforme à l'article précédemment évoqué.

Le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a désigné le bâtonnier de l'ordre des avocats de Draguignan en qualité de séquestre du montant de la totalité de l'indemnité d'éviction fixée par le présent jugement en vue de l'application des dispositions des articles L. 145-29 et L 145-30 du code de commerce sauf à préciser que Mme [K] [U] et M . [T] [O] doivent consigner le supplément d'indemnité d'éviction mise à leur charge par la cour d'appel.

4-sur la demande du locataire de fixation du montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 1320 euros HT par mois à compter de l'arrêt à intervenir

Selon l'article L 145-28 du code de commerce, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2002 :Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.Par dérogation au précédent alinéa, dans le seul cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 145-18, le locataire doit quitter les lieux dès le versement d'une indemnité provisionnelle fixée par le président du tribunal judiciaire statuant au vu d'une expertise préalablement ordonnée dans les formes fixées par décret en Conseil d'État, en application de l'article L. 145-56.

L'article L145-33 du même code ajoute :Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1 Les caractéristiques du local considéré ;

2 La destination des lieux ;

3 Les obligations respectives des parties ;

4 Les facteurs locaux de commercialité ;

5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d'État précise la consistance de ces éléments.

Le bail stipule une clause d'accession en ces termes :' tous travaux, embellissements et améliorations quelconques qui seraient faits par le preneur même avec l'autorisation du bailleur , resteront en fin de bail la propriété de ce dernier sans indemnité'

Concernant le montant des indemnités d'occupation dues par le preneur, l'expert judiciaire a retenu une valeur oscillant entre 1630 euros et 2200 euros par mois, 'selon que la propriété des équipements spécifiques est celle du preneur ou du bailleur'.

Le jugement dont appel a fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [X] [M] aux bailleurs à 1760 euros hors taxes et hors charges par mois à compter du 22 octobre 2015. Pour se déterminer ainsi, le juge a retenu qu'il n'était pas contesté que l'expert judiciaire n'avait pas appliqué de coefficient d'abattement à la valeur locative alors même qu'il convenait de le faire (à hauteur de 20 %), au regard de la situation précaire du preneur.

Le locataire appelant critique le jugement de ce chef, tant concernant le montant de l'indemnité d'occupation que le point de départ, demandant à que que ce montant soit diminué à 1320 euros HT par mois et que le point de départ de ladite indemnité soit fixé au jour de l'arrêt.

Il est de principe que le preneur qui a droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction est redevable d'une indemnité d' occupation correspondant à la valeur locative diminuée d'un abattement de précarité. De plus, l'indemnité d' occupation est exigible dès que le bail a pris fin comme en l'espèce par l'effet du congé délivré le 25 mars 2015.

En l'espèce, M. [X] [M], dont le bail a pris fin et qui a droit au maintien dans les lieux jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction, est donc redevable d'une indemnité d'occupation au bailleur.

- sur le montant de l'indemnité d'occupation

Concernant tout d'abord le montant de ladite indemnité, l'expert judiciaire a retenu deux hypothèses pour déterminer la valeur locative :

- si les équipements spécifiques de la station-service appartiennent au bailleur, le montant de la valeur locative est de 2.200 euros /mois,

- si les équipements spécifiques de la station-service appartiennent au preneur la valeur locative est de 1.630 euros /mois.

Pour proposer ces deux montants d'indemnité d'occupation, l'expert judiciaire s'est basé sur une valeur locative théorique optimale des lieux loués évaluée par rapport à la source côte annuelle des valeur vénales au 1er janvier 2016 (Callon).

Le montant de la valeur locative retenu par la cour sera le même que celui du tribunal, soit 2200 euros, compte tenu du fait que, depuis le terme du bail commercial et en application de la clause d'accession du bail commercial, les bailleurs ont la propriété de certains équipements spécifiques de la station-service.

Par ailleurs, toujours concernant la détermination du montant de l'indemnité d'occupation, c'est à juste titre que le tribunal a décidé de ne pas retenir la valeur locative pure mais a fait application d'un coefficient d'abattement de 20 % sur ladite valeur.

En effet, contrairement aux conclusions de l'expert judiciaire, un tel abattement s'impose compte tenu de la fin du bail commercial et du fait que M. [X] [M] s'est maintenu dans les lieux sans jouir des mêmes prérogatives que le locataire bénéficiant d'un bail renouvelé. En outre, il ne saurait être considéré qu'aucun abattement ne peut être appliqué dès lors que les bailleurs ne démontrent pas que le locataire ne subirait pas de préjudice en lien avec le terme du bail commercial.

C'est donc à juste titre que, concernant le calcul de la valeur de l'indemnité d'occupation, M. [X] [M] revendique un abattement sur la valeur locative proposée par l'expert judiciaire. S'agissant du montant dudit abattement, le tribunal a fait une juste appréciation des faits de l'espèce en le fixant à 20 % .

Ainsi, le montant de l'indemnité d'occupation doit être fixé à 20 % d'une valeur locative de 2200 euros par mois, soit 1760 euros HT par mois.

- sur le point de départ de l'indemnité d'occupation

S'agissant du point de départ de l'exigibilité de l'indemnité d'occupation, il est de principe que cette dernière est due par le bailleur au preneur à compter de la date à laquelle, le titre locatif prenant fin, l' occupation prend effet.

En l'espèce, ce point de départ se situe à la date d'effet du congé soit le 22 octobre 2015, comme le premier juge l'a justement estimé, date à laquelle le bail a pris fin et l'occupation a pris effet.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu un abattement de 20 % , a fixé le montant de l'indemnité d'occupation à 1760 euros HT par mois et ce à compter du 22 octobre 2015 et, enfin, a au besoin condamné M. [X] [M] à la payer jusqu'à la libération du local et la restitution des clés ou jusqu'à l'exercice du repentir par les bailleurs.

5-sur la demande des bailleurs de compensation

Vu l'article 1291 du code civil dans sa version applicable abrogée par ordonnance du 10 février 2016,

L'article L145-58 du code de commerce dispose :Le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation.

Les bailleurs sollicitent la compensation entre leur dette d'indemnité d'éviction due à M. [X] [M] et leur créance d'indemnités d'occupation sur ce dernier.

En l'espèce, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande de compensation, la cour relevant, tout comme ce dernier, que la dette d'indemnité d'occupation n'est pas encore liquide. Le montant d'une telle dette n'est pas encore connu à ce jour puisque de telles indemnités sont dues tant que le locataire occupe les lieux.

La cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de compensation.

6-sur la demande du bailleur d'expulsion

L'article L145-29 du code de commerce dispose :En cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre. A défaut d'accord entre les parties, le séquestre est nommé par le jugement prononçant condamnation au paiement de l'indemnité ou à défaut par simple ordonnance sur requête.L'indemnité est versée par le séquestre au locataire sur sa seule quittance, s'il n'y a pas d'opposition des créanciers et contre remise des clés du local vide, sur justification du paiement des impôts, des loyers et sous réserve des réparations locatives.

Le preneur a donc droit au maintien dans les lieux loués jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en application de l'article L.145-28 du code de commerce. Ce principe permet au preneur de poursuivre son exploitation en attendant de percevoir l'indemnité d'éviction qui lui permettra de se réinstaller.

En l'espèce, si le bail a pris fin le 22 octobre 2015, l'occupant a cependant le droit au maintien dans les lieux jusqu'à la notification du versement de l'indemnité d'éviction entre les mains du séquestre, étant précisé que la cour a augmenté le montant de ladite indemnité et que les bailleurs vont devoir compléter le montant déjà séquestré à ce titre le 27 juillet 2020 à hauteur de 106 500 euros.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des bailleurs d'expulsion de l'occupant.

7-sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, Mme [H] [W], M. [T] [O] et Mme [K] [U] seront condamnés aux dépens exposés par M. [X] [M] (dont distraction au profit de Me Eric Bagnoli) ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au bénéfice de ce dernier.

Mme [H] [W], M. [T] [O] et Mme [K] [U] supporteront la charge de leurs propres dépens et seront déboutés de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement

- rejette la demande de M. [X] [M] de voir déclarer nul et de nul effet le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan du 2 juillet 2020,

- confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf concernant le montant de l'indemnité d'éviction,

statuant à nouveau et y ajoutant,

- condamne Mme [K] [U] et M . [T] [O] à payer à M. [X] [M] la somme de 244 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction,

- précise que Mme [K] [U] et M . [T] [O] doivent consigner le supplément d'indemnité d'éviction mise à leur charge par la cour d'appel et ce dans les conditions précisées par le jugement,

- rejette la demande de Mme [H] [W], M. [T] [O] et Mme [K] [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne Mme [H] [W], M. [T] [O] et Mme [K] [U] à payer à M. [X] [M] une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que Mme [H] [W], M. [T] [O], Mme [K] [U] supporteront la charge de leurs propres dépens,

- condamne Mme [H] [W], M. [T] [O], Mme [K] [U] seront condamnés aux dépens exposés par M. [X] [M] (dont distraction au profit de Me Eric Bagnoli).