CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 6 juin 2024, n° 20/06297
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le ZM 88 (SAS)
Défendeur :
ZM 88 (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Simon-Thibaud, Me Paulet
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 1er septembre 2012 , la SCI KLC a donné à bail à la SAS Le ZM 88 un local situé [Adresse 2] pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2012, moyennant un loyer annuel de 16.800 €, avec une destination exclusive de commerce de restauration et de restauration rapide.
La SAS Le ZM 88 s'étant abstenue de régler les loyers, la SCI KLC lui a fait signifier, par acte d'huissier en date du 21 juin 2017, transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, un commandement visant la clause résolutoire et d'avoir à lui payer la somme de 13.336, 21 €.
Par ordonnance réputée contradictoire du 3 octobre 2017, le juge des référés près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a constaté la résiliation du bail liant les parties par l'intervention du jeu de la clause résolutoire et a ordonné l'expulsion de la SAS Le ZM 88 des locaux loués.
Cette ordonnance a été signifiée le 3 novembre 2017 à la SAS Le ZM 88, selon procès-verbal remis à l'étude.
Un commandement de quitter les lieux a été signifié à la SAS Le ZM 88, le 23 novembre 2017, selon procès-verbal remis à l'étude.
Un procès-verbal d'expulsion a été dressé le 23 février 2018 mentionnant une absence d'exploitation des lieux loués. Le matériel de restauration présent était énuméré et des photographies également étaient prises.
Selon ordonnance portant injonction de payer du 7 mars 2018, la SAS Le ZM 88 a été condamnée à payer à la SCI KLC la somme de 15.160,21 € au titre des loyers restant dus.
Par jugement du 17 mai 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a constaté l'état d'abandon des meubles et objets meublants visés dans le procès-verbal du 23 février 2018.
Un procès-verbal d'adjudication des biens a été dressé le 5 juin 2018.
Par acte d'huissier en date du 19 mai 2018, la SAS Le ZM 88 a fait assigner la SCI KLC devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence afin d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme principale de 90.000 € en réparation de son préjudice.
Par ordonnance sur requête du 8 octobre 2019, M. [M] [K] a été désigné en qualité de mandataire ad'hoc de la SCI KLC.
Par jugement en date du 29 juin 2020, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :
- déclaré recevable l'action de la SAS Le ZM 88,
- rejeté l'ensemble des demandes de la SAS Le ZM 88,
- déclaré irrecevable la demande de condamnation à une amende civile présentée par le représentant de la SCI KLC,
- condamné la SAS Le ZM 88 à payer à M. [M] [K], mandataire ad'hoc de la SCI KLC, une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Le ZM 88 aux dépens.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :
- la SAS Le ZM 88 ayant mis en cause la responsabilité du bailleur sur le fondement des articles 1719 et 1720 du code civil, la prescription biennale édictée à l'article L 145-60 du code de commerce ne s'applique pas et la présente action est soumise à la prescription quinquennale de droit commun,
- la prescription n'étant pas acquise, la résiliation judiciaire du bail ne rend pas davantage irrecevable l'action principale,
- la société Le ZM 88, qui prétend que les locaux étaient inexploitables compte tenu de très importants problèmes d'évacuation des eaux usées, ne verse aux débats aucune pièce de nature à démontrer qu'elle avait avertie son bailleur d'une quelconque difficulté, qu'elle a fait établir un procès-verbal de constat du 26 avril 2017 mentionnant que les lieux sont inexploitables, alors que le procès-verbal d'expulsion du 23 février 2018, montre un local en état normal,
- elle n'établit pas davantage qu'il ne s'agirait pas d'un trouble accidentel, de sorte que l'obligation de délivrance ne serait pas remplie,
- la négligence de la SAS Le ZM 88 est attestée tout au long des différentes procédures, qu'il apparaît que les lieux loués étaient abandonnés, alors que le siège social de cette société, in bonis, vérifié par l'huissier, est toujours resté à l'adresse des lieux loués,
- en l'absence de tout élément permettant d'établir la causalité entre le débordement d'avril 2017 et une éventuelle responsabilité de la société bailleresse, les demandes de la SAS L eZM 88 seront rejetées.
Par déclaration en date du 9 juillet 2020, la SAS Le ZM 88 a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance d'incident en date du 16 décembre 2021, le conseiller de la mise en étant a :
- déclaré irrecevable la demande de M. [M] [K], ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI KLC , tendant à faire déclarer nul l'appel de la SAS Le ZM 88,
- condamné M. [M] [K], ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI KLC, à payer à la SAS Le ZM 88, la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident.
Aux termes de ses conclusions déposées et signifiées le 1er octobre 2020, la SAS Le ZM 88 demande à la cour de:
- dire l'appel interjeté par la SAS Le ZM 88 à l'encontre du jugement rendu le 29 juin 2020 par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, recevable et bien fondé,
En conséquence,
- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit recevable l'action de la SAS Le ZM 88,
Statuant à nouveau,
- condamner la SCI KLC, représentée par son mandataire ad'hoc, M. [M] [K], à payer à la SAS Le ZM 88, la somme de 90.000 € en réparation de son entier préjudice,
- la condamner à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
M. [M] [K], ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI KLC, suivant ses dernières conclusions signifiées le 1er décembre 2020, demande à la cour de :
Vu les articles L 143-2 et L 145-41 du code de commerce,
Vu l'article 32- 1 du code de procédure civile,
- recevoir la SCI KLC, représentée par M. [M] [K], ès qualités de mandataire ad'hoc en ses demandes, fins et action,
In limine litis,
- déclarer l'appel interjeté par la société Le ZM 88 par déclaration au greffe du 10 juillet 2020, nul et de nul effet,
Sur le fond,
- débouter la société Le ZM 88 de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Le ZM 88 au paiement de la somme de 10.000 € à titre d'amende civile,
- la condamner à verser à la SCI KLC et M. [K] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 novembre 2023.
MOTIFS
In limine litis, M. [M] [K], ès qualités, demande à la cour de déclarer l'appel interjeté par la société Le Zem 88 nul et de nul effet.
Dans ses écritures, il ne motive à aucun moment une telle demande qui ne peut être que rejetée.
Sur la recevabilité de l'action de la SAS Le ZM 88
La SAS Le ZM 88 sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable son action.
M. [M] [K], ès qualités, soutient que la société Le ZM 88, locataire, n'a aucune qualité pour réclamer la moindre indemnisation au titre d'un quelconque préjudice qui serait né de l'exploitation du bail résilié par ordonnance de référé du 3 octobre 2017, décision qui n'a pas été critiquée et qui est devenue définitive.
Il en tire pour conséquence qu'elle se trouve sans droit sur le bail depuis le 21 juillet 2017 et souligne qu'elle a été régulièrement attraite à la procédure de référé pour faire valoir ses droits en défense.
La société appelante rappelle qu'une ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée au principal, de sorte qu'elle était fondée à introduire la présente instance en responsabilité contre son bailleur, sur le fondement des articles 1719 et 1720 du code civil.
Le constat de la résiliation du bail par le jeu de l'acquisition de la clause résolutoire résultant de l'ordonnance de référé du 3 octobre 2017 n'a nullement pour effet de priver le preneur d'introduire une action au fond à l'encontre du bailleur aux fins de rechercher sa responsabilité au titre d'un manquement à son obligation de délivrance au visa des articles 1719 et 1720 du code civil.
En effet, il y a lieu de rappeler que, conformément aux articles article 484 et 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande de l'une des parties, l'autre présente ou appelée qui n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Ainsi, la circonstance que la société Le ZM 88 ait été régulièrement attraite devant le juge des référés et que l'ordonnance du 3 octobre 2017 soit devenue définitive comme n'ayant pas été critiquée, est sans incidence sur la possibilité pour la partie appelante de saisir le juge au fond pour réclamer l'indemnisation du préjudice qu'elle soutient avoir subi au cours du bail qui liait les parties en invoquant une impossibilité d'exploiter les locaux comme n'étant pas conformes à l'usage auxquels ils étaient destinés.
M. [M] [K], ès qualités, oppose également à la société locataire, l'irrecevabilité de ses demandes comme étant prescrites, au visa de l'article L 145-60 du code de commerce. Il relève que l'appelante se prévaut de troubles qui seraient apparus en 2015 et n'a introduit la présente instance qu'en mai 2018.
Or, comme l'a retenu à juste titre le premier juge, la SAS Le ZM 88 a mis en cause la responsabilité de son bailleur sur le fondement des articles 1719 et 1720 du code civil, de sorte que la prescription de droit commun prévue par l'article 2224 du code civil a seule vocation à s'appliquer et non la prescription biennale édictée à l'article L 145-60 du code de commerce.
Le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de la SAS Le ZM 88 recevable sera donc confirmé.
Sur le bien fondé de la demande de la société Le ZM 88
Celle-ci fait valoir que suite à d'importants problèmes d'évacuation des eaux usées dès 2015 et surtout fin 2016-début 2017, les lieux loués se sont avérés inexploitables ainsi qu'il en ressort du constat d'huissier dressé le 26 avril 2017. Elle considère que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance d'un bien conforme à l'usage auquel il est destiné, qu'il était parfaitement informé de la situation en ce qu'il a réglé les factures d'intervention des 3 mars et 28 avril 2017. Elle précise qu'elle s'est retrouvée confrontée à une impossibilité totale d'exploiter les lieux, de sorte qu'elle est fondée à invoquer l'exception d'inexécution de ses obligations par la SCI KLC pour suspendre le règlement des loyers à compter de décembre 2016. Elle estime que les manquements de la société bailleresse lui ont fait perdre une chance de réaliser annuellement un chiffre d'affaires de 98.945 € HT ainsi que d'obtenir le renouvellement de son bail ou de prétendre à une indemnité d'éviction.
M. [M] [K], ès qualités, conteste tout manquement de la société bailleresse à ses obligations, soulignant la carence probatoire de l'appelante qui se contente de produire deux factures d'intervention d'une entreprise pour un problème d'eaux usées et que celle-ci n'a jamais évoqué une quelconque difficulté avant l'introduction de la présente instance. Il relève que les différentes pièces du dossier attestent que la preneuse était défaillante dans son exploitation et qu'elle n'exerçait en réalité plus aucune activité. Il en tire pour conséquence qu'elle ne peut invoquer un préjudice tiré d'une prétendue perte d'exploitation.
En vertu de l'article 1719 du code civil, Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1. De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2. D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3. D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail (...)
L'article 1720 dispose que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
En l'espèce, les parties sont en l'état d'un bail commercial en date du 1er septembre 2012 aux termes duquel la SCI KLC a donné en location à la SAS Le ZM 88 des locaux situés à [Adresse 2], d'une surface de 76,06 m² comprenant une salle de restauration en deux parties, une cuisine avec SAS aménageable, toilettes et l'usage d'un parking en façade de 10 emplacements, pouvant être aménagé en partie en terrasse. Il est stipulé que les locaux sont exclusivement à destination de commerce de restauration, restauration rapide, saladerie, vente à emporter, traiteur, réceptions, produits bio, petite épicerie et activités connexes. Le loyer annuel hors taxes a été fixé à 16.800 € payable mensuellement, d'avance le 5 du mois.
Il n'est pas contesté que la SCI KLC a fait délivrer à la SAS Le ZM 88, par acte d'huissier en date du 21 juin 2017, un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire et pour une somme de 13.336,21 €.
La société appelante soutient qu'elle était fondée à suspendre le paiement des loyers en l'état de l'inexécution par la bailleresse de ses obligations, rendant les locaux litigieux inexploitables.
A l'appui de ses allégations, la SAS Le ZM 88 produit :
- trois factures ( pièces 3,4 et 5) de la société Auximob en date des 10 avril 2015, 3 mars 2017 et 28 avril 2017 pour des travaux de dégorgement par hydro- cureur du collecteur /WC pour des montant oscillant entre 128 € et 300 €,
- un procès-verbal d'huissier du 26 avril 2017 mentionnant que ce jour là les lieux sont inondés par des refoulements du WC, étant relevé que ce constat est antérieur à la dernière intervention de l'entreprise Auximob du 28 avril 2017 laquelle démontre qu'à cette date, l'intervention indispensable avait été exécutée.
La société Le ZM 88 ne démontre aucunement avoir averti la SCI KLC d'un quelconque problème d'écoulement des eaux usées rendant impossible toute exploitation, avant l'introduction de la présente procédure en 2018 et n'établit pas davantage, au regard des quelques pièces qu'elle communique, que les locaux étaient inexploitables et qu'il ne s'agit pas d'un trouble accidentel. En d'autres termes, elle ne rapporte pas la preuve d'un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, étant de surcroît observé que :
- le procès-verbal d'expulsion du 23 février 2018 et les photographies qui y sont annexées montrent un local en bon état général,
- le décompte des loyers impayés figurant au commandement de payer les loyers met en évidence que la société preneuse rencontrait des difficultés à honorer ses engagements à compter du mois d'août 2016, soit bien avant les problèmes d'évacuation des eaux usées survenus en mars-avril 2017,
- les pièces du dossier révèlent surtout un défaut d'exploitation des locaux par la société appelante, le procès-verbal d'expulsion faisant état d'un abandon total des lieux, mais nullement que ceux-ci étaient insalubres.
En l'état de ces éléments, la SAS Le ZM 88 échoue à démontrer un manquement quelconque de la bailleresse à son obligation de délivrance et ne peut qu'être déboutée de ses demandes.
Me [K], ès qualités, sollicite la condamnation de la SAS ZM Le 88 au paiement d'une somme de 10.000 € à titre d'amende civile, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
Or, l'article 32-1 ne peut être mis en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction saisie, de sorte que comme l'a retenu le premier juge, M. [K], ès qualités à solliciter la condamnation de l'appelante au paiement d'une amende civile.
En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Le ZM 88 à payer à Me [M] [K], ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI KLC, la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Le ZM 88 aux dépens de la procédure d'appel.