Décisions
CA Douai, 3e ch., 6 juin 2024, n° 22/04442
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 06/06/2024
****
N° de MINUTE : 24/197
N° RG 22/04442 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UP2B
Jugement (N° 19/02643) rendu le 12 Septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
SELARL [W]-Fremaux prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Représentée par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
Monsieur [B] [Y]
né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représenté par Me Guilhem d'Humieres, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
Monsieur [S] [G]
né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Julie Baur, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
SCI Yassmine prise en la personne de son mandataire ad hoc la Selarl Depreux mandataire judiciaire désigné par ordonnance du président du Tribunal judiciaire de Lille du 1er mars 2023
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Défaillante, assignée en appel provoqué le 6 avril 2023 à personne habilitée
Société Caisse de Crédit Mutuel d'Hellemmes
Assignée en appel provoqué le 16 mars 2023
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Caroline Follet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l'audience publique du 14 décembre 2023 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024 après prorogation du délibéré en date du 07 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 28 novembre 2023
Communiquées aux parties le 1 décembre 2023
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 novembre 2023
****
EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
La Caisse de Crédit mutuel de Lille-Hellemmes (le Crédit mutuel) a engagé une saisie immobilière sur un bien à usage d'habitation appartenant à la Sci Yassmine.
Suivant jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lille du 2 novembre 2011, M. [S] [G] a acquis cet immeuble par adjudication, moyennant un prix de 62 000 euros.
Par acte authentique du 4 juillet 2012, reçu par Me [E] [W], notaire exerçant au sein de la Selarl [W] Fremaux (la Selarl notariale), M. [G] a revendu ce bien à M. [B] [Y], moyennant un prix de 118 000 euros.
M. [Y] a loué cet immeuble à compter du 26 mars 2016.
Le 9 juin 2017, la Caisse d'allocations familiales du Nord (la Caf) a informé M. [Y] de l'existence d'un arrêté préfectoral du 18 janvier 2007, ayant déclaré le logement insalubre avec possibilité d'y remédier. Elle a par conséquent réclamé le remboursement d'un indu d'allocation logement à caractère familial (ALF) au titre de l'interdiction de louer un tel bien.
M. [Y] a revendu l'immeuble à un tiers suivant acte authentique du 1er mars 2019 au prix de 111 000 euros et 1'arrêté d'insalubrité a été levé le 21 mars 2019.
Par acte du 20 mars 2019, M. [Y] a fait assigner M. [G], devant le tribunal de grande instance de Lille aux 'ns principalement d'engager sa responsabilité pour manquement à son obligation de délivrance conforme et d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Parallèlement, par actes du 28 novembre 2019, M. [G] a fait assigner en intervention forcée la Selarl notariale, la Sci Yassmine et le Crédit mutuel devant le tribunal de grande instance de Lille a'n de réclamer leur garantie.
Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 12 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
1. condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
a- 7 269,29 euros au titre des réparations,
b- 9 396 euros au titre du remboursement des allocations,
c- 1 404 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
d - 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
e - 2 000 euros au titre du préjudice moral ;
2. dans l'instance initiée par M. [B] [Y], condamné M. [S] [G] à supporter les dépens de l'instance ;
3. condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] la somme de
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
4. condamné la Selarl [W] Fremaux à garantir M. [S] [G] de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui ;
5. dans l'instance initiée par M. [G], condamné la Selarl [W] Fremaux à supporter les dépens de l'instance ;
6. condamné la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
7. rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles ;
8. ordonné l'exécution provisoire du jugement dans toutes ses dispositions.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 21 septembre 2021, la Selarl notariale a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
Le 16 mars 2023, M. [G] a assigné en appel provoqué le Crédit mutuel.
Le 6 avril 2023, la Selarl notariale a assigné en appel provoqué la Sci Yassmine.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juin 2023, la Selarl notariale demande à la cour de réformer le jugement critiqué en ses dispositions numérotées 1, et 4 à 8 ci-dessus.
En conséquence,
=> à titre principal : vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
- rejeter les prétentions, fins et conclusions de M. [G] et de M. [Y] en tant qu'elles sont dirigées à son encontre, les en débouter,
- les condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre aux entiers dépens.
=> à titre subsidiaire : vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
- condamner la Sci Yassmine à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- la condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, la Selarl notariale fait valoir que :
sa responsabilité civile ne peut être engagée, dès lors que :
(i) elle n'a commis aucune faute : étant tenu à une obligation de moyens, le notaire n'a pu connaître l'arrêté d'insalubrité visant l'immeuble vendu, qui n'est pas mentionné dans le cahier des charges élaboré dans le cadre de la saisie immobilière et dans les pièces sollicitées lors de l'instruction de la revente à M. [Y] ; en outre, le vendeur a déclaré expressément que l'immeuble ne faisait pas l'objet d'un tel arrêté d'insalubrité, alors qu'aucun indice n'était de nature à créer chez le notaire un doute sur la véracité d'une telle déclaration ; si le notaire avait déjà été chargé de vendre l'immeuble litigieux dès 2009 et a pu interroger le service des affaires sociales dans l'instruction d'un tel projet, aucun compromis de vente n'avait été à l'époque conclu, alors qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait en 2012 le rapprochement entre la vente litigieuse et ce projet au regard du volume des dossiers qu'il traite.
la faute reprochée n'a pas de lien de causalité avec les préjudices invoqués : alors que l'arrêté d'insalubrité vise les désordres l'ayant motivé, l'arrêté de levée d'insalubrité ne détaille pas les travaux pris en compte pour l'autoriser ; il n'est pas prouvé que les travaux dont se prévaut M. [Y] sont ceux qui ont permis de lever cette insalubrité, alors que M. [G] a lui-même réalisé des travaux antérieurement à la vente litigieuse ; en tout état de cause, certains travaux dont l'indemnisation est demandée sont étrangers à la question de l'insalubrité.
les préjudices allégués ne sont pas établis.
- la Sci Yassmine doit le garantir, dès lors qu'elle avait connaissance de l'arrêté d'insalubrité qui lui a été notifié le 18 janvier 2007 par la Ddass.
4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 7 septembre 2023, M. [G] demande à la cour d'infirmer le jugement critiqué en ses dispositions numérotées 1, 2, 3 et 7 ci-dessus, et statuant à nouveau, au visa des articles 1103, 1104, 1137, 1217, 1231 et suivants, 1604 du code civil, 1240 du code civil, R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution, de :
=> à titre principal :
' déclarer que sa responsabilité ne pourra pas être engagée ni sur le fondement du manquement de l'obligation de délivrance, ni sur le fondement du dol ;
' en conséquence, débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter la Selarl notariale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter la Sci Yassmine de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter le Crédit mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
de plus,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre de la Selarl notariale ;
' condamner la Selarl notariale à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner la Selarl notariale à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner la Selarl notariale à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la Selarl notariale aux entiers frais et dépens de l'instance ;
' débouter la Selarl notariale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [G] ;
mais également,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre de la Sci Yassmine ;
' condamner la Sci Yassmine à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner la Sci Yassmine à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner la Sci Yassmine à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la Sci Yassmine aux entiers frais et dépens de l'instance ;
Et enfin,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre du Crédit mutuel ;
' condamner le Crédit mutuel à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner le Crédit mutuel à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner le Crédit mutuel à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner le Crédit mutuel aux entiers frais et dépens de l'instance.
' débouter le Crédit mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;
=> A titre subsidiaire,
' juger que les demandes indemnitaires de M. [Y] sont infondées et injustifiées et les déclarer irrecevables ;
' En conséquence, débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à l'encontre de M. [G] ;
=> En tout état de cause,
' condamner M. [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
' condamner M. [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner M. [Y] aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, M. [G] fait valoir que :
sa responsabilité n'est pas engagée : aucun manquement à l'obligation de délivrance conforme ne peut lui être reproché : l'arrêté d'insalubrité a été pris alors que la Sci Yassmine était propriétaire de l'immeuble et le Crédit mutuel ne l'a pas informé d'une telle décision ; il n'a en outre commis aucune man'uvre dolosive à l'égard de M. [Y] ;
en revanche, le notaire a commis une faute, n'ayant pas assuré l'efficacité de l'acte de vente, alors qu'une telle obligation est de résultat. Il doit procéder à toutes les investigations utiles, qu'il y ait ou non publicité légale, lorsque les déclarations du vendeur conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte, même en cas de faute intentionnelle du vendeur ; le notaire a commis un dol en dissimulant volontairement l'existence d'un arrêté d'insalubrité, dont il avait connaissance depuis 2009 dans le cadre d'un précédent projet de vente de l'immeuble litigieux ;
la Sci Yassmine est venderesse et sa responsabilité peut être engagée sur le fondement de l'article 1240 du code civil ; elle était informée d'un tel arrêté qui est notifié par le préfet au propriétaire du bien insalubre ; en dissimulant sciemment cet arrêté tant à M. [G] qu'au Crédit mutuel, la Sci Yassmine a commis un dol à son égard, dès lors que son consentement a été vicié par une telle dissimulation lors de l'acquisition de l'immeuble.
Les erreurs et omissions affectant le procès-verbal et le cahier des conditions de vente engagent enfin la responsabilité personnelle du créancier poursuivant. Le Crédit mutuel est responsable de s'être contenté de la réponse incomplète par la mairie, indiquant exclusivement que l'immeuble ne fait pas l'objet d'une procédure de péril, alors qu'il s'agissait également de rechercher un éventuel arrêté d'insalubrité.
Les préjudices invoqués par M. [Y] n'ont pas de lien avec le manquement qui lui est reproché ou ne sont pas établis, notamment s'agissant des pertes de chance alléguées.
4.3. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 juin 2023, M. [Y] demande à la cour, au visa des articles 1604, 1109, 1116 et 1147, et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016, de :
=> confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a réduit ses demandes indemnitaires aux montants suivants :
- 7 269,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- 1 404 euros au titre de la perte de chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019,
- 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble,
- 2 000 euros au titre du préjudice moral,
- débouter Me [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Statuant à nouveau :
- condamner M. [G] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 17 160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral,
Y ajoutant :
- condamner Me [W] à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
condamner Me [W] aux entiers frais et dépens d'appel ;
A titre subsidiaire :
- condamner M. [G] en ce qu'il a vicié son consentement par dol, au titre de la vente en date du 04 juillet 2012 ;
en conséquence :
- condamner M. [G] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 9 396 euros au titre de l'allocation logement à caractère familiale due à la CAF du Nord,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 17.160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 7.000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner Me [W] à le garantir de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui,
- condamner M. [G], outre aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre infiniment subsidiaire :
- condamner Me [W] en ce qu'il a engagé « leur (sic) responsabilité délictuelle » à son égard ;
En conséquence :
- condamner Me [W] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 9 396 euros au titre de l'Allocation logement à caractère familiale due à la CAF du Nord,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 17.160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner Me [W] outre aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, M. [Y] fait valoir que :
- M. [G] a manqué à son obligation de délivrance conforme de l'immeuble vendu, dès lors que la vente ne comporte aucune indication de l'état d'insalubrité. Subsidiairement, il a commis un dol à son encontre, dès lors que le vendeur a expressément déclaré dans l'acte de vente que le bien ne fait l'objet d'aucun arrêté d'insalubrité, alors qu'il connaissait parfaitement l'immeuble acquis par adjudication. Les travaux réalisés par M. [G], préalablement à la revente du bien, avait pour objet de dissimuler l'état d'insalubrité de l'immeuble.
- Me [W] avait connaissance à compter de 2009 de l'arrêté préfectoral de 2007. En tout état de cause, il lui appartenait de procéder à la vérification, qu'il avait déjà effectuée en 2009. Le devoir de conseil est applicable, dès lors que ce notaire a préparé l'acte de vente qu'il a authentifié. La responsabilité délictuelle du notaire est engagée à son encontre.
- ses préjudices sont établis.
4.4. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2023, le Crédit mutuel demande à la cour de :
=> à titre principal, débouter M. [S] [G] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
=> en tant que de besoin, débouter toute partie amenée à présenter une demande indemnitaire à son encontre.
=> En tout état de cause, condamner M. [S] [G] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en cause abusive, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, le Crédit mutuel fait valoir que :
- M. [G] n'a pas personnellement financé l'acquisition de l'immeuble et y a procédé personnellement à des travaux. Les factures de matériaux ne permettent pas d'établir leur lien avec une réhabilitation effective de l'immeuble. Même en admettant un tel lien, le montant des travaux doit être limité à 6 700 euros.
- il n'a commis aucune faute envers M. [G] : l'article R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution ne constitue pas un fondement juridique permettant de retenir à son encontre un défaut d'information. En particulier, aucune disposition légale n'impose d'indiquer l'état de l'immeuble, et notamment l'existence d'une procédure de péril ou d'insalubrité. L''information sur l'absence d'arrêté de péril est d'une part exacte. La mairie a d'autre part été sollicitée sur l'existence d'un arrêté d'insalubrité, mais n'a pas apporté de réponse sur ce point : cet arrêté a été « oublié » pendant des années, dans des conditions ayant notamment permis à M. [Y] d'obtenir l'aide de la Caf pour la location de cet immeuble. Le créancier poursuivant n'est pas le propriétaire de l'immeuble et n'a pas notification d'un tel arrêté.
- les travaux réalisés étaient nécessaires au regard des pièces produites dans le cadre de la vente forcée sur saisie immobilière, qui révélaient l'insalubrité des lieux que M. [G] a entrepris de rénover par quelques menus travaux.
- le recours de M. [G] est abusif, alors que ce dernier ne dispose d'aucune garantie dans le cadre d'une vente forcée et qu'il prend à l'inverse l'immeuble dans l'état où il se trouve. M. [G] a réalisé une plus-value importante en revendant l'immeuble, sans avoir réalisé les travaux nécessaires pour qu'il soit conforme à un logement décent.
La Sci Yassmine n'a pas constitué avocat devant la cour, bien que régulièrement intimée et assignée en appel provoqué en la personne de son mandataire ad hoc.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité de M. [G], vendeur :
- sur l'obligation indemnitaire de M. [G] :
La cour adopte intégralement la motivation du premier juge sur l'existence d'un manquement à l'obligation de délivrance imputable à M. [G] en sa qualité de vendeur de l'immeuble litigieux au profit de M. [Y].
Alors que le dol n'est invoqué qu'accessoirement à l'encontre de M. [G], la connaissance par ce dernier de l'existence de l'arrêté préfectoral d'insalubrité n'est en revanche pas requise pour constater l'absence de délivrance de l'immeuble conforme aux stipulations contractuelles, étant observé que l'immeuble est à usage d'habitation et qu'un tel arrêté comporte l'interdiction temporaire d'y habiter.
Le vendeur étant légalement tenu d'une telle obligation de délivrance, la comparaison entre la situation réelle de l'immeuble et celle indiquée dans l'acte de vente suffit à établir un manquement par M. [G] à une telle obligation, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le caractère intentionnel de la déclaration de ce vendeur ayant indiqué en page 13 de l'acte notarié de vente que l'immeuble vendu n'a fait l'objet ni d'un arrêté d'insalubrité, ni d'une procédure d'interdiction d'habiter.
À ce titre, il incombe à M. [G] d'indemniser M. [Y] des préjudices résultant d'un tel manquement contractuel.
- sur l'indemnisation de M. [Y] :
Les autres parties s'associent à M. [G] pour contester soit l'existence des préjudices invoqués, soit leur lien de causalité avec la situation d'insalubrité de l'immeuble vendu.
=> au titre des travaux de réparation de l'immeuble :
Seuls les travaux ayant été réalisés par M. [Y] pour remédier aux causes d'insalubrité sont indemnisables.
Il résulte à cet égard de l'arrêté préfectoral du 18 janvier 2017, que l'insalubrité de l'immeuble a été déclaré en considération des causes suivantes :
« - l'escalier du 1er étage est en mauvais état, plusieurs marches sont fortement dégradées et peuvent présenter un danger,
- le garde-corps du 2ème étage n'est pas aux normes,
- les différentes toitures présentent des fuites,
- l'installation électrique n'est pas aux normes et peut être dangereuse du fait des importants problèmes d'humidité,
- il n'existe pas d'installation de chauffage,
- il n'existe pas de ventilation efficace dans les pièces de service,
- la salle de bains bénéficier d'une baignoire et d'un lavabo mais présente d'importantes traces d'humidité, l'eau chaude est procurée par un cumulus électrique, les wc sont intérieurs au logement. »
A l'issue d'une inspection du logement, le service communal d'hygiène et de santé a ainsi avisé M. [Y], par courrier du 23 juin 2017, de la nécessité de réaliser les travaux suivants :
«' Électricité
' vérification et remise en état si nécessaire de l'installation électrique avec fourniture d'une attestation de sécurité par un électricien professionnel qualifié enregistré au registre du commerce ou fourniture d'une attestation de type Consuel,
' Escalier, rampes et garde-corps
- absence de garde-corps pour le quart-tournant de l'escalier d'accès au 1 er étage (la hauteur d'un garde-corps incliné doit être de 90cm depuis de nez-de-marche et l'espacement entre barreaux verticaux inférieur à 11cm),
- absence de rampe en partie supérieure à l'escalier d'accès au 1 er étage,
- allège de la fenêtre du 1er étage en façade inférieure à 0.90 m réglementaire : installation d'une ou deux barre d'appui en partie extérieure de la fenêtre pour obtenir une hauteur de 1m et un espace entre barreaux horizontaux inférieur à 18 cm (vois schéma joint).
' Humidité
- présence de multiples traces d'infiltrations et d'humidité dans le logement (plafond cuisine, plafond palier de distribution de la salle de bains et WC, plafond de la montée d'escalier au 1er étage, bas de mur des WC, bas de mur du salon en façade avant'etc.
Fourniture d'une attestation de vérification et d'étanchéité des éléments de toiture (principale et secondaire), chéneaux, descentes d'eau et accessoires par un professionnel qualifié.
' [T]
- éradication du risque saturnin par suppression ou recouvrement des menuiseries contenant du plomb (voir diagnostic plomb délivré lors de la vente) avec fourniture d'un CREP (constat de risque d'exposition au plomb) après travaux avec des mesures de classe 0 (absence) ou classe 1 (non dégradée).
' Menuiseries
- vantail gauche de la fenêtre PVC en façade avant dégradé en partie basse,
- paumelle inférieure gauche dégradée au niveau de la baie vitrée d'accès à la cour,
- difficulté d'ouverture et fermeture de la fenêtre toit au 2 e étage en façade arrière.
' Ventilations
- absence de ventilation permanente réglementaire dans la cuisine,
- absence de tirage au niveau des bouches d'aérations au niveau de la salle de bains et des WC,
Pour rappel, la réglementation prévoit soit la pose d'aérations permanentes basses et hautes dans chaque pièces de service ou la pose d'une VMC avec extracteur au niveau de la cuisine, des WC et de la salle de bains et une évacuation de l'air vicié dans la cour.
' Équipements sanitaires
- support d'évier très dégradé (plan de travail en bois)
' Assainissement
- vérification de l'existence du rejet direct « tout à l'égout »,
- prise de toute disposition pour éviter le rejet des eaux pluviales sur le domaine public (non pris en compte pour la levée de l'arrêté). »
L'acte de vente comporte la mention que M. [G] a réalisé au cours des dix années précédentes des « travaux d'isolation (laine de verre et plaquo-plâtre), de plomberie et d'électricité dans l'ensemble de la maison », qui ont été tous achevés avant le 1er janvier 2012.
Pour autant, l'arrêté préfectoral du 21 mars 2019, prononçant la fin de l'état d'insalubrité, repose sur les « conclusions d'une enquête effectuée par le service communal d'hygiène et de sécurité établi le 24 novembre 2018, complété par la remise de document le 17 décembre 2018 et les 14 et 17 janvier 2019 constatant la réalisation de travaux de sortie d'insalubrité du logement ».
Un tel constat est ainsi intervenu postérieurement aux travaux réalisés courant 2018 par M. [Y], et à une époque très éloignée des travaux indiqués par M. [G] dans l'acte de vente
Si l'examen du compte bancaire de M. [G] fait apparaître des achats auprès des enseignes Bricodépot, La Plateforme, Bricorama ou Leroy-Merlin sur la période de décembre 2011 à janvier 2012, il ne fournit toutefois aucune indication sur l'imputabilité de telles dépenses à la levée des causes d'insalubrité.
Les seules factures produites par M. [G], établies par La Plateforme, concernent des produits se rattachant à n'importe quel type de chantier. Aucune de ces factures ne visent le traitement de l'humidité, les menuiseries défaillantes, l'absence de rampe ou garde corps, ou de réels travaux d'électricité permettant la délivrance d'un certificat de conformité par un organisme agréé. En tout état de cause, ces dépenses ne font pas double-emploi avec les travaux correspondant aux justificatifs fournis par M. [Y] et remédiant à l'insalubrité.
A l'inverse, le rapport d'inspection établi le 16 janvier 2019 vise, point par point, les justificatifs remis par M. [Y], dont la concordance avec les éléments ayant motivé l'arrêté d'insalubrité est par ailleurs constatée par les services communaux.
Il en résulte que la levée de l'insalubrité n'a résulté que des travaux financés par M. [Y] lui-même.
Enfin, la preuve du préjudice subi par M. [Y] est librement administrée, de sorte qu'elle peut valablement résulter de toutes pièces justificatives, telles que des factures, des duplicata de factures ou des tickets de caisse, dès lors qu'ils comportent la mention des biens acquis ou des prestations fournis et permettent ainsi leur rattachement aux travaux nécessaires à la main-levée de l'arrêté d'insalubrité.
À cet égard, la cour approuve pour l'essentiel le tri que le premier juge a réalisé parmi les justificatifs fournis par M. [Y], selon que les pièces justificatives révélaient spécifiquement ou non le lien des dépenses avec les travaux exigés pour la main-levée de l'arrêté d'insalubrité. La cour intègre toutefois l'indemnisation du poste concernant quatre radiateurs « panneaux rayonnant », qui avait été exclu du préjudice indemnisable par les premiers juges. En effet, la circonstance que l'immeuble soit chauffé électriquement est parfaitement compatible avec l'acquisition de tels radiateurs électriques.
Le jugement critiqué est ainsi réformé sur ce seul point, de sorte qu'il convient de condamner M. [G] à payer à M. [Y], outre la somme de 7 269,29 euros déjà retenue par le premier juge, celle de 180 euros correspondant auxdits radiateurs électriques, soit un total de 7 449,29.
=> au titre de la restitution de l'ASL :
L'obligation de rembourser la somme de 9 396 euros, indûment versé par la Caf au titre de l'ASL, résulte du courrier adressé le 9 juin 2017 à M. [Y], lui indiquant qu'en raison de l'insalubrité du logement, il n'était pas autorisé à louer l'immeuble à compter du 1er mars 2016 et à percevoir corrélativement une telle prestation jusqu'en mai 2017. Un titre de contrainte a été émis le 11 octobre 2018 par le directeur de la Caf à hauteur de ce montant.
Il en résulte que la créance de restitution est exigible. À cet égard, il est indifférent que le remboursement d'une telle créance soit intervenue, alors que le paiement préalable d'un tel indû n'est pas une condition de l'indemnisation de ce préjudice par le cocontractant de M. [Y]. En particulier, M. [Y] n'exerce aucune action subrogatoire, mais sollicite l'indemnisation d'un préjudice dont le caractère certain est établi. Au surplus, le courrier adressé le 31 décembre 2018 par la Caf à Mme [V] [A] rappelle précisément ce même montant au titre du versement indu de l'allocation logement familiale. L'historique des opérations du compte de Mme [A] ouvert auprès de la Caf confirme que cette dernière pratique des retenues mensuelles au titre d'un trop-perçu sur la période d'avril 2016 à mai 2017. Une attestation établie le 10 mars 2020 par Mme [A], concubine de M. [Y], confirme enfin la réalité d'un tel prélèvement au titre du remboursement de ce montant. Une telle mise en paiement établit en outre l'absence de recours exercé à l'encontre du titre exécutoire émis par le directeur de la Caf dans les délais y figurant.
Alors que l'immeuble devait être délivré en état d'être loué par le vendeur, la privation d'une telle allocation de logement constitue un préjudice en lien de causalité directe avec un tel manquement contractuel, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le choix par M. [Y] d'un locataire éligible à une telle prestation.
Les pièces produites établissent ainsi l'existence et le montant des sommes dont M. [Y] est privé en relation causale avec l'absence de délivrance conforme de l'immeuble à son acquéreur.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] la somme de 9 396 euros.
=> au titre de la perte de loyers :
Selon l'arrêté préfectoral du 18 janvier 2007, l'interdiction de toute location de l'immeuble est prononcée jusqu'à sa mainlevée. Son article 7 dispose que cette mainlevée ne peut intervenir qu'après constatation de la conformité des travaux réalisés aux travaux de sortie prescrits, par les agents assermentés compétents.
La mainlevée est intervenue par arrêté du 21 mars 2019.
La circonstance que M. [Y] a pu louer l'immeuble litigieux à compter du 24 mars 2016, selon bail d'une durée de 6 ans et moyennant un loyer mensuel de 780 euros, en dépit d'une insalubrité prononcée par le préfet, suffit à établir l'existence d'une perte de chance d'encaisser de tels revenus jusqu'au départ des locataires. Il n'existe aucune incompatibilité entre l'obligation de procéder aux travaux pour obtenir la levée de l'arrêté préfectoral et la perte de loyers résultant d'une telle décision.
Le départ des locataires est la conséquence directe de l'insalubrité notifiée à M. [Y], alors que l'impossibilité de relouer l'immeuble a perduré tant que l'arrêté n'a pas été levé.
Alors que cette date de départ n'est pas documentée, M. [Y] a été informé en juin 2017 de l'arrêté d'insalubrité, de sorte qu'il ne peut valablement invoquer une perte de loyer en lien causal avec cet arrêté qu'à compter de juillet 2017.
La perte de chance s'apprécie en outre au jour où la cour statue, de sorte qu'il convient de prendre en compte la revente de l'immeuble intervenue le 1er mars 2019, qui correspond à la fin du préjudice subi à ce titre.
Enfin, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. L'indemnisation de la perte de chance doit nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final.
Cette notion conduit exclusivement à déterminer le taux de probabilité de survenance de l'évolution finalement constatée, en appréciant le degré de certitude du lien de causalité entre la faute et le préjudice final.
Dans la situation contrefactuelle où M. [G] aurait délivré un immeuble non visé par un arrêté d'insalubrité et permettant son habitation, la probabilité que M. [Y] puisse percevoir un revenu locatif de 780 euros par mois jusqu'au 1er mars 2019 aurait été particulièrement élevée, ainsi que l'a retenu le premier juge à hauteur de 90 %, alors que l'aléa tenant à la solvabilité des locataires ou à leur départ avant cette échéance est réduit.
Ainsi que l'a retenu le premier juge, l'indemnisation d'une telle perte de chance s'établit en définitive à hauteur de : 780 euros x 20 mois x 90 % = 14 040 euros, selon les indications retenues ci-dessus par la cour.
Le calcul effectué par le premier juge comporte toutefois une erreur matérielle
Le jugement critiqué est en conséquence réformé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] la somme de 1 404 euros au titre de ce poste de préjudice.
=> au titre d'une perte de chance de négocier un meilleur prix de revente :
À la date de la revente de l'immeuble (1er mars 2019), l'arrêté préfectoral de mainlevée de l'insalubrité n'était pas intervenu (21 mars 2019).
Si une telle circonstance est théoriquement de nature à influer sur le prix de revente, il s'observe que M. [Y] ne fournit toutefois aucun élément permettant d'éclairer sur la valeur que l'immeuble aurait perdu en raison d'un tel arrêté, alors qu'il lui incombe de rapporter une telle preuve. En particulier, il ne produit aucune attestation de valeur correspondant à la situation contrefactuelle où l'immeuble délivré aurait été conforme comme étant autorisé à l'habitation. Il ne communique pas davantage l'acte de revente ou les pourparlers, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'apprécier dans quelle mesure l'acquéreur a pris en compte une telle situation pour négocier à la baisse le prix de vente.
Le seul fait que la vente a été effectuée pour un montant de 111 000 euros en 2019, alors que l'immeuble avait été acquis 118 000 euros en 2012, ne suffit pas à établir le lien de causalité entre une telle diminution du prix et la faute commise.
A l'inverse, la perte de chance alléguée résulte en réalité d'un choix effectué par M. [Y] de revendre l'immeuble avant même que la main-levée ne soit prononcée. En effet, M. [Y] était parfaitement informé au jour de la revente de la proximité temporelle d'une telle mainlevée, après qu'il avait remis le 17 janvier 2019 au service d'inspection les derniers justificatifs des travaux requis pour y procéder.
Alors que les fluctuations du marché immobilier sont de nature à impacter le prix de revente d'un bien, M. [Y] n'établit ni le lien entre la non-conformité de l'immeuble et la diminution du prix observée, ni la contrainte financière qui l'aurait conduite à ne pas différer de quelques semaines la vente de son immeuble dans des conditions lui permettant d'en disposer sans une telle restriction à l'habitation.
Le jugement critiqué est en conséquence réformé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] une somme de 6 000 euros au titre d'une perte de chance de mieux négocier le prix de revente. Il convient à l'inverse de le débouter d'une telle demande.
=> au titre d'un préjudice moral :
L'indemnisation des tracas résultant de la découverte tardive d'une telle non-conformité justifie l'indemnisation fixée par le premier juge à hauteur de 2 000 euros. Alors que l'immeuble avait été acquis dans un objectif d'investissement, le préjudice moral résultant de la frustration de ne pas mettre en 'uvre librement ce projet locatif, de la nécessité de gérer rapidement l'interdiction d'habitation de l'immeuble avec les locataires et de l'énergie déployée pour en obtenir la mainlevée a été ainsi valablement évalué.
Le jugement critiqué est confirmé de ce chef.
Sur les recours à l'encontre de la Selarl notariale :
sur le recours exercé par M. [Y] :
Outre que les demandes indemnitaires sont exclusivement formées à l'encontre de « Me [W] », notaire n'ayant jamais été partie à l'instance en son nom personnel, elles sont présentées subsidiairement à celles formées à l'encontre de M. [G]. Le vendeur ayant été condamné à indemniser M. [Y], il n'y a ainsi pas lieu de statuer sur les demandes que ce dernier présente à l'encontre du notaire.
Sur le recours exercé par M. [G] :
Lorsqu'il est reproché au notaire d'enfreindre une obligation tenant à sa qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle.
En application de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le notaire rédacteur de l'acte doit, avant de dresser un acte, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de l'acte qu'il instrumente ; il est tenu d'éclairer les parties sur la portée, les conséquences et les effets des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.
Si ce notaire, recevant un acte en l'état de déclarations erronées, n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est, cependant, tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale aisément accessible, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse.
En l'espèce, la circonstance que la Selarl notariale n'a d'une part pas procédé au rapprochement entre l'information qu'elle avait obtenue en 2009 lors d'un projet avorté de vente de ce même immeuble et l'acte de vente que Me [W] a effectivement dressé le 4 juillet 2012 n'est pas constitutive d'une faute.
A plus forte raison, aucun dol n'est établi à l'encontre de la Selarl notariale, à défaut de toute volonté de dissimulation imputable à cette dernière à l'égard de l'acquéreur de l'immeuble.
En effet, à défaut de tout lien de dépendance entre les deux projets de vente immobilière et en considération du délai qui s'est écoulé entre l'instruction par le notaire de chacun d'entre eux, il ne saurait être reproché à ce dernier une telle absence de connexion entre deux dossiers ouverts au sein de son étude, étant observé qu'aucune des parties visées par le projet de 2009 ne figure dans l'acte de vente établi en 2012 (M. [G] étant adjudicataire en novembre 2011 de l'immeuble).
D'autre part, la cour approuve en revanche le premier juge d'avoir retenu que Me [W] a manqué à son obligation de vérifier les déclarations de M. [G] concernant l'absence d'arrêté d'insalubrité et d'interdiction d'habiter l'immeuble, ayant affecté l'efficacité de l'acte qu'il a dressé.
La seule circonstance qu'en dépit de son article 8, l'arrêté préfectoral n'a pas été publié au service de la publicité foncière aux frais du propriétaire de l'immeuble ne suffit pas à exonérer le notaire de son obligation de procéder à des vérifications complémentaires, auxquelles il est tenu même en l'absence d'une publicité légale, dès lors qu'il s'agit de s'assurer de l'efficacité de la vente.
Il convient à cet égard d'observer que :
- lors de l'instruction du projet en 2009, le notaire avait procédé à une telle démarche préalable à la vente, admettant ainsi qu'une telle investigation entrait dans le champ des vérifications qu'il lui appartenait d'effectuer pour établir l'acte de vente.
- dans l'acte de vente du 4 juillet 2012, le notaire a lui-même estimé nécessaire de faire préciser au vendeur qu'aucun arrêté d'insalubrité ne visait l'immeuble vendu, pointant à nouveau le caractère essentiel d'une telle information pour l'efficacité de son acte.
Ayant également identifié la nécessité d'une telle vérification préalable à l'adjudication de l'immeuble, le Crédit mutuel a enfin lui-même interrogé la mairie sur l'existence d'une éventuelle insalubrité, en sa qualité de créancier poursuivant, lors de la rédaction du cahier des conditions de vente valant titre au profit de l'adjudicataire.
Il en résulte qu'une telle démarche, par ailleurs dépourvue de complexité, constitue une formalité couramment réalisée préalablement à la rédaction d'un acte opérant transfert immobilier d'un bien, qui est indispensable à en garantir l'efficacité.
A défaut d'avoir réitéré en 2012 une telle interrogation auprès des services compétents, la Selarl notariale a commis une faute délictuelle qui engage sa responsabilité à l'égard de M. [Y] en ce qu'elle a compromis l'efficacité de l'acte.
Le préjudice subi par M. [G] et résultant d'une telle faute imputable à la Selarl notariale est constitué par sa condamnation à indemniser M. [Y], qui est la conséquence du défaut de vérifications par le notaire. Alors qu'aucune cause d'exonération ou de limitation de sa responsabilité n'est par ailleurs invoquée ou établie, ainsi que le relève le premier juge, il convient de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a condamné la Selarl notariale à garantir M. [G] de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre.
Sur la demande d'indemnisation complémentaire par M. [G] à l'encontre de la Selarl notariale :
La faute du notaire a causé l'exercice d'une action en responsabilité à l'encontre de M. [G], qui a ainsi découvert a posteriori l'existence d'un tel arrêté d'insalubrité et a subi à ce titre un préjudice moral, résultant des tracas causés par une telle situation.
En réparation de ce préjudice distinct, imputable à la faute délictuelle de la Selarl notariale, il convient de condamner la Selarl notariale à payer à M. [G] une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement critiqué est réformé en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande à ce titre.
Sur le recours de la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine :
Le recours exercé par la Selarl notariale est fondé sur l'article 1240 du code civil, de sorte que la responsabilité pour faute délictuelle est exclusivement invoquée à l'encontre de la Sci Yassmine. A ce titre, il est reproché uniquement à cette dernière de n'avoir pas informé l'huissier de justice, la banque et le notaire de l'existence d'un tel arrêté d'insalubrité.
Outre que l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 est seul applicable à l'espèce, la cour approuve le premier juge d'avoir estimé que la preuve d'une telle faute n'est pas établie par la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine, dès lors que :
- la preuve que l'arrêté préfectoral a été effectivement notifié à cette société n'est pas rapportée ; la seule mention figurant sur l'arrêté ne suffit pas à prouver l'exécution réelle d'une telle diligence.
- même dans l'affirmative, la preuve que la société Yassmine aurait omis d'informer l'huissier de justice de son existence n'est pas davantage fournie, alors qu'en sa qualité de débiteur saisi, elle n'a pas constitué avocat dans la procédure de saisie immobilière.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a débouté la Selarl notariale de son recours à l'encontre de la Sci Yassmine.
Sur les autres recours de M. [G] :
=> à l'encontre de la Sci Yassmine :
D'une part, M. [G] recherche la responsabilité de la Sci Yassmine sur le fondement de la faute délictuelle, au visa de l'article 1240 du code civil, en invoquant la dissimulation par cette dernière de l'existence de l'arrêté préfectoral d'insalubrité. La motivation précédemment développée au titre du recours exercé par la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine est transposable. La preuve d'une telle faute n'est pas démontrée.
D'autre part, M. [G] invoque un dol commis par la Sci Yassmine, au visa des articles 1109 et 1116 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. L'existence d'un tel dol implique toutefois la démontration préalable que son auteur connaissait l'information frauduleusement dissimulée. A nouveau, une telle preuve n'est pas rapportée.
La circonstance que la responsabilité de M. [G] soit par ailleurs retenue en dépit de sa propre ignorance de cet arrêté est indifférente, alors qu'une telle responsabilité repose sur un défaut de délivrance conforme.
A défaut d'invoquer un autre fondement clairement formulé et comportant un visa textuel valable, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de garantie formée par M. [G] à l'encontre de la Sci Yassmine.
La demande indemnitaire à l'encontre de la Sci Yassmine n'est pas plus motivée que devant le premier juge. En l'absence de toute faute établie à l'égard de cette société, le jugement ayant débouté M. [G] de cette demande est confirmé.
=> à l'encontre du Crédit mutuel :
Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient seulement de souligner qu'il n'appartenait pas au Crédit mutuel de solliciter à nouveau les services de la mairie pour faire préciser la réponse fournie par ces derniers, alors que ce créancier poursuivant les avait valablement et complètement interrogé sur l'existence tant d'un « péril » que des « mesures d'insalubrité » ou d' « interdiction d'habiter » applicable à cet immeuble, de sorte qu'il était légitime à intégrer cette réponse au cahier des conditions de vente établi sous sa responsabilité.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [G] à l'encontre du Crédit mutuel.
La demande indemnitaire à l'encontre du Crédit mutuel n'est pas plus motivée que devant le premier juge. En l'absence de toute faute établie à l'égard de cette société, le jugement ayant débouté M. [G] de cette demande est confirmé.
Sur l'abus du droit d'agir en justice :
En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.
La position de M. [G] ne peut être considérée comme résultant d'une attitude fautive, alors que son argumentaire n'est pas dénué de toute pertinence, notamment par référence à la responsabilité qu'engage le créancier poursuivant dans la rédaction du cahier des conditions de vente, en application de l'article R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a débouté le Crédit mutuel de sa demande indemnitaire au titre d'un abus de procédure.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
d'autre part, à condamner la Selarl notariale aux entiers dépens d'appel et à payer à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.
enfin, de débouter les autres parties de leurs demandes respectifs au titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 12 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 9 396 euros au titre du remboursement des allocations,
* 2 000 euros au titre du préjudice moral ;
- dans l'instance initiée par M. [B] [Y], condamné M. [S] [G] à supporter les dépens de l'instance ;
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] la somme de
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Selarl [W] Fremaux à garantir M. [S] [G] de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui ;
- dans l'instance initiée par M. [G], condamné la Selarl [W] Fremaux à supporter les dépens de l'instance ;
- condamné la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le réforme en ce qu'il a :
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 7 269,29 euros au titre des réparations,
* 1 404 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
* 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
- rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles;
Et statuant à nouveau sur les chefs ainsi réformés :
- condamne M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 7 449,29 euros au titre des réparations,
* 14 040 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
- déboute M. [B] [Y] de sa demande de condamnation à l'encontre de [S] [G] au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
Le réforme partiellement en ce qu'il a « rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles » ;
et statuant à nouveau sur le chef ainsi réformé :
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [S] [G] à l'encontre de la Sci Yassmine ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par la Selarl [W] Fremaux à l'encontre de la Sci Yassmine ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [S] [G] à l'encontre de la Caisse de crédit mutuel de Lille Hellemmes ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a débouté la Caisse de crédit mutuel de Lille Hellemmes de sa demande de condamnation à l'encontre de M. [S] [G] au titre d'une procédure abusive ;
- réforme ledit jugement en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation formée par M. [S] [G] à l'encontre de Selarl [W] Fremaux au titre d'un préjudice moral et statuant à nouveau de ce chef, condamne Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation d'un préjudice moral ;
Condamne la Selarl [W] Fremaux aux entiers dépens d'appel ;
Condamne la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [B] [Y] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute les autres parties de leurs demandes respectives au titre des dépens et frais irrépétibles ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le Greffier
Harmony Poyteau
Le Président
Guillaume Salomon
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 06/06/2024
****
N° de MINUTE : 24/197
N° RG 22/04442 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UP2B
Jugement (N° 19/02643) rendu le 12 Septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
SELARL [W]-Fremaux prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Représentée par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
Monsieur [B] [Y]
né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représenté par Me Guilhem d'Humieres, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
Monsieur [S] [G]
né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Julie Baur, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
SCI Yassmine prise en la personne de son mandataire ad hoc la Selarl Depreux mandataire judiciaire désigné par ordonnance du président du Tribunal judiciaire de Lille du 1er mars 2023
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Défaillante, assignée en appel provoqué le 6 avril 2023 à personne habilitée
Société Caisse de Crédit Mutuel d'Hellemmes
Assignée en appel provoqué le 16 mars 2023
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Caroline Follet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l'audience publique du 14 décembre 2023 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024 après prorogation du délibéré en date du 07 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 28 novembre 2023
Communiquées aux parties le 1 décembre 2023
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 novembre 2023
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EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
La Caisse de Crédit mutuel de Lille-Hellemmes (le Crédit mutuel) a engagé une saisie immobilière sur un bien à usage d'habitation appartenant à la Sci Yassmine.
Suivant jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lille du 2 novembre 2011, M. [S] [G] a acquis cet immeuble par adjudication, moyennant un prix de 62 000 euros.
Par acte authentique du 4 juillet 2012, reçu par Me [E] [W], notaire exerçant au sein de la Selarl [W] Fremaux (la Selarl notariale), M. [G] a revendu ce bien à M. [B] [Y], moyennant un prix de 118 000 euros.
M. [Y] a loué cet immeuble à compter du 26 mars 2016.
Le 9 juin 2017, la Caisse d'allocations familiales du Nord (la Caf) a informé M. [Y] de l'existence d'un arrêté préfectoral du 18 janvier 2007, ayant déclaré le logement insalubre avec possibilité d'y remédier. Elle a par conséquent réclamé le remboursement d'un indu d'allocation logement à caractère familial (ALF) au titre de l'interdiction de louer un tel bien.
M. [Y] a revendu l'immeuble à un tiers suivant acte authentique du 1er mars 2019 au prix de 111 000 euros et 1'arrêté d'insalubrité a été levé le 21 mars 2019.
Par acte du 20 mars 2019, M. [Y] a fait assigner M. [G], devant le tribunal de grande instance de Lille aux 'ns principalement d'engager sa responsabilité pour manquement à son obligation de délivrance conforme et d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Parallèlement, par actes du 28 novembre 2019, M. [G] a fait assigner en intervention forcée la Selarl notariale, la Sci Yassmine et le Crédit mutuel devant le tribunal de grande instance de Lille a'n de réclamer leur garantie.
Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 12 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
1. condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
a- 7 269,29 euros au titre des réparations,
b- 9 396 euros au titre du remboursement des allocations,
c- 1 404 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
d - 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
e - 2 000 euros au titre du préjudice moral ;
2. dans l'instance initiée par M. [B] [Y], condamné M. [S] [G] à supporter les dépens de l'instance ;
3. condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] la somme de
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
4. condamné la Selarl [W] Fremaux à garantir M. [S] [G] de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui ;
5. dans l'instance initiée par M. [G], condamné la Selarl [W] Fremaux à supporter les dépens de l'instance ;
6. condamné la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
7. rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles ;
8. ordonné l'exécution provisoire du jugement dans toutes ses dispositions.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 21 septembre 2021, la Selarl notariale a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
Le 16 mars 2023, M. [G] a assigné en appel provoqué le Crédit mutuel.
Le 6 avril 2023, la Selarl notariale a assigné en appel provoqué la Sci Yassmine.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juin 2023, la Selarl notariale demande à la cour de réformer le jugement critiqué en ses dispositions numérotées 1, et 4 à 8 ci-dessus.
En conséquence,
=> à titre principal : vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
- rejeter les prétentions, fins et conclusions de M. [G] et de M. [Y] en tant qu'elles sont dirigées à son encontre, les en débouter,
- les condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre aux entiers dépens.
=> à titre subsidiaire : vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
- condamner la Sci Yassmine à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- la condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, la Selarl notariale fait valoir que :
sa responsabilité civile ne peut être engagée, dès lors que :
(i) elle n'a commis aucune faute : étant tenu à une obligation de moyens, le notaire n'a pu connaître l'arrêté d'insalubrité visant l'immeuble vendu, qui n'est pas mentionné dans le cahier des charges élaboré dans le cadre de la saisie immobilière et dans les pièces sollicitées lors de l'instruction de la revente à M. [Y] ; en outre, le vendeur a déclaré expressément que l'immeuble ne faisait pas l'objet d'un tel arrêté d'insalubrité, alors qu'aucun indice n'était de nature à créer chez le notaire un doute sur la véracité d'une telle déclaration ; si le notaire avait déjà été chargé de vendre l'immeuble litigieux dès 2009 et a pu interroger le service des affaires sociales dans l'instruction d'un tel projet, aucun compromis de vente n'avait été à l'époque conclu, alors qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait en 2012 le rapprochement entre la vente litigieuse et ce projet au regard du volume des dossiers qu'il traite.
la faute reprochée n'a pas de lien de causalité avec les préjudices invoqués : alors que l'arrêté d'insalubrité vise les désordres l'ayant motivé, l'arrêté de levée d'insalubrité ne détaille pas les travaux pris en compte pour l'autoriser ; il n'est pas prouvé que les travaux dont se prévaut M. [Y] sont ceux qui ont permis de lever cette insalubrité, alors que M. [G] a lui-même réalisé des travaux antérieurement à la vente litigieuse ; en tout état de cause, certains travaux dont l'indemnisation est demandée sont étrangers à la question de l'insalubrité.
les préjudices allégués ne sont pas établis.
- la Sci Yassmine doit le garantir, dès lors qu'elle avait connaissance de l'arrêté d'insalubrité qui lui a été notifié le 18 janvier 2007 par la Ddass.
4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 7 septembre 2023, M. [G] demande à la cour d'infirmer le jugement critiqué en ses dispositions numérotées 1, 2, 3 et 7 ci-dessus, et statuant à nouveau, au visa des articles 1103, 1104, 1137, 1217, 1231 et suivants, 1604 du code civil, 1240 du code civil, R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution, de :
=> à titre principal :
' déclarer que sa responsabilité ne pourra pas être engagée ni sur le fondement du manquement de l'obligation de délivrance, ni sur le fondement du dol ;
' en conséquence, débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter la Selarl notariale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter la Sci Yassmine de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
' en conséquence, débouter le Crédit mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à son encontre ;
de plus,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre de la Selarl notariale ;
' condamner la Selarl notariale à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner la Selarl notariale à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner la Selarl notariale à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la Selarl notariale aux entiers frais et dépens de l'instance ;
' débouter la Selarl notariale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [G] ;
mais également,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre de la Sci Yassmine ;
' condamner la Sci Yassmine à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner la Sci Yassmine à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner la Sci Yassmine à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la Sci Yassmine aux entiers frais et dépens de l'instance ;
Et enfin,
' déclarer recevable et bien-fondé l'appel en garantie diligenté à l'encontre du Crédit mutuel ;
' condamner le Crédit mutuel à le garantir de toutes les condamnations indemnitaires qui seraient prononcées contre lui ;
' condamner le Crédit mutuel à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
' condamner le Crédit mutuel à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner le Crédit mutuel aux entiers frais et dépens de l'instance.
' débouter le Crédit mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;
=> A titre subsidiaire,
' juger que les demandes indemnitaires de M. [Y] sont infondées et injustifiées et les déclarer irrecevables ;
' En conséquence, débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant qu'elles sont dirigées à l'encontre de M. [G] ;
=> En tout état de cause,
' condamner M. [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
' condamner M. [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner M. [Y] aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, M. [G] fait valoir que :
sa responsabilité n'est pas engagée : aucun manquement à l'obligation de délivrance conforme ne peut lui être reproché : l'arrêté d'insalubrité a été pris alors que la Sci Yassmine était propriétaire de l'immeuble et le Crédit mutuel ne l'a pas informé d'une telle décision ; il n'a en outre commis aucune man'uvre dolosive à l'égard de M. [Y] ;
en revanche, le notaire a commis une faute, n'ayant pas assuré l'efficacité de l'acte de vente, alors qu'une telle obligation est de résultat. Il doit procéder à toutes les investigations utiles, qu'il y ait ou non publicité légale, lorsque les déclarations du vendeur conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte, même en cas de faute intentionnelle du vendeur ; le notaire a commis un dol en dissimulant volontairement l'existence d'un arrêté d'insalubrité, dont il avait connaissance depuis 2009 dans le cadre d'un précédent projet de vente de l'immeuble litigieux ;
la Sci Yassmine est venderesse et sa responsabilité peut être engagée sur le fondement de l'article 1240 du code civil ; elle était informée d'un tel arrêté qui est notifié par le préfet au propriétaire du bien insalubre ; en dissimulant sciemment cet arrêté tant à M. [G] qu'au Crédit mutuel, la Sci Yassmine a commis un dol à son égard, dès lors que son consentement a été vicié par une telle dissimulation lors de l'acquisition de l'immeuble.
Les erreurs et omissions affectant le procès-verbal et le cahier des conditions de vente engagent enfin la responsabilité personnelle du créancier poursuivant. Le Crédit mutuel est responsable de s'être contenté de la réponse incomplète par la mairie, indiquant exclusivement que l'immeuble ne fait pas l'objet d'une procédure de péril, alors qu'il s'agissait également de rechercher un éventuel arrêté d'insalubrité.
Les préjudices invoqués par M. [Y] n'ont pas de lien avec le manquement qui lui est reproché ou ne sont pas établis, notamment s'agissant des pertes de chance alléguées.
4.3. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 juin 2023, M. [Y] demande à la cour, au visa des articles 1604, 1109, 1116 et 1147, et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016, de :
=> confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a réduit ses demandes indemnitaires aux montants suivants :
- 7 269,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- 1 404 euros au titre de la perte de chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019,
- 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble,
- 2 000 euros au titre du préjudice moral,
- débouter Me [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Statuant à nouveau :
- condamner M. [G] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 17 160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral,
Y ajoutant :
- condamner Me [W] à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
condamner Me [W] aux entiers frais et dépens d'appel ;
A titre subsidiaire :
- condamner M. [G] en ce qu'il a vicié son consentement par dol, au titre de la vente en date du 04 juillet 2012 ;
en conséquence :
- condamner M. [G] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 9 396 euros au titre de l'allocation logement à caractère familiale due à la CAF du Nord,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 17.160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 7.000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner Me [W] à le garantir de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui,
- condamner M. [G], outre aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre infiniment subsidiaire :
- condamner Me [W] en ce qu'il a engagé « leur (sic) responsabilité délictuelle » à son égard ;
En conséquence :
- condamner Me [W] à lui verser la somme totale de 8 126,29 euros au titre des travaux permettant la levée de l'arrêté préfectoral d'insalubrité,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 9 396 euros au titre de l'Allocation logement à caractère familiale due à la CAF du Nord,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 17.160 euros au titre de la perte de loyer mensuel depuis le mois de juin 2017 jusqu'à la date de levée de l'arrêté le 21 mars 2019,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir négocier la vente de son bien immobilier au meilleur prix,
- condamner Me [W] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner Me [W] outre aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, M. [Y] fait valoir que :
- M. [G] a manqué à son obligation de délivrance conforme de l'immeuble vendu, dès lors que la vente ne comporte aucune indication de l'état d'insalubrité. Subsidiairement, il a commis un dol à son encontre, dès lors que le vendeur a expressément déclaré dans l'acte de vente que le bien ne fait l'objet d'aucun arrêté d'insalubrité, alors qu'il connaissait parfaitement l'immeuble acquis par adjudication. Les travaux réalisés par M. [G], préalablement à la revente du bien, avait pour objet de dissimuler l'état d'insalubrité de l'immeuble.
- Me [W] avait connaissance à compter de 2009 de l'arrêté préfectoral de 2007. En tout état de cause, il lui appartenait de procéder à la vérification, qu'il avait déjà effectuée en 2009. Le devoir de conseil est applicable, dès lors que ce notaire a préparé l'acte de vente qu'il a authentifié. La responsabilité délictuelle du notaire est engagée à son encontre.
- ses préjudices sont établis.
4.4. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2023, le Crédit mutuel demande à la cour de :
=> à titre principal, débouter M. [S] [G] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
=> en tant que de besoin, débouter toute partie amenée à présenter une demande indemnitaire à son encontre.
=> En tout état de cause, condamner M. [S] [G] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en cause abusive, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, le Crédit mutuel fait valoir que :
- M. [G] n'a pas personnellement financé l'acquisition de l'immeuble et y a procédé personnellement à des travaux. Les factures de matériaux ne permettent pas d'établir leur lien avec une réhabilitation effective de l'immeuble. Même en admettant un tel lien, le montant des travaux doit être limité à 6 700 euros.
- il n'a commis aucune faute envers M. [G] : l'article R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution ne constitue pas un fondement juridique permettant de retenir à son encontre un défaut d'information. En particulier, aucune disposition légale n'impose d'indiquer l'état de l'immeuble, et notamment l'existence d'une procédure de péril ou d'insalubrité. L''information sur l'absence d'arrêté de péril est d'une part exacte. La mairie a d'autre part été sollicitée sur l'existence d'un arrêté d'insalubrité, mais n'a pas apporté de réponse sur ce point : cet arrêté a été « oublié » pendant des années, dans des conditions ayant notamment permis à M. [Y] d'obtenir l'aide de la Caf pour la location de cet immeuble. Le créancier poursuivant n'est pas le propriétaire de l'immeuble et n'a pas notification d'un tel arrêté.
- les travaux réalisés étaient nécessaires au regard des pièces produites dans le cadre de la vente forcée sur saisie immobilière, qui révélaient l'insalubrité des lieux que M. [G] a entrepris de rénover par quelques menus travaux.
- le recours de M. [G] est abusif, alors que ce dernier ne dispose d'aucune garantie dans le cadre d'une vente forcée et qu'il prend à l'inverse l'immeuble dans l'état où il se trouve. M. [G] a réalisé une plus-value importante en revendant l'immeuble, sans avoir réalisé les travaux nécessaires pour qu'il soit conforme à un logement décent.
La Sci Yassmine n'a pas constitué avocat devant la cour, bien que régulièrement intimée et assignée en appel provoqué en la personne de son mandataire ad hoc.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité de M. [G], vendeur :
- sur l'obligation indemnitaire de M. [G] :
La cour adopte intégralement la motivation du premier juge sur l'existence d'un manquement à l'obligation de délivrance imputable à M. [G] en sa qualité de vendeur de l'immeuble litigieux au profit de M. [Y].
Alors que le dol n'est invoqué qu'accessoirement à l'encontre de M. [G], la connaissance par ce dernier de l'existence de l'arrêté préfectoral d'insalubrité n'est en revanche pas requise pour constater l'absence de délivrance de l'immeuble conforme aux stipulations contractuelles, étant observé que l'immeuble est à usage d'habitation et qu'un tel arrêté comporte l'interdiction temporaire d'y habiter.
Le vendeur étant légalement tenu d'une telle obligation de délivrance, la comparaison entre la situation réelle de l'immeuble et celle indiquée dans l'acte de vente suffit à établir un manquement par M. [G] à une telle obligation, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le caractère intentionnel de la déclaration de ce vendeur ayant indiqué en page 13 de l'acte notarié de vente que l'immeuble vendu n'a fait l'objet ni d'un arrêté d'insalubrité, ni d'une procédure d'interdiction d'habiter.
À ce titre, il incombe à M. [G] d'indemniser M. [Y] des préjudices résultant d'un tel manquement contractuel.
- sur l'indemnisation de M. [Y] :
Les autres parties s'associent à M. [G] pour contester soit l'existence des préjudices invoqués, soit leur lien de causalité avec la situation d'insalubrité de l'immeuble vendu.
=> au titre des travaux de réparation de l'immeuble :
Seuls les travaux ayant été réalisés par M. [Y] pour remédier aux causes d'insalubrité sont indemnisables.
Il résulte à cet égard de l'arrêté préfectoral du 18 janvier 2017, que l'insalubrité de l'immeuble a été déclaré en considération des causes suivantes :
« - l'escalier du 1er étage est en mauvais état, plusieurs marches sont fortement dégradées et peuvent présenter un danger,
- le garde-corps du 2ème étage n'est pas aux normes,
- les différentes toitures présentent des fuites,
- l'installation électrique n'est pas aux normes et peut être dangereuse du fait des importants problèmes d'humidité,
- il n'existe pas d'installation de chauffage,
- il n'existe pas de ventilation efficace dans les pièces de service,
- la salle de bains bénéficier d'une baignoire et d'un lavabo mais présente d'importantes traces d'humidité, l'eau chaude est procurée par un cumulus électrique, les wc sont intérieurs au logement. »
A l'issue d'une inspection du logement, le service communal d'hygiène et de santé a ainsi avisé M. [Y], par courrier du 23 juin 2017, de la nécessité de réaliser les travaux suivants :
«' Électricité
' vérification et remise en état si nécessaire de l'installation électrique avec fourniture d'une attestation de sécurité par un électricien professionnel qualifié enregistré au registre du commerce ou fourniture d'une attestation de type Consuel,
' Escalier, rampes et garde-corps
- absence de garde-corps pour le quart-tournant de l'escalier d'accès au 1 er étage (la hauteur d'un garde-corps incliné doit être de 90cm depuis de nez-de-marche et l'espacement entre barreaux verticaux inférieur à 11cm),
- absence de rampe en partie supérieure à l'escalier d'accès au 1 er étage,
- allège de la fenêtre du 1er étage en façade inférieure à 0.90 m réglementaire : installation d'une ou deux barre d'appui en partie extérieure de la fenêtre pour obtenir une hauteur de 1m et un espace entre barreaux horizontaux inférieur à 18 cm (vois schéma joint).
' Humidité
- présence de multiples traces d'infiltrations et d'humidité dans le logement (plafond cuisine, plafond palier de distribution de la salle de bains et WC, plafond de la montée d'escalier au 1er étage, bas de mur des WC, bas de mur du salon en façade avant'etc.
Fourniture d'une attestation de vérification et d'étanchéité des éléments de toiture (principale et secondaire), chéneaux, descentes d'eau et accessoires par un professionnel qualifié.
' [T]
- éradication du risque saturnin par suppression ou recouvrement des menuiseries contenant du plomb (voir diagnostic plomb délivré lors de la vente) avec fourniture d'un CREP (constat de risque d'exposition au plomb) après travaux avec des mesures de classe 0 (absence) ou classe 1 (non dégradée).
' Menuiseries
- vantail gauche de la fenêtre PVC en façade avant dégradé en partie basse,
- paumelle inférieure gauche dégradée au niveau de la baie vitrée d'accès à la cour,
- difficulté d'ouverture et fermeture de la fenêtre toit au 2 e étage en façade arrière.
' Ventilations
- absence de ventilation permanente réglementaire dans la cuisine,
- absence de tirage au niveau des bouches d'aérations au niveau de la salle de bains et des WC,
Pour rappel, la réglementation prévoit soit la pose d'aérations permanentes basses et hautes dans chaque pièces de service ou la pose d'une VMC avec extracteur au niveau de la cuisine, des WC et de la salle de bains et une évacuation de l'air vicié dans la cour.
' Équipements sanitaires
- support d'évier très dégradé (plan de travail en bois)
' Assainissement
- vérification de l'existence du rejet direct « tout à l'égout »,
- prise de toute disposition pour éviter le rejet des eaux pluviales sur le domaine public (non pris en compte pour la levée de l'arrêté). »
L'acte de vente comporte la mention que M. [G] a réalisé au cours des dix années précédentes des « travaux d'isolation (laine de verre et plaquo-plâtre), de plomberie et d'électricité dans l'ensemble de la maison », qui ont été tous achevés avant le 1er janvier 2012.
Pour autant, l'arrêté préfectoral du 21 mars 2019, prononçant la fin de l'état d'insalubrité, repose sur les « conclusions d'une enquête effectuée par le service communal d'hygiène et de sécurité établi le 24 novembre 2018, complété par la remise de document le 17 décembre 2018 et les 14 et 17 janvier 2019 constatant la réalisation de travaux de sortie d'insalubrité du logement ».
Un tel constat est ainsi intervenu postérieurement aux travaux réalisés courant 2018 par M. [Y], et à une époque très éloignée des travaux indiqués par M. [G] dans l'acte de vente
Si l'examen du compte bancaire de M. [G] fait apparaître des achats auprès des enseignes Bricodépot, La Plateforme, Bricorama ou Leroy-Merlin sur la période de décembre 2011 à janvier 2012, il ne fournit toutefois aucune indication sur l'imputabilité de telles dépenses à la levée des causes d'insalubrité.
Les seules factures produites par M. [G], établies par La Plateforme, concernent des produits se rattachant à n'importe quel type de chantier. Aucune de ces factures ne visent le traitement de l'humidité, les menuiseries défaillantes, l'absence de rampe ou garde corps, ou de réels travaux d'électricité permettant la délivrance d'un certificat de conformité par un organisme agréé. En tout état de cause, ces dépenses ne font pas double-emploi avec les travaux correspondant aux justificatifs fournis par M. [Y] et remédiant à l'insalubrité.
A l'inverse, le rapport d'inspection établi le 16 janvier 2019 vise, point par point, les justificatifs remis par M. [Y], dont la concordance avec les éléments ayant motivé l'arrêté d'insalubrité est par ailleurs constatée par les services communaux.
Il en résulte que la levée de l'insalubrité n'a résulté que des travaux financés par M. [Y] lui-même.
Enfin, la preuve du préjudice subi par M. [Y] est librement administrée, de sorte qu'elle peut valablement résulter de toutes pièces justificatives, telles que des factures, des duplicata de factures ou des tickets de caisse, dès lors qu'ils comportent la mention des biens acquis ou des prestations fournis et permettent ainsi leur rattachement aux travaux nécessaires à la main-levée de l'arrêté d'insalubrité.
À cet égard, la cour approuve pour l'essentiel le tri que le premier juge a réalisé parmi les justificatifs fournis par M. [Y], selon que les pièces justificatives révélaient spécifiquement ou non le lien des dépenses avec les travaux exigés pour la main-levée de l'arrêté d'insalubrité. La cour intègre toutefois l'indemnisation du poste concernant quatre radiateurs « panneaux rayonnant », qui avait été exclu du préjudice indemnisable par les premiers juges. En effet, la circonstance que l'immeuble soit chauffé électriquement est parfaitement compatible avec l'acquisition de tels radiateurs électriques.
Le jugement critiqué est ainsi réformé sur ce seul point, de sorte qu'il convient de condamner M. [G] à payer à M. [Y], outre la somme de 7 269,29 euros déjà retenue par le premier juge, celle de 180 euros correspondant auxdits radiateurs électriques, soit un total de 7 449,29.
=> au titre de la restitution de l'ASL :
L'obligation de rembourser la somme de 9 396 euros, indûment versé par la Caf au titre de l'ASL, résulte du courrier adressé le 9 juin 2017 à M. [Y], lui indiquant qu'en raison de l'insalubrité du logement, il n'était pas autorisé à louer l'immeuble à compter du 1er mars 2016 et à percevoir corrélativement une telle prestation jusqu'en mai 2017. Un titre de contrainte a été émis le 11 octobre 2018 par le directeur de la Caf à hauteur de ce montant.
Il en résulte que la créance de restitution est exigible. À cet égard, il est indifférent que le remboursement d'une telle créance soit intervenue, alors que le paiement préalable d'un tel indû n'est pas une condition de l'indemnisation de ce préjudice par le cocontractant de M. [Y]. En particulier, M. [Y] n'exerce aucune action subrogatoire, mais sollicite l'indemnisation d'un préjudice dont le caractère certain est établi. Au surplus, le courrier adressé le 31 décembre 2018 par la Caf à Mme [V] [A] rappelle précisément ce même montant au titre du versement indu de l'allocation logement familiale. L'historique des opérations du compte de Mme [A] ouvert auprès de la Caf confirme que cette dernière pratique des retenues mensuelles au titre d'un trop-perçu sur la période d'avril 2016 à mai 2017. Une attestation établie le 10 mars 2020 par Mme [A], concubine de M. [Y], confirme enfin la réalité d'un tel prélèvement au titre du remboursement de ce montant. Une telle mise en paiement établit en outre l'absence de recours exercé à l'encontre du titre exécutoire émis par le directeur de la Caf dans les délais y figurant.
Alors que l'immeuble devait être délivré en état d'être loué par le vendeur, la privation d'une telle allocation de logement constitue un préjudice en lien de causalité directe avec un tel manquement contractuel, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le choix par M. [Y] d'un locataire éligible à une telle prestation.
Les pièces produites établissent ainsi l'existence et le montant des sommes dont M. [Y] est privé en relation causale avec l'absence de délivrance conforme de l'immeuble à son acquéreur.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] la somme de 9 396 euros.
=> au titre de la perte de loyers :
Selon l'arrêté préfectoral du 18 janvier 2007, l'interdiction de toute location de l'immeuble est prononcée jusqu'à sa mainlevée. Son article 7 dispose que cette mainlevée ne peut intervenir qu'après constatation de la conformité des travaux réalisés aux travaux de sortie prescrits, par les agents assermentés compétents.
La mainlevée est intervenue par arrêté du 21 mars 2019.
La circonstance que M. [Y] a pu louer l'immeuble litigieux à compter du 24 mars 2016, selon bail d'une durée de 6 ans et moyennant un loyer mensuel de 780 euros, en dépit d'une insalubrité prononcée par le préfet, suffit à établir l'existence d'une perte de chance d'encaisser de tels revenus jusqu'au départ des locataires. Il n'existe aucune incompatibilité entre l'obligation de procéder aux travaux pour obtenir la levée de l'arrêté préfectoral et la perte de loyers résultant d'une telle décision.
Le départ des locataires est la conséquence directe de l'insalubrité notifiée à M. [Y], alors que l'impossibilité de relouer l'immeuble a perduré tant que l'arrêté n'a pas été levé.
Alors que cette date de départ n'est pas documentée, M. [Y] a été informé en juin 2017 de l'arrêté d'insalubrité, de sorte qu'il ne peut valablement invoquer une perte de loyer en lien causal avec cet arrêté qu'à compter de juillet 2017.
La perte de chance s'apprécie en outre au jour où la cour statue, de sorte qu'il convient de prendre en compte la revente de l'immeuble intervenue le 1er mars 2019, qui correspond à la fin du préjudice subi à ce titre.
Enfin, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. L'indemnisation de la perte de chance doit nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final.
Cette notion conduit exclusivement à déterminer le taux de probabilité de survenance de l'évolution finalement constatée, en appréciant le degré de certitude du lien de causalité entre la faute et le préjudice final.
Dans la situation contrefactuelle où M. [G] aurait délivré un immeuble non visé par un arrêté d'insalubrité et permettant son habitation, la probabilité que M. [Y] puisse percevoir un revenu locatif de 780 euros par mois jusqu'au 1er mars 2019 aurait été particulièrement élevée, ainsi que l'a retenu le premier juge à hauteur de 90 %, alors que l'aléa tenant à la solvabilité des locataires ou à leur départ avant cette échéance est réduit.
Ainsi que l'a retenu le premier juge, l'indemnisation d'une telle perte de chance s'établit en définitive à hauteur de : 780 euros x 20 mois x 90 % = 14 040 euros, selon les indications retenues ci-dessus par la cour.
Le calcul effectué par le premier juge comporte toutefois une erreur matérielle
Le jugement critiqué est en conséquence réformé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] la somme de 1 404 euros au titre de ce poste de préjudice.
=> au titre d'une perte de chance de négocier un meilleur prix de revente :
À la date de la revente de l'immeuble (1er mars 2019), l'arrêté préfectoral de mainlevée de l'insalubrité n'était pas intervenu (21 mars 2019).
Si une telle circonstance est théoriquement de nature à influer sur le prix de revente, il s'observe que M. [Y] ne fournit toutefois aucun élément permettant d'éclairer sur la valeur que l'immeuble aurait perdu en raison d'un tel arrêté, alors qu'il lui incombe de rapporter une telle preuve. En particulier, il ne produit aucune attestation de valeur correspondant à la situation contrefactuelle où l'immeuble délivré aurait été conforme comme étant autorisé à l'habitation. Il ne communique pas davantage l'acte de revente ou les pourparlers, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'apprécier dans quelle mesure l'acquéreur a pris en compte une telle situation pour négocier à la baisse le prix de vente.
Le seul fait que la vente a été effectuée pour un montant de 111 000 euros en 2019, alors que l'immeuble avait été acquis 118 000 euros en 2012, ne suffit pas à établir le lien de causalité entre une telle diminution du prix et la faute commise.
A l'inverse, la perte de chance alléguée résulte en réalité d'un choix effectué par M. [Y] de revendre l'immeuble avant même que la main-levée ne soit prononcée. En effet, M. [Y] était parfaitement informé au jour de la revente de la proximité temporelle d'une telle mainlevée, après qu'il avait remis le 17 janvier 2019 au service d'inspection les derniers justificatifs des travaux requis pour y procéder.
Alors que les fluctuations du marché immobilier sont de nature à impacter le prix de revente d'un bien, M. [Y] n'établit ni le lien entre la non-conformité de l'immeuble et la diminution du prix observée, ni la contrainte financière qui l'aurait conduite à ne pas différer de quelques semaines la vente de son immeuble dans des conditions lui permettant d'en disposer sans une telle restriction à l'habitation.
Le jugement critiqué est en conséquence réformé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer à M. [Y] une somme de 6 000 euros au titre d'une perte de chance de mieux négocier le prix de revente. Il convient à l'inverse de le débouter d'une telle demande.
=> au titre d'un préjudice moral :
L'indemnisation des tracas résultant de la découverte tardive d'une telle non-conformité justifie l'indemnisation fixée par le premier juge à hauteur de 2 000 euros. Alors que l'immeuble avait été acquis dans un objectif d'investissement, le préjudice moral résultant de la frustration de ne pas mettre en 'uvre librement ce projet locatif, de la nécessité de gérer rapidement l'interdiction d'habitation de l'immeuble avec les locataires et de l'énergie déployée pour en obtenir la mainlevée a été ainsi valablement évalué.
Le jugement critiqué est confirmé de ce chef.
Sur les recours à l'encontre de la Selarl notariale :
sur le recours exercé par M. [Y] :
Outre que les demandes indemnitaires sont exclusivement formées à l'encontre de « Me [W] », notaire n'ayant jamais été partie à l'instance en son nom personnel, elles sont présentées subsidiairement à celles formées à l'encontre de M. [G]. Le vendeur ayant été condamné à indemniser M. [Y], il n'y a ainsi pas lieu de statuer sur les demandes que ce dernier présente à l'encontre du notaire.
Sur le recours exercé par M. [G] :
Lorsqu'il est reproché au notaire d'enfreindre une obligation tenant à sa qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle.
En application de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le notaire rédacteur de l'acte doit, avant de dresser un acte, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de l'acte qu'il instrumente ; il est tenu d'éclairer les parties sur la portée, les conséquences et les effets des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.
Si ce notaire, recevant un acte en l'état de déclarations erronées, n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est, cependant, tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale aisément accessible, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse.
En l'espèce, la circonstance que la Selarl notariale n'a d'une part pas procédé au rapprochement entre l'information qu'elle avait obtenue en 2009 lors d'un projet avorté de vente de ce même immeuble et l'acte de vente que Me [W] a effectivement dressé le 4 juillet 2012 n'est pas constitutive d'une faute.
A plus forte raison, aucun dol n'est établi à l'encontre de la Selarl notariale, à défaut de toute volonté de dissimulation imputable à cette dernière à l'égard de l'acquéreur de l'immeuble.
En effet, à défaut de tout lien de dépendance entre les deux projets de vente immobilière et en considération du délai qui s'est écoulé entre l'instruction par le notaire de chacun d'entre eux, il ne saurait être reproché à ce dernier une telle absence de connexion entre deux dossiers ouverts au sein de son étude, étant observé qu'aucune des parties visées par le projet de 2009 ne figure dans l'acte de vente établi en 2012 (M. [G] étant adjudicataire en novembre 2011 de l'immeuble).
D'autre part, la cour approuve en revanche le premier juge d'avoir retenu que Me [W] a manqué à son obligation de vérifier les déclarations de M. [G] concernant l'absence d'arrêté d'insalubrité et d'interdiction d'habiter l'immeuble, ayant affecté l'efficacité de l'acte qu'il a dressé.
La seule circonstance qu'en dépit de son article 8, l'arrêté préfectoral n'a pas été publié au service de la publicité foncière aux frais du propriétaire de l'immeuble ne suffit pas à exonérer le notaire de son obligation de procéder à des vérifications complémentaires, auxquelles il est tenu même en l'absence d'une publicité légale, dès lors qu'il s'agit de s'assurer de l'efficacité de la vente.
Il convient à cet égard d'observer que :
- lors de l'instruction du projet en 2009, le notaire avait procédé à une telle démarche préalable à la vente, admettant ainsi qu'une telle investigation entrait dans le champ des vérifications qu'il lui appartenait d'effectuer pour établir l'acte de vente.
- dans l'acte de vente du 4 juillet 2012, le notaire a lui-même estimé nécessaire de faire préciser au vendeur qu'aucun arrêté d'insalubrité ne visait l'immeuble vendu, pointant à nouveau le caractère essentiel d'une telle information pour l'efficacité de son acte.
Ayant également identifié la nécessité d'une telle vérification préalable à l'adjudication de l'immeuble, le Crédit mutuel a enfin lui-même interrogé la mairie sur l'existence d'une éventuelle insalubrité, en sa qualité de créancier poursuivant, lors de la rédaction du cahier des conditions de vente valant titre au profit de l'adjudicataire.
Il en résulte qu'une telle démarche, par ailleurs dépourvue de complexité, constitue une formalité couramment réalisée préalablement à la rédaction d'un acte opérant transfert immobilier d'un bien, qui est indispensable à en garantir l'efficacité.
A défaut d'avoir réitéré en 2012 une telle interrogation auprès des services compétents, la Selarl notariale a commis une faute délictuelle qui engage sa responsabilité à l'égard de M. [Y] en ce qu'elle a compromis l'efficacité de l'acte.
Le préjudice subi par M. [G] et résultant d'une telle faute imputable à la Selarl notariale est constitué par sa condamnation à indemniser M. [Y], qui est la conséquence du défaut de vérifications par le notaire. Alors qu'aucune cause d'exonération ou de limitation de sa responsabilité n'est par ailleurs invoquée ou établie, ainsi que le relève le premier juge, il convient de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a condamné la Selarl notariale à garantir M. [G] de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre.
Sur la demande d'indemnisation complémentaire par M. [G] à l'encontre de la Selarl notariale :
La faute du notaire a causé l'exercice d'une action en responsabilité à l'encontre de M. [G], qui a ainsi découvert a posteriori l'existence d'un tel arrêté d'insalubrité et a subi à ce titre un préjudice moral, résultant des tracas causés par une telle situation.
En réparation de ce préjudice distinct, imputable à la faute délictuelle de la Selarl notariale, il convient de condamner la Selarl notariale à payer à M. [G] une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement critiqué est réformé en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande à ce titre.
Sur le recours de la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine :
Le recours exercé par la Selarl notariale est fondé sur l'article 1240 du code civil, de sorte que la responsabilité pour faute délictuelle est exclusivement invoquée à l'encontre de la Sci Yassmine. A ce titre, il est reproché uniquement à cette dernière de n'avoir pas informé l'huissier de justice, la banque et le notaire de l'existence d'un tel arrêté d'insalubrité.
Outre que l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 est seul applicable à l'espèce, la cour approuve le premier juge d'avoir estimé que la preuve d'une telle faute n'est pas établie par la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine, dès lors que :
- la preuve que l'arrêté préfectoral a été effectivement notifié à cette société n'est pas rapportée ; la seule mention figurant sur l'arrêté ne suffit pas à prouver l'exécution réelle d'une telle diligence.
- même dans l'affirmative, la preuve que la société Yassmine aurait omis d'informer l'huissier de justice de son existence n'est pas davantage fournie, alors qu'en sa qualité de débiteur saisi, elle n'a pas constitué avocat dans la procédure de saisie immobilière.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a débouté la Selarl notariale de son recours à l'encontre de la Sci Yassmine.
Sur les autres recours de M. [G] :
=> à l'encontre de la Sci Yassmine :
D'une part, M. [G] recherche la responsabilité de la Sci Yassmine sur le fondement de la faute délictuelle, au visa de l'article 1240 du code civil, en invoquant la dissimulation par cette dernière de l'existence de l'arrêté préfectoral d'insalubrité. La motivation précédemment développée au titre du recours exercé par la Selarl notariale à l'encontre de la Sci Yassmine est transposable. La preuve d'une telle faute n'est pas démontrée.
D'autre part, M. [G] invoque un dol commis par la Sci Yassmine, au visa des articles 1109 et 1116 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. L'existence d'un tel dol implique toutefois la démontration préalable que son auteur connaissait l'information frauduleusement dissimulée. A nouveau, une telle preuve n'est pas rapportée.
La circonstance que la responsabilité de M. [G] soit par ailleurs retenue en dépit de sa propre ignorance de cet arrêté est indifférente, alors qu'une telle responsabilité repose sur un défaut de délivrance conforme.
A défaut d'invoquer un autre fondement clairement formulé et comportant un visa textuel valable, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de garantie formée par M. [G] à l'encontre de la Sci Yassmine.
La demande indemnitaire à l'encontre de la Sci Yassmine n'est pas plus motivée que devant le premier juge. En l'absence de toute faute établie à l'égard de cette société, le jugement ayant débouté M. [G] de cette demande est confirmé.
=> à l'encontre du Crédit mutuel :
Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient seulement de souligner qu'il n'appartenait pas au Crédit mutuel de solliciter à nouveau les services de la mairie pour faire préciser la réponse fournie par ces derniers, alors que ce créancier poursuivant les avait valablement et complètement interrogé sur l'existence tant d'un « péril » que des « mesures d'insalubrité » ou d' « interdiction d'habiter » applicable à cet immeuble, de sorte qu'il était légitime à intégrer cette réponse au cahier des conditions de vente établi sous sa responsabilité.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [G] à l'encontre du Crédit mutuel.
La demande indemnitaire à l'encontre du Crédit mutuel n'est pas plus motivée que devant le premier juge. En l'absence de toute faute établie à l'égard de cette société, le jugement ayant débouté M. [G] de cette demande est confirmé.
Sur l'abus du droit d'agir en justice :
En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.
La position de M. [G] ne peut être considérée comme résultant d'une attitude fautive, alors que son argumentaire n'est pas dénué de toute pertinence, notamment par référence à la responsabilité qu'engage le créancier poursuivant dans la rédaction du cahier des conditions de vente, en application de l'article R. 322-11 du code des procédures civiles d'exécution.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a débouté le Crédit mutuel de sa demande indemnitaire au titre d'un abus de procédure.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
d'autre part, à condamner la Selarl notariale aux entiers dépens d'appel et à payer à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.
enfin, de débouter les autres parties de leurs demandes respectifs au titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 12 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 9 396 euros au titre du remboursement des allocations,
* 2 000 euros au titre du préjudice moral ;
- dans l'instance initiée par M. [B] [Y], condamné M. [S] [G] à supporter les dépens de l'instance ;
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] la somme de
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Selarl [W] Fremaux à garantir M. [S] [G] de la totalité des condamnations indemnitaires prononcées contre lui ;
- dans l'instance initiée par M. [G], condamné la Selarl [W] Fremaux à supporter les dépens de l'instance ;
- condamné la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le réforme en ce qu'il a :
- condamné M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 7 269,29 euros au titre des réparations,
* 1 404 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
* 6 000 euros au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
- rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles;
Et statuant à nouveau sur les chefs ainsi réformés :
- condamne M. [S] [G] à payer à M. [B] [Y] des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de délivrance conforme relativement à la vente immobilière du 4 juillet 20l2 à hauteur de :
* 7 449,29 euros au titre des réparations,
* 14 040 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir les loyers de juillet 2017 à février 2019 (inclus),
- déboute M. [B] [Y] de sa demande de condamnation à l'encontre de [S] [G] au titre de la perte de chance de mieux négocier le prix de revente de l'immeuble ;
Le réforme partiellement en ce qu'il a « rejeté le surplus des demandes tant principales qu'accessoires ou reconventionnelles » ;
et statuant à nouveau sur le chef ainsi réformé :
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [S] [G] à l'encontre de la Sci Yassmine ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par la Selarl [W] Fremaux à l'encontre de la Sci Yassmine ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté le recours en garantie exercé par M. [S] [G] à l'encontre de la Caisse de crédit mutuel de Lille Hellemmes ;
- confirme ledit jugement en ce qu'il a débouté la Caisse de crédit mutuel de Lille Hellemmes de sa demande de condamnation à l'encontre de M. [S] [G] au titre d'une procédure abusive ;
- réforme ledit jugement en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation formée par M. [S] [G] à l'encontre de Selarl [W] Fremaux au titre d'un préjudice moral et statuant à nouveau de ce chef, condamne Selarl [W] Fremaux à payer à M. [S] [G] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation d'un préjudice moral ;
Condamne la Selarl [W] Fremaux aux entiers dépens d'appel ;
Condamne la Selarl [W] Fremaux à payer à M. [B] [Y] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute les autres parties de leurs demandes respectives au titre des dépens et frais irrépétibles ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le Greffier
Harmony Poyteau
Le Président
Guillaume Salomon