Décisions
CA Bordeaux, 2e ch. civ., 6 juin 2024, n° 21/02071
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
2ème CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 06 JUIN 2024
N° RG 21/02071 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBOC
[R] [J] épouse [U]
c/
[S] [F]
[C] [N] épouse [F]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 mars 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 20/01406) suivant déclaration d'appel du 08 avril 2021
APPELANTE :
[R] [J] épouse [U]
née le 08 Février 1962 à [Localité 5]
de nationalité Française
Profession : Employée,
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me RAFFIER substituant Me Pierrick CHOLLET de la SCP TMV, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[S] [F]
né le 23 Novembre 1968 à [Localité 2]
de nationalité Française
Profession : Gérant de société,
demeurant [Adresse 1]
[C] [N] épouse [F]
née le 06 Mars 1970 à [Localité 4]
de nationalité Française
Profession : Secrétaire,
demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Jacques BOUDY
Conseiller : Monsieur Alain DESALBRES
Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU
Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
Par acte authentique du 29 mars 2016, Monsieur [S] [F] et Madame [C] [N] épouse [F] ont vendu à Mme [R] [J] épouse [U] une maison d'habitation située au [Adresse 3] (33).
Les vendeurs ont précisé dans l'acte authentique que des entreprises étaient intervenues pour les besoins de la construction, dont la société Travaux d'Aquitaine, dont M. [F] était le gérant, qui était en charge des travaux de maçonnerie, charpente couverture et plâtrerie isolation. Cette société est aujourd'hui liquidée.
À la suite d'une tempête survenue la nuit du 3 au 4 février 2017, Mme [J] a mandaté une société de travaux pour effectuer un constat des dégâts occasionnés sur la toiture. Cette société a constaté des désordres qui seraient antérieurs et qui entraîneraient un risque d'infiltration. Ceux-ci seraient imputables à la société Travaux d'Aquitaine qui a entrepris des travaux suivant devis accepté du 18 juin 2009.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 22 février 2017, Mme [J] a dénoncé aux vendeurs l'existence de ces désordres et rappelé que la garantie des vices cachés pouvait s'appliquer.
Dans une correspondance en réponse du 2 mars 2017, M. [F] a contesté l'application de cette garantie et indiqué que les désordres étaient exclusivement imputables à la tempête des 3 et 4 février 2017.
Par la suite, l'acquéreur a effectué une déclaration de sinistre à son assureur protection juridique, la compagnie Juridica. Celle-ci a adressé le 3 avril 2017 une mise en demeure à M. [F] en lui rappelant que sa responsabilité était entière, non seulement en qualité de vendeur professionnel mais également en celle de gérant de la société Travaux d'Aquitaine.
La compagnie Juridica a mandaté un expert afin d'organiser une mesure d'expertise amiable à laquelle M. [F] a été convoqué et dont la réunion a été fixée au 12 juillet 2017. Celui-ci a relevé divers désordres qui rendraient l'ouvrage impropre à sa destination en raison d'un défaut d'étanchéité du clos et du couvert de l'immeuble.
Mme [J] a écrit le 12 juillet 2018 au notaire en charge de la vente ainsi qu'aux vendeurs pour obtenir communication des attestations d'assurance. Parallèlement, elle a fait chiffrer les travaux de reprise, étant précisé que la reprise de la totalité de la couverture nécessite au préalable la dépose et la repose des panneaux photovoltaïques qui y sont installés.
Le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi le 28 mai 2018 par Mme [J] épouse [U], a, par ordonnance du 15 octobre 2018, désigné M. [T] [I] en qualité d'expert judiciaire.
Le rapport de ce dernier a été déposé le 6 septembre 2019.
Suivant un acte d'huissier du 29 janvier 2019, M. et Mme [F] ont appelé à la cause Monsieur [V] [O], artisan, en charge du lot charpente.
Par ordonnance du 11 mars 2019, le juge des référés a rendu les opérations d'expertise opposables à M. [O].
Suivant un exploit d'huissier du 14 février 2020, Mme [J] a assigné M. et Mme [F] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux afin d'engager la responsabilité de ses derniers sur le fondement de la garantie des vices cachés et subsidiairement de la garantie décennale.
Le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux :
- a débouté Mme [J] de ses demandes formées contre M. et Mme [F],
- l'a condamnée à payer aux époux [F] solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux dépens de l'instance en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise,
- a dit n'y avoir lieu à assortir cette décision de l'exécution provisoire.
Mme [J] a relevé appel du jugement le 8 avril 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024, Mme [J] demande à la cour, sur le fondement des articles 1641, 1137, 1792-1, 1231-1 du code civil, et 514 et suivants du code de procédure civile, de :
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- débouté Mme [J] de ses demandes formées contre M. et Mme [F],
- condamné Mme [J] à payer aux époux [F] solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [J] aux dépens de l'instance en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise,
- rejeter les demandes, fins et conclusions des époux [F],
statuant à nouveau :
- juger ses demandes recevables et bien fondées,
- juger que les conditions de la garantie des vices cachés sont remplies,
en conséquence,
- prononcer la réduction du prix de vente au coût des travaux de reprise, au titre de la garantie des vices cachés, soit 74 499,02 euros TTC,
- condamner M. et Mme [F] à lui payer les sommes suivantes :
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels,
à titre subsidiaire :
- prononcer la réduction du prix de vente au coût des travaux de reprise, au titre de la garantie des vices cachés, soit 72 927,28 euros TTC,
- condamner M. et Mme [F] à lui payer les sommes suivantes :
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels,
à titre infiniment subsidiaire :
- juger que la responsabilité contractuelle des époux [F] est engagée sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil,
- condamner M. et Mme [F] à l'indemniser de ses entiers préjudices :
- 74 499,02 euros TTC au titre du coût des travaux de reprise,
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels v
en tout état de cause :
- condamner les époux [F] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens incluant ceux de référé et les frais d'expertise.
Mme [J] fait notamment valoir que :
- sur la qualité de professionnel de M. [F], celui-ci était gérant de la Sarl Travaux d'Aquitaine, laquelle avait notamment pour activité les travaux de construction. Ainsi, selon la jurisprudence, ilest assimilable à un vendeur professionnel, en ce qu'il disposait de compétences en matière de construction. Or, le vendeur professionnel est tenu de connaître les vices cachés de la chose qu'il vend. En outre, l'expert judiciaire a relevé que les matériaux fournis par M. et Mme [F] ont été acquis auprès de la société Travaux d'Aquitaine, dont M. [F] était le gérant.
- sur la garantie des vices cachés due par les vendeurs, les conditions sont en l'espèce réunies. En effet, les vices relèvent d'un défaut de double liteaunage, du caractère gélif des tuiles, d'un défaut de calage des tuiles en bas de pente, d'un défaut d'emboîtement des pièces spéciales, du défaut de mise en oeuvre des bandeaux PVC, d'un défaut de fixation de la couverture en fibrociment de l'abri véhicule et enfin d'un décollement des bavettes solins en aluminium des faîtages entraînant une fuite de la toiture. Tous ces désordres ont été constatés par l'expert judiciaire. Ces vices n'étaient pas apparents lors de la vente car, en tant que profane, elle n'était pas à même de déceler le défaut de double liteaunage comme le relève l'expert judiciaire. Mais ce dernier se trompe lorsqu'il indique que les autres désordres étaient visibles. Elle ne s'est en effet aperçue de la présence des autres défauts que postérieurement à l'acquisition de la maison, sachant que n'ont été révélés que pendant les opérations d'expertise. Il ne fait aucun doute que M. [F] en avait connaissance, en raison de sa qualité de professionnel. Enfin, les vices invoqués sont antérieurs à la vente car ils résultent des défauts de construction de l'ouvrage. Ils présentent une importance certaine et rendent impropres les tuiles de la toiture à l'usage auquel on les destine. L'expert judiciaire a indiqué que les dommages vont s'aggraver dans le futur ce qui est confirmé par les deux constats d'huissier des 29 juin 2021 et 27 janvier 2023 est venu confirmer. Il est évident qu'elle aurait acquis ce bien à un moindre coût si elle avait eu connaissance des vices et autres désordres. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exclusion de garantie stipulée dans l'acte notarié doit être écartée.
- sur l'action estimatoire et au regard des désordres, les travaux réparatoires ont été chiffrés. Toutefois, elle a sollicité durant les opérations d'expertise la reprise de la totalité des gouttières. Ces travaux ont fait l'objet d'une réactualisation.
- à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité des vendeurs, réputés constructeurs, peut être recherchée sur le fondement de la théorie des dommages intermédiaires car les vendeurs sont réputés constructeurs par application de l'article 1792-1 du code civil. L'expert judiciaire a bien relevé que la couverture n'a pas été posée selon les règles de l'art ce qui constitue une faute de construction. En conséquence, les intimés engagent leur responsabilité contractuelle.
Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024, M. et Mme [F] demandent à la cour, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, de :
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter Mme [J] de toutes ses demandes,
- la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. et Mme [F] font notamment valoir que :
- sur l'application de la clause de non-garantie des vices cachés, stipulée dans l'acte de vente, il n'est pas allégué à l'encontre de la venderesse seule quelque qualité de professionnel. Concernant son époux, la cession concernait le domicile familial et non une opération de revente professionnelle. Ils n'ont pas agi comme constructeur de la maison, en qualité de marchands de biens ou de promoteur. Les éléments recueillis au cours de l'expertise montrent que M. [F] n'a pas réalisé les éléments de toiture-charpente. Ceux-ci ont été entrepris par une entreprise distincte. Au surplus, le défaut invoqué n'a jamais causé de désordre à l'époque des faits au cours de six années et demi précédant la vente. Le désordre est dû à la tempête des 3 et 4 février 2017. Par ailleurs, l'assureur de Mme [J] a pris en charge la repose de tuiles soulevées en bas de pente. Il n'existe donc pas de volonté de dissimuler l'état de l'immeuble permettant d'écarter la clause de non-garantie des vices cachés,
- sur l'examen des désordres, ceux-ci sont sans conséquence sur l'étanchéité de la couverture en l'absence de toute fuite. Il en va de même pour la solidité des tuiles en l'absence de feuilletage. L'expert judiciaire a également ajouté que la non-conformité aux règles de l'art date des travaux et n'était pas visible pour des profanes, tant pour les vendeurs que pour l'acquéreur. La lecture du rapport d'expertise permet donc de conclure qu'il n'y a aucun désordre démontré à l'issue de celle-ci. Par conséquent, aucun vice rendant l'ouvrage impropre à sa destination n'est caractérisé. En outre, l'expert est prudent quant à l'éventuelle survenance future de désordres, et en tout état de cause, le dol ne peut s'apprécier qu'au jour de l'acte et il ne saurait y avoir vice du consentement à ne pas avoir dénoncé un vice futur, et donc inconnu,
- sur le fondements de la garantie décennale, l'expert exclut clairement son application.
- sur l'application de la garantie contractuelle des constructeurs, contrairement à la garantie décennale qui est d'ordre public, cette garantie n'est pas d'ordre public et peut donc être aménagée contractuellement. Tel est le cas en présence d'une clause de non garantie des vices cachés, car elle a pour vocation d'écarter non seulement le fondement de l'article 1641 mais aussi l'action sur le fondement de la responsabilité contractuelle, si tant est qu'elle puisse s'appliquer au cas présent. Une telle responsabilité ne peut être engagée qu'en cas de faute personnelle ayant contribué à la survenance du désordre. Ils, en tant que maîtres de l'ouvrage, n'ont aucunement commis une immixtion dans le chantier ou un refus de prestations qui entraînerait la commission d'une faute personnelle distincte,
- sur le fondement de la responsabilité des vendeurs au titre des dommages intermédiaires, l'appelante commet une confusion entre deux points juridiques pour les combiner à mauvais escient. Les conditions de la responsabilité décennale des constructeurs relèvent d'un droit spécial d'ordre public. Celles de la responsabilité contractuelle pour faute relèvent du droit commun. L'appelante détourne l'article 1792-1 du code civil pour tenter de qualifier les vendeurs de constructeurs. En outre, les jurisprudences qu'elle invoque ne sont applicables qu'à la garantie décennale. L'utilisation de ces textes est donc erronée pour faire porter une présomption de responsabilité contractuelle non-décennale au titre de désordres intermédiaires, cette responsabilité n'étant pas d'ordre public.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.
MOTIVATION
En cause d'appel, Mme [J] épouse [U] renonce à rechercher la responsabilité décennale des vendeurs.
Sur la garantie des vices cachés
Il résulte des dispositions de l'article 1641 du Code civil que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
L'article 1643 du Code civil énonce que le vendeur est tenu de la garantie des vices cachés même s'il n'en avait pas lui-même connaissance sauf s'il a été convenu entre les parties une clause d'exclusion de garantie dans cette hypothèse.
L'acte de vente du 29 mars 2016 stipule que l'acquéreur prend le bien dans l'état où il se trouve au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit notamment en raison :
- des vices apparents,
- des vices cachés.
Il ajoute cependant que cette exonération de garantie ne s'applique pas :
- si le vendeur a la qualité de professionnel de l'immobilier ou de la construction,
ou s'il est réputé ou s'est comporté comme tel,
- s'il est prouvé par l'acquéreur que les vices cachés étaient en réalité connus du vendeur.
L'appelante doit donc liminairement démontrer l'existence d'un vice grave, présent à la date de la vente et non apparent, rendant l'habitation non conforme à son usage normal et attendu.
Les éléments suivants doivent être relevés :
Le bien immobilier en litige a été construit entre les mois de mars 2009 et d'avril 2010. A l'exception des travaux relatifs à la charpente qui ont été confiés à M. [O], qui a depuis cessé son activité, tous les autres ont été entrepris par la société Travaux d'Aquitaine dont M. [F] était le gérant.
Certains désordres relevés par l'expert judiciaire n'existaient pas lors de la cession de l'habitation, s'agissant de la dégradation des cloisoirs sous faîtage et d'arêtiers. Ils ont été causés par une violente tempête survenue au début de l'année 2017.
Le défaut de calage des tuiles en bas de pente était incontestablement apparent à la date de la vente (rapport p12).
Il en est de même de la mauvaise mise en oeuvre des bandeaux PVC car l'absence de rectitude de ceux-ci pouvait être visuellement constatée (p14, 18). L'effondrement d'une partie d'entre-eux, qui est survenu postérieurement à la visite de l'expert, est consécutif à une très violente tempête, qui sera d'ailleurs ultérieurement qualifiée de catastrophe naturelle.
Pour ce qui concerne la fixation de la couverture en fibrociment du 'modeste' (p14) abri de véhicule, M. [I], après avoir initialement indiqué dans son rapport que celle-ci s'avère contraire aux règles de l'art (p14), précise finalement qu'il n'y a pas de défaut de conformité ni 'de faute des acteurs' (p17). Aucun dommage n'a d'ailleurs été constaté par l'expert judiciaire de sorte que la présence d'un vice n'est pas établie.
Si le défaut d'emboîtement de pièces spéciales de la couverture ne peut être qualifié d'apparent pour un acquéreur profane, M. [I] indique que cette situation est sans conséquence et donc sans gravité.
Le point le plus discuté par les parties est celui portant sur la couverture de l'habitation.
Le charpentier [O] a facturé le 30 septembre 2009 son intervention aux anciens propriétaires de l'immeuble.
Il apparaît à l'examen du bien immobilier que la couverture est posée sur des liteaux, fixés directement sur un écran pare-pluie, sans contre-liteaux. L'absence de double liteaunage, qui constitue un manquement aux règles de l'art relevé tant par l'expert judiciaire que par le cabinet Sarretec, entraîne l'absence de ventilation sous les tuiles susceptible de les rendre gélives.
Une divergence d'appréciation concerne les conséquences de cette situation.
Dans son rapport dressé après notamment un très violent orage survenu le 15 juillet 2018, M. [I] considère que les dommages causés aux tuiles, observés sur une très petite partie de la toiture, sont sans conséquence sur l'étanchéité de la couverture car aucune pénétration des eaux de pluie à l'intérieur de l'habitation ni aucun feuilletage des tuiles n'ont été constatés.
Un constat identique a été effectué par M. [P], expert amiable mandaté par les intimés.
Les vendeurs concluent à tort à l'absence tant de gravité du vice allégué que de toute impropriété de l'immeuble à son usage normal et attendu.
En effet, l'expert judiciaire a tout de même relevé que les dommages 'vont s'aggraver dans le futur, étant lentement évolutif' (p9) et pouvaient déboucher sur une perte d'étanchéité' (p18). Cette observation s'est révélée exacte dans la mesure où, après la date du prononcé du jugement de première instance, de nombreuses autres tuiles ont été affectées par d'importantes traces d'humidité comme le démontre le procès-verbal de constat du 27 janvier 2023.
Une photographie versée aux débats, dont les intimés ne contestent pas qu'elle ait été prise dans leur ancienne habitation, atteste l'existence d'une infiltration d'eau.
Il sera enfin observé que le cabinet Sarretec avait déjà alerté la nouvelle propriétaire de l'immeuble des risques d'atteinte à l'étanchéité de son habitation.
Ces éléments attestent l'existence d'un vice d'une gravité suffisante rendant l'immeuble impropre à son usage normal et attendu.
M. [I] indique dans son rapport que l'absence de double liteaunage n'était pas décelable tant pour les vendeurs que pour l'acquéreur.
Il n'est pas contesté que Mme [J] épouse [U] mais également Mme [F] sont profanes dans le domaine de la construction.
Aucun élément ne permet de démontrer que la venderesse avait connaissance du vice lors de la vente.
L'appelante soutient que M. [F] est intervenu à l'acte de vente en qualité de professionnel et de constructeur de sorte qu'il est présumé connaître l'existence du vice. Elle estime dès lors que la clause d'exclusion de garantie n'est pas applicable.
Il est acquis que l'habitation a été édifiée par la société dont M. [F] était le gérant et à l'aide de matériaux fournis par cette entreprise.
Pour autant, il doit être observé que les travaux relatifs à la couverture, qui seuls sont affectés d'un vice caché du fait de l'absence de double liteaunage, ont été confiés à un autre entrepreneur qui a facturé sa prestation aux maîtres d'ouvrage.
Si les matériaux y afférents ont bien été fournis par la Sarl Travaux d'Aquitaine suivant devis du 18 juin 2009, l'expert judiciaire a observé que ceux permettant de réaliser un double liteaunage ne sont pas inclus ce qui démontre tout à la fois :
- une faute du charpentier, professionnel de la couverture ;
- l'absence de la part du gérant de l'entreprise de connaissances techniques dans le domaine de la couverture et donc de son intervention en qualité de constructeur de charpente.
Enfin, il doit être observé que l'immeuble vendu était le domicile du couple [F] et non le local professionnel de la société Travaux d'Aquitaine.
En conséquence, la qualité de professionnel de M. [F] lors de la vente du bien immobilier n'est pas suffisamment établie.
Aucun autre élément avancé par l'appelante ne permet de démontrer que M. [F], qui doit donc être considéré en tant que vendeur profane, avait connaissance du vice affectant la couverture au moment de la vente du bien immobilier.
En conséquence, les intimés sont bien fondés à opposer à l'appelante, qui a accepté le bien en l'état comme l'indique l'acte de vente, la clause d'exclusion des vices cachés. Le jugement déféré ayant rejeté son action estimatoire sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande subsidiaire
Etant réputée constructeur, la personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire est tenue d'une responsabilité pour faute prouvée en ce qui concerne les dommages intermédiaires (3ème Civ, 4 novembre 2010 n°09-12.988).
L'appelante ne peut réclamer, au titre de l'application de la théorie des dommages intermédiaires, la condamnation de ses vendeurs à l'indemniser des désordres et autres défauts dont elle a pu se convaincre elle-même à la date de la vente.
S'agissant dès lors du seul défaut d'emboîtement de pièces spéciales de la couverture et de l'absence de double liteaunage, il doit être observé que les travaux y afférents n'ont pas été réalisés par M. et Mme [F] mais par un professionnel qualifié. Or, les vendeurs étaient dans l'ignorance de ce vice et ne l'ont donc pas caché à l'acquéreur. Dès lors, l'appelante échoue à démontrer la commission d'une faute de leur part.
En conséquence, il y a lieu de rejeter les prétentions indemnitaires présentées par l'acquéreur sur ce fondement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Si la décision de première instance doit être confirmée, il n'y a pas lieu en cause d'appel de mettre à la charge de l'une ou de l'autre des parties le versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant ;
- Rejette les demandes indemnitaires présentées par Mme [R] [J] épouse [U] au titre de la responsabilité contractuelle de M. [S] [F] et de Mme [C] [N] épouse [F] fondée sur l'existence de dommages intermédiaires.
- Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [R] [J] épouse [U] au paiement des dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par maître Thomas Rivière en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
2ème CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 06 JUIN 2024
N° RG 21/02071 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBOC
[R] [J] épouse [U]
c/
[S] [F]
[C] [N] épouse [F]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 mars 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 20/01406) suivant déclaration d'appel du 08 avril 2021
APPELANTE :
[R] [J] épouse [U]
née le 08 Février 1962 à [Localité 5]
de nationalité Française
Profession : Employée,
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me RAFFIER substituant Me Pierrick CHOLLET de la SCP TMV, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[S] [F]
né le 23 Novembre 1968 à [Localité 2]
de nationalité Française
Profession : Gérant de société,
demeurant [Adresse 1]
[C] [N] épouse [F]
née le 06 Mars 1970 à [Localité 4]
de nationalité Française
Profession : Secrétaire,
demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Jacques BOUDY
Conseiller : Monsieur Alain DESALBRES
Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU
Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Par acte authentique du 29 mars 2016, Monsieur [S] [F] et Madame [C] [N] épouse [F] ont vendu à Mme [R] [J] épouse [U] une maison d'habitation située au [Adresse 3] (33).
Les vendeurs ont précisé dans l'acte authentique que des entreprises étaient intervenues pour les besoins de la construction, dont la société Travaux d'Aquitaine, dont M. [F] était le gérant, qui était en charge des travaux de maçonnerie, charpente couverture et plâtrerie isolation. Cette société est aujourd'hui liquidée.
À la suite d'une tempête survenue la nuit du 3 au 4 février 2017, Mme [J] a mandaté une société de travaux pour effectuer un constat des dégâts occasionnés sur la toiture. Cette société a constaté des désordres qui seraient antérieurs et qui entraîneraient un risque d'infiltration. Ceux-ci seraient imputables à la société Travaux d'Aquitaine qui a entrepris des travaux suivant devis accepté du 18 juin 2009.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 22 février 2017, Mme [J] a dénoncé aux vendeurs l'existence de ces désordres et rappelé que la garantie des vices cachés pouvait s'appliquer.
Dans une correspondance en réponse du 2 mars 2017, M. [F] a contesté l'application de cette garantie et indiqué que les désordres étaient exclusivement imputables à la tempête des 3 et 4 février 2017.
Par la suite, l'acquéreur a effectué une déclaration de sinistre à son assureur protection juridique, la compagnie Juridica. Celle-ci a adressé le 3 avril 2017 une mise en demeure à M. [F] en lui rappelant que sa responsabilité était entière, non seulement en qualité de vendeur professionnel mais également en celle de gérant de la société Travaux d'Aquitaine.
La compagnie Juridica a mandaté un expert afin d'organiser une mesure d'expertise amiable à laquelle M. [F] a été convoqué et dont la réunion a été fixée au 12 juillet 2017. Celui-ci a relevé divers désordres qui rendraient l'ouvrage impropre à sa destination en raison d'un défaut d'étanchéité du clos et du couvert de l'immeuble.
Mme [J] a écrit le 12 juillet 2018 au notaire en charge de la vente ainsi qu'aux vendeurs pour obtenir communication des attestations d'assurance. Parallèlement, elle a fait chiffrer les travaux de reprise, étant précisé que la reprise de la totalité de la couverture nécessite au préalable la dépose et la repose des panneaux photovoltaïques qui y sont installés.
Le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi le 28 mai 2018 par Mme [J] épouse [U], a, par ordonnance du 15 octobre 2018, désigné M. [T] [I] en qualité d'expert judiciaire.
Le rapport de ce dernier a été déposé le 6 septembre 2019.
Suivant un acte d'huissier du 29 janvier 2019, M. et Mme [F] ont appelé à la cause Monsieur [V] [O], artisan, en charge du lot charpente.
Par ordonnance du 11 mars 2019, le juge des référés a rendu les opérations d'expertise opposables à M. [O].
Suivant un exploit d'huissier du 14 février 2020, Mme [J] a assigné M. et Mme [F] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux afin d'engager la responsabilité de ses derniers sur le fondement de la garantie des vices cachés et subsidiairement de la garantie décennale.
Le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux :
- a débouté Mme [J] de ses demandes formées contre M. et Mme [F],
- l'a condamnée à payer aux époux [F] solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux dépens de l'instance en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise,
- a dit n'y avoir lieu à assortir cette décision de l'exécution provisoire.
Mme [J] a relevé appel du jugement le 8 avril 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024, Mme [J] demande à la cour, sur le fondement des articles 1641, 1137, 1792-1, 1231-1 du code civil, et 514 et suivants du code de procédure civile, de :
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- débouté Mme [J] de ses demandes formées contre M. et Mme [F],
- condamné Mme [J] à payer aux époux [F] solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [J] aux dépens de l'instance en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise,
- rejeter les demandes, fins et conclusions des époux [F],
statuant à nouveau :
- juger ses demandes recevables et bien fondées,
- juger que les conditions de la garantie des vices cachés sont remplies,
en conséquence,
- prononcer la réduction du prix de vente au coût des travaux de reprise, au titre de la garantie des vices cachés, soit 74 499,02 euros TTC,
- condamner M. et Mme [F] à lui payer les sommes suivantes :
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels,
à titre subsidiaire :
- prononcer la réduction du prix de vente au coût des travaux de reprise, au titre de la garantie des vices cachés, soit 72 927,28 euros TTC,
- condamner M. et Mme [F] à lui payer les sommes suivantes :
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels,
à titre infiniment subsidiaire :
- juger que la responsabilité contractuelle des époux [F] est engagée sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil,
- condamner M. et Mme [F] à l'indemniser de ses entiers préjudices :
- 74 499,02 euros TTC au titre du coût des travaux de reprise,
- 500 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 374 euros au titre des préjudices matériels v
en tout état de cause :
- condamner les époux [F] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens incluant ceux de référé et les frais d'expertise.
Mme [J] fait notamment valoir que :
- sur la qualité de professionnel de M. [F], celui-ci était gérant de la Sarl Travaux d'Aquitaine, laquelle avait notamment pour activité les travaux de construction. Ainsi, selon la jurisprudence, ilest assimilable à un vendeur professionnel, en ce qu'il disposait de compétences en matière de construction. Or, le vendeur professionnel est tenu de connaître les vices cachés de la chose qu'il vend. En outre, l'expert judiciaire a relevé que les matériaux fournis par M. et Mme [F] ont été acquis auprès de la société Travaux d'Aquitaine, dont M. [F] était le gérant.
- sur la garantie des vices cachés due par les vendeurs, les conditions sont en l'espèce réunies. En effet, les vices relèvent d'un défaut de double liteaunage, du caractère gélif des tuiles, d'un défaut de calage des tuiles en bas de pente, d'un défaut d'emboîtement des pièces spéciales, du défaut de mise en oeuvre des bandeaux PVC, d'un défaut de fixation de la couverture en fibrociment de l'abri véhicule et enfin d'un décollement des bavettes solins en aluminium des faîtages entraînant une fuite de la toiture. Tous ces désordres ont été constatés par l'expert judiciaire. Ces vices n'étaient pas apparents lors de la vente car, en tant que profane, elle n'était pas à même de déceler le défaut de double liteaunage comme le relève l'expert judiciaire. Mais ce dernier se trompe lorsqu'il indique que les autres désordres étaient visibles. Elle ne s'est en effet aperçue de la présence des autres défauts que postérieurement à l'acquisition de la maison, sachant que n'ont été révélés que pendant les opérations d'expertise. Il ne fait aucun doute que M. [F] en avait connaissance, en raison de sa qualité de professionnel. Enfin, les vices invoqués sont antérieurs à la vente car ils résultent des défauts de construction de l'ouvrage. Ils présentent une importance certaine et rendent impropres les tuiles de la toiture à l'usage auquel on les destine. L'expert judiciaire a indiqué que les dommages vont s'aggraver dans le futur ce qui est confirmé par les deux constats d'huissier des 29 juin 2021 et 27 janvier 2023 est venu confirmer. Il est évident qu'elle aurait acquis ce bien à un moindre coût si elle avait eu connaissance des vices et autres désordres. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exclusion de garantie stipulée dans l'acte notarié doit être écartée.
- sur l'action estimatoire et au regard des désordres, les travaux réparatoires ont été chiffrés. Toutefois, elle a sollicité durant les opérations d'expertise la reprise de la totalité des gouttières. Ces travaux ont fait l'objet d'une réactualisation.
- à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité des vendeurs, réputés constructeurs, peut être recherchée sur le fondement de la théorie des dommages intermédiaires car les vendeurs sont réputés constructeurs par application de l'article 1792-1 du code civil. L'expert judiciaire a bien relevé que la couverture n'a pas été posée selon les règles de l'art ce qui constitue une faute de construction. En conséquence, les intimés engagent leur responsabilité contractuelle.
Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024, M. et Mme [F] demandent à la cour, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, de :
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter Mme [J] de toutes ses demandes,
- la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. et Mme [F] font notamment valoir que :
- sur l'application de la clause de non-garantie des vices cachés, stipulée dans l'acte de vente, il n'est pas allégué à l'encontre de la venderesse seule quelque qualité de professionnel. Concernant son époux, la cession concernait le domicile familial et non une opération de revente professionnelle. Ils n'ont pas agi comme constructeur de la maison, en qualité de marchands de biens ou de promoteur. Les éléments recueillis au cours de l'expertise montrent que M. [F] n'a pas réalisé les éléments de toiture-charpente. Ceux-ci ont été entrepris par une entreprise distincte. Au surplus, le défaut invoqué n'a jamais causé de désordre à l'époque des faits au cours de six années et demi précédant la vente. Le désordre est dû à la tempête des 3 et 4 février 2017. Par ailleurs, l'assureur de Mme [J] a pris en charge la repose de tuiles soulevées en bas de pente. Il n'existe donc pas de volonté de dissimuler l'état de l'immeuble permettant d'écarter la clause de non-garantie des vices cachés,
- sur l'examen des désordres, ceux-ci sont sans conséquence sur l'étanchéité de la couverture en l'absence de toute fuite. Il en va de même pour la solidité des tuiles en l'absence de feuilletage. L'expert judiciaire a également ajouté que la non-conformité aux règles de l'art date des travaux et n'était pas visible pour des profanes, tant pour les vendeurs que pour l'acquéreur. La lecture du rapport d'expertise permet donc de conclure qu'il n'y a aucun désordre démontré à l'issue de celle-ci. Par conséquent, aucun vice rendant l'ouvrage impropre à sa destination n'est caractérisé. En outre, l'expert est prudent quant à l'éventuelle survenance future de désordres, et en tout état de cause, le dol ne peut s'apprécier qu'au jour de l'acte et il ne saurait y avoir vice du consentement à ne pas avoir dénoncé un vice futur, et donc inconnu,
- sur le fondements de la garantie décennale, l'expert exclut clairement son application.
- sur l'application de la garantie contractuelle des constructeurs, contrairement à la garantie décennale qui est d'ordre public, cette garantie n'est pas d'ordre public et peut donc être aménagée contractuellement. Tel est le cas en présence d'une clause de non garantie des vices cachés, car elle a pour vocation d'écarter non seulement le fondement de l'article 1641 mais aussi l'action sur le fondement de la responsabilité contractuelle, si tant est qu'elle puisse s'appliquer au cas présent. Une telle responsabilité ne peut être engagée qu'en cas de faute personnelle ayant contribué à la survenance du désordre. Ils, en tant que maîtres de l'ouvrage, n'ont aucunement commis une immixtion dans le chantier ou un refus de prestations qui entraînerait la commission d'une faute personnelle distincte,
- sur le fondement de la responsabilité des vendeurs au titre des dommages intermédiaires, l'appelante commet une confusion entre deux points juridiques pour les combiner à mauvais escient. Les conditions de la responsabilité décennale des constructeurs relèvent d'un droit spécial d'ordre public. Celles de la responsabilité contractuelle pour faute relèvent du droit commun. L'appelante détourne l'article 1792-1 du code civil pour tenter de qualifier les vendeurs de constructeurs. En outre, les jurisprudences qu'elle invoque ne sont applicables qu'à la garantie décennale. L'utilisation de ces textes est donc erronée pour faire porter une présomption de responsabilité contractuelle non-décennale au titre de désordres intermédiaires, cette responsabilité n'étant pas d'ordre public.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.
MOTIVATION
En cause d'appel, Mme [J] épouse [U] renonce à rechercher la responsabilité décennale des vendeurs.
Sur la garantie des vices cachés
Il résulte des dispositions de l'article 1641 du Code civil que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
L'article 1643 du Code civil énonce que le vendeur est tenu de la garantie des vices cachés même s'il n'en avait pas lui-même connaissance sauf s'il a été convenu entre les parties une clause d'exclusion de garantie dans cette hypothèse.
L'acte de vente du 29 mars 2016 stipule que l'acquéreur prend le bien dans l'état où il se trouve au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit notamment en raison :
- des vices apparents,
- des vices cachés.
Il ajoute cependant que cette exonération de garantie ne s'applique pas :
- si le vendeur a la qualité de professionnel de l'immobilier ou de la construction,
ou s'il est réputé ou s'est comporté comme tel,
- s'il est prouvé par l'acquéreur que les vices cachés étaient en réalité connus du vendeur.
L'appelante doit donc liminairement démontrer l'existence d'un vice grave, présent à la date de la vente et non apparent, rendant l'habitation non conforme à son usage normal et attendu.
Les éléments suivants doivent être relevés :
Le bien immobilier en litige a été construit entre les mois de mars 2009 et d'avril 2010. A l'exception des travaux relatifs à la charpente qui ont été confiés à M. [O], qui a depuis cessé son activité, tous les autres ont été entrepris par la société Travaux d'Aquitaine dont M. [F] était le gérant.
Certains désordres relevés par l'expert judiciaire n'existaient pas lors de la cession de l'habitation, s'agissant de la dégradation des cloisoirs sous faîtage et d'arêtiers. Ils ont été causés par une violente tempête survenue au début de l'année 2017.
Le défaut de calage des tuiles en bas de pente était incontestablement apparent à la date de la vente (rapport p12).
Il en est de même de la mauvaise mise en oeuvre des bandeaux PVC car l'absence de rectitude de ceux-ci pouvait être visuellement constatée (p14, 18). L'effondrement d'une partie d'entre-eux, qui est survenu postérieurement à la visite de l'expert, est consécutif à une très violente tempête, qui sera d'ailleurs ultérieurement qualifiée de catastrophe naturelle.
Pour ce qui concerne la fixation de la couverture en fibrociment du 'modeste' (p14) abri de véhicule, M. [I], après avoir initialement indiqué dans son rapport que celle-ci s'avère contraire aux règles de l'art (p14), précise finalement qu'il n'y a pas de défaut de conformité ni 'de faute des acteurs' (p17). Aucun dommage n'a d'ailleurs été constaté par l'expert judiciaire de sorte que la présence d'un vice n'est pas établie.
Si le défaut d'emboîtement de pièces spéciales de la couverture ne peut être qualifié d'apparent pour un acquéreur profane, M. [I] indique que cette situation est sans conséquence et donc sans gravité.
Le point le plus discuté par les parties est celui portant sur la couverture de l'habitation.
Le charpentier [O] a facturé le 30 septembre 2009 son intervention aux anciens propriétaires de l'immeuble.
Il apparaît à l'examen du bien immobilier que la couverture est posée sur des liteaux, fixés directement sur un écran pare-pluie, sans contre-liteaux. L'absence de double liteaunage, qui constitue un manquement aux règles de l'art relevé tant par l'expert judiciaire que par le cabinet Sarretec, entraîne l'absence de ventilation sous les tuiles susceptible de les rendre gélives.
Une divergence d'appréciation concerne les conséquences de cette situation.
Dans son rapport dressé après notamment un très violent orage survenu le 15 juillet 2018, M. [I] considère que les dommages causés aux tuiles, observés sur une très petite partie de la toiture, sont sans conséquence sur l'étanchéité de la couverture car aucune pénétration des eaux de pluie à l'intérieur de l'habitation ni aucun feuilletage des tuiles n'ont été constatés.
Un constat identique a été effectué par M. [P], expert amiable mandaté par les intimés.
Les vendeurs concluent à tort à l'absence tant de gravité du vice allégué que de toute impropriété de l'immeuble à son usage normal et attendu.
En effet, l'expert judiciaire a tout de même relevé que les dommages 'vont s'aggraver dans le futur, étant lentement évolutif' (p9) et pouvaient déboucher sur une perte d'étanchéité' (p18). Cette observation s'est révélée exacte dans la mesure où, après la date du prononcé du jugement de première instance, de nombreuses autres tuiles ont été affectées par d'importantes traces d'humidité comme le démontre le procès-verbal de constat du 27 janvier 2023.
Une photographie versée aux débats, dont les intimés ne contestent pas qu'elle ait été prise dans leur ancienne habitation, atteste l'existence d'une infiltration d'eau.
Il sera enfin observé que le cabinet Sarretec avait déjà alerté la nouvelle propriétaire de l'immeuble des risques d'atteinte à l'étanchéité de son habitation.
Ces éléments attestent l'existence d'un vice d'une gravité suffisante rendant l'immeuble impropre à son usage normal et attendu.
M. [I] indique dans son rapport que l'absence de double liteaunage n'était pas décelable tant pour les vendeurs que pour l'acquéreur.
Il n'est pas contesté que Mme [J] épouse [U] mais également Mme [F] sont profanes dans le domaine de la construction.
Aucun élément ne permet de démontrer que la venderesse avait connaissance du vice lors de la vente.
L'appelante soutient que M. [F] est intervenu à l'acte de vente en qualité de professionnel et de constructeur de sorte qu'il est présumé connaître l'existence du vice. Elle estime dès lors que la clause d'exclusion de garantie n'est pas applicable.
Il est acquis que l'habitation a été édifiée par la société dont M. [F] était le gérant et à l'aide de matériaux fournis par cette entreprise.
Pour autant, il doit être observé que les travaux relatifs à la couverture, qui seuls sont affectés d'un vice caché du fait de l'absence de double liteaunage, ont été confiés à un autre entrepreneur qui a facturé sa prestation aux maîtres d'ouvrage.
Si les matériaux y afférents ont bien été fournis par la Sarl Travaux d'Aquitaine suivant devis du 18 juin 2009, l'expert judiciaire a observé que ceux permettant de réaliser un double liteaunage ne sont pas inclus ce qui démontre tout à la fois :
- une faute du charpentier, professionnel de la couverture ;
- l'absence de la part du gérant de l'entreprise de connaissances techniques dans le domaine de la couverture et donc de son intervention en qualité de constructeur de charpente.
Enfin, il doit être observé que l'immeuble vendu était le domicile du couple [F] et non le local professionnel de la société Travaux d'Aquitaine.
En conséquence, la qualité de professionnel de M. [F] lors de la vente du bien immobilier n'est pas suffisamment établie.
Aucun autre élément avancé par l'appelante ne permet de démontrer que M. [F], qui doit donc être considéré en tant que vendeur profane, avait connaissance du vice affectant la couverture au moment de la vente du bien immobilier.
En conséquence, les intimés sont bien fondés à opposer à l'appelante, qui a accepté le bien en l'état comme l'indique l'acte de vente, la clause d'exclusion des vices cachés. Le jugement déféré ayant rejeté son action estimatoire sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande subsidiaire
Etant réputée constructeur, la personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire est tenue d'une responsabilité pour faute prouvée en ce qui concerne les dommages intermédiaires (3ème Civ, 4 novembre 2010 n°09-12.988).
L'appelante ne peut réclamer, au titre de l'application de la théorie des dommages intermédiaires, la condamnation de ses vendeurs à l'indemniser des désordres et autres défauts dont elle a pu se convaincre elle-même à la date de la vente.
S'agissant dès lors du seul défaut d'emboîtement de pièces spéciales de la couverture et de l'absence de double liteaunage, il doit être observé que les travaux y afférents n'ont pas été réalisés par M. et Mme [F] mais par un professionnel qualifié. Or, les vendeurs étaient dans l'ignorance de ce vice et ne l'ont donc pas caché à l'acquéreur. Dès lors, l'appelante échoue à démontrer la commission d'une faute de leur part.
En conséquence, il y a lieu de rejeter les prétentions indemnitaires présentées par l'acquéreur sur ce fondement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Si la décision de première instance doit être confirmée, il n'y a pas lieu en cause d'appel de mettre à la charge de l'une ou de l'autre des parties le versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant ;
- Rejette les demandes indemnitaires présentées par Mme [R] [J] épouse [U] au titre de la responsabilité contractuelle de M. [S] [F] et de Mme [C] [N] épouse [F] fondée sur l'existence de dommages intermédiaires.
- Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [R] [J] épouse [U] au paiement des dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par maître Thomas Rivière en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,