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Décisions

CA Chambéry, 2e ch., 6 juin 2024, n° 23/01072

CHAMBÉRY

Autre

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Aravis Auto-Ecole (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fouchard

Conseillers :

M. Therolle, M. Gauvin

Avocats :

Me Forquin, Me Barbier-Trombert

TJ Annecy, du 5 juin 2023, n° 23/00094

5 juin 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 mai 2020, la société Aravis auto-école a acquis auprès du garage Aperta Automotiv, un véhicule Renault Trafic 9 places immatriculé [Immatriculation 3] pour un prix total de 22 497,76 euros.

Le véhicule a été confié au garage [Localité 4] automobiles à plusieurs reprises au cours de l'année 2021 pour diverses interventions.

Le 9 avril 2022, la société Aravis auto-école a cédé ce véhicule à M. [R] [H] pour un prix de 24 000 euros.

A la suite d'une panne subie dès le 3 mai 2022, M. [H] a fait établir un devis pour faire procéder aux réparations, d'un montant de 11 254,66 euros.

Le 7 juillet 2022, M. [H] a adressé à la société Aravis auto-école une mise en demeure d'avoir à lui régler la somme de 11 254,66 euros.

Une expertise amiable a été diligentée à la demande de M. [H] en décembre 2022, dans le cadre de laquelle il est apparu que le véhicule présentait des défauts antérieurement à la vente à M. [H], et que la responsabilité de la société [Localité 4] automobiles pourrait être recherchée.

C'est dans ces conditions que, par acte du 10 février 2023, la société Aravis auto-école a fait assigner la société [Localité 4] automobiles en référé aux fins d'expertise, ayant pour objet de décrire les désordres affectant le véhicule de la marque Renault Trafic immatriculé [Immatriculation 3] et leurs causes.

La société [Localité 4] automobiles a comparu et soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt de qualité à agir de la société Aravis auto-école, et, pour le surplus, s'est opposée à la demande d'expertise.

Par ordonnance contradictoire du 5 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy a :

rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société [Localité 4] automobiles,

ordonné une mesure d'expertise du véhicule litigieux, confiée à M. [F] [Y], ultérieurement remplacé par M. [N] [V], avec pour mission de :

- convoquer les parties et recueillir leurs explications,

- prendre connaissance des documents de la cause, et notamment se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission (documents relatifs à l'historique, à l'entretien du véhicule, ses conditions d'utilisation et poses d'accessoires),

- examiner le véhicule de marque Renault modèle Trafic immatricule [Immatriculation 3],

- se rendre si nécessaire au garage où est immobilisé le véhicule / ou qui pourra être déplacé dans tout garage au choix de l'expert pour procéder à son examen dans des conditions techniques satisfaisantes,

- retracer l'historique du véhicule depuis sa mise en circulation,

- décrire les désordres affectant le véhicule,

- indiquer les travaux propres à remédier à ces désordres et à leurs conséquences dommageables et en évaluer le coût,

- donner son avis sur leur date d'apparition, date des premières manifestations, causes et conséquences, aggravations éventuelles,

- dire si le véhicule a fait l'objet d'un accident de la circulation et, dans l'affirmative, tenter d'en déterminer la date,

- dire si ces désordres et leurs conséquences étaient décelables lors de la vente par un acheteur non averti; dire si le véhicule correspond ou non à l'état de standard dans lequel il devait se trouver pour faire l'objet d'une transaction; dire s'il existe ou non des traces de « passage au marbre »,

- dire s'ils relèvent de l'usure normale, d'une intervention non conforme, d'un défaut d'utilisation, d'un vice qui affecterait le produit et qui serait de nature à la rendre impropre à sa destination, ou de toute autre cause et déterminer le moment de survenance dudit phénomène,

- dire si le véhicule a fait l'objet de travaux importants et, dans l'affirmative, tenter d'en déterminer la date,

- fournir tous éléments permettant d'apprécier le cas échéant les responsabilités encourues et les préjudices subis,

- s'expliquer techniquement dans le cadre des chefs de mission sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après leur avoir indiqué à quel point il en est arrivé dans ses investigations,

fixé l'avance des frais d'expertise à valoir sur le montant des honoraires de l'expert à la somme de 1 000 euros qui sera consignée par la société Aravis auto-école avant le 24 juillet 2023,

condamné la société Aravis auto-école aux dépens,

rejeté tous les autres chefs de demande.

Par déclaration du 13 juillet 2023, la société [Localité 4] automobiles a interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société [Localité 4] automobiles demande à la cour de :

Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Vu l'article 145 du code de procédure civile,

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société [Localité 4] automobiles,

infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

débouter la société Aravis auto-école de sa demande d'expertise puisque se heurtant à une fin de non-recevoir,

débouter la société Aravis auto-école de sa demande d'expertise comme étant infondée,

condamner la société Aravis auto-école à payer à la société [Localité 4] automobiles la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la même aux entiers dépens.

Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 18 septembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Aravis auto-école demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 559 du code de procédure civile,

confirmer l'ordonnance de référé déférée et l'ordonnance de remplacement d'expert du 23 juin 2023,

juger l'action de la société Aravis auto-école recevable et bien fondée,

écarter les fins de non-recevoir soulevées par la société [Localité 4] automobiles,

débouter la société [Localité 4] automobiles de toutes ses demandes, fins et conclusions,

ordonner l'expertise du véhicule Renault Trafic immatriculé [Immatriculation 3], acheté par M. [H] à la société Aravis auto-école,

confirmer la désignation de M. [N] [V] en qualité d'expert près la cour d'appel de Grenoble avec les missions fixées dans l'ordonnance de référé du 5 juin 2023,

condamner la société [Localité 4] automobiles au paiement de la somme de 1 000 euros à titre d'amende civile,

condamner la société [Localité 4] automobiles à payer à la société Aravis auto-école la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamner la société [Localité 4] automobiles à payer à la société Aravis auto-école la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société [Localité 4] automobiles aux entiers dépens.

L'affaire a été clôturée à la date du 15 janvier 2024 et renvoyée à l'audience du 19 mars 2024, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 6 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir :

La société [Localité 4] automobiles soutient que la société Aravis auto-école n'a ni qualité ni intérêt à agir à son encontre en ce qu'elle n'est plus propriétaire du véhicule et que son acquéreur n'a intenté aucune action contre elle. L'appelante soutient que la société Aravis auto-école agit en réalité pour le compte de M. [H], qui n'est pas partie à la procédure.

La société Aravis auto-école soutient qu'elle a bien qualité et intérêt à agir, puisque son acquéreur M. [H], entend obtenir d'elle le paiement des frais de réparation du véhicule, et qu'elle a donc intérêt à faire établir l'origine des vices affectant le véhicule qui pourraient être le fait des interventions de la société [Localité 4] automobiles.

En application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 31 du code de procédure civile dispose que, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l'espèce, si la société Aravis auto-école n'est plus propriétaire du véhicule, elle justifie toutefois de sa mise en cause par son acquéreur M. [H] qui lui réclame la prise en charge du coût des réparations sur le fondement de la garantie des vices cachés (mises en demeure pièces n° 9 et 16, rapport d'expertise amiable pièce n° 17, courriers de l'avocat de l'acquéreur).

Or il est également établi que la société [Localité 4] automobiles s'est vue confier le véhicule litigieux à plusieurs reprises par la société Aravis auto-école au cours de l'année 2021, et l'expert amiable indique que l'une de ces interventions pourrait avoir concerné le défaut qu'il a constaté sur le moteur.

Ces éléments justifient à eux seuls la qualité et l'intérêt pour agir de la société Aravis auto-école à l'encontre de la société [Localité 4] automobiles, rien ne permettant de retenir que l'expertise sollicitée le serait en réalité au bénéfice de M. [H], dont le conseil a très clairement indiqué qu'il entendait engager une action en garantie des vices cachés contre son vendeur.

Aussi, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que la société Aravis auto-école est recevable en sa demande.

Sur la mesure d'expertise :

La société [Localité 4] automobiles soutient que la société Aravis auto-école ne justifie pas d'un motif légitime à obtenir l'expertise, laquelle concerne de surcroît un véhicule dont elle n'est plus propriétaire.

En application de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

En l'espèce, l'expertise sollicitée vise non pas à établir l'existence d'un vice caché au sens du droit de la vente, mais à établir si le vice qui a entraîné la panne du véhicule est imputable à une intervention de la société [Localité 4] automobiles, dont la responsabilité contractuelle pourrait alors être recherchée.

Les éléments produits par la société Aravis auto-école établissent l'existence de la panne subie par le véhicule avec « risque de casse moteur », le véhicule ayant perdu tout son liquide de refroidissement, et ce dans le mois qui a suivi la vente.

L'expertise amiable réalisée à la demande de M. [H] indique que : « l'avarie est due au mauvais positionnement du collier de serrage de la Durit qui vient sur le boitier d'eau du circuit de refroidissement. La trace est ancienne et la quasi concomitance entre la vente et la panne démontrent que le défaut de positionnement dudit collier est antérieur à la vente. Le liquide de refroidissement s'est ainsi échappé, petit à petit, jusqu'à la surchauffe moteur survenue le 3 mai 2022 ».

Il précise ensuite que ce mauvais positionnement pourrait être consécutif au changement de l'embrayage du véhicule dont il pense qu'il a pu être effectué par la société [Localité 4] automobiles, sans toutefois l'affirmer faute de disposer alors du détail de l'intervention de ce garage objet de la facture du 9 décembre 2021.

La facture en cause est produite par la société Aravis auto-école en pièce n° 4 et sa lecture révèle une intervention sur le système d'embrayage, ce qui corrobore les constatations de l'expert.

Par ailleurs les courriers du conseil de M. [H] sont sans ambiguïté quant à l'intention de celui-ci de rechercher la responsabilité de son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, le devis de réparation du véhicule s'élevant plus de 11 000 euros.

Ainsi, et sans avoir égard à l'existence d'un vice caché antérieur à la vente, qui ne concerne que les relations entre M. [H] et la société Aravis auto-école, cette dernière justifie d'un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, puisqu'elle pourrait rechercher la responsabilité contractuelle du garage qui a procédé à l'intervention pouvant être à l'origine du vice affectant le véhicule.

Au vu des pièces produites, aucune carence de la société Aravis auto-école dans l'administration de la preuve ne peut lui être reprochée, seul un examen du véhicule par un expert, réalisé contradictoirement, étant susceptible de confirmer ou d'exclure la responsabilité éventuelle de la société [Localité 4] automobiles.

En outre, M. [H] a confirmé laisser le véhicule à disposition si une expertise judiciaire devait être ordonnée, bien qu'il n'entende pas y intervenir ne souhaitant pas exposer de frais supplémentaires. Le fait que la société Aravis auto-école n'est plus propriétaire du véhicule n'est donc pas un obstacle à la réalisation de la mesure.

Enfin, la société [Localité 4] automobiles prétend que les réparations auraient d'ores et déjà été réalisées, ce qui rendrait l'expertise sans objet. Toutefois, force est de constater qu'elle ne produit aucune pièce établissant un tel fait, ni que, s'il était avéré, il serait un obstacle au déroulement de la mesure.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée, sauf à exclure de la mission confiée à l'expert le point dans lequel il est demandé à l'expert de « dire si ces désordres et leurs conséquences étaient décelables lors de la vente par un acheteur non averti; dire si le véhicule correspond ou non à l'état de standard dans lequel il devait se trouver pour faire l'objet d'une transaction ». En effet, la société Aravis auto-école n'est pas liée avec la société [Localité 4] automobiles par un contrat de vente et n'est donc pas fondée à rechercher si le vice affectant le véhicule est antérieur ou non à la vente intervenue au profit de M. [H].

Sur les autres demandes :

La société Aravis auto-école sollicite la condamnation de la société [Localité 4] automobiles au paiement de la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Toutefois, le fait pour l'appelante de succomber en son appel ne suffit pas à établir le caractère abusif de celui-ci. Il n'est pas démontré par la société Aravis auto-école que l'appel aurait été interjeté dans le but de lui nuire ou par mauvaise foi.

La demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Aravis auto-école la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [Localité 4] automobiles, qui succombe en son appel, en supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy le 5 juin 2023, sauf à retirer le point suivant de la mission de l'expert :

« dire si ces désordres et leurs conséquences étaient décelables lors de la vente par un acheteur non averti ; dire si le véhicule correspond ou non à l'état de standard dans lequel il devait se trouver pour faire l'objet d'une transaction »,

Dit qu'en conséquence l'expert désigné n'aura pas à répondre sur ce point,

Y ajoutant,

Déboute la société Aravis auto-école de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne la société [Localité 4] automobiles à payer à la société Aravis auto-école la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [Localité 4] automobiles aux entiers dépens de l'appel.