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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 5 juin 2024, n° 23/00583

RIOM

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, Mme Berger

Avocat :

Me Lacquit

T. com. Montluçon, du 22 mars 2023

22 mars 2023

La SAS [X] [R] Bâtiment Travaux Publics (ci-après SAS AMBTP) exerçant l'activité de travaux de terrassement courants et de travaux préparatoires, a été placée en redressement judiciaire par jugement du 28 mai 2021 rendu par le tribunal de commerce de Montluçon. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 31 mars 2021.

Par jugement du 9 juillet 2021, le tribunal de commerce de Montluçon a placé la SAS AMBTP en liquidation judiciaire.

Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Riom du 15 décembre 2021.

La SELARL MJ de l'Allier a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par requête du 23 décembre 2022, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montluçon a saisi le tribunal de commerce de Montluçon en vue de voir prononcer à l'encontre de M. [X] [R], dirigeant de la SAS AMBTP, une interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale pour une durée de 12 ans.

Par jugement du 22 mars 2023 le tribunal de commerce de Montluçon a fait droit à cette demande et limité l'interdiction de gérer à une durée de 8 ans.

Par déclaration du 30 mars 2023, M. [R] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions, déposées au greffe le 5 mars 2024 et signifiées à personne morale, cette dernière demande à la cour :

- d'annuler l'acte de signification avec assignation devant le tribunal de commerce du 11 janvier 2023. 

- de déclarer la saisine du tribunal de commerce de Montluçon et la comparution de M. [R] nulle et non avenue.

- d'infirmer les termes du jugement rendu par le tribunal de commerce de Montluçon le 22 mars 2023 :

- en ce qu'il a prononcé l'interdiction pour M. [R] de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, et ce pour une durée de 8 ans,

- en ce qu'il a ordonné la publication du présent jugement à toute formalité conformément à la loi.

En conséquence, statuant de nouveau,

- de dire n'y avoir lieu à prononcer une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l'encontre de M. [X] [R]

- de débouter la SELARL MJ de l'Allier et Madame le procureur général de l'ensemble de leurs demandes, dires et prétentions.

- de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

M. [R] fait valoir qu'il a été assigné devant le tribunal de commerce siégeant en chambre du conseil contrairement aux dispositions du code de commerce qui imposent la publicité des débats en matière de sanction.

Il soutient que le non-respect du délai de 45 jours pour déclarer la cessation des paiements n'atteint pas la gravité nécessaire pour être condamnable et ne démontre pas sa mauvaise foi. Il affirme enfin avoir coopéré aux procédures de redressement puis de liquidation judiciaire.

La SELARL MJ de l'Allier n'a pas constitué avocat.

Par conclusions notifiées le 24 mai 2023, le procureur général près la cour d'appel de Riom sollicite la confirmation du jugement. Il soutient que M. [R] a sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours et souligne le fait que la procédure collective a été ouverte sur requête du ministère public et non du dirigeant alors que la situation économique et sociale catastrophique de la société ne pouvait être ignorée de ce dernier qui a de surcroit refusé de coopérer avec les organes de la procédure.

Il sera renvoyé aux écritures des partes pour plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2024.

Motivation :

I- Sur la nullité du jugement :

Il résulte des dispositions de l'article L 662-3 alinéa 2 du code de commerce que les débats relatifs à l'interdiction de gérer sont publics, sauf décision du président prise à la demande d'une des personnes mises en cause. Ce texte ne déroge pas aux dispositions de l'article 446 du code de procédure civile lequel impose que la nullité fondée sur l'inobservation, notamment, des règles de publicité des débats soit invoquée avant la clôture de ceux-ci (Cass. com., 18 mai 2022, n° 19-25.606 et 20-19.930).

En l'espèce, l'ordonnance portant convocation à comparaitre devant le tribunal de commerce en audience publique du vendredi 3 février 2023 rappelle les dispositions de l'article susvisé.

La signification qui en est faite le 11 janvier 2023 indique à tort, et en contradiction avec l'ordonnance qu'elle porte à la connaissance de M. [R], que le tribunal siègera en chambre du conseil. Toutefois, il ne résulte pas des termes du jugement qui précise que le tribunal statue publiquement que les débats ont effectivement eu lieu en chambre du conseil. Enfin et surtout, il n'apparaît pas que M. [R] a soulevé, avant clôture des débats, une nullité fondée sur l'inobservation des règles de publicité des débats.

Il s'ensuit que ce moyen est irrecevable.

II - Sur le bien-fondé de la mesure d'interdiction de gérer :

L'interdiction de gérer ne peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale que pour sanctionner les fautes que les dispositions légales prévoient. (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-20.526 : JurisData n° 2006-033494 ; Act. proc. coll. 2006, comm. 149). "

Aux termes des articles L. 653-5-5° et L. 653-8 alinéa 2 visés par le ministère public au soutien de sa requête, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle (ou l'interdiction de gérer) de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui aurait fait obstacle au bon déroulement de la procédure en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure (L. 653-5-5°).

L'interdiction de gérer peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.

En application de l'article L. 622-6 du code de commerce, le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire, pour les besoins de l'exercice de leur mandat, la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est parti. Par ailleurs il complète l'inventaire qui lui est remis par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers. Le débiteur entrepreneur y fait en outre figurer les biens détenus dans le cadre de l'activité à raison de laquelle la procédure a été ouverte qui sont compris dans un autre de ses patrimoines et dont il est susceptible de demander la reprise dans les conditions prévues par l'article L. 624-19.

- Sur l'absence de remise au liquidateur des documents utiles au déroulement de la procédure et l'absence volontaire de coopération avec le liquidateur :

Au regard des articles susvisés il convient d'établir que le dirigeant s'est volontairement abstenu de collaborer avec les organes de la procédure étant rappelé que les sanctions professionnelles ont le caractère d'une punition ; qu'elles ne peuvent être prononcées que dans les cas prévus par la loi qui sont d'interprétation stricte et sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Le tribunal a prononcé une peine de 8 ans d'interdiction de gérer et retenu que " les documents nécessaires au bon déroulement de la procédure n'avaient pas été remis notamment la liste des créanciers et celle des salariés, d'autant qu'il existait une procédure prud'homale en cours. Seuls les trois derniers bilans avaient été apportés à l'audience. "

Le ministère public souligne que M. [R] ne semble pas nier directement le principe de ce reproche. Se référant au rapport du mandataire du 1er juillet 2021, il formule les mêmes critiques que celles mentionnées au jugement et rappelle que c'est en se fondant sur l'absence de transmission de la liste des créanciers et des salariés que le mandataire a saisi le tribunal aux fins de voir prononcer la liquidation judiciaire. Il ajoute que la non-production au mandataire de la liste des assurances de l'entreprise, trahissait la volonté de cacher cet état de fait au mandataire et donc le refus de coopération avec les organes de la procédure.

Sur ce :

A titre liminaire la cour observe que le tribunal a statué sur le fondement de la requête du rapport du 1er juillet 2021 établi par le mandataire judiciaire. Ce rapport a précédé la requête aux fins de conversion du redressement en liquidation judiciaire établie le 2 juillet 2021.

Il en résulte que M. [R] a répondu à la première convocation du mandataire et s'est rendu à la convocation du mandataire fixée le 23 juin 2021, soit un peu plus de trois semaines après l'ouverture du redressement judiciaire. La liste des créanciers avisés a été déposée au tribunal de commerce en date du 9 juin 2021.

Il était alors convenu avec le mandataire :

- que l'inventaire serait prochainement dressé par Me [C].

- que M. [R] adresserait au mandataire les éléments relatifs aux salariés

- que les documents nécessaires au bon déroulement de la procédure n'avaient pas été remis au mandataire et que M. [R] s'était engagé à adresser d'autres pièces en sortant de son entretien.

M. [R] n'a pas satisfait immédiatement à ses engagements. Cependant, le 16 juillet 2021 il a rencontré Me [C] et fixé un rendez-vous pour effectuer l'inventaire au 24 juillet 2021.Sur relance du mandataire et le 5 juillet 2021, il a adressé la copie du dernier bulletin de salaire de ses salariés.

En l'absence d'éléments complémentaires, il peut être affirmé que M. [R] s'est montré négligent et peu diligent mais il n'est pas démontré au cas d'espèce, que le retard pris dans la production des pièces sollicitées procède d'une volonté délibérée de ne pas coopérer avec les organes de la procédure alors qu'il a produit les pièces sollicitées ; qu'il a pris rendez-vous avec le commissaire-priseur ; qu'il a justifié à l'audience des trois derniers bilans et qu'aucun rapport postérieur à la requête en conversion du 2 juillet 2021 ne rapporte de comportement délibéré du dirigeant de faire obstacle au bon déroulement de la procédure.

- Sur la non-déclaration de l'état de cessation des paiements :

Suivant les dispositions de l'article L653-8 alinéa 3 du code de commerce peut être sanctionné le dirigeant qui a sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Dans son rapport du 1er juillet 2021, le mandataire judiciaire fait observer que l'état de cessation des paiements a été fixé au 31 mars 2021 soit " à peine " plus de 45 jours avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire. Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire ne précise pas ce qui lui a permis de distinguer cette date qui semble avoir été choisie en considération de la date à laquelle la société AMBTP n'a plus été en mesure de régler tous les salaires.

Cette date n'a pas fait l'objet d'un report ou d'une demande de report dans le cadre de la liquidation judiciaire prononcée le 9 juillet 2021.

Le délai de 45 jours expirait le 15 mai 2021 or l'ouverture du redressement judiciaire a été prononcé 13 jours plus tard, soit le 28 mai, sur requête du parquet du 23 avril 2021. Le greffe a convoqué le débiteur le 26 avril 2021.

Par ailleurs, il résulte du rapport du mandataire que M. [R] semblait confondre les notions d'insolvabilité et d'état de cessation des paiements qu'il a d'ailleurs contesté devant le tribunal statuant en matière de procédures collectives.

En conséquence, la sanction prononcée apparaît injustifiée et disproportionnée au comportement de M. [R] qui justifie par ailleurs de la gestion de deux autres sociétés : ACBTP et AM Solution Rénovation et qui n'a pas fait l'objet de sanctions préalables.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

Les dépens seront tirés en frais privilégiés de procédure collective.

Par ces motifs :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe de la cour ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Rejette la demande du ministère public tendant à voir prononcer à l'encontre de M. [X] [R], une mesure d'interdiction de gérer.

Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.