CA Versailles, ch. com. 3-1, 6 juin 2024, n° 22/03350
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Telmma (SAS)
Défendeur :
Enedis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meurant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Chaumet
Avocats :
Me Zerhat, Me Attal, Me Marest-Chavenon, Me Castillon, Me Cassel
Exposé du litige
EXPOSÉ DES FAITS
Les sociétés locataires de l'immeuble situé [Adresse 2]) ont, par convention du 7 juillet 2006, signée le 13 novembre 2006, constitué un groupement dénommé 'Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprises Vision Défense', dénué de la personnalité juridique, pour la gestion du Restaurant Inter-Entreprises, ci-après dénommé RIE, de l'immeuble.
Par convention du 1er août 2006, la société Telmma s'est vue confier la gestion du Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprise Vision Défense.
A la suite du constat par la société Enedis de consommations d'électricité sans contrat sur le point de livraison, réputé inactif, correspondant au restaurant inter-entreprises de l'immeuble Vision Défense situé à [Localité 4] ([Localité 4]), un contrat de fourniture d'électricité a été conclu le 27 août 2015 par la société Telmma, agissant en sa qualité de mandataire unique du Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprises Vision Défense, auprès du fournisseur EDF Entreprises, régularisant la situation du groupement pour l'avenir.
Le 7 septembre 2015, la société Enedis a procédé à la dépose de l'ancien compteur, à l'installation d'un nouveau compteur et à la mise en service du point de livraison.
Par un courrier RAR du 4 mai 2016, la société Enedis a avisé la société Telmma de la mise en oeuvre d'une procédure de redressement correspondant à la consommation d'électricité hors contrat sur la période limitée à cinq années courant du 7 septembre 2010 au 7 septembre 2015. Ce faisant, elle lui a communiqué une valorisation des consommations à hauteur de 744.975 kWh, pour un montant de 85.963,97 € TTC.
Plusieurs relances par courrier ont été effectuées les 19 juillet et 27 septembre 2016, puis, aux termes d'un courrier recommandé du 28 février 2017.
Sans réponse de la société Telmma, la société Enedis lui a adressé le 27 mars 2017, pour règlement, une facture d'un montant de 85.963,96 € TTC, correspondant à la valorisation de ses consommations sans contrat.
Par un courrier du 12 mai 2017, la société Enedis a mis en demeure la société Telmma d'avoir à lui régler ladite somme sous un délai de 15 jours. Cette mise en demeure a été réitérée par huissier de justice à plusieurs reprises à compter du 3 décembre 2018, en vain.
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier du 27 octobre 2020, la société Enedis a fait assigner la société Telmma devant le tribunal de commerce de Nanterre, afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la facture précitée.
Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Dit la SA Enedis recevable en son action à l'encontre de la SAS Telmma ;
- Dit l'action de la SA Enedis non prescrite ;
- Condamné la SAS Telmma, ès qualités de mandataire du Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprises Vision Défense à payer à la SA Enedis la somme de 85.963,96 € TTC au titre de l'indemnisation de la consommation sans contrat, avec intérêt au taux légal à compter du 12 mai 2017 ;
- Débouté la SA Enedis de sa demande au titre du préjudice distinct de contrôle et de traitement des pertes non techniques ;
- Débouté la SA Enedis de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- Condamné la SAS Telmma ès qualités de mandataire du Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprises Vision Défense à payer à la SA Enedis la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SAS Telmma ès qualités de mandataire du Groupement pour la Gestion du Restaurant Inter-Entreprises Vision Défense aux dépens.
Par déclaration du 17 mai 2022, la société Telmma a interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 25 janvier 2023, la société Telmma demande à la cour de :
- Dire la société Telmma recevable et bien fondée dans son appel ;
En conséquence,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en date du 26 avril 2022 (n° de rôle : 2020F01644) dans toutes ses dispositions, à l'exception de sa décision de débouter la société Enedis de ses demandes d'indemnisations suivantes :
- Débouté la SA Enedis de sa demande au titre du préjudice distinct de contrôle et de traitement des pertes non techniques ;
- Débouté la SA Enedis de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que la société Enedis n'est pas recevable dans ses demandes à l'encontre de la société Telmma, gestionnaire pour le compte d'autrui ;
- Dire et juger que la société Enedis est prescrite dans ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la société Enedis est mal fondée dans ses demandes ;
- Débouter la société Enedis de toutes ses demandes ;
- Enjoindre à la société Enedis de justifier :
- De l'absence de conclusion d'un contrat d'énergie et de règlements par la société Sodexho France au titre de sa consommation sur la période litigieuse (2005/2015) ;
- Des consommations facturées à la société Sodexho France au titre de son contrat jusqu'à sa résiliation en 2005 ;
- Des paiements effectués par la société Sodexho France au titre de son contrat jusqu'à sa résiliation en 2005 ;
- Débouter la société Enedis de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre infiniment subsidiaire,
- Condamner la société Enedis à verser à la société Telmma la somme de 85.963,96 €TTC à titre d'indemnisation de son préjudice subi en raison de sa négligence fautive dans la fourniture d'électricité pendant plusieurs années sans aucune demande de règlement à une entité quelconque et sans pouvoir justifier de la consommation dont elle se prétend créditrice ;
- Ordonner la compensation entre les éventuelles sommes dues par la société Telmma à la société Enedis et celles qui seront dues par la société Enedis à la société Telmma ;
- Condamner la société Enedis à verser à la société Telmma la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 25 octobre 2022, la société Enedis demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 26 avril 2022 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :
- Dit la société Enedis recevable en son action à l'encontre de la société Telmma ;
- Dit l'action de la société Enedis non prescrite ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Telmma « ès qualités de mandataire du Groupement Pour la Gestion du Restaurant Inter-entreprises Vision Défense » à payer à la société Enedis la somme de 85.963,96 € TTC au titre de l'indemnisation de la consommation sans contrat, avec intérêt au taux légal à compter du 12 mai 2017 ;
- Débouté la société Enedis de sa demande au titre du préjudice distinct de contrôle et de traitement des pertes non techniques ;
- Débouté la société Enedis de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- Condamné la société Telmma « ès qualités de mandataire du Groupement Pour la Gestion du Restaurant Inter-entreprises Vision Défense » à payer à la société Enedis la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Telmma « ès qualités de mandataire du Groupement Pour la Gestion du Restaurant Inter-entreprises Vision Défense » aux dépens ;
Et, statuant à nouveau,
- Condamner la société Telmma au paiement des sommes suivantes :
- 85.963,96 € TTC en principal, au titre de la demande d'indemnisation n°0321-660339962 du 27 mars 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 12 mai 2017, date de la mise en demeure ;
- 900 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice distinct de perte non technique subi par la société Enedis ;
- 1.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice distinct de résistance abusive et injustifiée au paiement subi par la société Enedis ;
- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile (sic);
- Condamner la société Telmma aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
Motivation
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action
Sur l'intérêt à agir
La société Telmma soulève l'irrecevabilité de l'action de la société Enedis, dès lors qu'en tant que mandataire unique du groupement du RIE Vision Défense, elle n'est pas la bénéficiaire directe de la consommation d'électricité non couverte par un contrat, alors que l'assignation que lui a fait délivrer la société Enedis n'a pas pour fondement sa responsabilité pour faute, mais une demande en paiement direct des consommations électriques. Elle considère en conséquence qu'en application de l'article 56 du code de procédure civile, les conclusions en réponse de la société Enedis du 21 mai 2021 et ses conclusions n°2 sont irrecevables. La société Telmma ajoute qu'aux termes de l'article 1199 du code civil, un tiers ne peut invoquer à son profit un contrat auquel il n'est pas partie, de sorte que la société Enedis ne peut se prévaloir de la convention de mission du mandataire unique.
La société Telmma fait par ailleurs valoir qu'en application de la convention de mise à disposition des locaux, la consommation en électricité incombait à l'exploitant du RIE, la société Sodexho, alors que la société Enedis ne justifie d'aucune démarche auprès de cette dernière pour solliciter le paiement des consommations. Elle soutient qu'elle ignorait que cette dernière avait résilié le contrat de fourniture d'électricité en 2005. L'appelante considère que l'interprétation du contrat conclu entre le groupement RIE et la société Sodexho à laquelle se livre la société Enedis est irrecevable, dès lors qu'elle n'est pas partie à ce contrat.
La société Enedis répond que la société Telmma s'être vue octroyer la gestion du RIE de l'immeuble Vision Défense par le Groupement du RIE Vision Défense, qui n'a pas la personnalité juridique ; qu'il lui incombait, au titre de ses missions de mandataire unique, de solliciter auprès d'un des fournisseurs d'électricité du marché la conclusion d'un contrat pour le compte du groupement du RIE, qui n'a été régularisé que le 27 août 2015 par la signature d'un contrat auprès du fournisseur EDF Entreprises ; que cette négligence fautive constitue le fait générateur de la responsabilité délictuelle de Telmma, justifiant son intérêt à agir dès lors qu'elle finance de fait auprès des fournisseurs les consommations non contractualisées. La société Enedis précise qu'elle n'a appris l'existence de la convention de groupement du RIE et la convention de mission de mandataire unique qu'en cours de procédure l'amenant à adapter le moyen invoqué au soutien de sa demande en paiement.
*****
L'article 31 du code de procédure civile dispose que : 'L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
Il ressort des éléments de la procédure que l'action de la société Enedis tend à obtenir la réparation du préjudice subi du fait du défaut de souscription, au nom du Groupement du RIE Vision Défense, d'un contrat d'abonnement auprès d'un fournisseur d'électricité destiné à l'exploitation du RIE de l'immeuble Vision Défense, ayant conduit à des consommations d'électricité non facturées.
S'il n'est pas contesté, ni contestable, que la société Telmma, en sa qualité de mandataire du Groupement RIE, n'est pas le consommateur final de l'électricité dont le paiement est poursuivi, il doit être rappelé que le manquement d'une partie à un contrat peut constituer à l'égard d'un tiers à la convention une faute de nature délictuelle.
Or, et alors que le bien-fondé de l'action n'est pas une condition de sa recevabilité, la société Enedis se prévaut d'un manquement de la société Telmma à la convention de mission du mandataire unique du Groupement du RIE Vision Défense, lui reprochant d'avoir omis de souscrire à un contrat d'approvisionnement en électricité pour le fonctionnement du RIE.
Les premiers juges ont relevé que conformément aux dispositions de l'article 56 du code de procédure civile, exigeant que l'assignation soit motivée en droit, les articles 1240 et 1241 du code civil sont bien visés au soutien des demandes de la société Enedis aux termes de l'assignation. Par ailleurs, le tribunal a justement jugé que l'évolution des moyens de fait invoqués par la société Enedis, dont l'action demeure fondée sur les dispositions des articles 1240 et 1241 précités, n'était pas de nature à remettre en cause la recevabilité de son action.
En conséquence, par confirmation du jugement, la fin de non-recevoir doit être écartée.
Sur la prescription
Au visa de l'article 2224 du code civil, la société Telmma soulève la prescription de l'action de la société Enedis, expliquant que cette dernière était informée de la résiliation du contrat par la société Sodexho en 2005 et qu'un engagement de régularisation de situation à la suite d'une consommation d'énergie sans contrat a été signé entre les parties le 13 mars 2015. La société Telmma considère par conséquent que la prescription a commencé à courir à compter de la date de la découverte du litige, que l'action engagée par la société Enedis le 27 octobre 2020 est prescrite et que cette prescription ne peut être affectée de manière rétroactive par l'envoi d'une facture tardive.
La société Enedis répond que la prescription quinquennale a commencé à courir à l'émission de sa facture, le 27 mars 2017. Elle précise que nonobstant l'engagement de régularisation conclu le 13 mars 2015, elle a dû attendre de connaitre le volume des consommations du groupement RIE sur une période de 6 mois, dans le cadre du contrat de fourniture d'électricité finalement régularisé par la société Telmma auprès de la société EDF Entreprises, soit le 4 mai 2016, pour pouvoir valoriser le redressement des consommations d'électricité sans contrat.
*****
Les parties s'accordent sur l'application de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui dispose que : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".
La société Enedis ne peut se prévaloir de la date de la facture dont le paiement est poursuivi, alors qu'il s'agit d'une facture de régularisation se rapportant à des consommations électriques très antérieures à son établissement.
La société Telmma soutient qu'à compter du 13 mars 2015, date de la signature par cette dernière, en qualité de représentant du Groupement RIE Vision Défense, de l' " engagement de régularisation de situation suite à une consommation d'énergie sans contrat ", la société Enedis connaissait les faits lui permettant d'exercer son action.
Elle en déduit que l'action engagée à son encontre par assignation du 27 octobre 2020, soit au-delà du délai de 5 ans imparti par l'article 2224 précité, est prescrite.
Cependant, comme le souligne l'intimée, si elle connaissait effectivement le principe de son préjudice au 13 mars 2015, elle en ignorait le quantum, de sorte qu'elle ne pouvait engager d'action qui aurait été déclarée irrecevable comme étant indéterminée.
Il est constant que le contrat de fourniture d'électricité a finalement été régularisé par la société Telmma auprès de la société EDF Entreprises le 27 août 2015 et que le nouveau compteur a été installé le 7 septembre 2015.
La société Enedis soutient pertinemment qu'elle a dû attendre de connaitre le volume des consommations du groupement RIE sur une période raisonnable de 6 mois pour pouvoir valoriser le redressement des consommations d'électricité sans contrat.
Dans ces conditions, le point de départ de la prescription doit être fixé au 7 mars 2016 (date de mise en service du nouveau compteur le 7 septembre 2015 + 6 mois), de sorte que l'action engagée par la société Enedis le 27 octobre 2020 n'apparaît pas prescrite.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir.
Sur les demandes indemnitaires
Au soutien de sa demande indemnitaire, la société Enedis fait valoir que la société Telmma a manqué à ses obligations de mandataire unique en omettant de souscrire un contrat de fourniture d'électricité pour le RIE, ce manquement contractuel vis-à-vis du groupement RIE engageant sa responsabilité délictuelle au regard du préjudice subi du fait du non-paiement des consommations d'électricité. La société Enedis soutient qu'en application de la convention de prestations de services de restauration conclue entre la société Telmma et la société Sodexho, la première avait la charge de souscrire un contrat d'électricité, la seconde n'assumant que le paiement des consommations. L'intimée souligne que c'est bien la société Telmma qui, lors de la régularisation de la situation, a souscrit le contrat. Elle conteste toute négligence fautive, expliquant qu'elle n'a pas à effectuer de relevé de consommation sur des points de comptage pour lesquels il n'existe pas de contrat et qui sont, dès lors, réputés inactifs ; qu'elle n'a pas d'obligation légale ou règlementaire d'interrompre l'alimentation des comptages non attribués à un utilisateur, que la circonstance selon laquelle elle n'aurait pas coupé l'alimentation d'un compteur ne donne pas le droit à l'utilisateur de consommer gratuitement de l'énergie et que le gestionnaire du réseau de distribution peut réclamer directement à l'utilisateur la réparation du préjudice qu'il a subi dans cette hypothèse. La société Enedis se prévaut des index réels relevés au compteur entre le 7 septembre 2015 et le 10 mars 2016, indiquant que ces index font foi jusqu'à preuve du contraire, qui n'est pas rapportée par la société Telmma.
La société Enedis sollicite une somme de 900 € de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct de contrôle et de traitement des pertes non techniques, outre celle de 1.000 € au titre de la résistance abusive.
La société Telmma s'oppose à la demande en paiement, dans la mesure où que la société Enedis ne rapporte aucun justificatif de la consommation dont elle réclame le paiement et qu'elle n'est pas le consommateur final de l'électricité. Elle rappelle que la société Enedis ne peut se prévaloir du contrat de mandat auquel elle n'est pas partie. L'appelante reproche à la société Enedis un défaut de diligence dès lors qu'elle a reçu une demande de résiliation du contrat de fourniture par la société Sodexho en 2005 et qu'elle a continué à fournir de l'électricité sans le moindre contrôle de consommation pendant plus de dix ans. La société Telmma considère que la société Enedis ne justifie pas de son préjudice, puisqu'elle procède par voie d'estimation, sur la base d'un historique des relevés dépourvu de force probante, alors que la société Enedis est soumise à une obligation de relevé annuel. Elle s'oppose aux demandes indemnitaires accessoires, soulignant que la société Enedis n'a jamais cru devoir assigner les bénéficiaires de l'électricité.
*****
L'article 1240 du code civil dispose que " Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".
Par ailleurs, en application de l'article 1241 du même code, " Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ".
Or, aux termes de l'article I, f de la convention de mission du mandataire unique du Groupement du RIE Vision Défense, il incombait à la société Telmma, au titre de ses missions, de représenter le Groupement auprès " des services concessionnaires " et d'effectuer " toutes les démarches rendues nécessaires par l'existence et l'exploitation du restaurant ". La convention ajoute de manière plus générale à l'article I, g, que le mandataire a la charge d'effectuer toutes les démarches rendues nécessaires par l'existence et l'exploitation du restaurant.
En application de l'article I-f de la Convention de mission : " le mandataire unique se conformera aux dispositions énoncées dans la convention de groupement et ses annexes, dont il déclare avoir parfaite connaissance ". Or, aux termes de l'article 8-2 de cette convention, " Le mandataire unique agit pour le compte du groupement pour tout ce qui concerne la gestion du restaurant ".
Comme indiqué précédemment, la société Enedis, en tant que tiers, est recevable et fondée à se prévaloir des dispositions contractuelles liant le Groupement du RIE Vision Défense à la société Telmma, car leur méconnaissance a généré à son égard un préjudice. Or, il est constant que le défaut de conclusion d'un contrat de fourniture d'électricité, qui incombait à la société Telmma en exécution des stipulations contractuelles ci-dessus rappelées, est à l'origine d'un préjudice pour la société Enedis, dès lors que les consommations en électricité du restaurant n'ont pas été payées.
La société Telmma soutient que l'obligation de souscrire à un contrat de fourniture en électricité incombait à la société Sodexho, exploitante du RIE. Elle souligne que c'est bien la société Sodexho qui a exploité le RIE jusqu'en 2005, qui a résilié le contrat de fourniture en électricité le 17 juin 2005. Pour justifier ses dires, elle communique la convention de prestations de restauration RIE Vision Défense conclue avec la société Sodexho le 8 septembre 2006. Cependant, il ne ressort pas de cette convention que l'exploitant du RIE avait la charge de souscrire le contrat de fourniture en électricité. Au contraire, la convention stipule à l'article 5.3 relatif aux fournitures que " Les parties prennent en charge les frais de fonctionnement tels que définis à l'annexe 2 " qui prévoit que la " mise à disposition des (') fluides " incombe au client, c'est-à-dire au Groupement du RIE Vision Défense représenté par la société Telmma en sa qualité de mandataire unique, alors que seule la " consommation des fluides (eau chaude, eau froide, EDF) " doit être supportée par la société Sodexho.
La société Enedis souligne pertinemment que c'est la société Telmma, en qualité de représentante du Groupement du RIE, qui a signé l'engagement de régularisation de situation suite à une consommation d'énergie sans contrat " le 13 mars 2015 et souscrit le contrat auprès de la société EDF Entreprises afin de régulariser la situation le 28 août 2015.
Alors que l'exploitation du RIE débutait dans le cadre d'une nouvelle convention conclue entre le Groupement du RIE Vision Défense, représenté par son mandataire unique, et la société Sodexho le 8 septembre 2006, la société Telmma, qui se devait contractuellement d'assurer l'alimentation du restaurant en fluide, avait l'obligation de souscrire un nouveau contrat d'alimentation électrique au nom du groupement, quand bien même les locaux étaient toujours alimentés en électricité.
La société Telmma ne peut demander à la société Enedis de rapporter la preuve négative, et donc impossible, de l'absence de de conclusion d'un contrat d'énergie et de règlements par la société Sodexho au titre de sa consommation sur la période litigieuse, alors qu'il ressort clairement de la convention conclue avec cette dernière le 8 septembre 2006, que la conclusion du contrat de fourniture en électricité lui incombait.
Le manquement de la société Telmma est ainsi caractérisé.
L'appelante reproche à la société Enedis un défaut de diligence en l'absence de contrôle de la consommation électrique pendant plus de dix ans, puisque le contrat lié à l'exploitation du RIE antérieure à la conclusion de la convention précitée du 8 septembre 2006 avant été résilié par la société Sodexho le 17 juin 2005. Cependant, les premiers juges ont à raison répondu qu'il n'existe aucune obligation légale ou règlementaire pour l'intimée de contrôler ou effectuer des relevés réguliers sur des points d'alimentation sans contrat. Au regard de l'étendue du parc de comptage, le contrôle des installations ne peut être qu'aléatoire. En outre, il n'existe pas davantage d'obligation pour la société Enedis de couper l'alimentation des points de fourniture pour lesquels les contrats d'abonnement sont résiliés, de sorte qu'aucune faute n'est caractérisée à l'encontre de la société Enedis. Il doit être rappelé qu'en sa qualité de mandataire ayant reçu mission de la part du mandant d'accomplir toutes les démarches rendues nécessaires par l'existence et l'exploitation du restaurant, il appartenait à la société Telmma, qui se présente comme une spécialiste de la gestion des RIE (cf la pièce n°19 de l'intimée), de veiller à ce que les installations d'approvisionnement de ce local en fluides soient utilisées dans des conditions régulières, quand bien même les locaux étaient toujours alimentés en électricité.
C'est vainement que la société Telmma reproche à la société Enedis de ne pas avoir dirigé son action contre les membres du Groupement du RIE ou la société Sodexho, alors que l'intimée dispose de toute liberté dans l'exercice de son action. La cour observe au demeurant que l'appelante n'a pas jugé utile d'appeler en garantie les membres du Groupement du RIE ou la société Sodexho.
Pour justifier du quantum de son préjudice, la société Enedis a établi une reconstitution de consommation au prorata temporis sur la période non prescrite courant du 7 septembre 2010 au 7 septembre 2015, sur la base des index réels relevés au compteur posé le 7 septembre 2015 à l'index 0, entre le 7 septembre 2015, date de la mise en service, et le 10 mars 2016. Elle a appliqué le prix fixé par le Tarif d'Utilisation du Réseau Public de Distribution de l'Electricité en vigueur lors de la facturation.
La société Telmma reproche à la société Enedis de procéder à une estimation et de se baser sur un document dépourvu de force probante. Cependant, la société Telmma, qui n'a pas souscrit de contrat de fourniture d'électricité, ne permettant pas la facturation au réel de l'électricité consommée entre le 7 septembre 2010 et le 7 septembre 2015, ne saurait se prévaloir de son propre manquement. La faute du mandataire a contraint la société Enedis à procéder à l'évaluation de son préjudice par voie d'estimation. En outre, cette estimation est basée sur les index relevés et donc sur la consommation réelle du RIE du 7 septembre 2015 au 10 mars 2016 et la cour constate que la société Telmma ne justifie d'aucun élément probant permettant de démontrer que la consommation d'électricité mesurée au cours de cette période ne correspond pas à la consommation habituelle du restaurant.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Telmma à payer à la société Enedis la somme de 85.963,96 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à l'absence de souscription d'un contrat de fourniture d'électricité pour le RIE Vision Défense. En revanche, s'agissant d'une créance indemnitaire, cette somme ne produira intérêts qu'à compter du jugement, soit du 26 avril 2022, en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Enedis de sa demande indemnitaire au titre du préjudice distinct de contrôle et de traitement des pertes non techniques, dès lors qu'aucun élément probant ne permet de confirmer le principe et le quantum de ce préjudice.
Enfin, la résistance abusive n'est caractérisée qu'en cas de faute équipollente au dol qui n'est pas démontrée en l'espèce à l'égard de la société Telmma. Le jugement déféré doit donc être également confirmé en ce qu'il a débouté la société Enedis de sa demande au titre de la résistance abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement entrepris sera confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
La société Telmma qui succombe, sera condamnée à supporter les dépens d'appel et à payer à la société Enedis la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par une erreur matérielle, la société Enedis a sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles. La distraction des dépens lui sera accordée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris sauf en celle de ses dispositions relatives au point de départ des intérêts ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Dit que les intérêts au taux légal courent sur la somme de 85.963,96 € TTC à compter du 26 avril 2022 ;
Condamne la société Telmma aux dépens d'appel dont distraction ;
Condamne la société Telmma à payer à la société Enedis la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.