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Décisions

CJUE, 4e ch., 13 juin 2024, n° C-737/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Staten og Kommunernes Indkøbsservice A/S

Défendeur :

BibMedia A/S

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. C. Lycourgos (rapporteur)

Juges :

Mme O. Spineanu Matei, MM. J. C. Bonichot, S. Rodin, Mme L. S. Rossi

Avocat général :

M. A. Rantos

Avocats :

J. Bødtcher-Hansen, R. Holdgaard, H. Holtse

CJUE n° C-737/22

12 juin 2024

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Staten og Kommunernes Indkøbsservice A/S (ci-après « SKI ») à BibMedia A/S au sujet de l’attribution d’un marché public relatif à la fourniture de matériel de bibliothèque et de services préparatoires à cet égard.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 18 de la directive 2014/24, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »

4 L’article 27 de cette directive, intitulé « Procédure ouverte », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Dans une procédure ouverte, tout opérateur économique intéressé peut soumettre une offre en réponse à un appel à la concurrence.

[...] »

5 L’article 28 de ladite directive, intitulé « Procédure restreinte », énonce :

« 1. Dans une procédure restreinte, tout opérateur économique peut soumettre une demande de participation en réponse à un avis d’appel à la concurrence [...], en fournissant les informations aux fins de la sélection qualitative qui sont réclamées par le pouvoir adjudicateur.

[...]

2. Seuls les opérateurs économiques invités à le faire par le pouvoir adjudicateur à la suite de l’évaluation par celui-ci des informations fournies peuvent soumettre une offre. [...]

[...] »

6 L’article 46 de la même directive, intitulé « Division des marchés en lots », dispose :

« 1. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent décider d’attribuer un marché sous la forme de lots distincts, dont ils peuvent déterminer la taille et l’objet.

[...]

2. Dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt, les pouvoirs adjudicateurs indiquent s’il est possible de soumettre une offre pour un seul lot, pour plusieurs lots ou pour tous les lots.

Les pouvoirs adjudicateurs peuvent, même lorsqu’il est possible de soumettre une offre pour plusieurs lots ou tous les lots, limiter le nombre de lots qui peuvent être attribués à un seul soumissionnaire, à condition que le nombre maximal de lots par soumissionnaire soit inscrit dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt. Les pouvoirs adjudicateurs indiquent dans les documents de marché les critères ou règles objectifs et non discriminatoires qu’ils entendent appliquer pour déterminer quels lots seront attribués lorsque l’application des critères d’attribution conduirait à attribuer à un soumissionnaire un nombre de lots supérieur au nombre maximal.

3. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque plusieurs lots peuvent être attribués au même soumissionnaire, les pouvoirs adjudicateurs peuvent attribuer des marchés réunissant plusieurs lots ou tous les lots, s’ils ont précisé dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt qu’ils se réservent la possibilité de le faire et indiquent les lots ou groupes de lots qui peuvent être réunis.

[...] »

Le droit danois

7 L’article 2 de l’Udbudsloven (loi sur les marchés publics) énonce :

« 1. Dans les procédures de passation de marchés publics [...], l’entité adjudicatrice se conforme aux principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité.

2. Une procédure ouverte ne peut être conçue dans l’intention de soustraire le marché au champ d’application de la présente loi ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsque la procédure est conçue dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment un ou plusieurs opérateurs économiques déterminés. »

8 Aux termes de l’article 49, paragraphe 3, de cette loi :

« Dans l’avis de marché, l’entité adjudicatrice indique :

1) si le soumissionnaire peut soumettre une offre pour un seul, plusieurs ou tous les lots,

2) si le soumissionnaire peut se voir attribuer un seul, plusieurs ou tous les lots et, le cas échéant, les lots ou groupes de lots qui peuvent être réunis, et

3) les critères ou règles objectifs et non discriminatoires déterminant l’attribution des lots, notamment la manière dont les lots sont attribués lorsque l’application des critères ou règles conduirait à attribuer à un soumissionnaire un nombre de lots supérieur au nombre maximal qui peut lui être attribué. »

9 L’article 56 de ladite loi prévoit :

« Dans une procédure ouverte, tout opérateur économique peut soumettre une offre en réponse à l’avis de marché. [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

10 SKI est une centrale d’achat qui est la propriété de l’État danois et du Kommunernes Landsforening (Fédération des municipalités du Royaume de Danemark). Cette entité a été créée pour rationaliser la passation de marchés publics au moyen, notamment, de l’attribution et de la gestion d’accords-cadres pour le compte de l’État et des municipalités.

11 Le 4 février 2020, SKI a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de la conclusion d’un accord-cadre relatif à la fourniture de matériel de bibliothèque et de services préparatoires. Le critère d’attribution du marché était le prix le plus bas.

12 Ce marché était divisé en huit lots. Les lots 1 et 2, sur lesquels porte le litige au principal, étaient intitulés respectivement « Livres et partitions danois (Est) » et « Livres et partitions danois (Ouest) », et avaient des valeurs estimées respectives de 253 millions de couronnes danoises (DKK) (environ 34 millions d’euros) et de 475 millions DKK (environ 63 millions d’euros).

13 Le point 3.1 du cahier des charges relatif à cet appel d’offres énonçait :

« Les lots 1 et 2 sont interdépendants (voir point 3.1.1) et, si un soumissionnaire présente une offre pour l’un de ces lots, celle-ci est automatiquement réputée avoir été présentée pour les deux. [...]

Sous réserve de ce qui précède, il n’existe pas de limite inférieure ou supérieure quant au nombre de lots pour lesquels une offre peut/doit être présentée.

SKI prévoit une attribution à un seul fournisseur par lot. Un même fournisseur peut se voir attribuer plusieurs lots.

Le marché du matériel de bibliothèque se caractérise par le fait qu’il existe peu de fournisseurs spécialisés et de soumissionnaires potentiels. Pour les soumissionnaires potentiels, les livres et partitions danois constituent le plus grand groupe de produits en termes de chiffre d’affaires et sont commercialement importants. Afin d’assurer la concurrence future dans ce secteur, les marchés relatifs aux livres et partitions danois sont répartis géographiquement en deux lots. Les clients affiliés sont répartis en conséquence en deux catégories, respectivement “Est” et “Ouest”. [...] »

14 Le point 3.1.1 de ce cahier des charges précisait :

« Les marchés relatifs aux livres et partitions danois font l’objet d’une procédure d’appel d’offres selon le modèle dit “Est/Ouest”, ce qui implique qu’il est prévu de désigner un fournisseur pour l’Est du Danemark et un autre fournisseur pour l’Ouest, mais que ce sont les mêmes prix proposés qui s’appliqueront à tous les clients, que ceux-ci soient situés dans l’Est ou l’Ouest du Danemark.

[...]

Le soumissionnaire qui présente l’offre économiquement la plus avantageuse se verra attribuer le marché en tant que fournisseur pour le lot 2 – Livres et partitions danois (Ouest).

Le soumissionnaire qui présente la deuxième offre économiquement la plus avantageuse se verra attribuer le marché en tant que fournisseur pour le lot 1 – Livres et partitions danois (Est). Toutefois, ce soumissionnaire doit accepter que l’attribution qui lui est faite du marché en tant que fournisseur pour l’Est du Danemark implique qu’il doit fournir aux clients de l’Est les produits et services visés par l’accord-cadre aux mêmes prix exactement que ceux qui ont été proposés et seront appliqués dans l’Ouest du Danemark par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse.

Si le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse n’accepte pas d’être le fournisseur pour l’Est du Danemark, la possibilité en sera donnée au soumissionnaire ayant présenté la troisième offre économiquement la plus avantageuse, lequel doit également accepter que l’attribution qui lui est faite du marché en tant que fournisseur pour l’Est du Danemark implique qu’il doit fournir aux clients de l’Est les produits et services visés par l’accord-cadre aux mêmes prix exactement que ceux qui ont été proposés et seront appliqués dans l’Ouest du Danemark par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse.

Si ce soumissionnaire n’accepte pas non plus d’être le fournisseur pour l’Est du Danemark, la possibilité en sera donnée au soumissionnaire suivant sur la liste, et ainsi de suite. Si la liste des soumissionnaires dont les offres satisfont aux conditions de l’appel d’offres est épuisée et qu’aucun fournisseur pour l’Est du Danemark n’est trouvé parmi eux, le fournisseur qui a remporté le marché pour l’Ouest du Danemark se verra également attribuer le marché pour l’Est. [...]

[...] »

15 À l’expiration du délai de dépôt des offres, SKI a reçu des soumissions de la part d’Audio Visionary Music A/S (ci-après « AVM ») et de BibMedia, qui ont, chacune, présenté une offre pour l’ensemble des lots.

16 Ayant considéré que BibMedia avait présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, SKI a attribué à celle-ci le lot 2 (Ouest) et a proposé d’attribuer à AVM le lot 1 (Est), à la condition que celle-ci accepte de livrer les fournitures et d’effectuer les prestations prévues à ce lot au prix que BibMedia avait proposé, prix dont AVM avait été informée.

17 AVM ayant accepté, SKI a fait parvenir, le 21 avril 2020, une notification de la décision d’attribution du marché.

18 Le 30 avril 2020, AVM a saisi le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics, Danemark) (ci-après la « Commission des recours ») d’un recours.

19 Le 14 janvier 2021, la Commission des recours a considéré que SKI avait violé l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur les marchés publics en recourant à une procédure d’attribution des lots 1 et 2 dont les modalités impliqueraient, en substance, que le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse peut modifier son offre après la date limite impartie pour présenter les soumissions, afin de se voir attribuer le lot 1 (ci-après la « décision du 14 janvier 2021 »).

20 La Commission des recours a motivé cette décision en exposant que ce soumissionnaire avait eu la faculté de modifier un terme essentiel de son offre, à savoir le prix, et cela d’une manière qui profite au pouvoir adjudicateur et qui donne audit soumissionnaire la possibilité d’améliorer son offre en vue de remporter un lot du marché. Une telle manière de procéder serait contraire à l’interdiction de négociation, qui découle des principes d’égalité de traitement et de transparence.

21 Le 9 juillet 2021, SKI a introduit un recours juridictionnel devant le Retten i Glostrup (tribunal municipal de Glostrup, Danemark) contre la décision du 14 janvier 2021.

22 Le 7 décembre 2021, ce recours a été renvoyé devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), agissant en tant que juridiction de première instance, qui est la juridiction de renvoi.

23 Cette juridiction considère que, si la Cour a déjà précisé la portée de l’interdiction de négociation découlant de l’article 18 de la directive 2014/24 pour ce qui concerne les réserves contenues dans une offre, la sous-traitance et la possibilité de prendre en compte des informations complémentaires, elle n’a pas encore précisé si, dans le cadre d’une procédure ouverte relative à un marché divisé en lots conformément à l’article 46 de cette directive, l’interdiction de négociation s’oppose à ce qu’un soumissionnaire qui n’a pas présenté l’offre économiquement la plus avantageuse se voie attribuer un lot à condition qu’il accepte, dans le cadre de ce lot, de livrer les fournitures et d’effectuer les prestations faisant l’objet du marché au même prix que celui proposé par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse.

24 Dans ces conditions, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes de transparence et d’égalité de traitement consacrés par l’article 18 de la directive [2014/24] et l’interdiction de négociation qui en découle s’opposent-ils à ce qu’un soumissionnaire ayant, dans le cadre d’une procédure ouverte visant à l’attribution de lots, telle que visée aux articles 27 et 46 de cette directive, présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse se voie, après l’expiration du délai de présentation des soumissions, et conformément aux modalités préalablement définies du cahier des charges, accorder la possibilité d’effectuer dans le cadre d’un lot les fournitures et prestations faisant l’objet du marché aux mêmes conditions que celles proposées par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse et qui s’est vu, par conséquent, attribuer un autre lot dans le cadre du même marché ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

25 La Cour a itérativement souligné que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C 181/21 et C 269/21, EU:C:2024:1, point 62 ainsi que jurisprudence citée]. La Cour a également rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C 558/18 et C 563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

26 En l’occurrence, la Cour a adressé, le 13 octobre 2023, une demande d’informations à la juridiction de renvoi, afin que celle-ci clarifie si, malgré le fait, évoqué dans les observations écrites de BibMedia, que la procédure d’appel d’offres en cause n’a pas été reprise après la décision du 14 janvier 2021, mais a été remplacée par une nouvelle procédure d’appel d’offres, SKI conserve, selon le droit danois, un intérêt à agir dans le litige au principal.

27 Le 27 novembre 2023, la juridiction de renvoi a répondu par l’affirmative à cette demande d’informations, en se référant, notamment, à la jurisprudence danoise sur l’intérêt à agir dans le domaine du droit administratif.

28 Cette juridiction ayant ainsi exposé qu’il persiste, selon le droit national, un intérêt juridique à la résolution du litige au principal, dans le cadre duquel ladite juridiction est appelée à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel, la question posée n’est pas de nature hypothétique et doit être considérée comme recevable.

 Sur la question préjudicielle

29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à cette disposition s’opposent à ce que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public divisé en lots, le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse se voie, conformément aux modalités définies dans les documents de marché, attribuer un lot à condition qu’il accepte de livrer les fournitures et d’effectuer les prestations relatives à ce lot au même prix que celui proposé par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse et qui s’est vu, par conséquent, attribuer un autre lot, plus important, de ce marché.

30 Le principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public et relève de l’essence même des règles de l’Union relatives aux procédures de passation des marchés publics. Conformément à ce principe, les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées par ledit pouvoir adjudicateur (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Rad Service e.a., C 210/20, EU:C:2021:445, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

31 Le principe de transparence, également consacré à cet article 18, paragraphe 1, a pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Ce principe implique que les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Casertana Costruzioni, C 223/16, EU:C:2017:685, point 34 et jurisprudence citée).

32 Ces principes d’égalité de traitement et de transparence s’opposent à toute négociation entre le pouvoir adjudicateur et un soumissionnaire dans le cadre d’une procédure de passation de marché public, ce qui implique que, en principe, une offre ne peut pas être modifiée après son dépôt, que ce soit à l’initiative du pouvoir adjudicateur ou du soumissionnaire (arrêts du 14 septembre 2017, Casertana Costruzioni, C 223/16, EU:C:2017:685, point 35, ainsi que du 3 juin 2021, Rad Service e.a., C 210/20, EU:C:2021:445, point 43).

33 Or, une modalité de passation de marché public telle que celle exposée dans le cahier des charges de l’appel d’offres en cause au principal, selon laquelle le marché est divisé en lots, dont le plus important sera attribué au soumissionnaire qui présente l’offre économiquement la plus avantageuse, tandis qu’un lot de valeur moindre sera préférablement attribué, dans le but de maintenir une concurrence dans le secteur économique concerné, au soumissionnaire qui présente la deuxième offre économiquement la plus avantageuse, à la condition que celui-ci accepte d’exécuter ce lot au prix du soumissionnaire qui présente l’offre économiquement la plus avantageuse, ne comporte aucun élément de négociation, au sens de la jurisprudence susvisée.

34 À cet égard, il y a lieu de relever qu’une telle modalité de passation de marché public garantit, pour l’attribution de l’ensemble des lots du marché, le respect du critère du prix le plus bas sans possibilité pour le pouvoir adjudicateur de déroger à ce critère ou d’inviter un soumissionnaire à modifier son offre, puisque ce pouvoir adjudicateur doit se fonder sur les prix proposés avant l’expiration du délai de dépôt des offres et respecter, tout au long de cette procédure, l’ordre de classement qui résulte de ces offres de prix.

35 Dans une telle procédure de passation, ce sont en effet les prix proposés avant l’expiration du délai de dépôt des offres qui déterminent directement et définitivement le classement des soumissionnaires. Dans ce classement, le soumissionnaire ayant offert le prix le plus bas occupe la première place et son prix est celui auquel le marché sera, dans son intégralité, conclu.

36 La possibilité, donnée par le cahier des charges au soumissionnaire qui présente la deuxième offre économiquement la plus avantageuse, de se voir attribuer un lot du marché découle uniquement, ainsi qu’il ressort expressément des documents de marché, du fait qu’il occupe la deuxième place dans le classement issu des prix proposés dans les offres.

37 Le point de savoir si cette possibilité est utilisée ou non dépend de la décision dudit soumissionnaire d’accepter ou non d’exécuter le lot en question au prix du soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. Cette condition fait partie des modalités de la procédure d’attribution formulées dans le cahier des charges de l’appel d’offres. Dans le cas où le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse n’accepte pas de s’aligner sur ce prix, il incombe au soumissionnaire occupant le troisième rang dans le classement issu des prix proposés dans les offres de prendre position sur ce point, et ainsi de suite dans l’ordre de classement des offres tant qu’aucun des soumissionnaires n’accepte de s’aligner sur le prix de l’offre présenté par le soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. Si tous les soumissionnaires classés du deuxième au dernier rang refusent d’exécuter ce lot à ce prix, le soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse se voit attribuer l’ensemble des lots du marché.

38 Aucune des décisions susceptibles d’être prises par les soumissionnaires classés du deuxième au dernier rang n’implique une modification des offres qu’ils avaient déposées avant l’expiration du délai prévu à cet effet ou une négociation avec le pouvoir adjudicateur. En effet, aucun soumissionnaire n’a la possibilité de changer, par une modification de son offre ou par une négociation quelconque, sa place dans le classement ou le prix auquel sera conclu le contrat relatif à un lot quelconque du marché.

39 Il ressort de ces éléments qu’une modalité de passation telle que celle en cause au principal relève, sans méconnaissance des principes d’égalité de traitement et de transparence, du cas de figure visé à l’article 46 de la directive 2014/24, à savoir celui dans lequel un pouvoir adjudicateur décide d’attribuer un marché sous la forme de lots distincts, en précisant dans les documents de marché s’il est permis de soumettre une offre pour un seul lot, pour plusieurs lots ou pour tous les lots et en indiquant quels critères objectifs et non discriminatoires seront appliqués pour déterminer l’attribution des lots.

40 À cet égard, la circonstance que la procédure de passation de marché est, en l’occurrence, ouverte, au sens de l’article 27 de cette directive, est sans incidence, les considérations exposées aux points 33 à 38 du présent arrêt pouvant tout autant s’appliquer dans le cadre d’une procédure restreinte, au sens de l’article 28 de ladite directive, une fois que les opérateurs économiques invités à soumettre une offre ont déposé leurs offres de prix respectives.

41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à cette disposition ne s’opposent pas à ce que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public divisé en lots, le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse se voie, conformément aux modalités définies dans les documents de marché, attribuer un lot à condition qu’il accepte de livrer les fournitures et d’effectuer les prestations relatives à ce lot au même prix que celui proposé par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse et qui s’est vu, par conséquent, attribuer un autre lot, plus important, de ce marché.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,

doit être interprété en ce sens que :

les principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à cette disposition ne s’opposent pas à ce que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public divisé en lots, le soumissionnaire ayant présenté la deuxième offre économiquement la plus avantageuse se voie, conformément aux modalités définies dans les documents de marché, attribuer un lot à condition qu’il accepte de livrer les fournitures et d’effectuer les prestations relatives à ce lot au même prix que celui proposé par le soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse et qui s’est vu, par conséquent, attribuer un autre lot, plus important, de ce marché.