Livv
Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 18 janvier 2024, n° 21/03190

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lolaguy (SCI)

Défendeur :

l'Hibiscus (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Bribes, Me Merlin

TJ Montpellier, du 8 avr. 2021, n° 18/02…

8 avril 2021

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS

Le 28 avril 2004, la Sci Lolaguy a acquis de la Sci l'Hibiscus divers bâtiments à usage d'entrepôt et de bureaux avec terrain attenant, moyennant le prix de 516 326 euros sur la commune du Crès (34920).

Le 3 août 2009, la société Lolaguy a donné à bail commercial à la société Sovamat les locaux situés sur les parcelles BC [Cadastre 2] et BC [Cadastre 6] pour une durée expirant au 4 août 2018 moyennant un loyer mensuel de 3 700 euros.

Par courrier en date du 11 mai 2016, la société Yxime, gestionnaire du patrimoine foncier et immobilier de la Sncf, a informé la société Lolaguy de l'empiétement sur sa propriété d'une partie de ses bâtiments édifiés sur la parcelle BC [Cadastre 2].

Elle lui a proposé de régulariser cette occupation sans titre par la signature d'une convention d'occupation précaire du domaine public aux conditions suivantes :

- durée 2 ans avec possibilité de proroger cette durée sans excéder 5 ans,

- redevance de 5 000 euros par an,

- frais de rédaction 1 000 euros,

- impôt et taxe 500 euros par an,

- obligation de démolition des installations aux frais de l'occupant à la fin de la convention.

La société Yxime lui a indiqué qu'en l'absence de signature de cette convention, une procédure de démolition serait entamée. Elle lui a proposé d'acquérir cette parcelle pour la somme de 20000 euros HT, outre les frais de notaire et de réquisition du transfert de propriété.

Tenant ces difficultés, le locataire de la société Lolaguy a décidé de ne pas proroger son bail à terme le 4 août 2018.

C'est dans ce contexte que, par actes en date des 11 avril et 2 mai 2018, la société Lolaguy a fait assigner en paiement la société l'Hibiscus et Maître [L] notaire rédacteur de l'acte.

Par jugement mixte en date du 13 novembre 2018, le tribunal judiciaire de Montpellier a, avant dire droit ordonné une expertise judiciaire, aux fins de vérifier si l'empiétement de la propriété allégué par la Sncf était effectif.

Le 21 décembre 2018, la société Lolaguy a acquis de la Sncf la parcelle de 55m² prétendument empiétée moyennant le prix de 20 000 euros, outre 3 300 euros au titre des frais de vente.

L'expert a déposé son rapport le 24 janvier 2020.

Par jugement en date du 8 avril 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a débouté la société Lolaguy de ses demandes indemnitaires tant à l'encontre de la société l'Hibiscus qu'à l'encontre de Mtre [L] notaire, l'a condamnée aux entiers dépens et à payer à la société l'Hibiscus et à Me [L] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Parallèlement, la société Yxime a adressé une mise en demeure à la société Lolaguy les 8 mars et 8 avril 2021, pour lui demander de payer les redevances pour un montant de 16 010,60 euros restant dues au titre de la convention d'occupation précaire dont elle n'avait pas sollicité le paiement jusque-là.

La société Lolaguy a relevé appel de ce jugement le 17 mai 2021.

PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises par voie électronique le 19 octobre 2023, la société Lolaguy entend voir confirmer le jugement en ce qu'il a homologué les conclusions de l'expert et le voir réformer pour le surplus, et de :

- Juger qu'il existe un empiétement dont elle n'était pas informée au moment de la vente et que la société l'Hibiscus, venderesse, est tenue à la garantir,

- Condamner la société l'Hibiscus à lui payer :

> la somme de 23 000 euros correspondant au prix de vente de la parcelle et frais notariés,

> les frais de fermeture des ouvertures pratiquées dans le mur pour 500 euros,

> les frais du géomètre-expert missionné suite à la demande de la Sncf pour 942 euros,

> les redevances résultant de la convention d'occupation précaire pour 16 010,60 euros,

> le préjudice moral estimé à 5 000 euros.

- Débouter la société l'Hibiscus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Subsidiairement,

- Juger que la société connaissait le vice affectant le hangar et subsidiairement, retenir sa mauvaise foi rendant inefficace la clause d'exclusion de garantie dans l'acte de vente,

- La condamner à lui verser :

> la somme de 23 000 euros correspondant au prix de vente de la parcelle et frais notariés,

> les frais de fermeture des ouvertures pratiquées dans le mur pour 500 euros,

> les frais du géomètre-expert missionné suite à la demande de la Sncf pour 942 euros,

> les redevances résultant de la convention d'occupation précaire pour 16 010,60 euros,

> le préjudice moral estimé à 5 000 euros.

- Débouter la société l'Hibiscus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

A titre infiniment subsidiaire,

- Juger que la société Hibiscus est tenue à une obligation de renseignement envers son acheteur et qu'elle a commis un dol par réticence en ne donnant aucune information sur le caractère litigieux d'une partie de la construction et qu'elle est ainsi responsable du préjudice subi,

- La condamner à payer :

> la somme de 23 000 euros correspondant au prix de vente de la parcelle et frais notariés,

> les frais de fermeture des ouvertures pratiquées dans le mur pour 500 euros,

> les frais du géomètre-expert missionné suite à la demande de la Sncf pour 942 euros,

> les redevances résultant de la convention d'occupation précaire pour 14 811,65 euros,

> le préjudice moral estimé à 5 000 euros.

- Débouter la société l'Hibiscus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

En toute hypothèse, condamner la société l'Hibiscus et Me [L] à lui payer la somme de 10 000 euros HT au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens au titre des deux instances et les frais d'expertise.

Par dernières conclusions remises par voie électronique le 11 octobre 2023, la société l'Hibiscus demande en substance à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a jugé l'existence d'un empiétement et, statuant à nouveau, de :

- Constater que la société Lolaguy n'apporte pas la preuve de l'empiétement allégué et la débouter purement et simplement de toutes ses demandes, fins et prétentions à ce titre,

- A titre subsidiaire, ordonner avant dire droit une mesure d'expertise complémentaire avec pour mission :

> se rendre sur les lieux,

> rechercher l'emplacement exact de la limite de propriété « Est » de la parcelle BC [Cadastre 2], au-delà de la seule figuration cadastrale, en s'appuyant sur les limites naturelles pouvant délimiter deux fonds contigus et la recherche des bornes posées par M. [P].

- A titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Lolaguy de l'intégralité de ses demandes fondées sur la garantie d'éviction, la garantie des vices cachés ainsi que le dol.

En toutes hypothèses, condamner la société Lolaguy à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 31 octobre 2023.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIFS

A titre liminaire, la cour relève l'abandon en cause d'appel des demandes formées en première instance par la société Lolaguy à l'encontre de Maître [O] [L] notaire.

- sur la garantie d'éviction :

La société Lolaguy fait principalement grief au premier juge de n'avoir pas répondu au moyen de droit sur lequel elle fondait ses demandes à l'encontre de la Sci l'Hibiscus à savoir la garantie d'éviction due par le vendeur sans considération de sa bonne ou mauvaise foi y compris en présence d'une clause de non-garantie lorsqu'elle ne répond pas aux conditions fixées par l'article 1629 du code civil.

La Sci l'Hibiscus fait pour sa part grief au premier juge d'avoir homologué le rapport d'expertise et retenu l'existence d'un empiètement et soutient qu'à le supposer établi, la société Lolaguy n'a subi aucune éviction dès lors qu'elle est bien entrée en possession de la parcelle BC [Cadastre 6] d'une superficie de 143 m² et qu'elle ne peut arguer d'un trouble actuel dès lors qu'aucune action en justice n'a été engagée à son encontre au titre de la parcelle litigieuse. Elle s'appuie en toutes hypothèses sur la clause de non-garantie non équivoque stipulée dans l'acte de cession du 28 avril 2004 et conclut en tout état de cause à la confirmation du jugement ayant débouté la société Lolaguy de ses demandes.

Aux termes de l'article 1626 du code civil, quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet et non déclarées lors de la vente.

En vertu de l'article 1627 du même code, les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie.

En l'espèce, la Sci Lolaguy a acquis suivant acte notarié en date du 28 avril 2004 divers bâtiments à usage d'entrepôt et de bureaux attenants sis sur la commune du Crès (34920) Route de Nîmes cadastrées Section BC n°[Cadastre 2],[Cadastre 6] (acquise par la SCI l'Hibiscus suivant acte notarié du 12 octobre 1990), et [Cadastre 8] au prix de 516 326 euros.

La venderesse a déclaré aux termes de cet acte que les constructions ont été édifiées en vertu d'un permis de construire délivré le 23 septembre 1988, achevées le 31 janvier 1990 et ayant fait l'objet d'un certificat de conformité délivré le 27 mars 1990.

Suivant courrier recommandée avec avis de réception en date du 11 mai 2016, la société Yxime, gestionnaire du patrimoine foncier et immobilier de la Sncf, a fait part à la société Lolaguy de ce que son géomètre-expert lui a confirmé l'existence d'un empiètement d'un bâtiment construit sur la parcelle n°BC [Cadastre 7] sur les emprises de la Sncf, proposant à la société de régulariser cette occupation par la signature d'une convention d'occupation précaire et précisant qu'en cas de refus, elle devra démolir le bâtiment et restituer les emprises Sncf sous 60 jours à défaut de quoi une procédure en démolition serait engagée aux frais de la société.

Suivant courrier adressé l'année suivante à la société Yxime, la société Lolaguy a offert à la Sncf pour mettre fin au litige d'acquérir la partie litigieuse de la parcelle ce qui sera fait par acte du 21 décembre 2018 au prix de 20 000 euros outre les frais.

L'expert judiciaire a conclu - au terme d'une analyse minutieuse des actes de vente successifs de la parcelle litigieuse BC [Cadastre 6] et en particulier l'acte du 12 octobre 1990 par lequel la Sncf l'a vendue à la société l'Hibiscus pour 143 m², du plan établi préalablement à cet acte par le géomètre [P], du permis de construire un bâtiment édifié sur la parcelle litigieuse délivré le 23 septembre 1988 et après avoir répondu de manière précise à chacun des dires des parties - à l'existence d'un empiètement physique d'une partie en forme de triangle d'une surface de 55 m² de cette parcelle BC [Cadastre 6], empiètement composé pour partie d'une construction annexe outre 28 m² de cour avec un mur ce clôture, l'expert précisant que cet empiètement est contemporain de la construction par la société l'Hibiscus d'un bâtiment annexe à son bâtiment principal réalisée sur la base de la création d'un document d'arpentage établi non-contradictoirement le 15 janvier 1990 par le géomètre [P], l'expert ajoutant que ce dernier a commis une erreur tant au niveau du plan de détachement qu'au niveau de la découpe du cadastre de sorte que la société l'Hibiscus a acquis pour 143 m² de parcelles au lieu des 200 m² réellement utilisés et que celle-ci ignorait cet empiètement dû à l'erreur de son géomètre.

Ces conclusions expertales, conformes aux observations de trois autres géomètres intervenus à la demande des parties, et qui ne sont pas contestées de manière suffisamment étayée par la société l'Hibiscus, établissent la réalité de l'empiètement par la société Lolaguy d'une partie de la parcelle BC [Cadastre 6] demeurée la propriété de la Sncf sur une surface de 55 m².

Cet empiètement établi, la société Lolaguy peut valablement invoquer la garantie d'éviction à l'encontre de sa venderesse en dépit de l'absence d'introduction préalable d'une action en justice par la SNCF, dès lors que celle-ci a contesté de manière non-équivoque son droit sur une partie de la parcelle BC [Cadastre 6] l'invitant de manière quelque peu comminatoire à régulariser sans délai la situation par la signature d'une convention d'occupation précaire et en la menaçant à défaut, de solliciter en justice et à ses frais la destruction de l'entrepôt qui y est érigé et donné à bail.

Il ne saurait être valablement opposé à la société Lolaguy de s'être prémunie de son éviction en acceptant à titre transactionnel de conclure une convention d'occupation précaire, puis en offrant d'acquérir l'achat de la partie de parcelle objet de l'empiètement (cf C.Cass Civ 2ième 4 juin 2020 n°18-22-930) avant d'y être judiciairement contrainte dès lors que la contestation de son droit de propriété était suffisamment sérieuse et étayée et qu'elle a pris conseil avant que de procéder à l'acquisition du fonds litigieux pour éviter son éviction, auprès d'un avocat ainsi que d'un géomètre-expert (cf pièces 24 A et B de son dossier).

Par ailleurs, la garantie d'éviction est due par le vendeur contrairement à ce que décidé par le premier juge, sans considération de sa bonne ou de sa mauvaise foi et de sa connaissance de l'empiètement, et cette garantie n'exige pas davantage que la vente soit entachée par un défaut de contenance de l'immeuble vendu lequel relève de la garantie de conformité et non de la garantie d'éviction.

Enfin, la clause de non-garantie de désignation et de contenance invoquée par la société l'Hibiscus stipulée dans l'acte de vente du 28 avril 2004 ayant trait à la consistance de l'immeuble vendu et non à la propriété même du bien n'entre pas dans le périmètre des dispositions de l'article 1627 du code civil et ne peut dès lors dispenser le vendeur de garantir les acheteurs contre l'éviction de la chose vendue.

- la réparation de l'éviction :

En vertu de l'article 1630 du code civil, l'acquéreur évincé a le droit de demander la restitution du prix, celle des fruits lorsqu'il est obligé de les rendre au propriétaire qui l'évince ; les frais faits sur la demande en garantie de l'acheteur et ceux faits par le demandeur originaire ; enfin, les dommages et intérêts ainsi que les frais et loyaux coûts du contrat.

En l'espèce, la société Lolaguy est fondée à obtenir la condamnation de sa venderesse à lui régler la somme de 23300 euros au titre de l'acquisition de la partie de la parcelle empiétée propriété de la Sncf, le montant des redevances dues au titre de la convention d'occupation précaire consentie par la Sncf pour un montant de 16 010,60 euros ainsi que les honoraires du géomètre-expert [I] missionné à la suite de la demande de la Sncf d'un montant de 942 euros.

Il lui sera alloué en outre la somme de 2000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral du fait des tracasseries consécutives à la gestion du contentieux avec la Sncf et des doléances des locataires de l'entrepôt.

Elle sera en revanche déboutée de sa demande en paiement de la somme de 500 euros au titre de la fermeture d'ouvertures, tenant les observations de l'expert judiciaire ayant indiqué que les deux ouvertures en cause n'ont pas été pratiquées sur un mur édifié sur la parcelle BC[Cadastre 6].

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société l'Hibiscus sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société l'Hibiscus à payer à la société Lolaguy au titre de la garantie d'éviction les sommes de :

- 23 300 euros au titre du contrat de vente conclu avec la Sncf,

- 16 010,60 euros au titre du coût de la convention d'occupation précaire,

- 942 euros au titre des honoraires d'expert-géomètre,

- 2 000 euros en réparation du préjudice moral,

Déboute la société Lolaguy du surplus de ses demandes indemnitaires,

Condamne la société l'Hibiscus aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société l'Hibiscus à payer à la société Lolaguy la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.