CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 24 mai 2024, n° 23/17629
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Culture et Patrimoine Investissements (SAS)
Défendeur :
AXYME (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Le Cotty, M. Birolleau
Avocats :
Me Tricard, Me Dessault, Me Boccon Gibod
M. [F] est un entrepreneur spécialisé dans le domaine de l'événementiel d'entreprise. Il est l'associé-gérant de la société NDG Conseil.
La société Culture et Patrimoine Partenaire (CPP), dirigée par NDG Conseil, a notamment pour activité la promotion, l'investissement et l'exploitation de lieux d'exception.
La société Culture et Patrimoine Investissements est une filiale créée et dirigée par la société CPP, qui exerce une activité de conseil et prestations de services aux sociétés dans les domaines de l'organisation d'événements, réceptions, séminaires et conventions.
M. [F] a également créé en 2014 la société Zalthabar, spécialisée dans la location d'espaces pour la tenue de réunions et de séminaires.
M. [P] est un entrepreneur qui a fondé en 2013 la société Anticafé & Co, holding d'un groupe de sociétés constitué d'une dizaine de filiales (dont Anticafé Innovation Factory, Anticafé République, Anticafé Partners, Anticafé SEP, Anticafé SARL, Clue & Co, Anticafé Station F, Anticafé CNIT et Anticafé Lafayette), réseau de café-coworking.
Le groupe Anticafé a rencontré des difficultés importantes à partir de 2019/2020, qui l'ont conduit à solliciter l'ouverture d'une procédure de mandat ad hoc, suivie d'une procédure de conciliation, le 23 septembre 2021.
Le 28 février 2022, les sociétés Culture et Patrimoine Investissements et Zalthabar ont conclu un protocole d'investissement avec les sociétés Anticafé et leurs actionnaires, fixant les termes du rapprochement entre les deux groupes. Elles ont ainsi prévu la création de la société After Place, à laquelle l'intégralité des actions des sociétés Anticafé et Zalthabar étaient apportées.
Le 30 juin 2022, les actionnaires de la société After Place (M. [P], la société Culture et Patrimoine Investissements, représentée par M. [F], et les autres actionnaires de la société After Place) ont conclu un pacte afin de régir leurs relations au sein de la société.
Aux termes de l'article 15 de ce pacte, la société Culture et Patrimoine Investissements s'est engagée à acquérir les 9.735 actions de la société After Place détenues par M. [P] contre paiement d'une somme totale de 249.994,80 euros, la promesse d'achat pouvant être levée par M. [P] entre le 1er juillet et le 31 octobre 2023.
Parallèlement, aux termes de l'article 14 de ce pacte, M. [P] et « les parties Anticafé » ont consenti une promesse de vente de l'intégralité de leurs titres, promesse pouvant être levée entre le 1er mars et le 30 juin 2023 (première fenêtre d'exercice) au prix de 25,68 euros par action, ou entre le 1er mars et le 30 juin 2024 (seconde fenêtre d'exercice) au prix de 29,35 euros par action.
Le 6 juillet 2023, M. [P] a notifié à la société Culture et Patrimoine Investissements et à M. [F] sa décision d'exercer la promesse d'achat afin d'obtenir le rachat de ses 9.735 actions pour le prix de 249.994,80 euros.
M. [F] et la société Culture et Patrimoine Investissements n'ont pas répondu à M. [P] et n'ont pas exécuté la promesse d'achat.
Par jugement du 5 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société After Place et désigné la Selarl Axyme en qualité de mandataire liquidateur.
Par acte du 27 septembre 2023, M. [P] a assigné M. [F], les sociétés Culture et Patrimoine Investissements, After Place et Axyme devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de voir ordonner l'exécution forcée de la cession des 9.735 actions de la société After Place concernées par la promesse d'achat prévue par l'article 15 du pacte d'actionnaires du 30 juin 2022.
Par ordonnance contradictoire du 5 octobre 2023, le juge des référés a :
mis hors de cause M. [F] et rejeté les demandes à son encontre ;
ordonné l'exécution forcée de la cession des 9.735 actions de la société After Place concernées par la promesse d'achat prévue par l'article 15 du pacte d'actionnaires du 30 juin 2022 ;
ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de signer sans délai les actes et documents qui seraient nécessaires à la réalisation de la cession ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à payer, à titre de provision, le prix convenu, à savoir 249.994,80 euros, et plus généralement ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de faire tout ce qui est nécessaire au titre de la cession des 9.735 actions de la société After Place détenues par M. [P], sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de l'ordonnance, et ce pendant une durée de 60 jours ;
rendu commune la décision à la société After Place et à son liquidateur es-qualités de telle sorte que la société After Place mette à jour ses registres de mouvements de titres afin de refléter le transfert des titres à intervenir ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à verser à M. [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté la demande de délais de M. [F] et de la société Culture et Patrimoine Investissements ;
rejeté tout demande des parties plus amples ou contraires ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 31 octobre 2023, la société Culture et Patrimoine Investissements a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif sauf celui relatif à la mise hors de cause de M. [F].
Par déclaration du 2 novembre 2023, M. [P] a également interjeté appel de cette décision en critiquant les chefs de dispositif relatifs à la mise hors de cause de M. [F] et au rejet de toute demande des parties plus amples ou contraires, s'agissant des demandes de celui-ci.
La jonction des instances a été prononcée par ordonnance du 21 mars 2024.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 2 avril 2024, la société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] demandent à la cour de :
1. Concernant l'appel de la société Culture et Patrimoine Investissements enregistré sous le numéro RG 23/17629
A titre principal,
annuler l'ordonnance entreprise ;
rejeter toutes les demandes de M. [P] à l'encontre de la société Culture et Patrimoine Investissements ;
A titre subsidiaire,
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
ordonné l'exécution forcée de la cession des 9.735 actions de la société After Place concernées par la promesse d'achat prévue par l'article 15 du pacte d'actionnaires du 30 juin 2022 ;
ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de signer sans délai les actes et documents qui seraient nécessaires à la réalisation de la cession ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à payer, à titre de provision, le prix convenu, à savoir 249.994,80 euros, et plus généralement ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de faire tout ce qui est nécessaire au titre de la cession des 9.735 actions de la société After Place détenues par M. [P], sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de l'ordonnance, et ce pendant une durée de 60 jours ;
rendu commune la décision à la société After Place et à son liquidateur es-qualités de telle sorte que la société After Place mette à jour ses registres de mouvements de titres afin de refléter le transfert des titres à intervenir ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à verser à M. [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté la demande de délais de M. [F] et de la société Culture et Patrimoine Investissements ;
rejeté tout demande la société Culture et Patrimoine Investissements plus ample ou contraire ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements aux dépens de l'instance ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
rejeter l'intégralité des demandes de M. [P] ;
A titre subsidiaire, si la cour devait confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à payer la somme de 249.994,80 euros,
échelonner sur une durée de deux ans le paiement de cette somme, soit un paiement mensuel de 10.416,45 euros par mois pendant 24 mois à compter du premier jour du mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
En tout état de cause,
condamner M. [P] à payer à la société Culture et Patrimoine Investissements la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
condamner M. [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
2. Concernant l'appel de M. [P] enregistré sous le numéro RG 23/17746
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a mis hors de cause M. [F] et rejeté les demandes de M. [P] à son encontre ;
infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de délais de paiement de M. [F] et toute demande de M. [F] plus ample ou contraire ;
En conséquence,
A titre principal,
rejeter l'intégralité des demandes de M. [P] ;
A titre subsidiaire, si la cour devait condamner M. [F] au paiement de la somme de 249.994,80 euros,
échelonner sur une durée de deux ans le paiement de cette somme, soit un paiement mensuel de 10.416,45 euros par mois pendant 24 mois à compter du premier jour du mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir à M. [F] ;
En tout état de cause :
condamner M. [P] à payer à M. [F] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [P] aux dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 26 mars 2024, M. [P] demande à la cour de :
1. Concernant l'appel de la société Culture et Patrimoine Investissements enregistré sous le numéro RG 23/17629
débouter la société Culture et Patrimoine Investissements de sa demande d'annulation de l'ordonnance entreprise ;
débouter la société Culture et Patrimoine Investissements de sa demande de réformation de cette ordonnance ;
En conséquence,
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
ordonné l'exécution forcée de la cession des 9.735 actions de la société After Place concernées par la promesse d'achat prévue par l'article 15 du pacte d'actionnaires du 30 juin 2022 ;
ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de signer sans délai les actes et documents qui seraient nécessaires à la réalisation de la cession ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à payer, à titre de provision, le prix convenu, à savoir 249.994,80 euros ;
ordonné à la société Culture et Patrimoine Investissements de faire tout ce qui est nécessaire au titre de la cession des 9.735 actions de la société After Place détenues par M. [P], sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de l'ordonnance, et ce pendant une durée de 60 jours ;
rejeté la demande de délais de paiement de la société Culture et Patrimoine Investissements et de M. [F] ;
condamné la société Culture et Patrimoine Investissements à lui payer la somme de 3.000 euros et aux entiers dépens ;
2. Concernant son appel enregistré sous le numéro RG 23/17746
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
mis hors de cause M. [F] et rejeté les demandes à son encontre ;
rejeté toute demande des parties plus amples ou contraires mais seulement lorsqu'elle a rejeté ses demandes ;
Statuant à nouveau,
ordonner à M. [F] de signer sans délai les actes et documents qui seraient nécessaires à la réalisation de la cession ;
condamner M. [F] solidairement avec la société Culture et Patrimoine Investissements à lui payer le prix convenu, à savoir 249.994,80 euros ;
plus généralement, ordonner à M. [F] de faire tout ce qui est nécessaire pour exécuter la promesse d'achat des 9.735 actions de la société After Place détenues par lui, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de « l'ordonnance » à intervenir ;
3. En tout état de cause
débouter la société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] de la totalité de leurs demandes et en particulier de leurs demandes subsidiaires en report de paiement ;
condamner solidairement la société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La Selarl Axyme, en qualité de liquidateur judiciaire de la société After Place, à qui la déclaration d'appel et les conclusions des appelants ont été signifiées les 19 janvier et 19 février 2024 à personne morale, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 avril 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise
L'article 455, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose qu'à peine de nullité, le jugement doit être motivé.
La société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] demandent l'annulation de l'ordonnance frappée d'appel, soutenant que le premier juge a violé l'article 455 du code de procédure civile en ce que, d'abord, sa motivation est insuffisante à caractériser l'existence d'une obligation non sérieusement contestable, d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent, ensuite, il n'a pas répondu aux moyens et conclusions qui lui étaient soumis, enfin, il n'a manifestement pas examiné, même de façon sommaire, les écritures et pièces produites, en particulier l'attestation de son expert-comptable.
Ils ajoutent que ces éléments font peser un doute légitime sur l'impartialité du premier juge et affectent le droit de la société Culture et Patrimoine Investissements à un procès équitable.
L'ordonnance entreprise énonce que « tant que la clôture de la liquidation judiciaire n'est pas publiée, tous les mouvements de titres sont possibles ; en conséquence, l'évidence requise en référé étant prouvée, nous ferons droit à la demande dans les termes ci-après en mettant toutefois hors de cause M. [F] ».
Elle ajoute, sur la demande de délais de paiement, que « la partie défenderesse qui reconnaît sa dette sollicite des délais de paiement pour s'en libérer » mais « qu'elle ne produit aucun élément justifiant de ses difficultés financières » alors que « la partie demanderesse s'oppose à cette demande ».
Or, d'une part, la société Culture et Patrimoine Investissements n'a jamais reconnu sa dette et elle a produit une attestation de son expert-comptable justifiant de difficultés financières.
D'autre part, le premier juge s'est abstenu de répondre, même brièvement, aux contestations soulevées par la société Culture et Patrimoine Investissements relativement, notamment, à la nullité de la cession d'actions, tirée de l'application de l'article 1169 du code civil, pour contrepartie illusoire ou dérisoire, contestations qui étaient étayées et assorties d'offres de preuve.
En s'abstenant ainsi de toute explication et de toute réfutation des moyens présentés en défense, le premier juge n'a pas motivé sa décision.
L'ordonnance sera en conséquence annulée.
La cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, statuera néanmoins sur les demandes des parties.
Sur la demande de mise hors de cause de M. [F]
La société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] soutiennent que celui-ci doit être mis hors de cause car il n'y a jamais eu d'engagement personnel de sa part, n'étant pas partie au pacte d'actionnaires dans lequel la promesse d'achat est contenue.
Ils exposent que seule la société, représentée par M. [F], est partie au pacte d'actionnaires et « porteur de titres » d'After Place au sens de la définition de « l'Investisseur C&P » figurant dans l'acte, et que M. [F] n'est jamais devenu actionnaire d'After Place à titre personnel.
M. [P] oppose que M. [F] s'est engagé personnellement à exécuter la promesse d'achat et à acheter ses actions.
Il expose que le pacte d'actionnaires définit « l'Investisseurs C&P », à savoir le promettant au sens de l'article 15.1 du pacte d'actionnaires, comme étant « [W] [F] ainsi que tout Affilié », ce qui atteste que celui-ci s'est engagé personnellement.
Il précise qu'il est indifférent que M. [F] ne soit jamais devenu actionnaire d'After Place à titre personnel dès lors que pacte d'actionnaires ne subordonne pas la qualité « d'Investisseur C&P » à la qualité d'actionnaire direct d'After Place.
Il ajoute que la circonstance que M. [F] n'ait pas signé le pacte d'actionnaires en son nom personnel mais seulement en sa qualité de représentant de la société Culture et Patrimoine Investissements n'est pas de nature à remettre en cause son consentement et son obligation au titre de la promesse d'achat, s'agissant d'une simple omission matérielle sans conséquence sur la validité de son engagement prévu à l'article 15 du pacte d'actionnaires.
Aux termes de l'article 15.1 du pacte d'actionnaires (« objet de la promesse d'achat ») :
« L'Investisseur C&P promet irrévocablement et sans réserve à l'Investisseur LG d'acquérir l'intégralité des Titres sous Promesse que l'Investisseur LG détient selon les termes et conditions définis au présent Article 15 et sans y attacher aucune autre condition que celles stipulées au présent Article 15 ».
L'article 15.2 (« conditions d'exercice de la promesse d'achat ») précise que :
« La Promesse d'Achat pourra être levée par l'Investisseur LG entre le 1er juillet 2023 et le 31 octobre 2023 ».
L'article 15.3 (« prix de cession au titre de la promesse d'achat ») stipule que :
« En cas d'exercice de la Promesse d'Achat, les Titres Sous Promesses seront cédés à un prix de 25,68 euros par Titre, soit un prix total de 249.994,80 euros (le « Prix de Cession PUA »).
Il est également précisé dans le pacte, au titre des définitions, que le terme « Investisseur C&P » désigne « [W] [F] ainsi que tout Affilié de [W] [F] ayant bénéficié d'un Transfert réalisé par [W] [F] ou un de ses Affiliés en conformité avec les termes du Pacte et ayant préalablement adhéré au Pacte en qualité d'Investisseur C&P, étant précisé que les Investisseurs C&P seront toujours réputés constituer une Partie et un porteur de Titres unique pour les besoins de l'application de leurs obligations et de l'exercice de leurs droits aux termes du Pacte ».
Le promettant est donc, aux termes du pacte d'actionnaires, « l'Investisseur C&P », terme qui renvoie à M. [F] ainsi que tout affilié de celui-ci.
Cependant, il est constant que le pacte du 30 juin 2022 a été conclu entre les sociétés Culture et Patrimoine Investissements et Nexity, ainsi que M. [R], M. [P] et les « investisseurs minoritaires », dont M. [F] ne fait pas partie.
Ainsi, M. [F] n'a signé l'acte qu'en qualité de représentant de la société Culture et Patrimoine Investissements, la mention précédant sa signature étant la suivante : « Culture et Patrimoine Investissements - CPI, représentée par Culture et Patrimoine Partenaire, elle-même représentée par NDG Conseil, elle-même représentée par [W] [F] dûment habilité à l'effet des présentes ».
Il n'est jamais intervenu à l'acte à titre personnel de sorte qu'il n'a pas, à titre personnel, la qualité de partie.
Si, comme le relève M. [P], la double qualité d'une partie à un acte n'impose pas une double signature (Com., 9 mai 2018, pourvoi n° 16-28.157, Bull. 2018, IV, n° 53), en l'espèce, M. [F] n'est pas intervenu à titre personnel.
Il existe en conséquence une difficulté d'interprétation du contrat relativement aux obligations de M. [F], difficulté qui échappe aux pouvoirs du juge des référés.
La demande de mise hors de cause formée par celui-ci sera en conséquence accueillie.
Sur la demande d'exécution forcée de la cession des actions sur le fondement de l'obligation non sérieusement contestable
Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Aux termes de l'article 1169 du code civil, « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ».
Aux termes de l'article 1124, alinéa 1er et 2, du code civil, « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».
La société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] soutiennent qu'il existe une contestation sérieuse quant à la validité de l'obligation car la cession dont M. [P] sollicite l'exécution est nulle pour contrepartie illusoire ou dérisoire, les actions étant dépourvues de toute valeur sérieuse au jour de la levée d'option de la promesse d'achat, le 6 juillet 2023.
Ils exposent qu'au jour de la levée d'option, date de formation du contrat de cession, l'intégralité des filiales directes ou indirectes d'After Place avaient fait l'objet de procédures de liquidation judiciaire et celle-ci allait elle-même être placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 septembre 2023.
Ils précisent avoir saisi le juge du fond, le 4 octobre 2023, d'une demande d'annulation de la cession et estiment que la remise en cause de la validité de la cession n'est pas immédiatement vaine, de sorte qu'il existe bien d'une contestation sérieuse faisant obstacle à l'intervention du juge des référés.
M. [P] objecte que le juge des référés peut ordonner l'exécution forcée d'une cession d'actions lorsque l'engagement n'est pas sérieusement contestable, ce qui est le cas en l'espèce, M. [F] et la société Culture et Patrimoine Investissements s'étant engagés irrévocablement à acquérir ses actions au prix de 249.994,80 euros.
Il soulève l'absence d'intérêt né et actuel de la société Culture et Patrimoine Investissements et de M. [F] à solliciter la nullité de la cession à intervenir, celle-ci n'étant toujours pas réalisée.
Il ajoute que, contrairement à ce que soutiennent la société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F], l'existence et le caractère dérisoire ou non de la contrepartie s'apprécient à la date où la promesse est souscrite et non au jour de la levée de l'option et qu'à cette date, en juin 2022, les actions n'étaient pas dépourvues de toute valeur.
Il fait également valoir que l'échange d'une promesse unilatérale d'achat et d'une promesse unilatérale de vente vaut vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu'elles sont stipulées dans les mêmes termes, ce qui est le cas en l'espèce, le pacte d'actionnaires prévoyant des promesses croisées de vente et d'achat des 9.735 actions After place pour la somme de 249.994,80 euros. Selon lui, même en présence de fenêtres d'exercice distinctes, la vente est considérée parfaite dès la conclusion des promesses croisées d'achat et de vente, de sorte que le contrat de vente des actions After Place était parfait dès le 30 juin 2022, la circonstance que les titres de la société After Place aient désormais perdu de leur valeur étant indifférente pour apprécier la validité de la vente.
La cour rappelle qu'en application de l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile précité, le juge des référés du tribunal de commerce peut ordonner l'exécution forcée d'une cession d'actions lorsque l'engagement n'est pas sérieusement contestable.
Au cas présent, la société Culture et Patrimoine Investissements s'est engagée à acquérir les 9.735 actions de la société After Place détenues par M. [P] contre paiement d'une somme totale de 249.994,80 euros, dès lors que la promesse d'achat était levée par M. [P] entre le 1er juillet et le 31 octobre 2023, ce qui a été le cas.
Toutefois, au jour de la levée de l'option, les actions litigieuses étaient dépourvues de toute valeur en raison de la liquidation judiciaire de la société After Place, ce qui n'est pas contesté par M. [P].
Or, il résulte de la combinaison des articles 1124, alinéa 1er, et 1169 du code civil précités que l'existence d'une contrepartie non illusoire ou dérisoire s'apprécie « au moment de [la] formation » du contrat et qu'en cas de promesse unilatérale, « la formation » du contrat a lieu lors de la levée d'option, qui marque le « consentement du bénéficiaire » et, par suite, la rencontre des consentements (Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-20.103, Bull. 2017, V, n° 148).
En conséquence, dès lors qu'au jour de la levée de l'option, jour de la formation du contrat, les actions étaient dépourvues de valeur, l'action en nullité de la cession engagée par la société Culture et Patrimoine Investissements devant le juge du fond n'est pas manifestement infondée.
Contrairement à ce que soutient M. [P], la société Culture et Patrimoine Investissements a un intérêt né et actuel à invoquer la nullité de la cession d'actions dont l'exécution est réclamée, en dépit de l'absence d'exécution de celle-ci à ce jour. En effet, l'exécution d'un contrat n'est pas une condition de recevabilité de l'action en annulation de celui-ci, étant rappelé que l'exception de nullité peut toujours être invoquée si elle se rapporte à un contrat « qui n'a reçu aucune exécution » (article 1185 du code civil).
En tout état de cause, l'intérêt de l'appelante à agir en nullité de la cession devant le juge du fond relève de l'appréciation de celui-ci et l'absence d'intérêt n'est pas manifeste au point de priver la contestation soulevée de son caractère sérieux.
Par ailleurs, si l'échange d'une promesse unilatérale d'achat et d'une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive lorsque les deux promesses réciproques ont le même objet et sont stipulées dans les mêmes termes (Com., 22 novembre 2005, pourvoi n° 04-12.183, Bull. 2005, IV, n° 234), tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les promesses ne concernent pas les mêmes parties et ont des fenêtres d'exercice différentes.
En effet, il résulte de l'article 15.1 du pacte d'actionnaires que la promesse d'achat est consentie par « l'Investisseur C&P » à « l'Investisseur LG », soit à M. [P] ainsi que « tout holding patrimonial de [Y] [P] qui viendrait à détenir des titres », avec une fenêtre d'exercice de l'option fixée entre le 1er juillet 2023 et le 31 octobre 2023.
S'agissant de la promesse de vente stipulée à l'article 14 du pacte, elle est consentie à « l'Investisseur C&P » par « chaque partie Anticafé », soit par 20 personnes physiques et morales différentes (l'ensemble des personnes visées aux points 4) à 23) des comparutions des parties au pacte), dont M. [P].
L'article 14.1 (c) de la promesse de vente précise à cet égard que « la promesse de vente ne pourra être valablement exercée par l'Investisseur C&P que si la demande d'exercice porte sur la totalité des titres sous promesses détenus par l'ensemble des promettants » et qu'à défaut, l'exercice de la promesse de vente sera réputé nul et non avenu. La promesse impliquait donc la cession à « l'Investisseur C&P » de l'ensemble des actions détenues par l'ensemble des 20 parties visées au pacte sous l'intitulé « parties Anticafé » et non des seules actions détenues par M. [P].
De plus, la promesse de vente prévoit deux fenêtres d'exercice de l'option, différentes de celle prévue à la promesse d'achat : une première fenêtre entre le 1er mars et le 30 juin 2023, au prix de 25,68 euros par action, une seconde entre le 1er mars et le 30 juin 2024, au prix de 29,35 euros par action.
Il est encore stipulé à l'article 14.1 (b) que « l'Investisseur C&P accepte la promesse de vente en tant que promesse seulement et se réserve le droit [...] d'y renoncer purement et simplement ».
Cette même stipulation figure à l'article 15.1 (b), qui prévoit que « l'Investisseur LG accepte la promesse d'achat en tant que promesse seulement et se réserve le droit [...] d'y renoncer purement et simplement ».
Contrairement à ce que soutient l'intimé, les promesses d'achat et de vente consenties aux termes du pacte d'actionnaires ne sont donc pas des promesses croisées s'analysant en une promesse synallagmatique, qui aurait eu pour effet de rendre la vente parfaite dès le 30 juin 2022.
La contestation soulevée par la société Culture et Patrimoine Investissements n'apparaissant pas immédiatement vaine dès lors que la cession pourrait être annulée, sur le fondement de l'article 1169 du code civil, par le juge du fond, qui est au demeurant d'ores et déjà saisi, l'exécution forcée de la cession ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.
Sur la demande d'exécution forcée de la cession des actions sur le fondement du dommage imminent
Selon l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
M. [P] soutient, à titre subsidiaire, qu'il fait face au risque imminent de ne jamais obtenir l'exécution de la promesse d'achat et le paiement de sa créance de 249.994,80 euros, ce qui justifie la condamnation de la société Culture et Patrimoine Investissements à s'exécuter.
Il précise qu'il existe pour lui un risque imminent de perdre le bénéfice de sa promesse d'achat du fait de la liquidation judiciaire de la société After Place, qui conduira à sa dissolution, rendant impossible le transfert des actions. Il invoque également le risque de se retrouver créancier de deux débiteurs insolvables, la société Culture et Patrimoine Investissements, d'une part, M. [F], d'autre part.
Mais, comme le relève l'appelante, le dommage imminent suppose une illicéité ou, à tout le moins, du fait de l'urgence inhérente à l'imminence, une potentielle illicéité, laquelle n'est pas ici caractérisée, le refus de réaliser la cession reposant, ainsi qu'il a été précédemment constaté, sur une possible nullité de celle-ci, excluant toute illicéité potentielle à ce stade.
Les contestations opposées par la société Culture et Patrimoine Investissements à la demande d'exécution forcée étant sérieuses, son refus n'est pas illégitime, de sorte que le dommage n'est pas susceptible d'être prévenu en référé.
En tout état de cause, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société After Place n'est pas imminente, le jugement d'ouverture du tribunal de commerce de Paris du 5 septembre 2023 ayant fixé à deux ans le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée et ayant renvoyé les parties à une audience du 4 septembre 2025, date à laquelle le juge du fond saisi par la société Culture et Patrimoine Investissements aura statué.
Le dommage imminent n'étant pas caractérisé, il n'y a pas lieu à référé sur les demandes de M. [P].
Sur les frais et dépens
M. [P], partie perdante, sera tenu aux dépens de première instance et d'appel et condamné à indemniser la société Culture et Patrimoine Investissements et M. [F] des frais qu'ils ont été contraints d'exposer, à hauteur de la somme de 3.000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Annule l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau, par l'effet dévolutif de l'appel,
Met hors de cause M. [F] ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'exécution forcée de la cession des 9.735 actions de la société After Place concernées par la promesse d'achat prévue à l'article 15 du pacte d'actionnaires du 30 juin 2022, formée par M. [P] ;
Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
Le condamne à payer à la société Culture et Patrimoine Investissements et à M. [F] la somme globale de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande fondée sur ces dispositions.