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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 11 juin 2024, n° 20/03600

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Scope Training (SARL)

Défendeur :

Air Formation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Moulayes, Mme Norguet

Avocats :

Me Lion, Me Mathe

T. com. Toulouse, du 12 oct. 2020, n° 20…

12 octobre 2020

La Sarl Air Formation, créée le 5 avril 2001, a pour activité la formation professionnelle continue dans le secteur aéronautique et d'achat vente de matériel pédagogique et de tous supports liés à la formation.

La société Scope Training, créée le 24 avril 2015, a une activité de formation à l'anglais technique, audit et conseil, formation à la réglementation aéronautique, formation technique aéronautique, formation obligatoire, pour les agréments aéronautiques.

Elle a été constituée par Messieurs [O], [R], [X] et Madame [G], qui sont des anciens salariés de la Sarl Air Formation.

Par ordonnance rendue le 18 janvier 2016 par le Président du Tribunal de Commerce de Toulouse, la Sarl Air Formation s'est vue autoriser à recueillir par voie d'huissier, les supports et documents servant à la mise en 'uvre des formations de la société Scope Training en vue d'établir leur provenance de la Sarl Air Formation.

La société Scope Training a fait appel de cette décision.

Par arrêt du 24 novembre 2016, la Cour d'appel de Toulouse l'a déboutée en relevant dans sa motivation qu'un grand nombre de documents contenus dans les fichiers informatiques au siège social de Scope Training font référence à la Sarl Air Formation.

Le 26 septembre 2018, la Sarl Air Formation, par acte d'huissier remis à personne, a fait délivrer assignation à la société Scope Training devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins de voir reconnaître les actes de concurrence déloyale auxquels elle s'est livrée, d'engager sa responsabilité délictuelle et la voir condamner au paiement de différentes sommes pour les différents préjudices subis.

Par jugement du 12 octobre 2020, le tribunal de commerce de Toulouse a:

- ordonné la destruction sous contrôle d'huissier de justice et ce, aux frais de la Sarl Scope Training des documents sous n'importe quel format que ce soit (papier, numérique...) se trouvant au siège social ou sur les ordinateurs de l'ensemble des intervenants de la Sarl Scope Training correspondant aux pièces 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54 ;

- interdit l'utilisation des documents correspondant aux pièces 8, 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54 sous astreinte provisoire de 500 euros par document et par infraction constatée commençant à courir le 15ème jour suivant la signification du présent jugement ;

- s'est réservé le pouvoir de liquider ladite astreinte ;

- débouté la Sarl Scope Training de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société Air Formation de sa demande de publication du jugement ;

- débouté la société Air Formation de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique ;

- condamné la Sarl Scope Training à payer la somme de 10 000 euros à la société Air Formation au titre du préjudice moral ;

- condamné la Sarl Scope Training à payer à la société Air Formation la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la Sarl Scope Training aux dépens.

Par déclaration en date du 14 décembre 2020, la Sarl Scope Training a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation des chefs du jugement qui ont :

- ordonné la destruction sous contrôle d'huissier de justice et ce, aux frais de la Sarl Scope Training des documents sous n'importe quel format que ce soit (papier, numérique...) se trouvant au siège social ou sur les ordinateurs de l'ensemble des intervenants de la Sarl Scope Training correspondant aux pièces 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51,52, 53, 54 ;

- interdit l'utilisation des documents correspondant aux pièces 8, 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51,52, 53, 54 sous astreinte provisoire de 500 euros par document et par Infraction constatée commençant à courir le 15ème jour suivant la signification du présent jugement ;

- s'est réservé le pouvoir de liquider ladite astreinte ;

- débouté la Sarl Scope Training de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la Sarl Scope Training à payer la somme de 10 000 euros à la société Air Formation au titre du préjudice moral ;

- condamné la Sarl Scope Training à payer à la société Air Formation la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 8 septembre 2022, la Sarl Scope Training a été placée en liquidation judiciaire.

La Selarl Bdr & Associés, prise en la personne de Maître [E], a été désignée liquidateur et est intervenue volontairement à la présente procédure.

La clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif a ensuite été prononcée le 15 juin 2023 par jugement.

La Selarl Bdr & Associés, prise en la personne de Maître [E], a été désignée en qualité de mandataire ad hoc afin de poursuivre la procédure.

La clôture a été prononcée le 26 février 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience du 26 mars 2024.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions en intervention volontaire n° 2 notifiées le 19 février 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Selarl Bdr & Associés représentée par Maître [K] [E] en sa qualité de mandataire de la société Scope Training demandant, au visa des articles 328 et suivants du code de procédure civile, L622-23 du code de commerce, 803 et 907 du code de procédure civile, 1382 et suivants anciens du code civil, 32-1 du code de procédure civile, 700 du code de procédure civile :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 12 octobre 2020 en ce qu'il a condamné la société Scope Training en paiement de dommages-intérêts à la société Air Formation pour concurrence déloyale et l'a débouté de ses autres demandes,

Et statuant à nouveau,

- accueillir l'intervention volontaire de Maître [K] [E], représentant la Selarl Bdr & Associés ès qualité de mandataire de la société Scope Training,

- constater que la société Air Formation échoue systématiquement à rapporter la preuve d'actes de concurrence déloyale par la société Scope Training ;

- constater qu'il ne peut être reproché à la société Scope Training aucun acte de concurrence déloyale ;

- constater le caractère abusif du comportement procédural de la société Air Formation,

- en conséquence, débouter la société Air Formation de l'intégralité de ses moyens, fins et prétentions,

- condamner la société Air Formation au paiement d'une amende civile dont le montant est laissé à l'appréciation de la Cour,

- condamner la société Air Formation au paiement de la somme de 10 000 euros à Maître [K] [E], représentant la Selarl Bdr & Associés ès qualité de liquidateur de la société Scope Training pour harcèlement procédural,

- condamner la société Air Formation au paiement de la somme de 3 000 euros à Maître [K] [E], représentant la Selarl Bdr & Associés ès qualité de liquidateur de la société Scope Training au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La société Scope Training, par l'intermédiaire de son mandataire, conteste tout parasitisme économique et rappelle que les documents de formation ciblés par son adversaire sont des outils et documents standardisés, dont la paternité ne revient pas à Air Formation, et qui sont utilisés par de nombreuses entreprises du monde entier.

Elle estime ne pas avoir causé de désorganisation de la société Air Formation, et conteste s'être livrée à un quelconque débauchage, l'ensemble des salariés de Scope Training ayant cessé ses fonctions au sein de la société intimée, avant de constituer la nouvelle société.

Elle ajoute que les formations spécifiques proposées par les deux sociétés s'adressent à un public limité et que l'Organisation de la Sécurité de l'Aviation Civile publie une liste des clients avec leurs coordonnées, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de détourner un fichier client pour les contacter.

Elle conteste par ailleurs la similitude des conditions générales de vente, et l'existence d'un risque de confusion entre les entreprises dans l'esprit de la clientèle, qui sont visés par la société intimée comme constitutifs de concurrence déloyale.

Par ailleurs, elle affirme que la société Air Formation ne justifie pas d'un quelconque préjudice ou d'une perte de marché, et qu'en tout état de cause aucun lien de causalité n'est démontré.

Vu les conclusions d'intimé n° 3 notifiées le 22 février 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Air Formation demandant, au visa des articles 1382 du code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 12 octobre 2020 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Scope Training au paiement de la somme de 10 000 euros pour préjudice moral et en ce qu'il a débouté la société Air Formation de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice économique subi ;

En conséquence, statuant à nouveau sur les chefs critiqués du jugement :

- fixer au passif de la société Scope Traning représentée par la Selarl Bdr & Associés représentée par Me [E], en qualité de mandataire ad hoc la somme de 99 175,16 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au préjudice économique subi ;

- fixer au passif de la société Scope Traning représentée par la Selarl Bdr & Associés représentée par Me [E], en qualité de mandataire ad hoc, la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi ;

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement ;

- en tout état de cause, fixer au passif de la société Scope Training représentée par la Selarl Bdr & Associés représentée par Me [E], en qualité de mandataire ad hoc, la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Elle reproche des actes de concurrence déloyale à la société Scope Training, à savoir en premier lieu du parasitisme économique, en faisant usage pour sa propre activité, de documents appartenant à Air Formation, en modifiant uniquement la mise en page et le logo.

Elle insiste sur la similitude entre les conditions générales de vente des deux sociétés, et les documents techniques et de marketing utilisés, et affirme qu'un risque de confusion dans l'esprit des clients a ainsi été créé.

Elle ajoute que les copies et plagiats employés ont permis à la société Scope Training de proposer des prix inférieurs à ceux pratiqués par Air Formation, ce qui constitue une concurrence déloyale.

La société Air Formation affirme en outre que Scope Training s'est livrée à du dénigrement, en présentant son référentiel de formation comme caduc à certains clients pour les attirer vers cette nouvelle société.

Elle reproche également à Scope Training une désorganisation par débauchage, deux employés ayant mis fin à leur contrat pour aller travailler avec la société appelante.

Elle ajoute que la société Scope Training s'est livrée à un détournement de fichiers clients, et a procédé à un démarchage massif de sa clientèle.

Elle affirme que les actes de concurrence déloyale ont débuté avant même l'immatriculation de la société Scope Training, certains clients ayant été démarchés dès le 1er avril 2015.

La société Air Formation estime subir un préjudice économique du fait de la perte de clientèle induite par ces agissements, ainsi qu'un préjudice d'atteinte à l'image.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de recevoir l'intervention volontaire de Maître [K] [E], représentant la Selarl Bdr & Associés en sa qualité de mandataire de la société Scope Training, la société appelante produisant le jugement du 15 juin 2023 procédant à sa désignation.

Par ailleurs, la Cour constate que la société Scope Training a formé appel des dispositions du premier jugement ayant :

- ordonné la destruction sous contrôle d'huissier de justice et ce, aux frais de la Sarl Scope Training des documents sous n'importe quel format que ce soit (papier, numérique...) se trouvant au siège social ou sur les ordinateurs de l'ensemble des intervenants de la Sarl Scope Training correspondant aux pièces 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51,52, 53, 54, et

- interdit l'utilisation des documents correspondant aux pièces 8, 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51,52, 53, 54 sous astreinte provisoire de 500 euros par document et par Infraction constatée commençant à courir le 15ème jour suivant la signification du présent jugement.

Pourtant aucune prétention n'est reprise de ce chef dans les dernières conclusions de la société appelante, de sorte que la Cour n'est pas saisie d'une demande relative à ces chefs de décision.

Sur la concurrence déloyale

Il ressort des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La libre concurrence supposant la licéité du dommage concurrentiel, l'action en concurrence déloyale repose sur une responsabilité pour faute prouvée et non sur une présomption de responsabilité ; c'est au demandeur de rapporter la preuve de la faute.

La jurisprudence reconnaît plusieurs fautes constitutives de concurrence déloyale, à savoir le dénigrement, les pratiques ayant désorganisé l'entreprise, un réseau de distribution ou un marché tout entier, la confusion par imitation ou par copie servile, et le parasitisme économique.

La société Air Formation reproche à la société Scope Training les actes de concurrence déloyale suivants :

- le dénigrement, en présentant son référentiel de formation comme caduc à certains clients pour les attirer vers cette nouvelle société ;

- un détournement de fichiers clients, et démarchage massif de sa clientèle ;

- la désorganisation par débauchage, deux employés ayant mis fin à leur contrat pour aller travailler avec la société appelante ;

- la confusion par copie ou reproduction ;

- du parasitisme par rattachement à une entreprise concurrente.

Il conviendra d'analyser ces actes successivement.

Sur le dénigrement

En matière de dénigrement, il est constant que même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

La chambre commerciale de la Cour de Cassation tempère cette jurisprudence en rappelant que le dénigrement doit résulter de la diffusion d'un message contenant des propos malveillants.

Ainsi, ne caractérise pas un dénigrement la diffusion d'une information objective, écartant le caractère mensonger et par là même dépréciatif qui était censé en résulter.

D'une manière générale, le caractère abusif des propos, constitutifs de dénigrement, doit s'apprécier strictement, s'agissant d'une restriction apportée à la liberté d'expression

En l'espèce, la société Air Formation se fonde sur un courrier électronique adressé par Monsieur [O] de Scope Training à un éventuel client le 21 septembre 2015, pour affirmer que le dénigrement est constitué.

La Cour relève à la lecture de cette pièce, en premier lieu qu'un seul message adressé une fois à un unique client n'est pas susceptible de caractériser un dénigrement habituel comme la société Air Formation le suggère ; par ailleurs, dans ce courrier électronique, Monsieur [O] affirme être l'auteur d'un référentiel utilisé par Air Formation, mais affirme l'avoir depuis perfectionné, ce qui rendrait caduque la première version.

Ces propos ne relèvent pas du dénigrement, mais uniquement d'une information objective selon laquelle un référentiel créé en 2008 a depuis lors fait l'objet d'une actualisation.

En conséquence, la concurrence déloyale n'est pas susceptible d'être retenue de ce chef.

Sur le détournement de clientèle

Il convient de rappeler qu'à l'expiration du contrat de travail, le salarié qui n'est pas lié par une clause de non-concurrence peut démarcher la clientèle de son ancien employeur dès lors qu'il use de procédés conformes aux usages du commerce, le démarchage ne devenant illicite que s'il s'accompagne de manoeuvres déloyales.

Constitue une manoeuvre déloyale l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent.

Est ainsi sanctionnée l'appropriation par des procédés déloyaux du savoir-faire qu'une entreprise a élaboré mais également, plus largement, des différentes informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent et de sa clientèle.

La Cour de cassation a récemment rappelé que la conservation d'informations confidentielles appartenant à une société tierce par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, et leur appropriation par la société qu'il a créée, constitue un acte de concurrence déloyale.

Ceci étant rappelé, il convient de constater qu'en l'espèce le fichier client de la société Air Formation ne présente pas de caractère de confidentialité ; il n'est pas plus justifié d'une clause de restitution au contrat de ses anciens salariés, leur faisant obligation de restituer les données clients à leur départ.

Les coordonnées des clients sont par ailleurs librement accessibles par l'intermédiaire de l'Osac (Organisation de la Sécurité de l'Aviation Civile) qui dresse une liste des entreprises susceptibles d'être concernées par les formations dispensées dans le domaine de l'aéronautique.

Dans ces circonstances, le fait que les anciens salariés d'Air Formation aient conservé les numéros de téléphone de ces potentiels clients, alors que leurs noms et adresses sont librement consultables, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale.

Sur le débauchage

Des salariés libres de tout engagement de non-concurrence peuvent, en principe, conclure un contrat de travail avec un nouvel employeur, concurrent éventuel de l'entreprise qui les employait précédemment.

Les juges du fond doivent apprécier concrètement si l'entreprise, demanderesse à l'action en concurrence déloyale, a été véritablement désorganisée par ce débauchage ; une simple gêne ou perturbation constatée au sein de cette entreprise, tout comme le seul déplacement de clientèle ou la seule baisse du chiffre d'affaires, sont insuffisants pour caractériser la concurrence déloyale.

La société Air Formation reproche à Scope Training le débauchage de deux salariés, à savoir Monsieur [D] et Monsieur [Z].

Il convient de rappeler que les compétences développées par les employés du secteur de la formation des personnels de l'aéronautique, sont très spécifiques, et que ceux-ci sont par ailleurs libres, sauf clause de non-concurrence, de travailler pour l'une ou l'autre des entreprises de ce secteur, en fonction des avantages qu'ils en retirent.

La particularité de ce domaine de compétence, et le nombre limité d'entreprises actives dans ce secteur, vient forcément limiter les possibilités d'embauches pour ces employés.

En l'espèce, Monsieur [R], de la société Scope Training, a adressé un message électronique à Monsieur [D], exerçant au sein de la société Air Formation, le 5 janvier 2017, afin de l'informer que dans l'hypothèse où la société Twin Jet accepterait une proposition de Scope Training, cette société Twin Jet disposerait d'une possibilité d'emploi pour celui-ci.

Cette simple proposition, conditionnelle et incertaine, constitue une délivrance d'information et non un débauchage, et ce d'autant plus que l'employeur évoqué était une société tierce et non la société appelante.

Concernant Monsieur [Z], la Cour constate qu'un message électronique a été adressé par celui-ci à Monsieur [R], dans lequel est détaillé son planning jusqu'à sa retraite quelques semaines plus tard, ses compétences, et les contacts qu'il a pu nouer dans le cadre de son activité professionnelle.

Ce message ne répond à aucune demande directe de Scope Training, et il n'est pas démontré qu'il fasse suite à une proposition d'emploi.

La communication d'informations relatives à l'activité d'Air Formation, par un employé toujours sous contrat, à une société concurrente, relève en l'espèce plus de la responsabilité dudit employé, non assigné en la cause, que de la société qui reçoit ces informations sans sollicitation de sa part ; en tout état de cause, comme indiqué précédemment, les coordonnées des éventuels clients des deux sociétés parties à la présente procédure, étaient en libre accès.

Le fait que Monsieur [Z] ait collaboré ultérieurement avec Scope Training, selon des formes qui ne sont pas précisées, et alors qu'il avait fait valoir ses droits à la retraite, est inopérant pour démontrer un débauchage ayant désorganisé la société Air Formation.

En conséquence, aucune concurrence déloyale n'est caractérisée de ce chef.

Sur la confusion par copie servile

Hors de toute protection légale, la reproduction servile ou l'imitation de produits est constitutive de concurrence déloyale, lorsqu'il existe un risque de confusion entre les produits dans l'esprit des acheteurs. Au-delà du seul constat du caractère servile de la copie, il est donc nécessaire de rechercher si la copie ou l'imitation est de nature à entraîner un risque de confusion.

La chambre commerciale de la Cour de Cassation rappelle régulièrement que l'originalité d'un produit, ou encore son caractère distinctif, n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale à raison de sa copie, cette circonstance n'étant que l'un des facteurs possibles d'appréciation de l'existence d'une faute par création d'un risque de confusion.

Il est ainsi régulièrement jugé que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ; la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce.

En l'espèce, la société Air Formation, qui se prévaut de copies de documents de formation ou de ses conditions générales de vente, ne démontre pas le risque de confusion né de ces reproductions.

En effet, les clients des sociétés Air Formation et Scope Training sont des professionnels ou des entreprises, aptes à distinguer entre deux sociétés présentant des logos et entêtes qui diffèrent ; si la copie de certains éléments par la société Scope Training, et notamment s'agissant des conditions générales de vente, ne fait aucun doute, elle n'a pas pour autant reproduit le logo, ni adopté une dénomination proche de celle de la société Air Formation, de sorte qu'aucun risque de confusion n'a été créé.

De la même manière, Scope Training ne s'est pas présentée comme associée d'une quelconque manière à Air Formation ; les clients n'ont donc pas pu croire que des liens économiques existaient entre les deux sociétés.

En l'absence de risque de confusion, il importe peu que la société Scope Training ait procédé à certaines copies ou reproductions.

La concurrence déloyale ne peut pas être retenue de ce chef.

Sur le parasitisme par rattachement à une entreprise concurrente

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Le parasitisme correspond à une forme de déloyauté dans la conquête de la clientèle, consistant à profiter indûment des efforts économiques engagés par d'autres.

Le demandeur doit alors justifier d'efforts intellectuels ou d'investissements, ou encore de l'existence d'une valeur économique individualisée, fruits d'investissements. L'existence et l'importance des investissements réalisés dont le parasite aurait indûment tiré profit est toutefois une question de fait qui relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Le parasitisme n'exige pas l'existence d'un risque de confusion

En l'espèce la société Air Formation reproche à ses anciens salariés d'avoir conservé des documents relatifs à son activité, afin de créer une société concurrente sans autre effort que la reproduction de ses propres documents de travail.

La Cour constate que le moyen tiré de la détention de documents siglés « Air Formation » par la société Scope Training est inopérant dans la mesure où il n'est pas démontré que les anciens salariés d'Air Formation étaient débiteurs d'une obligation de restitution du travail effectué pour son compte à l'issue de leur contrat de travail.

Il n'est pas plus démontré que ces documents ont été utilisés directement et sans transformation par Scope Training auprès de sa clientèle.

Il n'y a donc pas lieu de retenir un « détournement » des données d'Air Formation, ainsi que l'indique la société intimée.

La société Air Formation affirme par ailleurs que, par la reproduction des documents de travail conservés par ses anciens salariés, la société Scope Training s'est placée dans son sillage, sans produire d'effort particulier.

Cependant, il appartient à la société Air Formation, qui invoque le parasitisme, de démontrer que Scope Training est venue profiter d'un investissement ou d'efforts intellectuels effectivement fournis par elle.

Il ressort des éléments de la procédure que la formation qui s'adresse aux personnels aéronautiques est particulièrement formatée et standardisée.

S'agissant des conditions générales de vente tout d'abord, la Cour constate que si celles proposées par Scope Training sont similaires à celles d'Air Formation, elles correspondent en réalité à des clauses particulièrement générales et banales en matière de vente ; Air Formation ne justifie d'aucun effort ou investissement en la matière, exploité par Scope Training.

En outre, si les visuels de certains documents peuvent apparaître proches (visuel circulaire pour la plaquette de présentation, billets d'entrée en formation en format carte d'embarquement), ils ne relèvent pas d'un investissement particulier d'Air formation, le visuel circulaire renvoyant à la roue de Deming, méthode de transposition graphique qui n'a pas été inventée par la société intimée, et les billets en forme de carte d'embarquement ne présentant pas une originalité spécifique en matière d'aéronautique.

Il en va de même s'agissant du contenu des formation, ou bien des lexiques de termes techniques en anglais, ces informations étant régulées par des normes spécifiques, que la société Air Formation n'a fait qu'appliquer dans le contenu de ses formations.

La société Scope Training verse aux débats les programmes de formation d'autres sociétés spécialisées en aéronautique, permettant de démontrer que toutes utilisent les mêmes standards, dictés par les guides et méthodologies de la DGAC (direction générale de l'aviation civile), de l'EASA (agence européenne de la sécurité aérienne) ou de l'OACI (organisation de l'aviation civile internationale).

Il ne peut pas plus être reproché aux fondateurs de la société Scope Formation d'avoir fait usage de leurs compétences acquises au fil de leurs expériences professionnelles passées, en ce compris celle auprès de la société Air Formation.

La société intimée ne rapporte pas la preuve d'une concurrence exercée par Messieurs [O], [R], [X] et Madame [G], alors même qu'elle les employait toujours.

Il n'est pas plus démontré que la société Scope Training ait été créée alors même que l'un de ses fondateurs était encore sous contrat avec Air Formation.

Il ressort de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l'espèce, il ressort des développements qui précèdent que la société Air Formation échoue à démontrer des actes de concurrence déloyale de la part de la société Scope Training ; la Cour infirmera en conséquence la décision des premiers juges, et déboutera la société Air Formation de l'intégralité de ses demandes de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement procédural

La société Scope Training demande à la Cour de condamner Air Formation à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, du fait du harcèlement procédural ayant conduit à sa liquidation judiciaire.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le droit d'agir en justice est ouvert à tout plaideur qui s'estime lésé dans ses droits, son exercice ne dégénérant en abus qu'autant que les moyens qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont d'une évidence telle qu'un plaideur, même profane, ne pourra pas ignorer le caractère abusif de sa démarche ou qu'il n'a exercé son action qu'à dessein de nuire en faisant un usage préjudiciable à autrui.

En l'espèce la société appelante ne rapporte pas la preuve du harcèlement procédural dont elle se prévaut ; il n'est pas démontré que la société Air Formation ait usé de manière abusive des voies de droit qui lui étaient ouvertes ; elle a fait délivrer assignation à un concurrent qu'elle estimait déloyal, et le simple fait de faire erreur dans ses droits ne constitue pas un harcèlement procédural.

L'appel a été formé par Scope Training, de sorte qu'il est permis de relever qu'Air Formation avait accepté la première décision, en dépit du rejet de ses demandes indemnitaires.

Aucun harcèlement procédural n'est démontré ; la société Scope Training ne pourra qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et le premier jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'amende civile

La société Scope Training demande également à la Cour de condamner la société Air Formation au paiement d'une amende civile.

Il ressort des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

L'amende civile ne saurait être assimilée à des dommages et intérêts dus à la partie adverse ; son recouvrement concerne l'Etat et non les parties au procès.

Ainsi, la société Scope Training n'est pas fondée à solliciter le paiement d'une amende civile ; le prononcé d'une telle mesure relève de l'office du tribunal, et non de la demande des parties.

En l'espèce, aucun élément de la procédure ne justifie du prononcé d'une amende civile.

La société appelante sera donc déboutée de sa demande sur ce fondement.

Sur les demandes accessoires

En l'état de la présente décision d'infirmation, il conviendra également d'infirmer le premier jugement en ce qu'il a condamné Scope Training aux dépens et au paiement des frais irrépétibles de première instance.

La société Air Formation, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

En revanche, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile entre les parties ; elles seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

- Reçoit l'intervention volontaire de Maître [K] [E], représentant la Selarl Bdr & Associés en sa qualité de mandataire de la société Scope Training ;

- Constate que la Cour n'est saisie d'aucune demande relative aux chefs du jugement déféré qui ont :

- ordonné la destruction sous contrôle d'huissier de justice et ce, aux frais de la Sarl Scope Training des documents sous n'importe quel format que ce soit (papier, numérique...) se trouvant au siège social ou sur les ordinateurs de l'ensemble des intervenants de la Sarl Scope Training correspondant aux pièces 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54 ;

- interdit l'utilisation des documents correspondant aux pièces 8, 10, 11 bis, 14, 16, 17, 34, 40, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54 sous astreinte provisoire de 500 euros par document et par infraction constatée commençant à courir le 15ème jour suivant la signification du présent jugement ;

- Infirme les chefs du jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- débouté la société Air Formation de sa demande de publication du jugement ;

- débouté la société Air Formation de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique ;

- débouté la Sarl Scope Training de l'ensemble de ses demandes ;

- Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la Sarl Air Formation de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société Scope Training ;

Déboute la Sarl Scope Training de sa demande d'amende civile ;

Déboute la Sarl Scope Training et la Sarl Air Formation de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la Sarl Air Formation aux entiers dépens de première instance et d'appel ;