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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 4 juin 2024, n° 21/04257

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Tintinimaginatio (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Veillard

Vice-président :

M. Bricogne

Conseiller :

Mme Brissiaud

Avocats :

Me Bommelaer, Me Herpe, Me Le Berre Boivin, Me Ermeneux, Me Le Boudec

CA Rennes n° 21/04257

3 juin 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La société Moulinsart est une société de droit belge dont le siège social est situé à [Localité 4] (Belgique), immatriculée à la Banque-Carrefour des Entreprises de Belgique sous le numéro 430-246-468.

2. Mme [V] [X] épouse [S], légataire universelle de M. [K] [D], alias [A], a chargé cette société de l'exploitation de l''uvre d'[A].

3. La société Moulinsart est titulaire exclusive dans le monde entier de l'ensemble des droits d'exploitation de l''uvre d'[A] et notamment des droits de reproduction, d'adaptation et de représentation de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' à l'exclusion de l'édition des albums.

4. À partir de 2005, M. [PG] [L], artiste-peintre parodiste depuis 2004, décide d'assumer son patronyme comme marque de fabrique. Sa démarche artistique sera donc fondée sur le fait de 'marabouter' des éléments de sa vision de la société et de sa propre culture.

5. Il a ainsi réalisé une série de tableaux Daliberty mélangeant l'oeuvre de [U] et la statue de la Liberté, puis une série de 'billets d'amour' (mélange de représentation de billets de banque et de références érotiques) ou encore des cartes postales mêlant des créations de maîtres et des illustrateurs de bandes dessinées ou des créations de photographes.

6. À partir de 2012, il s'est intéressé à l'oeuvre d'[A], notamment au personnage de Tintin et à divers ouvrages s'interrogeant sur la vie amoureuse de ce personnage, ce qui l'a déterminé à le mettre en scène dans des situations inspirées des toiles du peintre américain [F].

7. Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions, notamment une intitulée 'Tintintamarre'.

8. Au mois de mai 2015, la société Moulinsart a découvert que M. [L] a mis en vente via son site Internet www.art-[09].com des peintures constituant selon elle des adaptations, sans autorisation, de différents éléments extraits de l''uvre d'[A] et l'a mis en demeure, le 1er juin 2015, de retirer de la vente les articles qu'elle estimait contrefaisants en le sommant de lui rendre compte du nombre d'articles, de leur prix de vente et de la période de commercialisation afin d'apprécier son préjudice.

9. M. [L] lui ayant opposé l'exception de parodie et poursuivant ses expositions et travaux, la société Moulinsart, invoquant une contrefaçon et, à tout le moins, du parasitisme, l'a, rejointe par Mme [X], intervenante volontaire, fait assigner par acte d'huissier du 6 juillet 2017 devant le tribunal de grande instance de Rennes en interdiction sous astreinte de l'utilisation de l'oeuvre 'Les Aventures de Tintin', en organisation d'une expertise comptable visant à établir le préjudice subi, en paiement d'une provision et en paiement de frais irrépétibles, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire, en visant 24 toiles :

- Hôtel Osborne, Chambre 379 (2017)

- Psychologie (2017)

- Rencontre sur Great Hills Road (2017)

- Rupture à [Localité 5] (2017)

- Baiser sous le pont de [Localité 12] (2016)

- En motocyclette dans le [Localité 14] (2016)

- Instant de solitude (2016)

- La Triumph de Mademoiselle Ryden (2016)

- Le petit café du matin (2016)

- Nuit d'été (2016)

- Traviata Hôtel (2016)

- Un soir à le fenêtre (2016)

- Voltige rouge (2016)

- Balade amoureuse en Lincoln Zéphir (2015)

- Moulinsart au soleil (2015)

- Psychose sur la voie ferrée (2015)

- Rédaction de nuit (2015)

- Vacances en Buick Roadmaster (2015)

- Visite estivale en Bugatti Torpédo (2015)

- Sexy Suey (2014)

- Taxi pour noctambules (2014)

- Dimanche matin en Cadillac (2013)

- Tintin & Yoko Tsuno

- Lune de miel

- L'Affaire Haskell.

10. Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal a :

- débouté la société Moulinsart et Mme [X] de leurs demandes,

- condamné la société Moulinsart à verser à M. [L] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du dénigrement dont il a fait l'objet,

- condamné la société Moulinsart à verser à M. [L] la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Moulinsart aux entiers dépens.

11. Pour statuer ainsi, le tribunal, après avoir rappelé le caractère original des personnages de l'oeuvre d'[A] utilisés par M. [L] dans ses peintures, a retenu :

- la qualité pour agir des demanderesses, Mme [X], légataire universelle de [K] [D], alias [A], disposant du droit moral sur l'ensemble de l'oeuvre et la société Moulinsart disposant seule du droit d'exploiter l'oeuvre d'[A], à l'exception de la publication des albums 'Les Aventures de Tintin' et agissant dans le cadre des droits qui lui ont été cédés,

- l'exception de parodie (destinée à garantir la liberté d'expression des artistes, ce principe a donc valeur constitutionnelle) prévue à l'article L.122-5 du code de la propriété, en relevant l'identification immédiate de l'oeuvre parodiée qui se distingue clairement de l'oeuvre originale (absence de risque de confusion), l'intention humoristique et le but critique du peintre (désirs et faiblesses de Tintin), ainsi que l'absence d'élément dénigrant ou avilissant de l'oeuvre d'[A],

- la mise en relation de l'estimation 'extrêmement modeste' des 24 oeuvres incriminées reproduites à 20 exemplaires (115.000 €) et des revenus que génèrent les produits dérivés de l'univers de Tintin pour la société Moulinsart (230 millions d'albums vendus à ce jour), la perte financière étant minime voire totalement hypothétique pour les ayants droit d'[A],

- l'absence de risque de concurrence déloyale ou de parasitisme compte tenu des particularités des oeuvres de M. [L] au regard des produits dérivés que vend la société Moulinsart,

- le dénigrement fautif de la société Moulinsart qui ne s'est entourée d'aucune précaution dans sa communication.

12. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 9 juillet 2021, la société Moulinsart, Mme [X] et M. [J] [S], agissant ès qualité de mandataire de Mme [X], ont interjeté appel de cette décision.

13. Par ordonnance du 30 mai 2022, le conseiller de la mise en état a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [L], tirée de l'invocation de 15 oeuvres supplémentaires, motif pris de ce que leur inclusion en cause d'appel dans le périmètre du procès ne modifie pas l'objet du litige,

- condamné M. [L] aux dépens de l'incident,

- rejeté le surplus des demandes.

* * * * *

14. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 12 octobre 2023, la société Tintinimaginatio, anciennement dénommée société Moulinsart, Mme [X], M. [S] et la fondation [A], venant aux droits de Mme [X], intervenante volontaire, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la société Tintinimaginatio dispose du droit d'exploiter l''uvre d'[A] et jugé que Tintin et les autres personnages des 'Aventures de Tintin' sont originaux et bénéficient de la protection au titre du droit d'auteur,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- statuant à nouveau,

- les juger recevables et bien fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [L],

- juger que M. [L] a reproduit sans autorisation, dans ses toiles 'Hôtel Osborne, chambre 379", 'Psychologie', 'Rencontre sur Great Hills Road', 'Rupture à [Localité 5]', 'Baiser sous le pont de [Localité 12]', 'En motocyclette dans le [Localité 14]', 'Instant de solitude', 'La Triumph de Mademoiselle Ryden', 'Le petit café du matin', 'Nuit d'été', 'Traviata Hôtel', 'Un soir à la fenêtre', 'Voltige rouge', 'Balade amoureuse en Lincoln Zéphir', 'Moulinsart au soleil', 'Psychose sur la voie ferrée', 'Rédaction de nuit', 'Vacances en Buick Roadmaster', 'Visite estivale en Bugatti Torpédo', 'Sexy Suey', 'Taxi pour noctambules', 'Dimanche matin en Cadillac', 'Lune de miel', 'L'affaire Haskell', 'Vague à l'âme', 'Dernière station avant la Lune', 'Sur la banquette du New York express', 'Pastiche couleur d'une aventure d'un petit reporter (Tintin) et d'une ingénieure électronicienne (Yoko Tsuno)', 'Nuit américaine', 'Tintin et Christina', 'TA Le téléphone bleu', 'TA Matin ensoleillé', 'TA Tintinatic', 'La chaussure sur un toit brûlant', 'Sur le trottoir', 'La vie en rose', 'Panne à [Localité 8]', 'Désir d'amerrissage' et 'Ballons en terrasse', les personnages originaux de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont et Dupond ainsi que d'autres éléments de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' créés par [K] [D] alias [A],

- juger que M. [L] a ainsi contrefait les droits d'auteur patrimoniaux liés à l''uvre originale 'Les Aventures de Tintin' dont la société Tintinimaginatio est titulaire et a porté atteinte au droit moral d'[A] exercé par Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S] pour la période antérieure au 15 décembre 2022, et par la fondation [A], venant aux droits de Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S] pour la période à compter du 15 décembre 2022,

- juger que M. [L] a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Tintinimaginatio,

- condamner M. [L] à verser à Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S] et à M. [S] agissant ès qualité de mandataire de Mme [X] ainsi qu'à la fondation [A], venant aux droits de Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S] la somme de 1 € symbolique pour chacun en réparation de son préjudice lié à l'atteinte au droit moral d'[A],

- condamner M. [L] à cesser toute reproduction, représentation, adaptation, et plus généralement toute exploitation directe ou indirecte des personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' et notamment (mais non exclusivement) des personnages de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont et Dupond, ou de toute autre 'uvre créée par [A], et ce sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée passé un délai de quinzaine à compter de la signification de l'arrêt, la notion d'infraction étant entendue individuellement pour chacune des toiles ou lithographies commercialisées,

- avant dire droit sur le préjudice économique et moral de la société Tintinimaginatio,

- ordonner à M. [L] (de) communiquer tous éléments comptables relatifs à la production, la commercialisation et la communication de ses toiles et lithographies reproduisant les personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin', notamment des toiles 'Hôtel Osborne, chambre 379", 'Psychologie', 'Rencontre sur Great Hills Road', 'Rupture à [Localité 5]', 'Baiser sous le pont de [Localité 12]', 'En motocyclette dans le [Localité 14]', 'Instant de solitude', 'La Triumph de Mademoiselle Ryden', 'Le petit café du matin', 'Nuit d'été', 'Travatia Hôtel', 'Un soir à la fenêtre', 'Voltige rouge', 'Balade amoureuse en Lincoln Zéphir', 'Moulinsart au soleil', 'Psychose sur la voie ferrée', 'Rédaction de nuit', 'Vacances en Buick Roadmaster', 'Visite estivale en Bugatti Torpédo', 'Sexy Suey', 'Taxi pour noctambules', 'Dimanche matin en Cadillac', 'Lune de miel', 'L'affaire Haskell', 'Vague à l'âme', 'Dernière station avant la Lune', 'Sur la banquette du New York express', 'Pastiche couleur d'une aventure d'un petit reporter (Tintin) et d'une ingénieuse électronicienne (Yoko Tsuno)', 'Nuit américaine', 'Tintin et Christina', 'TA Le téléphone bleu', 'TA Matin ensoleillé', 'TA Tintinatic', 'La chaussure sur un toit brûlant', 'Sur le trottoir', 'La vie en rose', 'Panne à [Localité 8]', 'Désir d'amerrissage' et 'Ballons en terrasse', et en particulier ses bilans, ses déclarations et avis d'imposition, toutes factures de vente ou documents comptables relatifs à la vente de toutes toiles et lithographies reproduisant ou adaptant les personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' (ou toute reproduction ou représentation de celle-ci sur quelque support que ce soit), le nombre des toiles et lithographies réalisées ou tirées, le nombre de clients acquéreurs de toutes toiles et lithographies reproduisant ou adaptant les personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' (ou toute reproduction ou représentation de celle-ci sur quelque support que ce soit), et ce sous astreinte de 1.000 € passé un délai de quinzaine à compter de la signification de l'arrêt,

- condamner à titre provisionnel M. [L] à verser à la société Tintinimaginatio la somme de 20.000 € à valoir sur les dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique et moral,

- surseoir à statuer sur les demandes relatives à la réparation du préjudice économique et moral de la société Tintinimaginatio et renvoyer les parties à une audience de mise en état, pour signification des conclusions des parties sur la fixation du préjudice de la société Tintinimaginatio,

- en tout état de cause,

- débouter M. [L] de son appel incident,

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Tintinimaginatio, de la fondation [A], de Mme [X] et de M. [S],

- condamner M. [L] à verser à la société Tintinimaginatio la somme de 10.000 € au titre des actes de parasitisme,

- condamner M. [L] à justifier de la destruction de tous les exemplaires des 'uvres contrefaisantes (toiles ou toute autre reproduction) restant en stock, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt,

- ordonner à M. [L] (d')informer, dans les 48 h du prononcé de l'arrêt, toutes les personnes à qui il a vendu une toile contrefaisante (ou toute reproduction de celle-ci sur quelque support que ce soit) du caractère contrefaisant de ces objets, de l'interdiction de les exposer, de les diffuser ou de les vendre et ordonner à M. [L] de justifier aux appelants de la preuve de ce qu'il a informé tous ses acheteurs dans ce délai, sous peine d'astreinte de 1.000 € par jour de retard,

- condamner M. [L] à payer à la société Tintinimaginatio, à Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S], à M. [S] agissant ès qualité de mandataire de Mme [X] et à la fondation [A] venant aux droits de Mme [X] assistée et représentée par son mandataire M. [S] la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [L] aux entiers dépens de l'instance, que la SELARL CVS, prise en la personne de Me Benoît Bommelaer, pourra recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, en ce compris l'ensemble des frais d'huissier supportés par les appelants dans le cadre de l'obtention ou de l'exécution de mesures de constat.

15. À l'appui de leurs prétentions, la société Tintinimaginatio, Mme [X], M. [S] et la fondation [A] font en effet valoir :

- que la titularité des droits de la société Tintinimaginatio, fondée sur des conventions aux termes desquelles Mme [X] a fait apport à la société des droits dérivés et secondaires relatifs aux 'uvres artistiques et littéraires créées par [A], a été confirmée par de nombreuses décisions judiciaires,

- qu'il n'y a aucun doute sur l'originalité de l'oeuvre protégée, [A] lui-même eût-il été inspiré par [N] [G], dont le héros est très éloigné de celui de Tintin, la référence à la bande dessinée japonaise Shochan no Boken, qui n'a pas été diffusée en Europe du temps où [A] dessinait, étant parfaitement inopérante,

- que M. [S] agit ès qualité de mandataire de son épouse Mme [X] pour avoir été désigné en cette qualité suivant mandat validé judiciairement par la Justice de Paix du district d'Aigle par jugement du 5 mars 2020, la mesure de protection judiciaire n'étant pas effective au moment de son intervention volontaire,

- que des personnages de bande dessinée sont susceptibles de donner lieu à une protection autonome, peu important qu'ils soient présentés hors contexte, ceux utilisés par M. [L] étant parfaitement identifiables, avec leurs caractéristiques ou d'autres éléments créés par [A] (voitures, avions...),

- que l'utilisation de femmes sexy dénature l'oeuvre d'[A], lorsque certaines toiles ne présentent pas un caractère volontiers érotique,

- que le tribunal a appliqué une interprétation trop extensive de la notion d'intention humoristique, ici insuffisamment révélée alors qu'elle est toujours requise, en la confondant avec celle d'effet humoristique, de façon d'autant plus critiquable qu'il n'aborde pas cette notion oeuvre par oeuvre mais de façon globalisante, la liberté de création ne pouvant tout autoriser,

- que, pour être licite, la parodie doit respecter un élément moral : l'intention de faire rire, de railler avec humour, même si le résultat n'est pas atteint, alors que, en se situant ainsi sur le terrain de la critique, le tribunal reconnaît implicitement que ces toiles ne comportent aucune intention humoristique, élément pourtant indispensable pour déclencher le jeu de l'exception de parodie,

- que l'exception au droit d'auteur pour les 'contenus transformatifs' (pratiques de remix et de mash up) dans un cadre non commercial voire, sous certaines conditions, dans un cadre commercial n'a finalement pas été retenue par la directive européenne 2019/790 du 19 avril 2019,

- que la parodie, qui est une exception et non un droit et qui est structurellement une imitation et fonctionnellement burlesque, doit être prouvée par celui qui s'en prévaut et strictement appréciée,

- que la volonté ludique visant à créer une complicité amusée avec le public ne suffit pas à caractériser l'exception de parodie, le tribunal n'ayant relevé que les 'effets humoristiques' des toiles et non leur intention,

- que les oeuvres litigieuses ne font pas qu'évoquer les personnages mais les reprennent avec toutes leurs caractéristiques, ce qui constitue une copie et peut créer un risque de confusion,

- que le seul fait de présenter Tintin dans un univers inhabituel n'est pas en soi parodique, M. [L] revendiquant, contrairement à ce que retient le jugement, non pas une intention humoristique mais l'intention de s'inscrire dans un courant d'art contemporain consistant à s'approprier des 'uvres préexistantes pour les fusionner en empruntant et combinant des éléments caractéristiques de ces 'uvres (intention artistique et non humoristique), en en faisant sa marque de fabrique, dans le courant artistique de l'appropriation art,

- que, lorsque l'emprunt à l''uvre première n'a pas pour vocation de porter un message relatif à l'intérêt général, et plus encore lorsqu'il a une finalité commerciale, la conciliation entre le droit d'auteur et la liberté d'expression doit normalement passer par le respect de la règle d'interprétation stricte et donc, en cas de doute, par la primauté du droit d'auteur, l'absence de femmes dans la vie de Tintin ne pouvant ici être amenée au rang de question d'intérêt général,

- que respecter les 'lois du genre' revient à parodier, sans rechercher à créer un risque de confusion entre les 'uvres en cause ni à s'approprier le travail d'autrui et ne doit pas être une excuse pour effectuer un détournement de clientèle en s'accaparant la notoriété de l''uvre inspiratrice, le non-respect des lois du genre résultant, en l'espèce, du fait que les 'uvres en cause ont été créées en grand nombre sur une longue période et en vue d'une commercialisation,

- que le parasitisme, qui consiste à se placer dans le sillage d'autrui pour tirer profit de sa renommée ou de son savoir-faire et de ses investissements, est ici établi notamment à travers la commercialisation assumée, M. [L] se servant de la notoriété de l'oeuvre d'[A], le fait que la clientèle soit distincte n'étant pas une condition de l'action en concurrence déloyale,

- qu'aucune intention malveillante ne sous-tend les moyens employés pour protéger l'oeuvre d'[A].

* * * * *

16. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 16 octobre 2023, M. [L] demande à la cour de :

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a reçu Mme [X] en son intervention volontaire et en ce qu'il a limité à la somme de 10.000 € l'indemnisation du chef du dénigrement,

- statuant à nouveau de ces chefs,

- juger que Mme [X] était incapable d'intervenir à la procédure pour soutenir des demandes d'atteinte au droit moral,

- juger irrecevables ses demandes ainsi que celles portées par son mandataire M. [S], en ce cette qualité ou à titre personnel,

- rejeter les demandes de Mme [X] et M. [S],

- débouter la fondation [A] de ses demandes,

- condamner la société Tintinimaginatio au versement de 20.000 € au titre des dommages et intérêts dus pour le dénigrement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Tintinimaginatio et Mme [X] de leurs demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'atteinte au droit moral d'[A],

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'exception de parodie et rejeté la contrefaçon de droits d'auteur,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale et parasitisme,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes complémentaires et indemnitaires de la société Tintinimaginatio,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Tintinimaginatio à lui verser la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- débouter la société Tintinimaginatio, Mme [X], M. [S] et la fondation [A] de leurs demandes, fins et conclusions,

- rejeter les demandes en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme,

- rejeter les demandes financières de la société Tintinimaginatio, de Mme [X], de M. [S] et de la fondation [A] des chefs de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme,

- recevoir ses demandes,

- condamner la société Tintinimaginatio et Mme [X] à lui verser solidairement la somme de 35.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

17. À l'appui de ses prétentions, M. [L] fait en effet valoir :

- que le jugement de protection judiciaire de Mme [X] est intervenu avant le jugement dont appel et qu'elle a conclu alors qu'elle n'était pas représentée par son mandataire, le jugement ayant été obtenu en fraude et la situation ne pouvant être régularisée en cause d'appel,

- que la présence de femmes associées à Tintin dans ses oeuvres ne porte aucunement atteinte au droit moral des ayants droit d'[A], son travail n'étant ni érotique, ni vulgaire mais constituant un hommage aux oeuvres d'[F] et d'[A] ainsi mélangées et qu'il admire,

- que l'exception de parodie suppose un travail de travestissement ou de subversion et donc de distanciation par rapport à l''uvre parodiée, de telle sorte que le public ne puisse se méprendre sur la portée du propos et sur l'auteur de la parodie, ainsi que le souligne lui-même l'expert du droit d'auteur convoqué par les appelants qui rappelle également que c'est l'effet d'outrance qui fera que l'un rira et l'autre pas,

- que la parodie doit constituer un subtil équilibre entre deux droits fondamentaux : le droit d'auteur et la liberté d'expression, ce qui conduit la jurisprudence à privilégier la liberté d'expression (ici la reconnaissance de son travail artistique) au monopole du droit d'auteur (ici la recherche vénale des ayants droit d'[A]),

- qu'il y a des différences perceptibles entre les personnages d'[A] et ceux qu'il reproduit (le plus souvent de dos ou de trois-quart), sans aucun risque de confusion, le travestissement étant évident et son intention étant clairement d'interpeller ou dérouter le public,

- que l'exception de parodie, qui procède de la liberté d'expression, a valeur constitutionnelle, le caractère humoristique d'une 'uvre étant interprété largement par la jurisprudence,

- qu'il indique sa source en intitulant (signe de sa bonne foi) sa série [A]-[F] dans laquelle Tintin apparaît comme un héros traversant l'univers nord-américain figé et intimiste du peintre américain, ce double choix n'étant pas le fruit du hasard,

- que son intention humoristique est omniprésente, le présent litige étant une affaire de vie ou de mort professionnelle puisque la société Tintinimaginatio attaque sa démarche artistique fondée sur l'humour, soit le travail de toute une vie,

- que chaque toile brise le caractère de Tintin pour en faire un adulte, doté d'une vie sentimentale, comme elle brise l'ambiance métaphysique et puritaine de l'univers d'[F],

- que l'effet visuel est celui d'une dominance hoppérienne dans laquelle Tintin, reconnu dans un second temps, ne serait qu'un intrus,

- que l'erreur serait précisément de ne pas prendre son oeuvre dans sa globalité,

- que les lois du genre sont prises en compte pour caractériser tant le pastiche que la parodie, de sorte qu'il est possible de retenir, dans le cadre de la parodie, un élément moral qui pourrait avoir une intention de fond étrangère à l'humour,

- que les avions et les voitures utilisés, qui correspondent d'ailleurs à de vrais modèles non exclusifs de l'univers d'[A], deviennent des objets sexualisés qui invitent à la séduction et renforcent l'intention humoristique,

- que l'accueil du public et de la presse témoigne de la singularité de son oeuvre, les appelants ne s'arrêtant qu'aux seuls personnages des 'Aventures de Tintin' là où il faut y voir un mélange d'univers,

- que la qualité de professionnel, l'exploitation commerciale ou la notion de série de tableaux ne contreviennent pas aux lois du genre, d'autant que certains artistes vivent de la parodie,

- que son travail ne se résume pas à la juxtaposition de deux univers mais correspond à un vrai courant artistique en les réinterprétant avec humour et esprit critique, ce qui est l'essence même de l'art, [A] lui-même s'étant inspiré de deux personnages antérieurs pour façonner Tintin,

- que l'acheteur, intéressé par un style très éloigné de la ligne claire des albums de Tintin, n'achète ni du [A] ni du [F] mais du [L], de sorte qu'il n'existe aucune concurrence déloyale,

- qu'il n'a pas usé des noms des artistes ou du personnage de Tintin dans un but mercantile mais bien dans la continuité de sa démarche artistique, l'exception de parodie étant exclusive du parasitisme, lui-même ne pouvant être considéré comme s'étant enrichi sur le dos d'[A], en témoigne son chiffre d'affaires sans commune mesure avec celui de la société Tintinimaginatio,

- que l'agressivité dont a fait preuve la société Tintinimaginatio, notamment dans ses mises en demeure adressées à la galerie, constitue un véritable dénigrement, insuffisamment sanctionné par le tribunal.

* * * * *

18. L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

19. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire

20. Aux termes de l'article 325 du code de procédure civile, 'l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant'.

21. L'article 327 dispose en son 1er alinéa que 'l'intervention en première instance ou en cause d'appel est volontaire ou forcée'.

22. En l'espèce, par conclusions du 12 octobre 2023, la fondation [A] a entendu intervenir volontairement à l'instance d'appel en vertu d'une convention du 15 décembre 2022 par laquelle Mme [X], légataire universelle et investie à cet égard du droit moral de feu son mari M. [K] [D], alias [A], assistée et représentée par son mandataire, M. [S], lui a confié l'exercice dudit droit moral.

23. Il conviendra de recevoir la fondation [A] en son intervention volontaire.

Sur l'irrecevabilité pour défaut de capacité

24. L'article 117 du code de procédure civile range dans la catégorie des 'irrégularités de fond affectant la validité de l'acte' notamment 'le défaut de capacité d'ester en justice'.

25. L'article 121 dispose que, 'dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue'.

26. En l'espèce, M. [L] demande à la cour de juger que Mme [X] était incapable d'intervenir à la procédure pour soutenir des demandes d'atteinte au droit moral et, partant, de juger irrecevables ses demandes ainsi que celles portées par son mandataire M. [S], en cette qualité ou à titre personnel.

27. Il fait en effet valoir que M. [S] intervient dans le cadre de la procédure d'appel en qualité de mandataire de son épouse Mme [X], l'acte d'appel indiquant qu'il est désigné en cette qualité par mandat validé judiciairement par la Justice de Paix du district d'Aigle suivant jugement du 5 mars 2020, c'est-à-dire durant le cours de la première instance, M. [S] n'ayant pas juridiquement régularisé la procédure par son intervention volontaire à l'instance, alors que Mme [X] ne pouvait plus conclure en son nom comme elle l'a fait en septembre 2020.

28. M. [L] considère donc que le jugement a été obtenu par fraude, la procédure n'ayant pas pu être régularisée par l'intervention volontaire de M. [S] dès la déclaration d'appel.

29. Toutefois, si cette situation est susceptible d'entraîner la nullité du jugement, ce que ne sollicite pas M. [L], l'article 121 du code de procédure civile ne fait aucune distinction entre la procédure de première instance et celle d'appel.

30. Or, la cour constate que la procédure, qui s'est poursuivie en cause d'appel, s'est trouvé régularisée dès la déclaration d'appel dans laquelle intervient volontairement M. [S] , agissant ès qualité de mandataire de Mme [X] suivant jugement de la Justice de Paix du district d'Aigle du 5 mars 2020 validant le mandat dont il a été investi.

31. La cause affectant la validité de la procédure ayant disparu, il conviendra de rejeter l'exception de procédure soulevée par M. [L].

Sur le droit d'exploiter

1 - la titularité des droits sur l'oeuvre d'[A] :

32. Aux termes de l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, 'les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.

Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit'.

33. L'article L. 131-3 dispose en son 1er alinéa que 'la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée'.

34. En l'espèce, Mme [X], en sa qualité d'unique ayant droit de son défunt époux [K] [D] ([A]), suivant acte de notoriété établi le 5 avril 1983 par Me [B], notaire à [Localité 4], et la société Studio [A] ont fait des apports successifs de leurs droits de licence de l'oeuvre d'[A] et de leurs droits sur la marque 'Tintin' et sur l'ensemble des personnages, noms, lieux et objets formant l'univers des albums Tintin ou de leur traduction à travers le monde, à l'exception de l'édition des albums, à la société Baran International Licensing, devenue société Moulinsart, elle-même devenue la société Tintinimaginatio, tel que cela ressort d'une attestation émise le 5 mai 2014 par Me [Z], notaire à [Localité 4].

35. La contestation émise par M. [L] relativement à la titularité des droits de la société Tintinimaginatio a conduit Mme [X] à intervenir volontairement à l'instance en tant que de besoin, cette dernière en profitant pour faire valoir son droit moral propre.

36. La qualité de la société Tintinimaginatio à agir n'est plus contestée par M. [L] en cause d'appel, ni d'ailleurs celle de Mme [X] au titre de son droit moral.

2 - l'originalité des personnages :

37. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, 'l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code'.

38. L'article L. 111-2 dispose que 'l'oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur'.

39. L'article L. 112-2 considère 'notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code :

1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;

2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres oeuvres de même nature ;

3° Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;

4° Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;

5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ;

6° Les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;

7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;

8° Les oeuvres graphiques et typographiques ;

9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ;

10° Les oeuvres des arts appliqués ;

11° Les illustrations, les cartes géographiques ;

12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ;

13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;

14° Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l'habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d'ameublement'.

40. Les personnages originaux de bande dessinée sont protégés indépendamment de l''uvre dans laquelle ils apparaissent.

41. En l'espèce, la 'ligne claire', c'est-à-dire un graphisme épuré privilégiant une lisibilité maximale, est une des caractéristiques de l''uvre d'[A].

42. Par ailleurs, si [A] ne s'est jamais caché de l'influence de [N] [G] sur ses propres créations, Tintin, aventurier reporter courageux, est assez éloigné du personnage de 'Tintin-Lutin', jeune garçon espiègle, même s'il en partage la houppe :

Le Tintin-Lutin de [G] : (dessin n° 1)

Le Tintin d'[A] :

43. En toute hypothèse, l'action entreprise par les ayants droit d'[A] tend à la protection, au-delà du seul Tintin, de l'ensemble des personnages que M. [L] a reproduit dans ses tableaux, alors qu'ils appartiennent tous à l'oeuvre 'Les aventures de Tintin'.

44. Les personnages récurrents de cette oeuvre sont les suivants :

- Tintin et son chien Milou : ces personnages apparaissent en 1930 dans l'album 'Tintin au pays des Soviets'

- Dupond & Dupont : ces personnages apparaissent en 1931 dans l'album 'Tintin au Congo'

- Bianca Castafiore : ce personnage apparaît en 1939 dans l'album 'Le sceptre d'Ottokar'

- Le capitaine Haddock : ce personnage apparaît en 1941 dans l'album 'Le crabe aux pinces d'or'

- Nestor : ce personnage apparaît en 1943 dans l'album 'Le Secret de La Licorne'

- Le professeur Tournesol : ce personnage apparaît en 1944 dans l'album 'Le Trésor de Rackham le Rouge'.

45. Si M. [L] avait prétendu en première instance qu'[A] a lui-même puisé Tintin dans les ouvrages de [N] [G], ce qui le priverait de prétendre à l'originalité de son personnage, il indique en cause d'appel dans ses conclusions (page 111) que, 'pour créer son personnage de Tintin, [A] a (...) lui-même réalisé un mash up (de deux personnages, à savoir Tintin-Lutin et Shochan no Boken), que ses héritiers défendront bien évidemment comme un travail original'. Pour autant, il n'entend plus dénier l'originalité des personnages de l'oeuvre d'[A], lesquels sont donc soumis à protection au titre du droit d'auteur.

46. Il convient également d'observer que l'intimé lui-même ne nie pas la paternité de ces personnages à [A] ni l'originalité de son oeuvre 'Les Aventures de Tintin' dont il cite d'ailleurs l'auteur dans le titre de sa propre série '[A]-[F]'.

Sur la contrefaçon

47. L'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque'.

48. En l'espèce, suivant procès-verbal de constat d'huissier établi le 25 novembre 2016 par Me [P], huissier de justice à [Localité 11], la société Moulinsart a fait constater qu'au [Adresse 3], est exploitée une galerie d'art à l'enseigne '3 cerises sur une étagère', dans laquelle figure un chevalet où se trouve un dessin de taille rectangulaire reproduisant le personnage de Tintin au volant d'une voiture décapotable ainsi qu'une affiche mentionnant une exposition à venir notamment de l'artiste [L].

49. En cliquant sur l'onglet 'artistes' à partir du site Internet de la galerie, l'huissier a pu constater que M. [L] a reproduit à plusieurs reprises, dans ses compositions, divers personnages de l'oeuvre 'Les aventures de Tintin'. Par la suite, d'autres tableaux, peints par M. [L], y compris du temps de la première instance, ont complété les actes de contrefaçon alléguée initiaux, 39 de ces oeuvres étant finalement incriminées comme contrefaisantes par les appelants, ainsi qu'il suit (les personnages reproduits et les références à l'univers de Tintin sont mentionnés en gras) :

- 'Hôtel Osborne, Chambre 379" (2017), présenté comme une parodie de la toile 'Hôtel Room' (1931). Tintin de face, tournant la tête, sur un lit dans une chambre d'hôtel, torse nu, musclé, délesté d'un chapeau et de bottes de cow-boy, semble absorbé (préoccupé ') par le message porté sur une lettre posée devant lui. Milou est de dos :

- 'Psychologie' (2017), présenté comme une parodie de la toile 'Room in Brooklyn' (1932). Tintin de face, très concentré, lit le magazine 'Psychologies'. Milou est à ses pieds :

- 'Rencontre sur Great Hills Road' (2017), présenté comme une parodie de la toile 'Road and Houses South Truro' (1931). Tintin de dos, devise avec une conductrice arrêtée. Milou est à ses pieds :

- 'Rupture à [Localité 5]' (2017), présenté comme une parodie de la toile '[Localité 5] Evening' (1939). Tintin, de face, pensif, voire déprimé, est assis au pied d'une porte. Près de lui, une jeune femme élégamment vêtue qui pourrait être Yoko Tsuno (ingénieure électronicienne, personnage de la bande dessinée éponyme de [H] [Y], présente dans d'autres toiles). On retrouve Milou un peu plus loin :

- 'Baiser sous le pont de Queenboro' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Queenborough Bridge' (1913). Tintin est de trois-quarts dos au volant d'une voiture à l'arrêt, embrassant une femme. Milou est dans la malle arrière :

- 'En motocyclette dans le [Localité 14]' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'The Calmels Humps' (1931). Tintin est au guidon d'une motocyclette. Milou est entre ses jambes. Une pin-up est assise à l'arrière, dévoilant des jarretelles :

- 'Instant de solitude' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Solitude' (1944). Tintin de dos est au volant d'une voiture, son regard attiré par une jeune fille aguicheuse. Milou est dans un même geste sur le siège passager :

- 'La Triumph de Mademoiselle Ryden' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Ryder's House' (1933). Tintin est de dos au volant d'une Triumph décapotable rouge immatriculée QUK 596 (empruntée à l'album 'L'île noire') caressant le dos d'une jeune femme assise sur le siège passager. Milou est un peu loin dans un pré :

- 'Petit café du matin' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Office in a Small City' (1953). Tintin, de dos, est servi d'un café par une jeune femme court-vêtue, aux formes généreuses :

- 'Nuit d'été' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Summer Evening' (1947). Tintin, Milou à ses pieds, de trois-quarts, devise avec une jeune femme courtement vêtue :

- 'Traviata Hôtel' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Hôtel Lobby' (1944). Tintin (de trois-quarts, cigarette à la main, en compagnie d'une jeune femme, Milou à leurs pieds) regarde la Castafiore conversant avec le capitaine Haddock à proximité de Nestor. À noter, au mur, une toile érotique de Picasso :

- 'Un soir à la fenêtre' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Night Window' (1928). Tintin de profil, tourne la tête vers l'intérieur de la pièce, assis en bord de fenêtre, tasse à café posée et journal en mains. À l'autre fenêtre, une jeune femme au décolleté généreux, bras sur le rebord, esquisse un sourire :

- 'Voltige rouge' (2016), présenté comme une parodie de la toile 'Carolina Morning' (1955). Tintin de trois-quarts, équipé d'un blouson d'aviateur, regarde un avion rouge posé à terre immatriculé G-ARCR (emprunté à l'album de 'L'île noire'). Près de lui, une jeune femme de dos est élégamment vêtue de rouge :

- 'Balade amoureuse en Lincoln Zéphir' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Portrait of [Localité 10]' (1950). Haddock de face conduit un véhicule orange (très ressemblant au véhicule jaune présent dans l'album 'Les sept boules de cristal'), une jeune femme à son côté. À l'arrière, Tintin de face tourne la tête vers une autre jeune femme lui souriant assise près de lui :

- 'Moulinsart au soleil' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'People in the Sun' (1960). Sur une terrasse, Tournesol, la Castafiore et Haddock de profil prennent le soleil sur des transats, endormis, en compagnie d'une femme à peine visible. Tintin, également de profil, est assis derrière, absorbé par sa lecture, avec à ses pieds le magazine Têtu, emblématique de la communauté gay :

- 'Psychose près de la voie ferrée' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'House by Railroad' (1925). Tintin de face est assis sur la voie ferrée, la main sur le visage, avec une expression d'intense désespoir (comme proche du suicide '). En arrière-plan, une maison dont l'architecture a été reprise par Hitchcock dans son film 'Psychose' comme campant le lieu de l'horreur :

- 'Rédaction de nuit' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Office at Night' (1940). Tintin de face, en veste et cravate, l'air déprimé, une lettre en mains, est assis derrière un bureau sur lequel s'est assise une pin-up dévoilant des jarretelles, qui semble tenter de le consoler :

- 'Vacances en Buick Roadmaster' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Sunlight on Brownstones' (1956). Tintin de trois-quarts, debout sur le perron d'une maison, regarde au loin. Près de lui, une jeune femme en jarretelles est assise, que regarde Milou :

- 'Visite estivale en Bugatti Torpédo' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Summertimes' (1943). Tintin de dos, au volant d'un bolide bleu (inspiré de la Bugatti type 37 de l'album 'Tintin en Amérique'), salue une jeune femme sur le perron d'une maison. Milou de face est sur les marches :

- 'Sexy Suey' (2014), présenté comme une parodie de la toile 'Chop Suey' (1929). Tintin de dos, tatouage d'une chouette sur le bras gauche, un verre de bière à la main, discute avec une jeune femme plantureuse, portant un top dévoilant le bas de ses seins, dans une posture aguicheuse. Les Dupond & Dupont derrière (dont l'un fume) semblent épier la conversation :

- 'Taxi pour noctambules' (2014), présenté comme une parodie de la toile 'Nighthawks' (1942). Tintin de face, enjoué (ou choqué '), au comptoir d'un bar, aide une pin-up à remettre son pardessus. Dehors est garé un taxi qui s'apparente à la Amilcar Compround de l'album 'Le crabe aux pinces d'or' :

- 'Dimanche matin en Cadillac' (2013), présenté comme une parodie de la toile 'Early Sunday Morning' (1930). Tintin s'y trouve de profil sur le siège passager (et accessoirement Yoko Tsuno conduisant la voiture). On y décèle également des références explicites à l'univers de Tintin : devantures 'Butcher Shop Sanzot', 'Lampion Insurance', 'Dupont & Dupont Private Detective', 'Haddock Bar' :

- 'Lune de miel' (2013), présenté comme une parodie de 'Seawatchers' (1952). Tintin de profil, dans un costume de cosmonaute, dans un paysage lunaire, joue avec Milou en compagnie d'une jeune femme qui pourrait être Yoko Tsuno :

- 'L'Affaire Haskell' (2014), présenté comme une parodie de la toile 'Hakell's House' (1924). Tintin au volant d'une voiture, de trois-quarts, a le regard tourné vers une femme étrange (fantomatique ') sur le balcon d'une maison dans le style architectural de 'Psychose'. À côté de lui, Milou est de face :

- 'Vague à l'âme' (2019), présenté comme une parodie de la toile 'Grond Swell' (1939). Quatre jeunes belles filles à bord d'un voilier viennent au secours d'un Tintin, torse nu et musclé, accroché à une bouée en compagnie de Milou, tous deux de face :

- 'Dernière station avant la lune' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Gas' (1940). Tintin, de dos, au volant d'une Jeep Willys bleue (emprunté aux albums 'On a marché sur la lune' et 'Objectif lune'), attend d'être servi dans une station-essence. Yoko Tsuno est sortie du véhicule. Au loin, derrière des arbres, on devine le haut de la célèbre fusée à damier rouge et blanc des mêmes albums sur sa rampe de lancement :

- 'Sur la banquette du New York express' (2017), présenté comme une parodie de la toile 'Compartiment C' (1938). Dans un train, Tintin est présenté assis de face, lisant 'Le petit XXIème' (référence explicite au journal qui l'emploie mais qui aurait gagné un siècle), en compagnie d'une femme se maquillant et dévoilant largement des jarretelles, bustier ouvert sur une poitrine que l'on devine généreuse. Milou est sagement couché à leurs pieds :

-'Rencontre en Amérique et Fenêtre sur Rue' (2014), présenté comme inspiré de différentes toiles d'[F] (que les appelants intitulent 'Tintin & Yoko Tsuno' ou 'Pastiche couleur d'une aventure d'un petit reporter Tintin et d'une ingénieure électronicienne Yoko Tsuno'). Il s'agit d'une planche de 12 vignettes mettant en scène Tintin et Yoko Tsuno, parfois ensemble et dans des postures amoureuses (oeillades, baiser fougueux ou encore Yoko Tsuno nue) :

-'Nuit américaine' (2021), présenté comme une parodie de la toile 'Rooms for Tourists' (1945). Tintin, de profil, assis sur le flanc d'une luxueuse décapotable, garée à proximité d'un hôtel, discute avec une jolie blonde en jarretelles s'apprêtant à sortir du véhicule :

-'Tintin et Christina' (2021), présenté comme une double parodie des toiles 'House by Railroad' d'[F] (1925) et 'Critina World' d'Andrew Wyeth (1948). Tintin, de face, est assis dans un champ au premier plan, pâle et dans une mimique d'inquiétude, à côté d'une jeune femme brune de dos. En arrière-plan, une maison à l'architecture de 'Psychose' :

- 'Le téléphone bleu' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'New York Office' (1962). Tintin de profil déambule dans une rue en compagnie de Milou, le regard attiré vers une vitrine d'où lui sourit, assise, une femme rousse au téléphone, avec derrière elle Dupond & Dupont, debout, consultant la presse :

- 'Matin ensoleillé' (2014), présenté comme une parodie de la toile 'Morning Sun' (1952). Tintin de trois-quart, torse-nu, assis sur un lit, tourne la tête vers Milou, de face. Un soutien-gorge est posé près de lui :

- 'Tintinatic' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'New York Movies' (1939). Dans une salle de cinéma, Haddock, de dos, regarde sur l'écran une scène de ce qui pourrait être le film Titanic, dans laquelle figure un Di Caprio affublé de la houppe rousse de Tintin. À droite, une ouvreuse façon pin-up se languit :

- 'La chaussure sur un toit brûlant' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'City Roof' (1932). Tintin est de trois-quarts, tournant la tête, pistolet à la main, sur le toit d'un immeuble, en compagnie de Milou de face. La présence d'une chaussure à talon aiguille égarée (par [W] [I] ') agrémente la scène. M. [L] y convoque une nouvelle fois l'univers cinématographique, la référence au film 'La chatte sur un toit brûlant' de [C] [M] apparaissant évidente :

-'Sur le trottoir' (2015), présenté comme une parodie de la toile 'Sunday Man Sitting on Sidewalk' (1926). Tintin de face porte un pansement sur la tête, assis devant un sex shop en compagnie de Milou, également de face :

- 'La vie en rose' (2020), présenté comme une parodie de la toile 'Excursion into Philosophy' (1959). Tintin de face est assis au bord d'un lit, absorbé par ses pensées, avec près de lui une femme allongée, endormie et à demi dévêtue, un livre ouvert à proximité. Au mur, un tableau représente une fusée à damier rouge et blanc. Au dehors, derrière la fenêtre, Tournesol taille ses rosiers, dans la posture inversée d'une vignette empruntée à l'album 'Les bijoux de la Castafiore') :

- 'Panne à [Localité 8]' (2019), présenté comme une parodie de la toile '[Localité 8] Bridge Loop' (1928). Tintin, de face, est adossé à une voiture capot ouvert devant laquelle s'affaire une pin-up de dos, aux formes généreuses :

- 'Désir d'amerrissage' (2021), présenté comme une parodie de la toile 'Cottage at Well Fleet' (1933). Au premier plan, une femme en maillot de bain, est assise sur un rocher, avec Milou à ses pieds. En arrière-plan, Tintin, en équipement d'aviateur, vient manifestement de poser son hydravion jaune immatriculé CN-3411 (emprunté à l'album 'Le crabe aux pinces d'or') :

- 'Ballons en terrasse' (2017), présenté comme une parodie de l'aquarelle d'[F] sur ses parisiennes. Tintin, affublé en titi parisien, assis à une table, verre de vin en main, devise en terrasse d'un café avec une jeune femme sexy en lunettes de soleil :

50. Pour s'opposer à l'action en contrefaçon engagée contre lui, M. [L] plaide l'exception de parodie et la liberté d'expression artistique.

1 - l'exception de parodie :

51. Aux termes de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, 'lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire (notamment) la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre'.

52. S'agissant d'une exception, la parodie doit être appréciée de façon restrictive et, en toute hypothèse, in concreto.

53. La parodie s'entend, dans le langage courant, d'une satire qui imite, en la tournant en ridicule, une partie ou la totalité d'une oeuvre sérieuse connue. Il peut s'agir, dans un sens théâtral, de la contrefaçon burlesque d'une pièce de théâtre connue. D'une façon plus générale, il s'agit de l'imitation grossière qui ne restitue que certaines apparences, d'un travestissement burlesque ou encore d'une caricature.

54. Au cas particulier de l'exception à la protection du droit d'auteur, la parodie vise à travestir ou à subvertir l'oeuvre dans une forme humoristique, à tout le moins dont le ton doit être clairement revendiqué comme tel. Elle exige donc une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité : si sourire suffit, en revanche, la simple recherche d'une complicité amusée avec le lecteur ou le spectateur ne suffit pas, ni un simple clin d''il en direction du public ou un choc visuel.

55. Par ailleurs, la parodie doit permettre l'identification immédiate de l''uvre parodiée. L'oeuvre parodique doit se distinguer de l'oeuvre originale sans créer un risque de confusion entre les 'uvres en cause ni conduire à s'approprier le travail d'autrui.

56. Ainsi, ne peuvent relever de l'exception de parodie les 'uvres qui empruntent les ressorts d''uvres premières pour s'attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement. Le contrefacteur s'arroge alors indûment une sorte de droit d'adaptation qui porte atteinte au droit d'auteur ou aux droits du titulaire de l'exploitation commerciale de l'oeuvre et de ses produits dérivés. Il ne peut jamais s'agir d'une démarche commerciale à grande échelle qui ne répond pas à la loi du genre de la parodie, nécessairement ponctuelle.

57. En l'espèce, M. [L] indique qu'il 'cherche à rendre hommage aux héros de son enfance ainsi qu'aux grands maîtres de la peinture qu'il aime, en mélangeant leurs univers, toujours avec une intention humoristique' (page 21 de ses conclusions). Il considère 'que le caractère humoristique de (ses) 'uvres (...) découle du décalage entre l'univers d'[F], le personnage de Tintin et sa vie sentimentale' (page 41 de ses conclusions). Selon lui, 'l'effet humoristique serait établi au regard du renversement des situations dans lesquelles Tintin est habituellement mis en scène' (page 48 de ses conclusions). Il demande enfin à la cour d'analyser son oeuvre de façon globale et entend interroger la vie d'adulte de Tintin, confronté aux sentiments, à la difficulté de la vie, à la sexualité et aux failles de la condition humaine.

58. De son côté, le tribunal, pour retenir l'exception de parodie, indique que 'l'effet humoristique est constitué par l'incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des oeuvres d'[F] et de l'absence de présence féminine au côté de Tintin, à l'exception des personnages caricaturaux de Bianca Castafiore et Irma, cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire'.

59. Certes, le critère de l'absence de risque de confusion avec l'oeuvre empruntée est manifestement rempli par les oeuvres de M. [L] qui fusionnent deux univers radicalement opposés : celui, austère et posé, d'[R] [F], et celui, joyeux et dynamique, de Tintin. Le décor principal est celui d'[F] et les personnages de Tintin y sont installés, tels des intrus, dans des postures suffisamment différentes de celles de la bande dessinée pour permettre au spectateur d'identifier immédiatement qu'il ne se trouve plus dans une oeuvre d'[A]. La large signature de M. [L] et le titre donné à chaque oeuvre ajoute à l'absence de risque d'équivoque. Pour autant, même réinterprétés dans leur forme, les personnages empruntés restent aisément reconnaissables, y compris de dos ou de trois-quart, ainsi que Tintin est curieusement le plus souvent représenté, dans une façon que M. [L] ne peut toutefois pas qualifier de seulement 'suggestive'.

60. Mais le seul fait, pour M. [L], d'introduire dans ses oeuvres, d'ailleurs sans outrance, des éléments puissants de sensualité (femmes callipyges, présence d'un sex shop) ou disruptifs (tatouage de Tintin, Dupond qui fume, Tintin qui fume, dépressif, anxieux, fragilisé, lecteur d'un magazine gay ou encore qui boit une bière) ne peut pas être considéré comme procédant d'une intention humoristique, a fortiori lorsqu'il le propose, ainsi qu'il l'indique lui-même, en manière d'hommage à un dessinateur ayant marqué son adolescence.

61. Si ses tableaux, qui dévoilent en réalité d'une intention artistique, peuvent donner lieu à sourire (plus qu'à rire, au demeurant) ou introduire une complicité amusée avec le spectateur, ainsi que cela ressort des attestations produites par M. [L], il ne s'agit jamais là que de l'effet produit, d'ailleurs assez légitime, ce qui ne signifie pas pour autant que l'intimé ait cherché à provoquer dans un esprit de raillerie, fût-ce seulement de gentille moquerie.

62. Surtout, le fait d'avoir intitulé [A]-[F], soit une double référence particulièrement attractive au regard de la notoriété de ces deux artistes, une série de 39 tableaux sur huit années, en prenant le soin d'intituler chacune d'entre elles 'parodie', ne peut pas répondre aux lois du genre qui s'entendent d'une utilisation en toute hypothèse très limitée, alors que M. [L] en fait un véritable genre en soi, en utilisant parfois dans une même oeuvre jusqu'à cinq références, personnages compris, à l'univers des 'Aventures de Tintin'. De ce point de vue, il doit être considéré comme ayant abusé d'une exception qui procède, avant tout, de la liberté d'expression.

2 - la liberté d'expression artistique :

63. Le courant 'appropriationiste' consiste, comme son nom l'indique, à se réapproprier une création antérieure en lui ajoutant des éléments censés en changer l'intégrité et/ou l'esprit. En droit français, l'article L. 113-4 du code de la propriété intellectuelle qui qualifie 'l'oeuvre composite (comme étant) la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante', permet, de façon certes encadrée, la pratique du mash up.

64. En l'espèce, M. [L] invite la cour à effectuer un véritable contrôle de proportionnalité entre le droit d'auteur et la liberté d'expression artistique. Il conteste d'ailleurs faire des oeuvres transformistes ou mash up puisqu'il ne se contenterait pas de copier et de juxtaposer mais effectuerait une véritable mise en scène permettant de créer son propre univers singulier, même s'il est inspiré d'autres artistes qu'il ne manque pas de citer. Il s'interroge sur 'l'évolution de la société, de la liberté d'expression (qui) doit être prise en compte pour faire évoluer les concepts juridiques vieillissant' (page 112 de ses conclusions).

65. Les oeuvres transformatrices ne sont pas, en soi, interdites mais elles nécessitent l'accord de l'auteur de l'oeuvre première. Or, M. [L] ne justifie pas avoir sollicité le droit de reproduction des oeuvres préexistantes que constituent les personnages des 'Aventures de Tintin'. Il s'est délibérément servi d'icônes de la bande dessinée pour tracer sa propre voie.

66. D'ailleurs, en comparant les tableaux d'[F] à ceux de M. [L], on peut constater que ce dernier 'éclaircit' l'univers sombre du peintre américain, notamment par l'utilisation d'une gamme variée de couleurs plus douces. Certes, il ne se contente pas de coller des personnages de Tintin dans des scènes hoppériennes puisque, repeignant tous les éléments, il effectue un travail de réinterprétation. Pour autant, en maintenant notamment l'utilisation de la ligne claire d'[A], l'effet visuel est celui d'un emprunt prédominant à l'univers de ce dernier, en témoigne, à titre d'exemple, la comparaison de 'La vie en rose' avec 'Excursion into Philosophy' :

67. La liberté d'expression artistique peut procéder d'un réarrangement d'une oeuvre antérieure afin de porter une opinion ou un message distinct permettant d'évoquer des sujets de société ou de rendre hommage à une personnalité.

68. Ici, M. [L] souhaite que le spectateur s'interroge sur un Tintin devenu adulte, confronté aux difficultés de la condition humaine. Ce faisant, s'il nous livre sa motivation intime, il ne s'agit pas d'un sujet d'intérêt général qu'une impérieuse nécessité l'aurait conduit à porter publiquement à travers l'exercice de son art.

69. Sauf à vider de son sens la protection du droit d'auteur, M. [L] ne remplit pas les conditions licites d'un emprunt non autorisé et récurrent aux personnages des Aventures de Tintin.

70. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Tintinimaginatio de son action en contrefaçon.

71. Statuant à nouveau, la cour dira que M. [L] a reproduit sans autorisation, dans ses toiles 'Hôtel Osborne, chambre 379", 'Psychologie', 'Rencontre sur Great Hills Road', 'Rupture à [Localité 5]', 'Baiser sous le pont de [Localité 12]', 'En motocyclette dans le [Localité 14]', 'Instant de solitude', 'La Triumph de Mademoiselle Ryden', 'Le petit café du matin', 'Nuit d'été', 'Traviata Hôtel', 'Un soir à la fenêtre', 'Voltige rouge', 'Balade amoureuse en Lincoln Zéphir', 'Moulinsart au soleil', 'Psychose sur la voie ferrée', 'Rédaction de nuit', 'Vacances en Buick Roadmaster', 'Visite estivale en Bugatti Torpédo', 'Sexy Suey', 'Taxi pour noctambules', 'Dimanche matin en Cadillac', 'Lune de miel', 'L'affaire Haskell', 'Vague à l'âme', 'Dernière station avant la Lune', 'Sur la banquette du New York express', 'Rencontre en Amérique et Fenêtre sur Rue', 'Nuit américaine', 'Tintin et Christina', 'Le téléphone bleu', 'Matin ensoleillé', 'Tintinatic', 'La chaussure sur un toit brûlant', 'Sur le trottoir', 'La vie en rose', 'Panne à [Localité 8]', 'Désir d'amerrissage' et 'Ballons en terrasse', les personnages originaux de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont & Dupond ainsi que d'autres éléments de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' créés par [K] [D] alias [A].

Sur le dénigrement

72. De ce qui précède, il s'infère que la société Tintinimaginatio n'a pas pu effectuer des actes de dénigrement dont M. [L] aurait été victime, de sorte que le jugement sera également infirmé en ce qu'il l'a condamnée à verser à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef.

73. Statuant à nouveau, la cour déboutera M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour dénigrement.

Sur le parasitisme

74. La concurrence déloyale, tout comme le parasitisme, trouve son fondement dans l'article 1240 du code civil qui dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

75. L' action en concurrence déloyale permet de sanctionner les actes contraires à la loyauté commerciale, qu'ils interviennent entre concurrents ou entre non-concurrents. Il peut s'agir d'actes de dénigrement, d'imitation des signes d'une entreprise concurrente, de recherche de désorganisation d'une entreprise ou d'une faute d'imprudence ou de négligence.

76. Le parasitisme, qui résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété. Ce peut être la copie d'un produit, pour autant qu'il bénéficie d'une réputation ou d'une notoriété telle que la mise sur le marché d'un produit similaire démontrerait la volonté de se placer dans le sillage de l'entreprise. Cette théorie permet de condamner les comportements délictuels des intervenants du marché, non conformes à la morale des affaires comme étant constitutifs d'un 'trouble anormal de la concurrence' et usurpant sensiblement la valeur économique d'autrui, identifiée et individualisée.

77. Enfin, les juges n'ont pas à rechercher si l'imitation fautive a pu provoquer un risque de confusion.

78. En l'espèce, l'utilisation du nom des artistes contrefaits, [F] et [A], puis de leurs univers propres (décors pour l'un, personnages pour l'autre) témoigne de ce que M. [L] capitalise véritablement sur leur renommée pour promouvoir son travail et le rendre attractif.

79. Il est évident que, si une personne est intéressée par une toile de M. [L], c'est d'abord et avant tout parce qu'elle contient des ingrédients de l'univers de Tintin. Sans préjuger de sa qualité d'artiste-peintre, son succès n'aurait pas été le même s'il avait utilisé des inspirateurs moins célèbres, voire s'il avait inventé de toutes pièces un univers propre, inspiré par la seule 'spiritualité artistique' suivant les termes de [U], artiste cher à l'intimé.

80. Il importe peu que M. [L] vende à des amateurs d'art là ou la société Tintinimaginatio exploite les produits dérivés des personnages des 'Aventures de Tintin', essentiellement auprès des fans de la bande dessinée. En surfant sur la notoriété d'[A] de façon parfois massive, en tout cas répétée, voire systématique, pour accéder à la sienne, il a commis des actes de parasitisme qui doivent donner lieu à dédommagement.

81. Le jugement sera là encore infirmé en ce qu'il a débouté la société Tintinimaginatio de ce chef.

Sur l'atteinte au droit moral

82. Aux termes de l'article L121-1 du code de la propriété intellectuelle, 'l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.

L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires'.

83. En l'espèce, Mme [X] fait valoir qu'en reproduisant les personnages et les éléments créés par son défunt époux pour les Aventures de Tintin en dehors

de leur univers habituel, M. [L] porte atteinte à l'esprit de l''uvre et la dénature, notamment en imposant des personnages féminins à l'encontre de la volonté expressément exprimée de son vivant par [A], 'cette atteinte (étant) d'autant plus grave lorsque les toiles litigieuses présentent un caractère érotique'. La fondation [A] se joint à elle en cause d'appel pour protéger le droit moral qu'elle est maintenant chargée de préserver.

84. Le travail de M. [L], indépendamment des emprunts condamnables vus plus haut, doit d'abord être reconnu pour sa qualité incontestable. Il a d'ailleurs été particulièrement bien accueilli par le public, autant par les amateurs d'art que par les tintinophiles y compris jusqu'en Belgique, et a même fait la une des 'Cahiers de la BD'. Il ne s'agissait nullement pour M. [L] de provoquer ou d'avilir les personnages de Tintin qui sont mis en scène de façon somme toute conventionnelle, bien qu'agrémentés de clins d'oeil sensuels ne dépassant pas les codes des pin-up des comics américains, conformément à l'hommage qu'il a souhaité rendre à [A] en imaginant un Tintin ayant accédé à un âge adulte.

85. Bien qu'[A] ait refusé que Tintin succède à sa mort, au contraire d'[T] (Astérix) ou de [O] (Lucky Luke) par exemple dont les héros ont survécu au décès de leurs créateurs par l'édition de nouveaux albums composés par d'autres dessinateurs, ou encore qu'il ait délibérément 'ignoré', hormis la caricature de la Castafiore ou la gouvernante Irma, le genre féminin dans ses bandes dessinées, par pudeur ou par respect mais sûrement pas par misogynie, la démarche de M. [L] ne dénature pas l'oeuvre au point que son esprit s'en serait trouvé altéré.

86. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande relative à l'atteinte au droit moral de l'oeuvre d'[A]. Y ajoutant, la cour déboutera de fondation [A] de ce chef de demande.

Sur les mesures de réparation

87. La société Tintinimaginatio demande à la cour d'ordonner à M. [L] de cesser, sous astreinte, les actes de contrefaçon ou leur exploitation et de communiquer, sous astreinte, tous éléments comptables relatifs à la production, la commercialisation et la communication de ses toiles et lithographies, de le condamner à lui payer une provision de 20.000 € à valoir sur les dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique et moral et de le condamner à lui payer la somme de 10.000 € au titre des actes de parasitisme.

88. En outre, la société Tintinimaginatio demande à la cour d'ordonner à M. [L] à justifier, sous astreinte, de la destruction de tous les exemplaires des 'uvres contrefaisantes et à informer, sous astreinte, toutes les personnes à qui il a vendu une toile contrefaisante (ou toute reproduction de celle-ci sur quelque support que ce soit) du caractère contrefaisant de ces objets, de l'interdiction de les exposer, de les diffuser ou de les vendre et d'en justifier.

1 - la cessation de la contrefaçon :

89. M. [L] a continué sa série [A]-[F] malgré le procès en cours puisque certaines toiles datent de 2021 et qu'il ressort d'un procès-verbal de constat d'huissier établi le 13 octobre 2021 par Me [E], huissier de justice à [Localité 11], que ses productions existent toujours sur le site de la galerie '3 cerises sur une étagère'.

90. Il conviendra de mettre fin aux actions de contrefaçon en ordonnant à M. [L] de cesser toute reproduction, représentation, adaptation et plus généralement toute exploitation directe ou indirecte des personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' et notamment (mais non exclusivement) des personnages de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont & Dupond, ou de toute autre 'uvre créée par [A], et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée passé un délai de quinzaine à compter de la signification de l'arrêt, la notion d'infraction étant entendue individuellement pour chacune des toiles ou lithographies commercialisées,

2 - la production des documents :

91. L'article L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que, 'si la demande lui est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime'.

92. Aux termes de l'article L. 331-1-3, 'pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée'.

93. En l'espèce, M. [L] verse aux débats une convention passée le 12 février 2016 avec la galerie '3 cerises sur une étagère' confiant une partie de ses 'uvres à la vente de reproductions retravaillées numériquement par lui-même et proposées en tirage limité à 20 exemplaires et prévoyant une rémunération variable selon le format des reproductions, entre 170 € HT et 280 € HT, ainsi qu'une autre convention prévoyant une rémunération des toiles entre 950 € et 3.500 €.

94. Il produit également ses avis d'imposition des années 2016 (25.382 € de revenus sur 2015), 2017 (38.672 € de revenus sur 2016), 2018 (65.228 € de revenus sur 2017), 2019 (39.390 € de revenus sur 2018), 2020 (78.294 € de revenus sur 2019), 2022 (71.430 € de revenus sur 2021) et 2023 (23.383 € de revenus sur 2022).

95. Afin d'apprécier au mieux les bénéfices réalisés par M. [L], la cour doit disposer de son avis d'imposition 2021 et d'une attestation de la galerie '3 cerises sur une étagère' indiquant la date, le nom et le prix de vente de chacune des oeuvres incriminées, soit en original, soit sous forme de lithographies ou de reproductions quelconques.

96. La production de ces pièces est de nature à permettre à la société Tintinimaginatio de caractériser et d'étayer les préjudices allégués. Il y aura lieu de l'ordonner, sans qu'il y ait besoin d'assortir à ce stade cette obligation d'une astreinte, la cour pouvant en outre tirer toutes conséquences utiles d'une éventuelle abstention de M. [L].

97. L'affaire sera à cette fin renvoyée devant le conseiller de la mise en état.

3 - la provision :

98. Compte tenu du prix moyen de chaque toile et du nombre de toiles incriminées, la cour est en mesure d'allouer à la société Tintinimaginatio une provision de 15.000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

4 - les dommages et intérêts pour parasitisme :

99. Le préjudice lié aux actes de parasitisme, pour lequel la société Tintinimaginatio sollicite le paiement d'une somme de 10.000 €, n'est pas spécialement motivé.

100. Une somme de 5.000 € est suffisante pour compenser le préjudice subi.

5 - la destruction des oeuvres :

101. Sur ce point, M. [L] indique que 'la destruction est une sanction extrême pour un artiste ! Il n'y a pas lieu à détruire (son) travail s'il prend l'engagement de conserver les toiles non vendues, pour son usage personnel. En tout état de cause, il n'existe pas de toile en stock' (page 122 de ses conclusions).

102. En vertu du principe de proportionnalité, la destruction des oeuvres sollicitée par les appelants ne sera pas ordonnée, d'abord parce que la brutalité de cette sanction serait sans commune mesure avec le préjudice subi, ensuite parce que M. [L] a vendu la plupart d'entre elles, si ce n'est la totalité.

103. Par ailleurs, il est parfaitement concevable que les oeuvres restant en stock, bien que contrefaisantes, soient cantonnées à une exposition dans un espace privé.

6 - l'information des acheteurs des oeuvres contrefaisantes :

104. Il n'est pas certain que M. [L] soit en possession des coordonnées de tous ceux qui ont acheté ses oeuvres, que ce soit en original ou en lithographie.

105. Outre le fait que la mesure sollicitée n'est guère réparatoire, elle est susceptible d'entraîner des difficultés d'exécution.

106. Il n'y sera donc pas fait droit.

Sur les dépens

107. Le sort des dépens sera réservé en fin de procédure.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

108. Le sort des frais irrépétibles sera également réservé en fin de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Reçoit la fondation [A] en son intervention volontaire,

Rejette l'exception de procédure soulevée par M. [PG] [L],

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 10 mai 2021, sauf en ce qu'il a débouté [V] [X] épouse [S] de sa demande au titre de l'atteinte au droit moral de l'oeuvre d'[A],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute également la fondation [A] de sa demande formée au titre de l'atteinte au droit moral,

Dit que M. [PG] [L] a reproduit sans autorisation, dans ses toiles 'Hôtel Osborne, chambre 379", 'Psychologie', 'Rencontre sur Great Hills Road', 'Rupture à [Localité 5]', 'Baiser sous le pont de [Localité 12]', 'En motocyclette dans le [Localité 14]', 'Instant de solitude', 'La Triumph de Mademoiselle Ryden', 'Le petit café du matin', 'Nuit d'été', 'Traviata Hôtel', 'Un soir à la fenêtre', 'Voltige rouge', 'Balade amoureuse en Lincoln Zéphir', 'Moulinsart au soleil', 'Psychose sur la voie ferrée', 'Rédaction de nuit', 'Vacances en Buick Roadmaster', 'Visite estivale en Bugatti Torpédo', 'Sexy Suey', 'Taxi pour noctambules', 'Dimanche matin en Cadillac', 'Lune de miel', 'L'affaire Haskell', 'Vague à l'âme', 'Dernière station avant la Lune', 'Sur la banquette du New York express', 'Rencontre en Amérique et Fenêtre sur Rue', 'Nuit américaine', 'Tintin et Christina', 'Le téléphone bleu', 'Matin ensoleillé', 'Tintinatic', 'La chaussure sur un toit brûlant', 'Sur le trottoir', 'La vie en rose', 'Panne à [Localité 8]', 'Désir d'amerrissage' et 'Ballons en terrasse', les personnages originaux de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont & Dupond ainsi que d'autres éléments de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' créés par [K] [D] alias [A],

En conséquence,

Ordonne à M. [PG] [L] de cesser toute reproduction, représentation, adaptation, et plus généralement toute exploitation directe ou indirecte des personnages originaux de l''uvre 'Les Aventures de Tintin' et notamment (mais non exclusivement) des personnages de Tintin, du chien Milou, du capitaine Haddock, de Bianca Castafiore, de Nestor, du professeur Tournesol et des Dupont & Dupond, ou de toute autre 'uvre créée par [A], et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée passé un délai de quinzaine à compter de la signification de l'arrêt, la notion d'infraction étant entendue individuellement pour chacune des toiles ou lithographies commercialisées,

Ordonne à M. [PG] [L] de produire son avis d'imposition 2021 et une attestation de la galerie '3 cerises sur une étagère' indiquant la date, le nom et le prix de vente de chacune des oeuvres incriminées, soit en original, soit sous forme de lithographies ou de reproductions quelconques,

Condamne M. [PG] [L] à payer à la société Tintinimaginatio une provision de 15.000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

Condamne M. [PG] [L] à payer à la société Tintinimaginatio la somme de 5.000 € au titre des actes de parasitisme,

Déboute la société Tintinimaginatio de ses demandes tendant à ordonner la destruction des oeuvres contrefaisantes ou l'information de leurs acheteurs,

Déboute M. [PG] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour dénigrement,

Réserve le sort des dépens et des frais irrépétibles en fin de procédure,

Renvoie la cause et les parties à l'audience de mise en état du mardi 3 décembre 2024 à 9 heures.