CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 11 juin 2024, n° 22/01516
BESANÇON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Animal Service Latina (SA)
Défendeur :
Vétoquinol (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
Mme Willm, M. Saunier
Avocats :
Me Mordefroy, Me Flicoteaux, Me Pauthier, Me Gendreau
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
La SA Animal Services Latina (ASL) est une société de droit chilien qui intervient dans le domaine de la distribution de produits pharmaceutiques vétérinaires au Chili.
La SA Vetoquinol développe, en qualité de laboratoire pharmaceutique, des médicaments et produits non médicamenteux à destination d'animaux de production et de compagnie.
Le 15 avril 2016, ces deux sociétés ont conclu un contrat de distribution exclusif par lequel ASL s'est engagée à promouvoir et distribuer au Chili certains produits de la société Vetoquinol.
Le contrat a été conclu pour une durée expirant le 31 décembre 2020.
Le 24 juillet 2019, la société Vetoquinol a écrit à ASL pour lui signifier que le contrat se trouvait résilié de plein droit depuis le 1er décembre 2018.
Le 29 janvier 2020, ASL a mis en demeure la SA Vetoquinol de lui payer la somme de 157 200 euros en réparation des préjudices subis consécutivement à la rupture du contrat et par acte signifié le 28 juillet 2020, elle l'a assignée devant le tribunal de commerce de Vesoul.
Par jugement rendu le 2 septembre 2022, le tribunal a :
- dit que le contrat conclu entre la société Animal Services Latina SA Lo Espejo 1565, [Localité 2] (Chili) et la société Vetoquinol, Magny Vernois, 70204 Lure a pris fin le 12 août 2019,
- dit que la SA Vetoquinol a fait preuve d'une certaine déloyauté vis à vis de la société Animal Services Latina SA,
En conséquence,
- condamné la SA Vetoquinol à payer à la société Animal Services Latina SA les sommes suivantes :
. 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel,
. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires des parties,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné la SA Vetoquinol à payer à la société Animal Services Latina SA la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Vetoquinol aux entiers dépens, y compris les frais de greffe liquidés.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
Sur la résiliation du contrat de distribution
- que dans un mail du 2 septembre 2016, les parties avaient échangé sur la complétude du dossier pour les autorisations à obtenir des autorités chiliennes,
- que les échanges s'étaient poursuivis durant de longs mois pour chaque produit prévu à la distribution,
- qu'aucun élément n'établissait le manque de réactivité de la société Vetoquinol invoqué par ASL justifiant le décalage des enregistrements,
- que les échanges entre les sociétés démontraient la célérité de la SA Vetoquinol pour aider au maximum à l'enregistrement des produits,
- que rien ne laissait supposer que la société Vetoquinol entendait faire application des dispositions de l'article 3.01 du contrat,
- qu'elle ne pouvait donc soutenir que le contrat avait pris fin de plein droit le 1er décembre 2018,
- que les relations commerciales s'étaient en effet poursuivies sur janvier et avril 2019,
- que la résiliation du contrat au 12 août 2019 était en conséquence retenue ;
Sur le préjudice financier et la demande d'indemnisation de la société Animal Services Latina
- que la société Vetoquinol avait entretenu des relations avec la société Chemie dans le but d'organiser un changement de partenaire commercial,
- qu'elle avait donc fait preuve d'un manquement grave et patent à ses obligations de loyauté et de bonne foi en organisant le remplacement de la société Animal Services Latina,
- que la rupture du contrat avait causé un préjudice commercial et financier,
- que s'agissant de l'indemnisation, la notion de 'fondement similaire' prévue à l'article 10.01 du contrat était vague,
- que le préjudice financier lié à la perte de marge brute escomptée était hypothétique ; qu'il ne pouvait donc être retenu,
- que la demande de remboursement des frais engagés pour l'enregistrement était rejetée dans la mesure où les justificatifs officiels de paiement prévus à l'article 4.03 b) du contrat n'étaient pas produits,
- que le préjudice matériel lié au temps passé devait être fixé à une somme forfaitaire de 15 000 euros,
- que le préjudice d'image était rejeté faute d'être démontré,
- qu'aucun élément n'était rapporté au titre du préjudice pour perte de chance de signer d'autres contrats,
- que la société Vetoquinol ayant mis à profit presque 8 mois pour engager de nouveaux échanges avec d'autres partenaires locaux, elle devait être condamnée à la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat.
- oOo-
Par déclaration du 26 septembre 2022, la SA ASL a relevé appel du jugement en ce qu'il a condamné la SA Vetoquinol à lui payer les sommes de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, a rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires des parties, et ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 19 mars 2024, la société ASL demande à la cour :
- de réformer le jugement du tribunal de commerce de Vesoul du 2 septembre 2022 en ce qu'il a limité les condamnations de la société Vetoquinol à :
. 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel,
. 20 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat,
- de réformer le jugement en ce qu'il a débouté les parties de toute autre demande, fins et conclusions plus amples ou contraire,
Statuant de nouveau,
- de requalifier la rupture du contrat liant les parties en rupture abusive aux torts de la société Vetoquinol,
- de condamner la société Vetoquinol à lui payer les sommes suivantes :
. 300 720 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique lié à la perte
de marge brute escomptée,
. 2 311 euros à titre de remboursement des frais engagés par elle dans le cadre de l'enregistrement des produits de la société Vetoquinol,
. 55 242,79 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel lié au temps passé par ses équipes en pure perte,
. 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de signer d'autres contrats de distributions ou partenariats,
. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'image auprès de ses clients
et des autorités sanitaires,
. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
A titre subsidiaire, sur le quantum de la demande au titre du préjudice financier :
- de désigner tel expert-comptable qu'il plaira à la cour, inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel,
- de dire que l'expert aura pour mission, après avoir entendu les parties et recueilli les pièces qu'il estime nécessaires, de chiffrer le préjudice économique subi par elle (préjudice financier lié à la perte de marge brute escomptée),
En tout état de cause,
- de condamner la société Vetoquinol à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Vetoquinol aux entiers dépens de l'instance et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Lexavoué Besançon pourra recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance.
- oOo-
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 29 mars 2024, la société Vetoquinol demande à la cour :
- de juger la société Animal Services Latina SA mal fondée en son appel principal,
- de l'accueillir fondée en son appel incident,
En conséquence,
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Vesoul du 2 septembre 2022 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- de juger qu'elle a exécuté loyalement ses obligations dans le cadre du contrat entré en vigueur le 15 avril 2016,
- de juger que le contrat conclu entre la société Animal Services Latina SA et elle a pris fin le 1er décembre 2018,
En conséquence,
- de débouter la société Animal Services Latina SA de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
A titre subsidiaire :
- de juger que le contrat conclu entre la société Animal Services Latina SA et elle a pris fin le 12 août 2019 par le consentement mutuel des parties,
- de juger que la société Animal Services Latina SA ne justifie pas du montant des frais engagés dans le cadre de l'enregistrement de ses produits,
En conséquence,
- de débouter la société Animal Services Latina SA de l'ensemble des demandes indemnitaires,
A titre infiniment subsidiaire :
Si, par extraordinaire, la cour devait reconnaître sa responsabilité, réduire les condamnations indemnitaires et autres sanctions à de plus justes proportions,
- de déclarer irrecevable et en tout état de cause inutile la demande d'expertise présentée pour la première fois en cause d'appel dans les conclusions récapitulatives de la société Animal Services Latina SA,
En toutes hypothèses :
- de condamner la société Animal Services Latina SA à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Animal Services Latina SA aux entiers dépens de la première instance dont distraction au profit de Maître Antoine Gendreau, avocat au barreau de Paris, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
- oOo-
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 9 avril 2024.
Elle a été mise en délibéré au 11 juin 2024.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
I. Sur la rupture du contrat
La société ASL fait valoir que la rupture des relations commerciales est intervenue unilatéralement par courrier du 12 août 2019, sans préavis et sans qu'il puisse être justifié d'un manquement de sa part. Elle conteste la résiliation du contrat au 1er décembre 2018, indique que l'absence d'enregistrement des produits à cette date a pour origine la propre carence de la société Vetoquinol, soutient que rien dans le comportement de celle-ci ne laissait présager la rupture, et ajoute que la société Vetoquinol a renoncé à se prévaloir de la clause de résiliation en poursuivant les relations au-delà du 1er décembre 2018.
La société Vetoquinol fait valoir que le contrat a expiré de plein droit le 1er décembre 2018 en raison de l'accomplissement de la condition résolutoire. Elle explique qu'aucun produit ne s'est trouvé enregistré à cette date, soutient que le défaut d'obtention des autorisations a été le fait de la société ASL qui a mis du temps à déposer les dossiers, indique qu'elle n'a pas renoncé à la condition résolutoire après le 1er décembre 2018 et que son courrier du 24 juillet 2019 n'a eu que pour objectif de régler les conséquences de la cessation du contrat.
Réponse de la cour :
Sur la date de la rupture
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable aux faits : 'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.'
Par ailleurs, toute renonciation à un droit est appréciée restrictivement et doit être claire et non équivoque.
Elle peut être tacite mais doit impérativement relever d'actes non équivoques démontrant la volonté manifeste de son auteur de renoncer à ce droit.
En l'espèce, le contrat de distribution mentionne en son article 10.01 : 'Le présent contrat de Distribution est conclu à compter de sa Date d'Effet jusqu'au 31 décembre 2020 sous réserve de sa résiliation de plein droit conformément à l'Article 3.01.'
L'article 3.01 prévoit : 'Il est précisé de manière explicite que le premier Enregistrement d'un des Produits devra intervenir au plus tard au 1er décembre 2018. A défaut d'Enregistrement d'un des Produits au plus tard à cette date, le Contrat de Distribution prendra fin de plein droit.'
Si, dans sa lettre du 24 juillet 2019, la société Vetoquinol a indiqué à ASL que l'accord se trouvait automatiquement résilié depuis le 2 décembre 2018 en raison de l'absence d'enregistrement d'un produit à cette date, et il est constaté que les relations entre les parties se sont néanmoins régulièrement poursuivies après cette date.
En effet :
- le 6 décembre 2018, la société Vetoquinol a transmis sa liste des prix 2019 à ASL (pièce ASL N°2.6),
- les 6, 7 et 12 décembre 2018, les parties ont organisé un rendez-vous au Chili au sein d'ASL pour le mois de janvier 2019 à la demande de la société Vetoquinol (pièces ASL N°2.6 et 2.7),
- le 30 janvier 2019 :
. la SA Vetoquinol a confirmé à ASL qu'elle visiterait son usine en Argentine, et elle lui a indiqué qu'elle était intéressée par un projet de vente d'un laboratoire de vaccins (pièce ASL N°2.8),
. ASL a transmis à la société Vetoquinol la copie de la présentation qui lui avait été faite la veille sur le marché 'véto chilien' (pièce ASL N°2.8),
- par attestation du 13 février 2019, la SA Vetoquinol a certifié avoir nommé ASL comme son représentant au Chili et a autorisé celle-ci à agir en son nom pour l'enregistrement et le renouvellement des produits auprès des autorités compétentes au Chili (pièce ASL N°2.9),
- le 15 mars 2019, ASL a commandé le produit Cothivet auprès de Vetoquinol (pièce ASL N°1.14),
- le 3 avril 2019, ASL a informé Vetoquinol de l'enregistrement des produits Clavaseptin 50, 250 et 500, cette dernière ayant accueilli l'annonce très favorablement (pièces ASL N°2.4 et 2.5),
- le 14 juin 2019, ASL a échangé avec Vetoquinol au sujet d'éléments encore attendus de sa part (pièce ASL N°2.10),
- le 26 août 2019, le chargé d'affaires réglementaires internationales de la société Vetoquinol a indiqué à ASL, qu'il venait de questionner sur l'éventualité d'éléments à transmettre à la suite de l'approbation des autorités concernant son site de fabrication pour la production d'hormones et de beta-lactamines, qu'il n'était pas informé de la résiliation du contrat (pièce ASL N°1.15),
- les 4 et 14 novembre 2019, la société Vetoquinol a transmis à ASL un protocole d'accord de résiliation du contrat de distribution mentionnant que le contrat prenait fin rétroactivement le 12 août 2019, conformément à la volonté de la société ASL exprimée par lettre du 19 août 2019.
Il ressort de ces éléments que la société Vetoquinol a laissé le contrat de distribution suivre son cours au-delà du 1er décembre 2018.
Ainsi, par ses actes positifs de poursuite du contrat jusqu'au 12 août 2019, elle a manifestement renoncé à se prévaloir de la résiliation acquise au 1er décembre 2018.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que le contrat conclu entre la société Animal Services Latina et la société Vetoquinol a pris fin le 12 août 2019.
Sur le caractère abusif de la rupture
L'article 10.01 du contrat de distribution est ainsi rédigé :
'Le présent Contrat de Distribution est conclu à compter de sa Date d'Effet jusqu'au 31 décembre 2020 sous réserve de sa résiliation de plein droit conformément à l'Article 3.01. A compter de l'expiration de la durée initiale ou de tout autre terme ultérieur, le Contrat de Distribution sera renouvelé de plein droit pour 1 (un) an supplémentaire sauf si une des Parties notifie l'autre de sa résiliation moyennant un préavis écrit de six (6) mois (...)'
L'article 10.02 prévoit que :
'Le présent Contrat de Distribution peut être résilié par chacune des parties moyennant un préavis de trois mois par courrier express (DHL ou équivalent) si l'autre Partie manque à ses obligations contractuelle et n'y remédie pas sous vingt (20) jours ouvrés.
Cependant, en cas (i) de manquement grave (notamment tel qu'un manquement à l'Article 2 ou à l'Article 8), (ii) de répétition de manquements légers ou (iii) d'un manquement auquel il ne peut être remédié, la décision de résilier le contrat pourrait être prise sans avertissement (...).
Chaque partie disposera du droit de résilier le présent Contrat immédiatement par notification écrite remise à l'autre partie par courrier express (DHL ou équivalent) si l'autre Partie réalise une cession ou conclut un accord au bénéfice de ses créanciers, fait l'objet de procédure d'insolvabilité, de redressement ou de faillite ou est dissoute ou est en voie de dissolution.
Chaque Partie disposera du droit de résilier le présent Contrat de Distribution conformément aux conditions indiquées à l'Article 12 ci-dessous.
VETOQUINOL disposera du droit de résilier le présent Contrat de Distribution selon les conditions indiquées aux Articles 3.01 et 5.01 des présentes.
VETOQUINOL disposera du droit de résilier le présent Contrat par notification écrite à l'autre partie par courrier express (DHL ou équivalent) en cas de modification de l'actionnariat du DISTRIBUTEUR aboutissant à un changement de contrôle (...)'.
L'article 3.01 du contrat ajoute notamment :
'Si au cours d'une Année, le DISTRIBUTEUR n'atteint pas les exigences d'achat minimum annuelles pour les Produits de VETOQUINOL tel qu'indiqué en Annexe 2, VETOQUINOL aura la faculté, sans préjudice des autres droits ou recours à sa disposition et sans responsabilité de ce fait, de résilier le présent Contrat de Distribution par notification écrite envoyée trente (30) jours avant par courrier express (DHL ou équivalent) au DISTRIBUTEUR.'
L'article 5.01 du contrat stipule :
'Nonobstant ce qui précède, VETOQUINOL pourra, pendant la durée du présent Contrat de Distribution, solliciter une renégociation des prix dans le cas où ses coûts de production ou de transport viendraient à augmenter. Si les parties n'arrivent pas à convenir de nouveaux prix dans le (1) mois suivant leur première réunion sur le sujet, VETOQUINOL disposera du droit de résilier le présent Contrat de Distribution sans encourir de responsabilité de ce fait et avec effet immédiat (...).'
L'article 12 du contrat mentionne notamment que 'La Partie concernée par le cas de force majeure enverra une notification aux autres Parties dans les quinze (15) jours suivant la survenance des circonstances constitutives de force majeure afin de les en informer. L'exécution du présent Contrat sera alors suspendue aussi longtemps qu'un tel événement s'opposera à l'exécution du présent Contrat par la Partie subissant la force majeure. Nonobstant ce qui précède, si une telle suspension du contrat perdure au-delà de trois (3) mois, chaque partie pourra résilier le présent Contrat sans encourir de responsabilité de ce fait par notification écrite à cet effet à l'autre Partie.'
Il a été jugé supra que la société Vetoquinol a renoncé à se prévaloir de la résiliation du contrat acquise au 1er décembre 2018 telle que prévue par l'article 3.01 du contrat de distribution.
Il est constaté que la résiliation qui a été notifiée par courrier du 24 juillet 2019 ne vise aucun des cas ou manquements contractuels prévus aux articles 10.01, 10.02, 3.01, 5.01 et 12 précités, ni même les manquements graves énumérés aux articles 2 et 8 relatifs respectivement à la nommination du distributeur et à l'obligation de confidentialité qui auraient permis à la SA Vetoquinol de rompre le contrat 'sans avertissement', étant en outre observé que dans l'accord de résiliation qui a été soumis à l'approbation d'ASL les 4 et 14 novembre 2019, la société Vetoquinol n'a fait état d'aucun autre motif, pour justifier de la résiliation, que l'absence d'enregistrement d'un produit au Chili dans le délai expirant le 1er décembre 2018.
Il se déduit de ces éléments que la résiliation du contrat de distribution par la société Vetoquinol selon courrier du 24 juillet 2019 est intervenue de manière fautive, et il ne peut être sérieusement argué que c'est en toute connaissance de cause qu'ASL a accepté que le contrat prenne fin sous réserve du seul remboursement de ses frais engagés dès lors qu'elle a notifié à Vetoquinol, le 19 août 2019, son refus d'une résiliation rétroactive, qu'elle lui a fait part, le 25 novembre 2019, de la difficulté de trouver un accord amiable au regard des propositions indemnitaires qui lui étaient présentées, et que par courrier de son conseil du 29 janvier 2020, elle lui a indiqué n'avoir pas d'autre choix que de prendre acte de la rupture en raison de son comportement fautif (pièce ASL 1.6).
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que la société Vetoquinol a fait preuve de déloyauté vis à vis de la société ASL.
II. Sur les préjudices
Selon l'article 1231-2 du code civil (anciennement 1147 du code civil), dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2016, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
Sur le préjudice économique lié à la perte de marge brute escomptée
La société ASL soutient qu'elle a été privée du chiffre d'affaires et de la marge correspondante sur la période contractuellement fixée. Elle rappelle que le contrat avait été conclu pour une durée déterminée expirant le 31 décembre 2020, qu'il prévoyait l'obligation pour elle de se soumettre à un quota minimal d'achat annuel, et elle renvoie à une attestation comptable pour justifier du chiffrage de la marge minimale qu'elle indique avoir perdue.
La société Vetoquinol fait valoir le caractère incertain du préjudice. Elle explique que les avantages espérés des produits sont hypothétiques dans la mesure où les minima ne pouvaient devenir applicables qu'à compter de l'enregistrement, et s'oppose à la prise en compte des produits Cothivet et Alluspray au motif que leur distribution n'était pas prévue contractuellement.
Réponse de la cour :
L'article 3.01 du contrat intitulé 'Obligation d'achat minimum' dispose : 'A compter de la date de l'obtention du premier Enregistrement d'un des Produits des autorités sanitaires compétentes, le DISTRIBUTEUR s'engage à acheter un volume de Produits pour un montant minimum tel que précisé en Annexe 2 (le 'Minimum d'Achat requis') par An conformément à la procédure décrite ci-dessous. S'agissant de l'Année au cours de laquelle est obteni l'Enregistrement d'un Produit, le Minimum d'Achat Requis pour ce Produit sera calculé au pro rata à compter de la date à laquelle l'Enregistrement est obtenu'.
Selon l'article 5.01 : 'Les prix d'achat (à l'exclusion des frais de transport) sont établis à partir de la liste de prix communiquée par VETOQUINOL au DISTRIBUTEUR établie en Annexe 3' et l'article 5.03 précise qu'en 'sa qualité de commerçant indépendant, le DISTRIBUTEUR est libre de fixer le prix de revente des Produits'.
L'annexe 1 du contrat énumère les produits Cimalgex, Clavaseptin et Marbocyl, l'annexe 2 est relative au minimum des achats requis sur les 3 années du contrats pour la distribution de ces produits, et l'annexe 3 se rapporte à leur prix.
Il est rappelé que le contrat a été conclu pour une durée expirant le 31 décembre 2020 et que la résiliation est intervenue de manière fautive par la société Vetoquinol le 12 août 2019.
Si la société ASL renvoie à une attestation de son comptable pour témoigner de la marge brute réalisée sur la revente du produit Alluspray au cours de l'année 2018 qu'elle fixe à 39,62 % (pièce ASL N°1.21), il est constaté, ainsi que le souligne la société Vetoquinol, que ce produit ne figure pas dans la liste de ceux énumérés à l'annexe 2 du contrat et qui sont donc seuls concernés par l'accord de distribution exclusive.
Il en est de même du produit Cothivet qu'ASL met en compte au titre d'une commande qu'elle a passée en mars 2019 et qui a été annulée (pièce ASL N°1.14).
S'agissant du produit Clavaseptin, si ASL fait valoir que son enregistrement au 1er décembre 2018 n'a pas pu être effectué en raison de la carence de la société Vetoquinol, elle ne le justifie par aucune pièce.
La société Vetoquinol écrit en revanche dans ses conclusions que l'enregistrement des produits Clavaseptin 50, 250 et 500 a été obtenu le 21 mars 2019, ce que confirme ASL dans son courriel du 3 avril 2019 (pièces N°2.4 et 2.5, ).
La rupture qui est alors intervenue avant le terme fait perdre à ASL la marge qu'elle pouvait escompter tirer de ses relations avec sa cocontractante en distribuant ce produit jusqu'au 31 décembre 2020.
Sur ce point, l'annexe 2 du contrat fixe un minimum d'achat de 36 000 produits Clavaseptin pour la première année, et l'article 3.01 précise que pour l'année au cours de laquelle l'enregistrement d'un produit est obtenu, le minimum d'achat requis se calcule au prorata à compter de la date de l'enregistrement.
Les parties s'accordant pour que le prix d'achat soit augmenté des frais d'importation à hauteur de 1,2 % et pour appliquer un taux de marge de 40 % :
- la perte de marge de 40 % pour la première année subie par ASL, calculée sur le montant minimum d'achats de 28 208,21 euros (36 000 euros / 365 jours x 286 jours (nombre de jours restant à courir du 21 mars 2019 au 31 décembre 2019) augmenté des frais d'imports de 1,2 %, s'élève en conséquence à 13 539,94 euros ;
- la perte de marge de 40 % pour la seconde année subie par ASL, calculée sur le montant minimum d'achats de 54 000 euros augmenté des frais d'import de 1,2 %, s'élève à 25 920 euros.
Concernant le produit Cimalgex, si la société ASL justifie du dépôt de la demande d'enregistrement et de son traitement par les autorités sanitaires Chiliennes le 11 mai 2017, elle ne démontre pas qu'il a été enregistré et qu'au 26 août 2019, elle n'avait pas reçu de la société Vetoquinol, comme elle l'affirme, les informations nécessaires pour ce faire.
En effet, la pièce N°1.15 à laquelle elle renvoie, qui est un échange de mails du 26 août 2019 entre les parties, ne fait référence à aucun produit visé par le contrat et ne donne aucune indication sur la nature des réponses mentionnées comme se trouvant en attente.
Quant au produit Marbocyl P, il n'est versé aucune pièce s'y rapportant.
Il se déduit de ces éléments que le préjudice qui résulte de la rupture fautive du contrat et qui correspond à la marge brute que la société ASL pouvait escompter tirer de la distribution du produit Clavaseptin jusqu'à la date d'expiration fixée au 31 décembre 2020 s'élève à la somme de 39 459,94 euros.
Le jugement entrepris sera dès lors infirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée sur ce point.
La société Vetoquinol sera condamnée à payer à la société ASL la somme de 39 459,94 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique lié à la perte de marge brute escomptée, et la demande d'expertise destinée à chiffrer le préjudice sera rejetée.
Sur les frais engagés
La société ASL met en compte des frais exposés auprès des autorités chiliennes qu'elle mentionne avoir engagés dans le seul intérêt de la société Vetoquinol.
La société Vetoquinol conclut au rejet de la demande en renvoyant à l'article 4.03. b du contrat et en faisant valoir que le préjudice invoqué n'est pas justifié.
Réponse de la cour :
Il est constaté que la pièce N°1.12 à laquelle ASL renvoie pour établir sa créance de frais est un énoncé de démarches et de coûts qui ne sont corroborés par aucun élément.
La créance de la société ASL n'est donc pas démontrée et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée de ce chef.
Sur le préjudice matériel lié au temps passé par les équipes
ASL indique que ses équipes ont été mobilisées en pure perte pour implanter et développer l'activité de la société Vetoquinol au Chili. Elle demande que les frais afférents au temps passé soient en conséquence pris en charge et renvoie, pour en justifier, à des attestations de ses salariés.
La société Vetoquinol s'oppose à la demande en relevant que les calculs présentés ne sont corroborés par aucun document. Elle conteste en outre la teneur des témoignages produits.
Réponse de la cour :
Le temps qui a été consacré par les salariés et équipes de la société ASL étant lié à l'existence du contrat de distribution qui a pris fin au jour de sa résiliation, le préjudice matériel mis en compte par cette société lié au temps passé sur les produits Vetoquinol n'a donc pas de réalité.
Le jugement entrepris sera dès lors infirmé en ce qu'il a attribué une somme de 15 000 euros de ce chef.
Sur la perte de chance
La société ASL sollicite une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de signer d'autres contrats de distributions ou partenariats, indiquant qu'elle a été contrainte de décliner des propositions.
La société Vetoquinol relève qu'aucun élément n'est apporté par la société ASL pour démontrer l'existence d'offres et le préjudice invoqué. Elle ajoute que la demande ne saurait prospérer compte tenu des dispositions de l'article 10.01. du contrat.
Réponse de la cour :
Il est constaté que la pièce 1.20 à laquelle la société ASL se réfère pour justifier des propositions qu'elle aurait été amenée à décliner avec d'autres partenaires est une page intitulée 'Business Meeting 01 d'octobre 2018" qui paraît avoir été adressée en pièce jointe à la société Vetoquinol à la suite d'une réunion qui s'est tenue en Argentine.
Aucun élément ne corrobore donc les affirmations de la société ASL au titre de la perte de chance de signer d'autres contrats de distribution, étant observé que rien ne l'a empêché de le faire dès le 13 août 2019.
La demande formée de ce chef sera en conséquence rejetée et le jugement entreprise confirmé sur ce point.
Sur le préjudice d'image
La société ASL sollicite une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'image auprès de ses clients et des autorités sanitaires à qui elle a dû annoncer la perte de son contrat de distribution.
La société Vetoquinol s'oppose à la demande en indiquant que le courrier qui a été adressé par la société ASL aux autorités n'évoque ni les circonstances, ni la résolution du contrat. Elle ajoute que la demande ne saurait prospérer compte tenu des dispositions de l'article 10.01. du contrat.
Réponse de la cour :
Aucune pièce justifiant du préjudice invoqué n'étant produite, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.
Sur l'exécution déloyale du contrat
La société ASL reproche à la société Vetoquinol d'avoir adopté un comportement déloyal en la laissant croire à la poursuite de leur relation contractuelle tout en organisant son remplacement. Elle renvoie notamment au témoignage de l'ancien directeur général de la société Chemie qui était sa concurrente.
La société Vetoquinol s'oppose à la demande en soutenant que la société ASL ne démontre pas qu'elle est entrée en relation commerciale avec un laboratoire concurrent dès janvier 2019.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article 1104 du code civil : 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.'
Il est constaté :
- que deux personnes de la société Vetoquinol ont été reçues dans les bureaux de la société Chemie à [Localité 2] en janvier 2019 (pièce ASL N°1.5),
- que le 12 juin 2019 la société Vetoquinol et le responsable technique et affaires étrangères de la société Chemie ont échangé sur des produits 'antibiotiques et cox 2 sélectif' (pièce ASL N°5.2),
- que le 11 juillet 2019, l'assistante commerciale Amérique Latine et Moyen Orient de la société Vetoquinol s'est présentée à la société Chemie comme étant son contact pour les commandes, les prévisions et le suivi des activités, et elle lui a transmis les quantités de produits Clavaseptin à commander au titre de la première commande (pièce ASL N°5.3),
- que le 24 juillet 2019, la société Vetoquinol a échangé avec la société Chemie au sujet de quantités de produits Clavaseptin 250, 500 et 50 (pièce ASL N°5.4).
Il ressort de ces éléments que des opérations commerciales portant sur des commandes de produits Clavaseptin ont été en cours entre la société Vetoquinol et la société Chemie pendant le temps de la relation contractuelle avec ASL, et ce alors que rien ne laisssait penser que le contrat ne se poursuivrait pas.
La société Vetoquinol a donc commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard d'ASL et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Vétoquinol à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat.
III. Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement entrepris sera confirmé sur les dépens et sur les frais irrépétibles.
La société Vetoquinol sera condamnée aux dépens d'appel avec droit pour Lexavoué Besançon de recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance.
La société Vetoquinol sera condamnée à payer à ASL la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et elle sera déboutée de sa demande formée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Vesoul le 2 septembre 2022 en ce qu'il a :
- rejeté la demande de la SA Animal Services Latina au titre du préjudice lié à la perte de marge brute escomptée,
- attribué la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel lié au temps passé ;
LE CONFIRME pour le surplus ;
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT
CONDAMNE la SA Vetoquinol à payer à la SA Animal Services Latina la somme de 39 459,94 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique lié à la perte de marge brute escomptée ;
REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par la SA Animal Services Latina pour préjudice matériel lié au temps passé ;
DEBOUTE la SA Animal Services Latina de sa demande d'expertise ;
CONDAMNE la SA Vetoquinol aux dépens d'appel avec droit pour Lexavoué Besançon de recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance ;
CONDAMNE la SA Vetoquinol à payer à ASL la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SA Vetoquinol de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.