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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-1, 11 juin 2024, n° 22/04323

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nassim (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Manes

Conseillers :

Mme Cariou, Mme Du Crest

Avocats :

Me Revers, Me Rubinsohn, Me Tourret, Me Planche, Me Nivollet

TJ Pontoise, du 3 juin 2022, n° 19/00161

3 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La SCI Nassim a été créée le 28 février 2002 entre M. [V] [J], M. [G] [J] et M. [B], chacun ayant souscrit 1/3 des 150 parts de la société dont la valeur nominale était de 102 euros.

L'objet de la SCI était principalement l'acquisition de biens immobiliers ainsi que la gestion et l'administration desdits biens. A cette fin, la SCI Nassim a souscrit un crédit-bail avec option d'achat d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 7].

Par acte sous seing privé daté du 22 mars 2007, M. [B] a cédé ses parts à M. [V] [J] qui est donc devenu majoritaire dans le capital de la SCI.

Par sous seing privé du 10 avril 2013, M. [V] [J] a cédé ses parts de la SCI à ses enfants [A], [S], [N] et [E].

Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2018, il a été décidé de procéder à une augmentation du capital social par la création de 3154 parts nouvelles d'une valeur nominale de 102 euros.

Par acte d'huissier de justice du 31 décembre 2018, M. [G] [J] a fait assigner la SCI Nassim et [A], [S], [N] et [E] [J] aux fins d'obtenir l'annulation de cette assemblée générale et la condamnation des défendeurs à des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Par un jugement rendu le 3 juin 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

- Rejeté les fins de non-recevoir ;

- Annulé l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2018 ;

- Débouté M. [G] [J] de sa demande de dommages et intérêts ;

- Débouté la SCI Nassim et [A], [S], [N] et [E] [J] de leurs demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- Rejeté toute autre et plus ample demande ;

- Condamné in solidum la SCI Nassim et [A], [S], [N] et [E] [J] aux dépens dont distraction au profit de Me [K] ;

- Condamné in solidum la SCI Nassim et [A], [S], [N] et [E] [J] à payer à M. [G] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

La SCI Nassim, MM. [N] [J], M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J] ont interjeté appel de ce jugement le 1er juillet 2022 à l'encontre de M. [G] [J].

Par d'uniques conclusions notifiées le 3 octobre 2022, les appelants demandent à la cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les articles 9 et 122 du code de procédure civile,

Vu les articles 1240 et 1844-10 alinéa 3 du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- Infirmer le jugement sur la recevabilité des demandes de M. [G] [J] ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2018 ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande de condamnation de M. [G] [J] au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné les appelants au paiement in solidum des dépens et d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [G] [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral qu'il allègue.

Statuant de nouveau :

- Dire que M. [G] [J] ne justifie pas de sa qualité d'associé de la SCI Nassim,

- Dire que M. [G] [J] ne justifie pas d'avoir tenté une résolution amiable du conflit avant la saisine du tribunal de céans,

En conséquence :

- Juger recevables les fins de non-recevoir de l'assignation de M. [G] [J] soulevées par les appelants,

- Condamner M. [G] [J] à payer à la SCI Nassim la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Condamner M. [G] [J] à payer à Mme [E] [J] épouse [P] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Condamner M. [G] [J] à payer à Mme [S] [J] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Condamner M. [G] [J] à payer à M. [N] [J] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Condamner M. [G] [J] à payer à M. [A] [J] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

En tout état de cause :

- Débouter M. [G] [J] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner M. [G] [J] à payer à la SCI Nassim la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [G] [J] à payer à Mme [E] [J] épouse [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [G] [J] à payer à Mme [S] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [G] [J] à payer à M. [N] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [G] [J] à payer à M. [A] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [G] [J] en tous les dépens de la présente instance,

- Ordonner l'exécution provisoire totale de la décision à intervenir.

Par d'uniques conclusions notifiées le 2 décembre 2022, M. [G] [J] demande à la cour de :

Vu les articles 9 et 122 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il justifiait de sa qualité d'associé au travers de statuts de la SCI Nassim ainsi que des différents documents sociaux postérieurs à sa constitution,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le défaut de tentative préalable de résolution du litige ne constitue pas une fin de non-recevoir,

A cet égard,

- Dire qu'il produit aux débats divers documents de nature à justifier qu'il ne soit pas recouru à une tentative de résolution amiable du litige,

- Débouter en conséquence les appelants de leurs fins de non-recevoir.

Au fond :

Vu les articles 1844-10 alinéa 3, 1104, 1833 du code civil,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'augmentation de capital décidée aux termes de l'assemblée générale du 2 octobre 2018 de la SCI Nassim a été réalisée dans des conditions de nature à lui nuire et à accorder un avantage indu aux autres associés,

- Dire notamment qu'en créant des parts nouvelles au nominal d'origine sans prime d'émission ou droit préférentiel de souscription sans tenir compte de la valeur actuelle des actifs et du passif de la société, il a été créé une distorsion particulièrement importante dans les droits des associés au détriment de celui qui n'a pu répondre à l'augmentation et au profit exclusif des associés défendeurs,

- Dire qu'une telle distorsion apparaît n'avoir d'autre justification que la marginalisation recherchée de M. [G] [J] au sein de la société,

- Annuler en conséquence dans son ensemble l'assemblée générale du 2 octobre 2018,

- Condamner M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J], M. [N] [J] in solidum à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice moral par lui subi du fait agissements irréguliers des associés et de la société,

- Infirmer en conséquence sur ce point le jugement du 2 juin 2022,

- Confirmer le jugement sur les dispositions relatives aux dépens et à l'article 700,

- Condamner in solidum les appelants à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Débouter les appelants de leur demande d'article 700 du code de procédure civile et de leur demande de dommages et intérêts,

- Condamner les appelants in solidum aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés par Me Emilie Planche, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 mars 2024.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.

Sur la qualité d'associé de M. [G] [J]

Le tribunal a considéré que les statuts de la SCI indiquant explicitement que les parts de la SCI avaient été intégralement libérées, la preuve de la qualité d'associé de M. [G] [J] était rapportée.

Moyens des parties

Les appelants, poursuivant l'infirmation du jugement les appelants soutiennent de nouveau que M. [G] [J] ne justifie pas de sa qualité d'associé de la SCI Nassim et que par conséquent son action est irrecevable.

M. [G] [J] reprend à son compte la motivation du jugement et souligne que depuis la création de la SCI, il a été convoqué et il a participé aux assemblées, ce qui démontre sa qualité d'associé.

Appréciation de la cour

C'est par des motifs exacts, adoptés par la cour, que le tribunal a estimé que la preuve de la qualité d'associé de M. [G] [J] était suffisamment établie.

Les appelants reprennent devant la cour les mêmes arguments qu'en première instance, sans répondre à la motivation exacte retenue par le tribunal relative aux mentions portées dans les statuts et sans présenter le moindre élément nouveau de nature à remettre en cause la juste appréciation du tribunal.

Il sera ajouté qu'il est surprenant de soutenir que M. [G] [J] ne serait pas associé de la SCI alors que des courriers lui ont été adressés en cette qualité, par exemple la lettre du 12 mai 2017 par laquelle la SCI lui demandait de verser une somme de plus de 47 000 euros correspondant à sa quote part de frais dans la société.

Le jugement sera par conséquent confirmé sur ce point.

Sur l'absence de tentative de règlement amiable du litige

Le tribunal a jugé que l'absence de tentative de conciliation préalable à l'engagement de la procédure ne constituait pas une fin de non recevoir.

Les appelants maintiennent devant la cour que l'absence de justification de diligence par M. [G] [J] constitue une fin de non recevoir conformément à l'article 122 du code de procédure civile. Ils soulignent que le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 impose la recherche d'une solution amiable avant l'engagement de toute procédure judiciaire et que M. [J] ne justifie d'aucune démarche en ce sens.

M. [G] [J] maintient qu'aucune solution amiable ne pouvait être envisagée et qu'en tout état de cause que les dispositions invoquées par les appelants ne sont pas exigées à peine d'irrecevabilité mais autorisent la juridiction saisie à ordonner une mesure de conciliation, qui selon lui n'était pas réalisable en l'espèce.

Appréciation de la cour

Le décret du 11 mars 2015 a modifié un certain nombre d'articles du code de procédure civile, notamment les articles 56, 58 et 127, dans le but de favoriser un règlement amiable des litiges.

Les appelants ne précisent pas laquelle de ces dispositions, à la date d'introduction de l'instance (31 décembre 2018), imposait au justiciable, préalablement à la saisine du tribunal de grande instance, de tenter de résoudre à l'amiable le litige qui l'oppose à son adversaire, et ce à peine d'irrecevabilité de sa demande.

L'article de doctrine fourni par les appelants souligne du reste qu'en l'absence d'une telle tentative, le juge pourra simplement désigner un médiateur ou un conciliateur.

L'absence de tentative de conciliation préalable à l'assignation devant le tribunal de grande instance, aujourd'hui tribunal judiciaire, à la date du 31 octobre 2018, ne peut donc pas être sanctionnée par l'irrecevabilité de l'action.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré M. [G] [J] recevable en ses demandes.

Sur l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire

Le tribunal a prononcé l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2018 en retenant que la création de 3 154 parts sociales au montant nominal était uniquement destinée à nuire à M. [G] [J] et à diluer sa participation dans le capital social.

Moyens des parties

Les appelants soutiennent que les conditions d'un abus de majorité ne sont pas remplies, que M. [G] [J] a été convié comme les autres associés à participer à l'augmentation de capital, que l'augmentation de capital était nécessaire à la survie de la société dont les capitaux propres étaient négatifs et que l'augmentation de capital au nominal sans prime d'émission n'est pas suffisante pour caractériser une rupture d'égalité.

M. [G] [J] soutient qu'en émettant des parts sociales à leur valeur nominale, alors que les parts anciennes pouvaient a minima être évaluées à 13 855 euros, les appelants ont volontairement cherché à rompre l'égalité entre associés et cherché à marginaliser sa participation dans la société. Il fait valoir qu'il existait d'autres moyens de renflouer les fonds propres et que l'augmentation de capital n'était pas indispensable.

Appréciation de la cour

En application de l'article 1844-10, alinéa 3 du code civil, ' La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général '.

Une délibération peut notamment être annulée en cas d'abus de majorité caractérisé par une décision contraire à l'intérêt social et prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment de l'associé (ou des associés) minoritaire(s).

En l'espèce, il est constant qu'il était nécessaire de procéder à une recapitalisation de la SCI dont les fonds propres étaient devenus négatifs.

Même si, comme le fait valoir M. [G] [J], d'autres solutions étaient envisageables, la décision d'augmenter le capital par émission de nouvelles parts n'est pas a priori en soi contraire à l'intérêt social.

Néanmoins, ainsi que l'a exactement estimé le tribunal, cette augmentation de capital a été réalisée en fraude des droits de M. [G] [J].

En effet, les nouvelles parts sociales ont été émises à leur valeur nominale, sans prime d'émission et donc sans tenir compte de la valeur réelle des parts anciennes, alors que l'acquisition de l'immeuble, jusqu'ici loué en crédit bail, pour un euro symbolique avait pour conséquence d'augmenter significativement la valeur réelle de celles-ci, même en tenant compte comme le font valoir les appelants, d'une décote liée au fait qu'il s'agit de parts d'une SCI dont les statuts contiennent une clause d'agrément, ce qui en réduit la valeur ' marchande '.

L'émission de parts sociales à une valeur nominale ne reflétant pas leur valeur réelle a pour effet de favoriser les associés qui participent à l'augmentation de capital au détriment de ceux qui n'y participent pas.

A cet égard, les appelants savaient pertinemment que M. [G] [J] ne pouvait pas, en raison de sa situation financière, participer à l'augmentation de capital.

En faisant le choix d'une augmentation de capital par émission de 3 154 parts sociales à leur valeur nominale, plutôt que par émission d'un nombre plus réduit de parts assorties d'un droit préfentiel de souscription, les associés majoritaires ont volontairement provoqué une rupture d'égalité au détriment de M. [G] [J].

Le caractère frauduleux de cette augmentation de capital, en application du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, justifie de prononcer la nullité de la délibération litigieuse. (Cass. com., 30 sept. 2020, n° 18-22.076, P+B : JurisData n° 2020-015324).

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2018.

Sur la demande au titre d'un préjudice moral

Pas plus qu'en première instance, M. [G] [J] ne démontre la réalité du préjudice moral qu'il allègue tout en formant une demande de dommages et intérêts conséquente.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de l'intimé à ce titre.

Sur les demandes au titre de la procédure abusive

Celui qui obtient, même partiellement, gain de cause ne peut être condamné sur le fondement d'une procédure abusive.

Dès lors, confirmant l'annulation de l'assemblée générale du 2 octobre 2018, la cour confirmera également le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par les appelants.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La SCI Nassim, MM. [N] [J], M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J] seront condamnés in solidum aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils seront également condamnés au paiement d'une somme de 4 000 euros à M. [G] [J] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboutés de leur demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris,

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la SCI Nassim, M. [N] [J], M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la SCI Nassim, M. [N] [J], M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J] au paiement d'une somme de 4 000 euros à M. [G] [J] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SCI Nassim, M. [N] [J], M. [A] [J], Mme [E] [J] épouse [P], Mme [S] [J] de leur demande sur ce fondement.