CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 11 juin 2024, n° 23/18220
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Taitbout (SNC)
Défendeur :
S.C.P. Gérald Simonin Eric Le Marec Valérie Guerrier (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blanc
Conseillers :
Mme Le Cotty, Mme Georget
Avocats :
Me Ortolland, Me Ducrot, Me Boccon Gibod, Me Bouthillier
Par actes sous seing privé des 5 janvier 1999 et 20 mars 2001, la SCI du [Adresse 2] a donné à bail à la SCP Simonin et Conty aux droits de laquelle vient désormais la SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, deux remises au sein d'un même immeuble situé [Adresse 2].
Suivant un bail d'habitation du 14 avril 2003 et deux baux commerciaux des 12 mars 2007 et 8 janvier 2008, la SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier a pris à bail des locaux à usage de bureaux situés dans le même immeuble.
L'ensemble de ces biens a été cédé à la société Taitbout 54.
Les 24 juin 2021 et 30 juin 2022, la société Taitbout 54 a donné congé des locaux donnés à bail commercial contre paiement d'une indemnité d'éviction. Cette indemnité n'a pas été versée.
Par actes extrajudiciaires du 20 juillet 2022, le bailleur a également donné congé des deux remises pour le 31 décembre 2022.
Les locaux n'ont pas été restitués.
Par acte extrajudiciaire du 19 avril 2023, la société Taitbout 54 a fait assigner la SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :
valider les congés délivrés le 20 juillet 2022 afférents aux baux concernant les deux remises des 5 janvier 1999 et 20 mars 2001 ;
ordonner immédiatement et sans délai l'expulsion de la SCP ainsi que de tous occupants de son chef des deux remises données à bail.
Par ordonnance contradictoire du 11 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à l'expulsion de la SCP Gerald Simonin- Eric Le Marec -Valérie Guerrier des remises, objets des deux baux en date des 5 janvier 1999 et 20 mars 2001 ;
condamné la société Taitbout 54 à payer à la SCP Gerald Simonin-Eric le Marec-Valérie Guerrier la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Taitbout 54 aux dépens de l'instance ;
rejeté toute autre demande ;
rappelé que la décision bénéficiait de l'exécution provisoire de plein droit.
Par déclaration du 10 novembre 2023, la société Taitbout 54 a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs de son dispositif sauf en ce qu'elle rejette toute autre demande de la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 22 mars 2024, la société Taitbout 54 demande à la cour de :
réformer intégralement l'ordonnance de référé du 11 octobre 2023 ;
valider les congés en date du 20 juillet 2022 afférents aux baux en dates des 5 janvier 1999 et 20 mars 2001 ;
ordonner immédiatement et sans délai l'expulsion de corps et de bien de la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, ainsi que de tous occupants de son chef des locaux identifiés comme étant deux remises situées en rez-de-chaussée [Adresse 2] ;
condamner la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, à payer une indemnité d'occupation égale aux loyers et charges courants tels qu'ils auraient été dus en l'absence des congés en date du 20 juillet 2022 et ce jusqu'au départ effectif de la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, des remises ;
débouter la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, de l'intégralité de ses prétentions ;
condamner la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 27 mars 2024, la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, demande à la cour de :
à titre principal
constater l'absence d'urgence et l'existence d'une contestation sérieuse quant aux demandes précitées de la société Taitbout 54 ;
constater en conséquence que les conditions du référé ne sont pas réunies et en conséquence :
constater que la société Taitbout 54 ne justifie, par aucun moyen de droit et ni par aucun moyen de fait, sa demande tendant à obtenir le débouté de l'intégralité des ses prétentions relatives à son droit au maintien dans les lieux jusqu'au versement d'une indemnité d'éviction ;
en conséquence,
débouter la société Taitbout 54 de ses demandes tendant à voir :
valider les deux congés du 20 juillet 2022 ;
condamner la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, à régler à la société Taitbout 54 une indemnité d'occupation ;
débouter la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, de l'intégralité de ses prétentions ;
condamner la SCP Gérald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, à régler à la société Taitbout 54 les frais de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance ;
confirmer l'ordonnance de Mme le président du tribunal judiciaire de Paris en date du 11 octobre 2023 en ce qu'elle :
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à l'expulsion de la SCP Gerald Simonin-Eric Le Marec-Valérie Guerrier des remises, objets des deux baux en date des 5 janvier 1999 et 20 mars 2001 ;
condamné la société Taitbout 54 à payer à la SCP Gerald Simonin- Eric le Marec-Valérie Guerrier la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Taitbout 54 aux dépens de l'instance ;
rappelé que l'ordonnance du 11 octobre 2023 bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.
la recevoir en son appel incident ;
et en conséquence,
infirmer l'ordonnance du 11 octobre 2023 en ce que le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rejeté ses demandes ;
statuant à nouveau sur ses demandes, il est demandé à la cour de céans de :
juger que les locaux objets des cinq baux précités, loués à elle par la société Taitbout 54, constituent un ensemble économique indivisible ;
juger que les locaux objets des cinq baux précités, loués à elle par la société Taitbout 54, en ce compris les deux remises objets des deux congés du 20 juillet 2022, remplissent les conditions nécessaires pour bénéficier du droit au statut de la propriété commerciale et notamment à une indemnité d'éviction, conformément aux dispositions des articles L.145-1, L. 145-4, L. 145-14 et L. 145-18 du code de commerce ;
juger qu'elle a droit au maintien dans l'intégralité des locaux loués objets des cinq baux précités en ce compris les deux remises objets des deux congés du 20 juillet 2022, sis [Adresse 2] jusqu'au versement, par la société Taitbout 54, d'une indemnité d'éviction globale et relative à l'ensemble desdits locaux ;
en tout état de cause
débouter la société Taitbout 54 de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société Taitbout 54 à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Sur ce,
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Aux termes de l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il résulte de ce qui précède que le juge des référés peut constater la résiliation d'un bail à l'issue du délai légal suivant la notification d'un congé auquel n'est opposée aucune contestation sérieuse.
Par ailleurs, selon l'article L.145-1, I-1° du code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique aux baux de locaux accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire de l'immeuble ou du local où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires devront avoir été loués au vu et su du bailleur en vue de l'utilisation jointe.
Au cas présent, pour obtenir l'expulsion de la SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, par infirmation de l'ordonnance entreprise, la société Taitbout 54 fait valoir qu'elle a délivré congé le 20 juillet 2022 à effet au 31 décembre suivant et que la société intimée est dès lors occupante sans droit ni titre des deux remises louées depuis le 1er janvier 2023.
En réplique, l'intimée fait valoir en premier lieu que l'urgence n'est pas démontrée. Cependant, cette condition n'étant pas requise, ses développements sur ce point sont inopérants.
La SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, ajoute que la demande de l'appelante se heurte à une contestation sérieuse. Elle indique ainsi que les remises litigieuses qui permettent le stockage de ses archives forment avec les autres locaux à usage de bureaux loués par elle dans le même immeuble au même propriétaire, un ensemble économique indivisible, ou constituent, à tout le moins, des locaux accessoires à l'exploitation du fonds. Elle soutient ainsi que les contrats concernant les remises doivent bénéficier du statut des baux commerciaux et justifier le versement d'une indemnité d'éviction globale ou voir leur sort lié à celui des locaux principaux pour lesquels l'intimé dispose d'un titre. Elle souligne à cet égard que, par deux courriels d'octobre 2021 et janvier 2022, la société appelante a fait une proposition amiable d'indemnité forfaitaire d'éviction globale intégrant les deux remises reconnaissant ainsi implicitement la situation d'indivisibilité dont elle se prévaut.
Il est acquis que la SCP Gerald Simonin -Eric Le Marec -Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, exerce son activité au sein de l'immeuble situé [Adresse 2] en vertu de ces cinq baux portant sur des locaux qui sont tous la propriété de la société Taitbout 54.
Il est constant que la société intimée dispose d'un titre d'occupation pour les locaux à usage de bureaux loués dans l'immeuble. En effet, si les 24 juin 2021 et 30 juin 2022, le bailleur a donné congé des deux baux commerciaux contre paiement d'une indemnité d'éviction, cette indemnité n'a pas été versée. Par ailleurs, il n'a pas été donné congé pour le bail du 14 avril 2003.
En outre, il est établi que les deux remises litigieuses sont utilisées pour l'activité d'archivage de l'étude intimée à savoir notamment la conservation des minutes et desdossiers comptables portant sur les dix dernières années.
Leur privation est dès lors susceptible de compromettre l'exploitation du fonds et ce sans qu'il soit possible au stade du référé, au regard notamment de la spécificité de l'activité de commissaire de justice exercée par l'intimée, d'affirmer, comme le fait l'appelante, que cette activité d'archivage est nécessairement externalisable.
Dès lors, le moyen tiré du fait que les remises sont des locaux accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond. Ainsi, il n'y a pas lieu à référé de ce chef.
La décision sera confirmée de ce chef.
Par ailleurs, comme l'a rappelé le premier juge, les demandes reconventionnelles de voir juger que les locaux objets des cinq baux précités, constituent un ensemble économique indivisible et qu'ils remplissent les conditions nécessaires pour bénéficier du droit au statut de la propriété commerciale et notamment à une indemnité d'éviction ne constituent pas de véritables prétentions que la cour doit trancher. Il en est de même concernant la demande subséquente de la SCP intimée de voir juger qu'elle a droit au maintien dans l'intégralité des locaux loués objets des cinq baux précités en ce compris les deux remises jusqu'au versement, par la société Taitbout 54, d'une indemnité d'éviction globale et relative à l'ensemble desdits locaux.
Au surplus, l'interprétation ainsi demandée par l'intimée ne saurait en tout état de cause relever des pouvoirs du juge des référés.
La décision sera également confirmée sur les dépens et les frais irrépetibles.
Au regard du sens de la décision, la société Taibout 54 est condamnée aux dépens de l'appel ainsi qu'au paiement de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant :
Condamne la société Taibout 54 à payer à la SCP Gerald Simonin - Eric Le Marec - Valérie Guerrier, commissaires de justice associés, la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Taibout 54 aux dépens de l'appel.