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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 11 juin 2024, n° 23/02448

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bloom (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Bertrand, Me Garrigues

CA Poitiers n° 23/02448

10 juin 2024

Par acte notarié du 1er septembre 1988, Monsieur [H] [F] (le bailleur) a donné à bail à Monsieur [N] [G] un local à usage commercial sis [Adresse 3] à [Localité 8], cadastré section EN n°[Cadastre 4], pour une durée de neuf années entières et consécutives commençant à courir le 15 septembre 1988 pour se terminer le 14 septembre 1997.

Le 1er avril 2003, le bail a fait l'objet d'un renouvellement conclu entre Monsieur [N] [G], preneur, et Monsieur [H] [F], Madame [Y] [F] et Monsieur [K] [F], nus propriétaires.

Le 28 décembre 2014, Monsieur [G] a cédé son fonds de commerce, en ce compris le droit au bail du local susvisé, à la société à responsabilité limitée [L] [G] qui, après un changement de dénomination sociale, s'est appelée par la suite la société à responsabilité limitée Bloom [W] (la société Bloom ou le preneur).

Le 18 mars 2014, la société Bloom a sollicité le renouvellement du bail à effet du 1er avril 2014.

Après indexation, le loyer annuel s'est établi à la somme de 67.752,84 euros toutes taxes comprises (ttc), soit 5.646,01 euros ttc mensuels.

Par ordonnance en date du 3 mai 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle a condamné la société Bloom à payer un arriéré locatif de 48.209,02 euros payable en 10 mensualités.

Le 30 mai 2023, Monsieur [F] a attrait la société Bloom devant le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle.

Dans le dernier état de ses demandes, le bailleur a demandé de:

- condamner la société Bloom à lui payer à titre de provision une somme de 29.736,64 euros ttc arrêtée au 30 juin 2023;

- constater la résiliation du bail commercial à la date du 30 juin 2023;

- ordonner l'expulsion de la société Bloom et celle de tout occupant et bien s'y trouvant de son chef, des locaux loués, en la forme accoutumée et si besoin avec l'assistance de la force publique, dans les 15 jours de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard;

- fixer à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due à compter du 30 juin 2023 à la somme de 5.646,07 euros par mois, jusqu'à la libération des lieux, la remise des clés et l'état des lieux et, en tant que de besoin, condamner la société Bloom à lui payer ladite indemnité;

- condamner la société Bloom à lui payer la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais de commandement.

Dans le dernier état de ses demandes, le preneur a demandé de:

- lui donner acte de ce qu'il reconnaissait devoir à Monsieur [F] la somme de 29.285,88 euros;

- suspendre les effets de la clause résolutoire insérée dans le bail, objet du litige;

- l'autoriser à apurer sa dette au plus tard le 31 décembre 2023 par 4 virements mensuels et consécutifs de 6.000 euros;

- débouter Monsieur [F] de ses plus amples demandes;

- laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés au titre des frais irrépétibles;

- lui laisser la charge des entiers dépens de l'instance.

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 24 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de La Rochelle a:

- Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseraient;

- débouté la société Bloom de sa demande de délais de paiement et de suspension du jeu de la clause résolutoire;

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à compter du 30 juin 2023;

- dit que la société Bloom devrait libérer le local sis [Adresse 3] à [Localité 8] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir;

- ordonné à la société Bloom de libérer les lieux sous 15 jours à partir de la signification de la présente et, à défaut de libération volontaire des lieux, fixé une astreinte de 50 euros par jour de retard, et ordonné son expulsion et celle de tous occupants et de tous biens de son chef avec, au besoin le concours de la force publique et d'un serrurier;

- condamné la société Bloom à payer à Monsieur [F] la somme provisionnelle de 29.726,64 euros ttc avec intérêt au taux légal à compter du 30 juin 2023, date de la résiliation du bail;

- fixé à titre provisionnel à la charge de la société Bloom de payer à Monsieur [F] une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant égal à 5.646,07 euros à compter du 1er juillet 2023;

- condamné la société Bloom [W] à payer à Monsieur [F] une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 6 novembre 2023, la société Bloom [W] a relevé appel de cette ordonnance en intimant Monsieur [F].

Le 14 novembre 2023, les parties ont été avisées d'un calendrier de procédure en circuit court.

Le 21 novembre 2023, Monsieur [F] a constitué avocat.

Le 22 novembre 2023, la société Bloom a notifié sa déclaration d'appel et le calendrier de procédure à Monsieur [F].

le 7 décembre 2023, la preneuse a demandé de:

- réformer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau et à titre subsidiaire ou en tout état de cause,

- suspendre le jeu de la clause résolutoire, qui serait réputée n'avoir jamais joué, sous la condition pour elle-même de se libérer de sa dette envers Monsieur [F] selon les délais de paiement qui lui seraient accordés, soit par 3 virements mensuels et consécutifs de 10.000 euros au plus tard le 31 décembre 2023, 10.000 euros au plus tard le 31 janvier 2024, et le solde au plus tard le 29 février 2024;

- juger qu'il n'était pas inéquitable que les parties conservassent à leur charge les frais de toute nature qu'elles avaient pu exposer.

Le 3 janvier 2024, le bailleur a demandé de:

A titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée;

- débouter la société Bloom [W] de l'ensemble de ses demandes;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour réformât l'ordonnance déférée et suspendît les effets de la clause résolutoire;

- condamner la société Bloom à lui payer, à titre de provision, une somme de 36.205,66 euros ttc à parfaire;

En tout état de cause et y ajoutant,

- condamner la société Bloom à lui payer à la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel;

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Le 2 avril 2024, a été rendu l'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire.

MOTIVATION:

Sur le périmètre des prétentions dont la cour est saisie:

Selon l'article 954 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée; les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Il en résulte qu'un appelant, qui se borne dans le dispositif de ses conclusions à conclure à l'infirmation d'un jugement, sans formuler de prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement, ne saisit la cour d'aucune prétention relative à ces demandes (Cass. 2e civ., 5 décembre 2013, n°12-23.611, Bull. 2013, II, n°230).

Selon le dispositif de ses écritures, la société Bloom demande l'infirmation intégrale de l'ordonnance déférée, mais sollicite seulement la suspension de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement, d'une part, outre la mise à la charge de chacune des parties de ses propres frais et dépens, d'autre part.

Il s'ensuivra que la cour n'a été saisie que de demandes relatives à ces deux chefs, exclusives de toute autre prétention tranchée dans le dispositif de l'ordonnance déférée.

Sur la suspension des effets de la clause résolutoire et la demande de délais de paiements:

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 alinéa 2 du même code ajoute que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le juge des référés n'est pas tenu de caractériser l'urgence pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, ni pour allouer des provisions au titre des loyers et charges impayés, ou pour indemnité d'occupation.

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail, prévoyant sa résiliation de plein droit, ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement, à peine de nullité, doit mentionner ce délai.

Selon l'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce, les juges, saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la résiliation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée; la clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux ans, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêts à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

S'il appartient à celui se prévalant d'une obligation de la démontrer, il revient réciproquement à celui prétendant s'être libéré d'apporter la preuve de son paiement.

Dans le dispositif de ses écritures, la société Bloom demande de suspendre les effets de la clause résolutoire et de lui allouer un délai de paiement pour régler le retard de loyer.

Au regard des observations qui précèdent, il est désormais acquis aux débats que la preneuse a été condamnée à payer au bailleur la somme de 29 726,64 euros ttc avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2023, date de résiliation du bail.

Et selon la motivation du premier juge, cette somme se décompose en:

- 3328,96 euros au titre de la régularisation de l'indexation des loyers de novembre 2022 à mars 2023;

- 22 584,28 euros au titre des arriérés de loyers de mars à juin 2023;

- 4448,40 euros au titre de la taxe foncière 2022,

déduction faite d'un virement de 635 euros effectué le 16 juin 2023.

La société Bloom a demandé l'octroi de délais de paiement pour lui permettre d'apurer sa dette par 3 virements mensuels et consécutifs de 10.000 euros au plus tard le 31 décembre 2023, 10.000 euros au plus tard le 31 janvier 2024, et le solde au plus tard le 29 février 2024.

Elle fait valoir ses difficultés afférentes à son activité de vente en gros et en détail de textile et prêt-à-porter, ayant conduit à des pertes aux cours des exercices 2020 et 2021, ses comptes n'ayant pu se rétablir en 2022 qu'avec la souscription d'un prêt garanti par l'Etat, tout en continuant à devoir honorer divers concours bancaires.

Elle souligne employer 6 salariés sur deux sites, et soutient que l'arrêt de son activité sur les lieux donnés à bail, objet du présent litige, emporterait automatiquement la fermeture de son autre site, les deux étant interdépendants, la dite fermeture devant inéluctablement conduire à son dépôt de bilan et à des licenciements économiques.

Elle met l'accent sur sa bonne foi, sa pleine et entière reconnaissance de ses dettes, avance avoir mis en place un plan d'apurement de la taxe foncière par versements (mensuels) de 636 euros et indique justifier du paiement régulier de ses loyers en cours.

Elle produit un tableau relatif à l'état de ses règlements au 30 novembre 2023, dont il ressort un total dû au mois de novembre 2023 de 31 063,70 euros.

Il sera observé que ce tableau, établi par la débitrice elle-même, n'est pas à lui seul de nature à démontrer la réalisation des paiements dont elle se prévaut, alors qu'elle n'a produit aucune autre pièce à cet égard.

A l'inverse, il ressort du décompte du bailleur arrêté au 11 décembre 2023 que la preneuse:

- lui doit un total de 68 127,06 euros, se décomposant en:

- 29 726,64 euros ttc au titre de la condamnation provisionnelle prononcée par l'ordonnance déférée;

- 33 876,42 euros ttc au titre de l'indemnité d'occupation de juillet à décembre 2023;

- 4524 euros ttc au titre de la taxe foncière 2023;

- lui a réglé à compter du 1er juillet 2023, date d'effet de la résiliation du bail, un total de 31 921,40 euros;

- de telle sorte qu'elle demeure devoir lui payer à cette date la somme totale de 36 205,66 euros ttc.

Alors que l'ordonnance de clôture est intervenue seulement le 2 avril 2024, la société Bloom n'a produit aucun élément relatif à l'état de ses paiements après le mois de novembre 2023.

Bien plus encore, il y aura lieu de relever qu'elle n'a produit aucun justificatif des paiements dont elle avait pourtant elle-même demandé l'étalement, par 3 virements mensuels et consécutifs de 10.000 euros au plus tard le 31 décembre 2023, 10.000 euros au plus tard le 31 janvier 2024, et le solde au plus tard le 29 février 2024.

Et enfin, alors que son exercice comptable court du 1er janvier au 31 décembre, elle n'a produit aucun élément comptable sur sa situation actualisée au jour où la cour statue, et notamment sur l'exercice 2023.

Il en sera déduit qu'en cours d'instance d'appel, les arriérés objet de la condamnation provisionnelle prononcés par le premier juge n'ont pas été substantiellement apurés, la débitrice procédant pour l'essentiel au paiement des indemnités d'occupations en cours.

Ces éléments ne permettent pas de caractériser la capacité de la débitrice à pouvoir régler l'impayé non seulement selon les modalités et délais qu'elle réclame, mais encore selon tous autres délais et modalités.

Il conviendra donc de rejeter la demande de délai de paiement et la demande de suspension de la clause résolutoire, et l'ordonnance sera confirmée de ce chef.

* * * * *

Succombante, la société Bloom sera condamnée aux entiers dépens de première instance et à payer à Monsieur [F] la somme de 1500 euros au titre de frais irrépétibles de première instance: l'ordonnance sera confirmée de ces chefs.

La société Bloom sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à Monsieur [F] la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions;

Y ajoutant:

Condamne la société à responsabilité limitée Bloom [W] aux dépens d'appel et à payer à Monsieur [H] [F] la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.