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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 11 juin 2024, n° 20/00030

ANGERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

M. Chappert, Mme Gandais

Avocats :

Me Brouin, Me Boisnard

TGI Angers, du 10 déc. 2019, n° 17/00524

10 décembre 2019

FAITS ET PRÉTENTIONS

Par acte sous-seing privé du 29 juin 2012, la SCI J2M, représentée par M. [W] et Mme [F], a donné à bail commercial à Mme [E] et à M. [H], désignés ' le locataire', des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 4], destinés à l'exercice de leur activité d'agent général d'assurance, moyennant un loyer annuel de 12 000 euros payable mensuellement et indexé, pour une durée de neuf années avec prise d'effet rétroactive au 18 mai 2012 et faculté donnée au locataire de résiliation anticipée à l'expiration de chaque période triennale.

Il y est stipulé qu'il y a solidarité entre les personnes identifiées sous le vocable 'locataire' mais que M. [H] ayant donné sa démission envers la compagnie Aviva, laquelle devait être effective au 31 décembre 2012, la solidarité entre Mme [E] et M. [H] dans les droits et obligations résultant à leur profit ou à leur encontre des stipulations du bail cessera de plein droit le 31'décembre 2012.

Les parties y ont déclaré expressément se soumettre au statut des baux commerciaux par application de l'article 145-2 7° du code de commerce, par dérogation à l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986.

Après le départ de M. [H], Mme [E] a poursuivi son activité dans ces locaux. En 2015, elle s'est associée à M. [C] sous la forme d'une société en participation 'Cabinet [T] [E] [Y] [C]' et a poursuivi son activité dans les même locaux.

Par lettre recommandée du 7 décembre 2015 à l'en-tête du cabinet [E] [C], adressée à M. [W], Mme [E] et M. [C] ont donné congé à effet au 30 juin 2016, 'conformément à la réglementation commerciale'.

Par lettre du 22 mars 2016, la SCI J2M a informé le cabinet [E] [C] de l'absence d'effet du congé reçu au regard des dispositions de l'article L. 145-9 du code de commerce, n'ayant pas été donné ni pour le terme d'une période triennale ni dans la forme prévue, la première période triennale s'étant achevée le 17 mai 2015.

Par lettre du 24 mars 2016, Mme [E] a indiqué à la SCI J2M qu'elle considérait que le bail commercial avait pris fin à la cessation d'activité de M.'[H], qu'y avait succédé un nouveau bail, verbal et de nature professionnelle, de sorte que le congé délivré était régulier.

Le 9 juin 2016, la SCI J2M a été convoquée à l'état des lieux de sortie mais ne s'y est pas rendue. Mme [E] a quitté les locaux loués.

Par acte sous seing privé du 4 mai 2016, la SCI J2M a signé un compromis de vente de l'immeuble comprenant les locaux pour un prix de 390 000 euros. Un'avenant au compromis de vente a finalement fixé le prix à 367 000 euros.

Le 14 février 2017, la SCI J2M a assigné Mme [E] devant le tribunal de grande instance d'Angers en réparation du préjudice subi tenant à la réduction du prix de vente de l'immeuble qu'elle a dû consentir à son acquéreur du fait de la rupture prématurée du bail.

Par jugement rendu le 10 décembre 2019, le tribunal a :

- condamné Mme [E] à payer à la SCI J2M la somme de 23 000 euros au titre des sommes restant dues jusqu'à la prise d'effet régulière du congé, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- condamné Mme [E] à payer à la SCI J2M la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné Mme [E] aux dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 7 janvier 2020, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement en attaquant toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Mme [E] a été intimée.

Les parties ont conclu.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 mars 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [E] demande à la cour de :

- déclarer Mme [E] recevable et bien fondée en son appel.

- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement.

Statuant à nouveau,

- débouter la société SCI J2M de l'intégralité de ses demandes et notamment celle en paiement d'une somme de 23 000 euros au titre de la dette de loyer.

En toutes hypothèses, condamner la société SCI J2M à payer à Mme'[E] la somme de 6 000 euros, au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société SCI J2M aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La SCI J2M prie à la cour de

- dire et juger Mme [E] irrecevable en son appel,

- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu,

- condamner Mme [E] à payer à la société SCI J2M la somme de 8'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [E] à supporter les entiers dépens de l'instance,

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 14 avril 2020 pour Mme [E],

- le 24 juin 2020 pour la SCI J2M.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature du bail ayant fait l'objet d'une résiliation unilatérale le 7'décembre 2015

Mme [E] soutient, d'abord, que tant lors du départ de M. [H] que lorsqu'elle s'est associée avec M. [C], le changement des locataires exigeait une régularisation du bail, ce qu'elle prétend s'être produit en 2015 en exposant qu'alors un nouveau bail verbal a été conclu entre la société J2M, M. [C] et elle-même, dont elle tire la preuve de l'existence par la domiciliation du cabinet dans les locaux appartenant à la société J2M sur autorisation expresse de celle-ci, par le paiement des loyers par le cabinet [E] [C] et la remise de quittances à ce nom, par l'habitude prise par la bailleresse d'adresser ses courriers à ce cabinet. Ensuite, elle fait valoir qu'en l'absence de contrat écrit, il appartient au juge de déterminer la nature et le contenu du nouveau bail en recherchant la commune intention des parties et qu'en l'espèce, l'intention des parties était nécessairement de placer le nouveau bail sous le statut des baux professionnels, conformément à sa véritable nature.

La SCI J2M répond qu'elle n'a jamais renoncé au bénéfice des stipulations du bail commercial, que ce bail s'est poursuivi avec Mme [E] après le départ de M.'[H], que M. [C] reste tiers au bail et qu'à aucun moment l'association de Mme [E] et de M. [C] n'a entrainé une modification de la nature du bail.

Sur ce,

En cas de pluralité de locataires, le départ de l'un ne met pas fin au bail à l'égard de l'autre, d'autant moins en l'espèce que le départ de M. [H] était prévu au bail du 29 juin 2012 en vue de le décharger de ses obligations à la date d'effet de sa démission, ce dont il résulte qu'au-delà le bail se poursuivait avec Mme'[E], seule.

De même, la seule circonstance que la locataire s'associe avec une autre personne ne met pas fin au bail à son égard, à défaut de cession autorisée du droit au bail à une nouvelle entité en l'absence de cession d'un fonds de commerce.

Par ailleurs, il ne peut être mis fin à un bail commercial que par un congé donné dans les formes et délais de l'article L. 145-9 du code de commerce, une demande de renouvellement après l'expiration du terme ou par une résiliation amiable, laquelle nécessite le consentement mutuel des parties conformément aux dispositions de l'article 1193 du code civil.

Or, l'autorisation donnée par la bailleresse à M. [C] pour utiliser les locaux pour y domicilier le siège de son activité professionnelle et y exercer son activité, l'encaissement des loyers payés au nom du 'cabinet [E] [C]', lequel n'a pas de personnalité morale, et la remise de quittances aux noms de Mme [E] et M. [C], de même que le fait que la bailleresse a pu répondre aux lettres que lui adressait 'le cabinet' en s'adressant elle-même à ce 'cabinet', s'ils peuvent être de nature à laisser penser que la bailleresse avait accepté M. [C] comme un co-preneur, ne suffisent pas pour établir l'intention de la bailleresse de résilier le bail commercial qui la lie avec Mme [E] et pour le remplacer par un bail verbal, de surcroît un bail professionnel soumis aux dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 quand les parties avaient expressément soumis le bail écrit au statut des baux commerciaux.

Ainsi, au vu des éléments du dossier, il apparaît qu'aucune résiliation du bail du 29 juin 2012 n'est intervenue avant le congé litigieux donné le 7 décembre 2015.

C'est donc exactement que le premier juge a retenu, au regard des règles du statut des baux commerciaux applicables au bail, que le congé donné le 7'décembre 2015 était irrégulier puisqu'il n'avait pas été donné par acte extra-judiciaire et qu'il ne pouvait être donné que pour le terme, six mois à l'avance, conformément aux exigences de l'article L. 145-9 du code de commerce.

Sur la demande d'indemnisation

Mme [E] s'oppose à la demande en paiement d'une somme de 23 000 euros à titre de dommages et intérêts en contestant toute faute de sa part ainsi que l'existence d'un lien entre la diminution du prix et son départ anticipé des lieux.

La société J2M rappelle à juste titre que la deuxième période triennale expirait le 17 mai 2018, de sorte que Mme [E], en donnant congé pour le 30 juin 2016, en quittant les lieux à cette date et en cessant de payer les loyers, a rompu le contrat près de deux ans avant son terme, commettant ainsi un manquement à ses obligations contractuelles.

Le compromis de vente initial conclu le 4 mai 2016 entre la bailleresse et l'acheteur portant sur l'immeuble dans lequel se trouvent les locaux qui étaient l'objet du bail prévoyait une vente au prix de 390 000 euros. Il y était mentionné le montant des loyers générés par les différents baux en cours sur l'ensemble des locaux avec l'identité des locataires et mentionnait que la régularité du congé donné par Mme [E] avait été contestée par la SCI J2M.

La SCI J2M verse aux débats une lettre que l'acquéreur lui a envoyée le 29 juin 2016 après avoir appris que la locataire quittait effectivement les lieux et qui l'informait que, compte tenu de ce fait nouveau intervenu depuis la signature du compromis, il subordonnait la réitération de la vente à une baisse du prix de 23'000 euros, montant équivalent à ce qu'il estimait être ' l'absence probable des loyers qui auraient été encaissés entre juillet 2016 et la fin de la période triennale'.

Un avenant a ensuite été conclu entre les parties pour fixer finalement le prix à 367 000 euros. La vente a été réitérée à ce prix par acte authentique du 30'septembre 2016.

Il résulte de ces pièces que la SCI J2M démontre que la baisse du prix a été causée par la libération des lieux par Mme [E].

Ainsi la baisse de prix correspondant à la perte des loyers qui auraient dû être versés par Mme [E] jusqu'à la fin de la deuxième période triennale et que le nouvel acquéreur n'avait plus la certitude de recevoir du fait de la rupture anticipée du bail par la locataire constitue bien un préjudice causé à la société J2M par la rupture irrégulière du contrat de bail, ce qui justifie la confirmation du jugement par substitution de motifs.

Cette condamnation doit être intégralement supportée par Mme [E].

Sur les frais et dépens

Mme [E], partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et à payer à la SCI J2M la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au

greffe

Confirme le jugement entrepris.

Y ajoutant,

Condamne Mme [E] à payer à la SCI J2M la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Mme [E] aux dépens d'appel.