CA Reims, 1re ch. sect. civ., 11 juin 2024, n° 24/00062
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ridagila (SCI)
Défendeur :
Actu Plast (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Mathieu, Mme Pilon
Avocats :
Me Guillaume, Me Farine
La SCI RIDAGILA, par acte sous seing privé du 30 décembre 2014 a consenti à la SAS ACTU PLAST un bail commercial pour une durée de 9 années à compter du 1er janvier 2015 dans les locaux sis [Adresse 2] à [Localité 6], moyennant un loyer annuel de 54.000 euros hors taxes et hors charges, payable d'avance.
La SAS ACTU PLAST a fait établir un procès-verbal d'état des lieux le 4 juillet 2022 par Maître [I] [O], commissaire de justice à [Localité 6].
Courant septembre 2022, la SAS ACTU PLAST s'est plainte de sinistres consistant en des fuites de toiture auprès du bailleur, compromettant l'exploitation des locaux, voire la sécurité des travailleurs. Elle a également signalé l'affaissement des canalisations d'eaux usées provoquant des refoulements sur le parking de l'ensemble immobilier.
Par lettre valant mise en demeure du 29 juin 2023 et relance du 1er août 2023, la SAS ACTU PLAST a demandé la réalisation de travaux en faisant valoir l'obligation de délivrance du bailleur.
Le 2 août 2023, le conseil de la SCI RIDAGILA a répondu en indiquant que le bailleur faisait ses meilleurs efforts pour rassembler des devis de remise en état afin que les travaux incombant au bailleur puissent intervenir dans les meilleurs délais.
La SAS ACTU PLAST a fait réaliser un rapport d'expertise le 6 juillet 2023 par la société SARECTEC qui a retenu :
- couverture hors d'usage, désorganisée avec fuites et pourrissement du lattis support,
- couverture en tôle ondulée percée, rustines et chutes d'éléments amiantés au sol,
- zinguerie : composants inopérants sur 80 % du linéaire,
- murs de refend entres les sheds : altérés, perméables à l'eau, fissurés et chutes de moellons à l'intérieur du bâtiment,
- faux plafonds partiellement effondrés,
- carrelages descellés,
- installations électriques obsolètes,
- peintures en mauvais état,
- réseaux EU affaissés par endroit sur l'extérieur.
Un constat a été dressé le 31 août 2023 par Maître [O] à la demande de la SAS ACTU PLAST.
En l'absence de solution amiable, la SAS ACTU PLAST a fait assigner la SCl RIDAGILA devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes, sur le fondement des articles 835 alinéa1 du code de procédure civile, 1719 et suivants du code civil et R 145-35 du code de commerce aux fins de voir condamner cette dernière à :
* produire, dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance à venir un calendrier d'exécution des travaux, lot par lot et à procéder, dans un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à venir à la réfection complète du clos et du couvert de l'immeuble sis [Adresse 5] à [Localité 6] et plus précisément aux travaux de :
- réfection totale de la couverture,
- remplacement des descentes d'eau et gouttières,
- reprise des structures maçonnées (solidité et imperméabilité) et de la charpente métallique (reconstitution et renforcement),
- renforcement de la charpente,
- réfection des dallages scellés,
* Sous astreinte de 200 euros par jour de retard pendant un délai de six mois, passé lequel il sera à nouveau fait droit,
- ordonner la réduction du loyer de 25 % pendant la période courant de l'ordonnance à venir jusqu'au démarrage des travaux, de 50 % pendant toute la durée de réalisation de ces derniers et jusqu'à leur parfait achèvement,
- condamner la défenderesse à lui payer la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par une ordonnance rendue le 14 novembre 2023, le juge des référés a :
- débouté la SCI RIDAGILA de sa demande tendant à la délivrance d'une injonction aux parties d'avoir à rencontrer un médiateur,
- condamné la SCI RIDAGILA à faire effectuer les travaux suivants :
- réfection totale de la couverture ;
- remplacement des descentes d'eau et gouttières :
- reprise des structures maçonnées ;
- renforcement de la charpente métallique et de la charpente bois ;
- fixé l'astreinte assortissant la condamnation de la SCI RIDAGILA à réaliser les travaux de nature à garantir la solidité de l`immeuble loué et en assurer le clos et le couvert à la somme de 100 euros par jour de retard, passé un délai de cinq mois à compter de la signification de la présente décision et ce pour une durée de trois mois,
- condamné la SCI RIDAGILA à payer à la SAS ACTU PLAST la somme de 900 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par un acte en date du 12 janvier 2024, la SCI RIDAGILA a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 19 février 2024, la SCI RIDAGILA conclut à l'infirmation de l'ordonnance déférée et demande à la cour d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur et de condamner la SAS ACTU PLAST à lui payer la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elle expose que compte tenu des incertitudes pesant sur toute réalisation de chantier, il n'y a pas lieu d'assortir la condamnation d'une astreinte, dans la mesure où elle produit un calendrier prévisionnel que lui a communiqué la société d'architecte ALBA faisant état d'une date de livraison à l'été 2026.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 30 avril 2024, la SAS ACTU PLAST conclut à l'infirmation partielle de l'ordonnance déférée et demande à la cour de :
- porter le montant de l'astreinte à la somme de 200 euros par jour de retard,
- ordonner la réduction du loyer de 25 % pendant la période courant de l'ordonnance à venir jusqu'au démarrage des travaux, de 50 % pendant toute la durée de réalisation de ces derniers et jusqu'à leur parfait achèvement.
Elle sollicite en outre le paiement de la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elle expose que le bailleur est tenu à une obligation de délivrance.
Elle fait valoir que la situation décrite aux termes du rapport d'expertise du cabinet Saretec, et qui n'est véritablement pas contestée par la SCI RIDAGILA répond tout à la fois à la notion de trouble manifestement illicite et de dommage imminent, la sécurité des salariés de la société locataire étant gravement menacée et, partant, la responsabilité de cette dernière susceptible d'être engagée dans l'hypothèse où un accident se produirait.
Elle précise que c'est postérieurement à l'ordonnance critiquée que la SCI RIDAGILA a signé un contrat avec la société d'architecte ALBA confiant à cette dernière la mise en place des études préliminaires à l'exécution des travaux.
Elle ajoute que la SCI RIDAGILA lui a fait signifier le 13 mars 2024 un refus de renouvellement de bail avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 10.000 euros et insiste sur le fait que l'astreinte doit être maintenue.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article 127-1 du code de procédure civile, la décision selon laquelle le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur chargé de les informer de l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation, est une mesure d'administration judiciaire, laquelle est par nature insusceptible de recours.
* Sur les travaux :
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Selon l'article 1103 du code civil, les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l'espèce, le bail signé entre les parties met à la charge du preneur tous les travaux nécessaires en cours de bail y compris les travaux visés par l`article 606 du code civil, c'est à dire les grosses réparations.
Il est constant que l'appréciation de la validité de la clause insérée au bail relève de l'office du juge du fond, alors que le juge des référés peut ordonner l'exécution d'une obligation non sérieusement contestable.
Selon l'article 1720 du code civil, le droit commun du bail impose au bailleur une obligation générale de délivrance ce qui, indépendamment des stipulations du bail constitue une obligation non sérieusement contestable.
Ainsi, les travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble restent à la charge du bailleur, sur le fondement de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu.
Le rapport de la société SARETEC au mois de juillet 2023 retient un état de vétusté avancé de la couverture de tuiles et de plaques de fibrociment, à l'origine de venues d'eau à l'intérieur du bâtiment, avec chute des plafonds.
Le 31 août 2023, la SAS ACTU PLAST a fait constater par un huissier, qui a illustré son constat de nombreuses photographies que le plafond du local était partiellement effondré et que des étais avaient été mis en place pour soutenir une poutre fragilisée et gorgée d'eau. Les fers IPN étaient eux-mêmes rouillés et dégradés dans une autre salle de l'ensemble immobilier, allant jusqu'au desserrement des écrous sous l'effet de la rouille. L'auxiliaire de justice a également relevé des traces d'infiltrations sur la maçonnerie et la chute des doublages en plafond, des trous dans la partie du toit en fibrociment fortement dégradé ainsi que la présence de certaines zones délimitées par des rubalises pour en interdire l'accès aux salariés de la société ACTU PLAST en raison des risques de chute de matériaux. De plus, à l'extérieur, les pignons de brique du bâtiment étaient également dégradés et à l'origine de chute de matériaux.
La cour comme le premier juge souligne que ce constat concorde en tous points avec le rapport d'expertise amiable de la SARETEC.
La société Valentin BOUVET chargée de l'entretien par le bailleur a, quant à elle, par courrier du 25 septembre 2023, indiqué avoir alerté le propriétaire sur la vétusté du local et la nécessité de procéder à une réfection pérenne, en écrivant « certains éléments porteurs étant en train de céder ».
Il résulte de ces éléments que le clos et le couvert du bâtiment ne sont plus assurés.
De plus, le bailleur lui-même ne conteste pas devoir effectuer des travaux de couverture, de consolidation de la charpente, de descente d'eau et de consolidation des maçonneries, limitant sa contestation à la réfection des dallages.
Devant la cour, la SCI RIDAGILA indique que l'astreinte ne se justifie pas dans la mesure où elle a entamé des démarches, toutefois, force est de constater que depuis l'ordonnance critiquée, l'état du bâtiment continue à se dégrader. La SAS ACTU PLAST produit un nouveau constat d'huissier du 4 mars 2024 dont il ressort que le bailleur n'a pris aucune initiative et que les dégradations précédemment observées sont toujours présentes.
Ainsi, la SCI RIDAGILA ne démontre pas avoir réalisé des travaux permettant de sécuriser les locaux, de sorte que la mesure d'astreinte provisoire reste nécessaire pour s'assurer de l'effectivité de la réalisation de l'obligation mise à la charge du bailleur SAS ACTU PLAST.
Par conséquent, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la SCI RlDAGILA, sous astreinte de 100 euros par jour de retard commençant à courir à l'expiration d'un délai de 5 mois à compter de la signification de l'ordonnance critiquée intervenue le 4 janvier 2024, et ce pour une durée de 3 mois, à faire effectuer les travaux suivants dans le local situé à [Localité 6] (10) [Adresse 5] :
- de réfection totale de la couverture ;
- de remplacement des descentes d'eau et gouttières ;
- de reprise des structures maçonnées (solidité et imperméabilité) et de la charpente métallique (reconstitution et renforcement) ;
- de renforcement de la charpente.
* Sur les loyers :
Le juge des référés peut même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Pour être autorisé à suspendre le paiement des loyers ou subsidiairement, à les consigner, encore faut-il que le preneur établisse avec l'évidence requise en référé que les désordres sont tels qu'ils rendent impossible l'exploitation des lieux, et que soit en conséquence justifiée, une suspension provisoire de l'obligation essentielle du locataire qui est celle de payer les loyers, au regard des manquements imputables au bailleur à ses propres obligations résultant du bail.
En l'espèce, devant la cour, la société ACTU PLAST produit un nouveau constat d'huissier établi le 4 mars 2024, aux termes duquel l'auxiliaire de justice constate qu'aucun travail n'a été réalisé par le propriétaire depuis son précédent procès-verbal, qu'une partie du bâtiment (dite Sibérie) a été intégralement vidée, qu'en toiture le fibrociment est cassé (« on voit le ciel à travers ») et que dans les angles de la pièce vidée, il y a un pourrissement des structures. Les photographies annexées mettent notamment en évidence l'existence d'un panneau jaune sur lequel est inscrit « Danger chutes d'objets » ainsi que la présence d'étais avec des rubans de sécurité dans une pièce technique interdisant l'accès de certaines zones.
La société ACTU PLAST verse également un courriel du 5 mars 2024 adresse à la bailleresse, l'informant (photographies à l'appui) de la persistance de fuites d'eau, y compris à travers les plaques de contreplaqué posée dernièrement.
La cour estime que ces éléments démontrent qu'une partie des locaux ne peut plus être occupée par la société ACTU PLAST, ce qui porte une atteinte évidente à l'exploitation normale des lieux. Il ressort des pièces produites que la société ACTU PLAST ne peut plus exploiter une surface de 240 m². Aussi au vu du contrat de bail prévoyant une surface approximative totale de 3311 m² pour un loyer annuel de 54.000 euros hors charges et hors taxes, il convient d'ordonner une réduction du loyer à hauteur de 10 % pendant la période courant de l'ordonnance jusqu'à la réalisation effective des travaux.
Par conséquent, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
* Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SCI RIDAGILA succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SCI RIDAGILA à payer à la SAS ACTU PLAST la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme l'ordonnance rendue le 14 novembre 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Troyes, en ce qu'elle a débouté la société ACTU PLAST de sa demande de réduction partielle de paiement des loyers.
Et statuant à nouveau de ce seul chef,
Ordonne la réduction du loyer annuel de 54.000 euros hors charges et hors taxes, dû par la société ACTU PLAST à hauteur de 10%, à compter de l'ordonnance du 14 novembre 2023 jusqu'à la réalisation effective des travaux par la SCI RIDAGILA.
Y ajoutant,
Condamne la SCI RIDAGILA à payer à la SAS ACTU PLAST la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
La débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
Condamne la SCI RIDAGILA aux dépens d'appel.