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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 11 juin 2024, n° 23/01520

RENNES

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Adsav (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Vice-président :

Mme Clement

Conseiller :

Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

Me De La Monneraye, Me Leboucher

CA Rennes n° 23/01520

10 juin 2024

FAITS

La commune Ville de [Localité 3]-Commune Nouvelle de [Localité 3] est propriétaire d'un bâtiment historique dans lequel était exploité un restaurant sous l'enseigne CHEZ LA MERE [T].

Cet immeuble édifié en 1458 connu comme 'La Maison [T]' depuis 1944 fait partie du patrimoine médiéval de la ville de [Localité 3]. Elle est située dans le coeur de l'ancienne cité très fréquentée et bénéficie d'une renommée importante.

La ville de [Localité 3] a accordé des baux commerciaux à plusieurs locataires dont M. [P] [V] entre 2006 et 2015.

Le 2 août 2006, la société ESSAOUIRA représentée par M. [V] locataire du local commercial a déposé la marque CHEZ LA MERE [T] exploitée comme activité de restauration et de vente de produits dérivés durant 10 ans. Cette marque est expirée, faute de renouvellement, depuis août 2016.

Le 23 juin 2019 un incendie a ravagé le bâtiment historique. La commune Ville de [Localité 3]-Commune Nouvelle de [Localité 3] indique qu'en l'absence de possibilité d'exploiter le fonds de commerce, elle a maintenu le site Internet www.chezlamere[T].com afin de continuer à exploiter le signe.

Le 29 septembre 2020, la société ADSAV a déposé la marque verbale LA MERE [T] enregistrée sous le numéro 20/4686794.

L'enregistrement de la marque a été publiée au BOPI 2021-11 du 19 mars 2021 et concerne les classes suivantes :

« Classe 29 : Viande ; poisson ; volaille ; gibier ; fruits conservés ; fruits congelés ; fruits secs ; fruits cuisinés ; légumes conservés ; légumes surgelés ; légumes séchés ; légumes cuits ; gelées ; confitures 2 ; compotes ; 'ufs ; lait ; produits laitiers ; huiles à usage alimentaire ; beurre ; charcuterie ; salaisons ; crustacés (non vivants) ; coquillages non vivants ; insectes comestibles non vivants ; conserves de viande ; conserves de poisson ; fromages ; boissons lactées où le lait prédomine ;

Classe 30 : Café ; thé ; cacao ; sucre ; riz ; tapioca ; farine ; préparations faites de céréales ; pain ; pâtisseries ; confiserie ; glaces alimentaires ; miel ; sirop d'agave (édulcorant naturel) ; levure ; sel ; moutarde ; vinaigre ; sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir ; sandwiches ; pizzas ; crêpes (alimentation) ; biscuits ; gâteaux ; biscottes ; sucreries ; chocolat ; boissons à base de cacao ; boissons à base de café ; boissons à base de thé ;

Classe 32 : Bières ; eaux minérales (boissons) ; eaux gazeuses ; boissons à base de fruits ; jus de fruits ; sirops pour boissons ; préparations pour faire des boissons ; limonades ; nectars de fruits ; sodas ; apéritifs sans alcool ;

Classe 35 : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériel publicitaire (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) ; services d'abonnement à des services de télécommunications pour des tiers ; présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ; conseils en organisation et direction des affaires ; comptabilité ; reproduction de documents ; services de bureaux de placement; portage salarial ; service de gestion informatisée de fichiers ; optimisation du trafic pour des sites web ; organisation d'expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ; location d'espaces publicitaires ; diffusion d'annonces publicitaires ; conseils en communication (publicité) ; relations publiques ; conseils en communication (relations publiques) ; audits d'entreprises (analyses commerciales) ; services d'intermédiation commerciale (conciergerie);

Classe 43 : Services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; services de crèches d'enfants ; mise à disposition de terrains de camping ; services de maisons de retraite pour personnes âgées ; services de pensions pour animaux domestiques »

Le 10 février 2022, la collectivité territoriale Ville de [Localité 3] a formé devant l'INPI une demande en nullité enregistrée sous la référence NL22-0029 contre la marque verbale n°20/ 4686794 déposée le 29 septembre 2020 aux motifs suivants :

Deux motifs absolus de nullité :

' Le signe est de nature à tromper le public ;

' La marque a été déposée de mauvaise foi.

Un motif relatif de nullité, l'atteinte à l'enseigne CHEZ LA MERE [T], en raison de l'existence d'un risque de confusion.

Dans ses observations devant l'INPI la demanderesse s'est également prévalu de l'existence d'un nom de domaine http://www.chezlamère[T].com et à titre subsidiaire a invoqué un motif tiré de l'existence d'un risque de confusion avec la marque notoire non enregistrée 'Chez la mère [T]'.

Par décision du 8 février 2023 le Directeur de l'INPI a :

- Rejeté la demande en nullité NL 22-0029 ;

- Mis à la charge de la Collectivité Territoriale Ville de [Localité 3] la somme de 1100 euros au titre des frais exposés.

La Ville de [Localité 3]- Commune Nouvelle de [Localité 3] a formé un recours contre la décision le 11 mars 2023.

Dans ses observations pour l'audience le Directeur général de l'INPI considère que sa décision est fondée.

L'ordonnance de clôture est en date du 21 mars 2024.

Par une note en délibéré du 10 avril 2024 la cour a invité les parties à produire pour le 17 avril au plus tard la délibération de la collectivité territoriale qui a autorisé l'action en justice et leur a donné jusqu'au 27 avril 2024 au plus tard pour faire toutes observations utiles.

La Commune Ville de [Localité 3]- Commune Nouvelle de [Localité 3] a produit les pièces sollicitées et les parties ont présenté des observations.

Par une note en délibéré du 14 mai 2024 les parties ont été invitées à indiquer à la cour si les notes en délibéré transmises par les parties les 15 avril 2024 et 26 avril 2024 ont été communiquées à l'INPI et à défaut à bien vouloir les transmettre pour le 17 mai 2024 au plus tard.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses écritures notifiées le 9 juin 2023 la Commune Ville de [Localité 3]- Commune Nouvelle de [Localité 3] demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé la ville de [Localité 3] en son appel de la décision statuant sur une demande en nullité rendue le 8 février 2023, le directeur de l'institut national de la propriété industrielle ;

Y faisant droit,

- Réformer la décision sus énoncée et datée en ce qu'elle a :

- Décidé que la demande en nullité est rejetée ;

- rejeté le caractère trompeur du dépôt comme motif de nullité de la marque contestée;

- rejeté la mauvaise foi du déposant comme motif de nullité de la marque contestée ;

- rejeté de l'existence de l'atteinte à une marque notoire ;

- rejeté la demande en nullité sur le fondement de l'atteinte à l'enseigne ;

- mis à la charge de la ville de [Localité 3]- Commune Nouvelle de [Localité 3] la somme de 1100 euros au titre des frais exposés.

Et, statuant à nouveau,

- Prononcer la nullité de la marque contestée ;

- Constater le caractère trompeur du dépôt de la marque contestée, entraînant la nullité de celle-ci

- Constater la mauvaise foi du déposant entraînant la nullité de la marque contestée ;

- Constater l'atteinte à une marque notoire, entraînant la nullité de la marque contestée ;

- Confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes

- Condamner la société ADSAV au versement d'une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société ADSAV aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses écritures notifiées le 29 janvier 2024 la société ADSAV demande à la cour au visa des articles 1353, 2268 du code civil, L.711-3, L.711-3, L 716-2-1, L 716-2-3, R. 716 - 1, R 411-19 alinéa 2, R. 716 - 5 du CPI, L 2113-10 dernier alinéa du code général des collectivités territoriales, 6 bis de la convention de Paris, 117, 700, 908 du CPC de :

Principalement,

- Annuler les conclusions d'appelant notifiées par RPVA le 9 juin 2023 ;

- Prononcer en conséquence la caducité de l'appel ;

Subsidiairement,

infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré recevable la demande d'annulation enregistrée sous la référence NL22-0029 contre la marque verbale LA MERE [T] n°20/4686794 déposée le 29 septembre 2020.

Statuant à nouveau :

- Prononcer la nullité de la déclaration de demande d'annulation enregistrée sous la référence NL22-0029 contre la marque verbale LA MERE [T] n°20/4686794 déposée le 29 septembre 2020 ;

- La dire en tout état de cause irrecevable ;

Plus subsidiairement,

- Confirmer la décision du directeur de l'INPI en ce qu'elle a rejeté ladite demande de nullité de la marque LA MERE [T] n°20/4686794 déposée le 29 septembre 2020 et condamné le demandeur au paiement de la somme de 1 100 euros au titre des frais de justice ;

- Juger irrecevable en cause d'appel le motif de nullité tiré de l'existence d'une marque notoire au sens de l'article 6 bis de la Convention de PARIS, non visé lors de l'introduction de la demande de nullité de la marque ;

En tout état de cause, débouter l'appelant de toutes ses demandes ;

- Condamner l'appelant au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.

DISCUSSION

La requérante

Au visa de l'article 117 du code de procédure civile la société ADSAV signale que la commune Ville de [Localité 3] n'a plus d'existence légale depuis le 30 septembre 2017 ; qu'elle n'était pas partie à l'instance devant l'INPI ; qu'elle était dépourvue de la capacité à agir au jour du dépôt de ses écritures du 9 juin 2023 devant la cour d'appel de sorte que son recours est irrecevable.

Par arrêté du préfet des Côtes-d'Armor en date du 30 septembre 2017, la Commune Nouvelle de [Localité 3] a été créée en lieu et place des communes de [Localité 3] et de [Localité 8] (canton de [Localité 3], arrondissement de [Localité 3] ) à compter du 1er janvier 2018.

Depuis le 1er janvier 2018 la commune de [Localité 3] n'a donc plus d'existence juridique et seule la Commune Nouvelle de [Localité 3] avait capacité pour agir devant le directeur de l'INPI et devant la cour d'appel au soutien de son recours en annulation de marque.

La demande en nullité déposée devant l'INPI le 10 février 2022 a été faite par la Ville de [Localité 3] - Collectivité territoriale.

L'identification de l'appelante sous le vocable Ville de [Localité 3]- Collectivité territoriale et /ou Commune Ville de [Localité 3]-Commune Nouvelle de [Localité 3] ne suffit pas à établir qu'au jour du recours devant l'INPI et de la procédure en appel la Commune Nouvelle de [Localité 3] pouvait agir.

Par une note en délibéré elle communique une délibération du conseil municipal en date du 26 mai 2020 (pièce 1) antérieure à la requête en nullité, qui donne délégation au maire pour intenter au nom de la commune les actions en justice ou défendre la commune dans les actions intentées contre elle quelle que soit la nature du contentieux devant toute juridiction qu'il s'agisse d'une première instance d'un appel ou d'une cassation (article 16).

Elle joint :

- la convention d'accompagnement pour la phase précontentieuse et la procédure de nullité en première instance du 3 septembre 2021(pièce 2) ;

- la convention d'accompagnement pour la procédure d'opposition en première instance du 18 février 2022 (pièce 3) ;

- la convention d'accompagnement pour la procédure d'appel concernant la nullité et l'opposition en date du 19 juin 2023(pièce 4).

La société ADSAV fait valoir que :

- La pièce 1 serait une délibération du conseil municipal de la Ville de [Localité 3].

Elle s'appuie sur la mention en tête de chacune des pages de la délibération qui vise 'Ville de [Localité 3]'.

Cette reprise n'est pas de nature à conforter l'analyse de la société ADSAV dès lors que l'extrait du registre reproduit en évidence le cartouche de la Commune Nouvelle [Localité 3] [Localité 8] en haut de page à gauche. Le préfet destinataire de ce document le 28 mai 2020 n'a du reste émis aucune observation sur la validité de la délibération.

- Les pièces 2 et 3 auraient été adressées au Service domanialité de la Ville de [Localité 3] et porteraient le cachet de la Ville de [Localité 3]. Elle ajoute que la pièce 4 n'aurait pas été signée par le maire et porterait aussi le cachet de la Ville de [Localité 3].

La circonstance que le cabinet d'avocats chargé des intérêts de la collectivité territoriale ait adressé ses propositions d'accompagnement au Service domanialité de la Ville de [Localité 3] ne provient que d'une erreur de plume sans incidence juridique. Il en est de même de l'apposition du cachet Ville de [Localité 3] tamponné sur la signature du maire dans la proposition.

La proposition de services devant la cour d'appel de Rennes a été régularisée par le responsable du service des affaires juridiques de la Ville de [Localité 3]. L'intervention du responsable du service des affaires juridiques n'est pas non plus de nature à affecter la capacité de la Commune Nouvelle de [Localité 3] à agir devant la cour d'appel qu'elle tient de la délibération du conseil municipal.

L'existence juridique de la Commune Nouvelle de [Localité 3] est donc établie. Elle avait donc capacité à agir depuis la délibération du conseil municipal au jour de sa requête en nullité ainsi que devant la cour d'appel.

L'exception d'irrecevabilité est donc rejetée.

La nullité de la marque contestée

En vertu de l'article L716-2 du code de la propriété intellectuelle :

I.-Sont introduites devant l'Institut national de la propriété industrielle, par toute personne physique ou morale, les demandes en nullité de marques fondées sur les articles L. 711-2, L. 715-4 et L. 715-9. Devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire, elles sont introduites par toute personne intéressée.

II.-Sont introduites devant l'Institut national de la propriété industrielle et devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire les demandes en nullité de marques sur le fondement de l'article L. 711-3, par les seuls titulaires de droits antérieurs, notamment :

1° Le titulaire d'une marque antérieure mentionnée aux 1° et 2° du I de l'article L. 711-3 ;

2° Le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation d'une marque antérieure enregistrée mentionnée aux 1° et 2° du I de l'article L. 711-3, sauf stipulation contraire du contrat ;

3° Toute personne morale agissant sur le fondement de sa dénomination ou de sa raison sociale mentionnée au 3° du I de l'article L. 711-3 ;

4° Le titulaire d'un nom de domaine mentionné au 4° du I de l'article L. 711-3 ;

5° Toute personne agissant au titre du 4° du I de l'article L. 711-3 sur le fondement du nom commercial sous lequel elle exerce son activité ou de l'enseigne désignant le lieu où s'exerce cette activité ;

6° Toute personne qui, agissant au titre du 5° du I de l'article L. 711-3, est autorisée à exercer les droits découlant d'une indication géographique mentionnée à l'article L. 722-1 et notamment d'en assurer la gestion ou la défense ;

7° Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale agissant sur le fondement du droit mentionné au 9° du I de l'article L. 711-3, ou sur le fondement d'une atteinte à une indication géographique mentionnée à l'article L. 722-1 dès lors que cette indication comporte leur dénomination ;

8° Toute personne morale de droit public agissant au titre du 10° du I de l'article L. 711-3 sur le fondement du nom sous lequel cette personne, ou ses services, exerce son activité ;

9° Le titulaire d'une marque protégée dans un Etat partie à la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle agissant sur le fondement du III de l'article L. 711-3.

Cette disposition distingue entre les motifs absolus de nullité visés notamment à l'article L 711-2 et les motifs relatifs visés à l'article L 711-3;

1) Le caractère trompeur de la marque contestée

L'article L 711- 2 précise :

Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :

...

8° Une marque de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service

...

La Commune Nouvelle de [Localité 3] fait valoir que :

- L'enseigne CHEZ LA MERE [T] est une enseigne commerciale qui a été utilisée pour désigner le restaurant situé [Adresse 4] à [Localité 3] depuis 1944 jusqu'au moment de son incendie en 2019 ;

- L'enseigne désigne l'activité de restauration et de vente de produits alimentaires à emporter, ainsi qu'un lieu patrimonial emblématique ;

- La Commune Nouvelle de [Localité 3] entend protéger le bâtiment historique et l'enseigne associée ;

- La clientèle qui fréquente l'établissement est une clientèle locale et nationale ;

- La marque contestée a été déposée dans des classes qui correspondent aux activités exercées sous l'enseigne CHEZ LA MERE [T] et au même marché pertinent ;

- La marque contestée LA MERE [T] est similaire à l'enseigne CHEZ LA MERE [T], l'impression d'ensemble étant source de confusion pour le consommateur moyen.

Elle considère que le risque de confusion est suffisamment grave pour constituer une tromperie du consommateur sur la provenance des produits commercialisés.

La société ADSAV réplique que :

- La Commune Nouvelle de [Localité 3] n'est pas commerçante et n'est pas titulaire des droits sur l'enseigne ;

- La durée et sa continuité de l'usage jusqu'en 2019 n'est pas établi ;

- La Commune Nouvelle de [Localité 3] ne peut associer ou attacher un droit d'usage d'une enseigne qu'elle n'a pas exploitée.

La tromperie s'apprécie à la date du dépôt du signe contesté et en l'espèce au 20 septembre 2020.

Il appartient à la Commune Nouvelle de [Localité 3] d'établir que la marque contestée est de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

Un signe est de nature à tromper le public sur la provenance du produit même si le lieu dont le nom est repris n'est pas connu pour fabriquer de tels produits, mais dès l'instant où il est raisonnablement envisageable qu'un tel nom puisse désigner la provenance géographique.

La Commune Nouvelle de [Localité 3] doit donc établir que le consommateur moyen à la date du dépôt de la marque, attribue chaque produit et service des classes de la marque contestée, au restaurant CHEZ LA MERE [T] de [Localité 3].

Le signe contesté LA MERE [T] est quasiment similaire à l'enseigne du restaurant CHEZ LA MERE [T]. Ils ne se distinguent que par l'absence d'un mot 'CHEZ' dans la marque contestée.

Les produits et services de la classe 35 se distinguent de l'activité de restaurant.

En revanche les produits et services des classes 29, 30, 32 et 43 s'en rapprochent incontestablement, la classe 43 renvoyant justement à une activité de restauration.

Le restaurant CHEZ LA MERE [T] a pu avoir une renommée locale à [Localité 3] et dans sa proximité voire dans la région Bretagne, au regard notamment de l'attractivité touristique de la ville de [Localité 3] proche de [Localité 9] et de l'emplacement de l'établissement dans un bâtiment historique et typique.

Toutefois il n'est pas établi que cette réputation ait dépassé les environs de l'agglomération dinannaise.

La Commune Nouvelle de [Localité 3] ne parvient donc pas à démontrer qu'un nombre important de consommateurs moyens réparti sur tout le territoire national pensant s'adresser à un produit ou service issus du restaurant CHEZ LA MERE [T], soit trompé en se servant chez LA MERE [T] et ce d'autant que depuis 2019 la restaurant n'a plus d'activité.

2) La mauvaise foi du déposant

L'article L 711- 2 ajoute :

Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :

....

11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.

La Cour de justice s'est prononcée sur les conditions d'appréciation de la mauvaise foi d'un déposant :

La circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un tel signe ne suffit pas, a elle seule, pour établir l'existence de la mauvaise foi de ce demandeur. II convient, en outre, de prendre en considération l'intention dudit demandeur au moment du dépôt de la demande d'enregistrement d'une marque, élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d'espèce » CJUE, 2 7 juin 201 3).

Elle estime que :

L'intention d'empêcher un tiers de commercialiser un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur. Tel est notamment le cas lorsqu'il s'avère, ultérieurement, que le demandeur a fait enregistrer en tant que marque communautaire un signe sans intention de l'utiliser, uniquement en vue d'empêcher l'entrée d'un tiers sur le marché. En effet, dans un tel cas la marque ne remplit pas sa fonction essentielle, consistant à garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance » (CJUE, 11 juin 2009, LINDT GOLDHASE, C-529/O7).

Elle ajoute que peut constituer un facteur pertinent de la mauvaise foi, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits et/ou services identiques ou similaires, prêtant la confusion avec le signe dont l'enregistrement est contesté (CJUE, 11 juin 2009, LINDT GOLDHASE)

La mauvaise foi est susceptible d'être retenue lorsqu'il ressort d'indices pertinents et concordants que le titulaire d'une marque a introduit la demande d'enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l'intention de porter atteinte, d'une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l'intention d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque, notamment de la fonction essentielle d'indication d'origine » (CJUE, 29 janvier 2020, SKY, C 371/18, §75).

II est également admis par la jurisprudence que peut être qualifié de mauvaise foi le dépôt d'une marque effectué en connaissance de l'usage d'un signe identique antérieur bénéficiant d'une renommée et motivé par l'intention de profiter de sa renommée (même résiduelle ou de sa force d'attraction (TUE, 8 mai 2014, SIMCA, T-327/12 ; TUE, 14 mai 2019, NEYMAR, T-795/17).

La cour avance une présomption de connaissance par le demandeur de l'utilisation d'un tel signe par un tiers fondé notamment sur la connaissance générale du secteur économique concerné, la connaissance pouvant être déduite de la durée d'une telle utilisation.

Pour apprécier la mauvaise foi du déposant il convient de prendre en considération l'intention du demandeur d'empêcher ce tiers de continuer à utiliser le signe et le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l'enregistrement est demandé.

Doit être considéré de mauvaise foi le déposant qui réserve un signe dans le seul but de bloquer l'entrée sur le marché d'un concurrent : la poursuite de cette finalité révèle l'intention nuisible du déposant alors même que le droit de marque a pour finalité essentielle de garantir l'identité d'origine des produits et services aux yeux du consommateur et ce, afin d'éviter toute confusion avec les produits ou services commercialisés par un tiers.

En revanche la mauvaise foi du déposant n'est pas caractérisée lorsque le dépôt de la marque est effectué pour conforter des droits préexistants exploités par ce déposant.

Le 2 août 2006, la société ESSAOUIRA représentée par M. [V] locataire du local commercial dans l'immeuble appartenant à la commune a déposé la marque CHEZ LA MERE [T] pour y exploiter une activité de restauration et de vente de produits dérivés. Il a poursuivi son activité jusqu'en 2015.

Le 19 septembre 2020 la société ADSAV a déposé la marque pour des classes de produits et service étendus ce qui lui permet de commercialiser une large gamme de produits et services de bouche destinée à un marché ouvert et porteur dans une petite ville attractive.

M. [V] ne s'en cache pas dans les articles de journaux de 2022 en précisant notamment qu'il entend lancer une gamme de biscuits 'la Mère [T]' le titre de l'article insistant sur sa qualité d'ancien patron du restaurant.

La société ADSAV reprenant ses propos devant le journaliste, précise toutefois qu'il s'agit de reprendre une idée de 2006.

Des anciens salariés expliquent en effet avoir fabriqués dans le restaurant de 2006 à 2014 des caramels et des biscuits de voyages pour alimenter la boutique de vente à emporter ainsi que des tabliers en guise de souvenirs.

Les pièces au débat démontrent donc qu'après avoir cessé d'exploiter le restaurant en 2015 et la marque CHEZ LA MERE [T] jusqu'en 2016, près de 10 ans plus tard, le gérant de la société ADSAV, M. [V] souhaite reprendre une activité quasi similaire.

Ce projet ne procède que par sa volonté de conforter des droits et une activité qu'il avait entendu protéger par le dépôt de la marque CHEZ LA MERE [T] et exploités durablement lorsqu'il était locataire de la Maison [T].

A la suite de l'incendie de juin 2019 les médias se sont faits l'écho en 2019 et 2020 des projets autour de la rénovation du site en signalant que la maison une fois reconstruite devrait redevenir un restaurant avec une ambition supplémentaire, celle de compter un restaurant étoilé comme le précise le maire dans une interview (pièce7 Commune).

La Commune Nouvelle de [Localité 3] n'apporte aucune pièce de nature à établir qu'au moment du dépôt de la marque contestée, elle s'apprêtait à installer un nouveau locataire commercial dans l'immeuble. Elle ne peut donc subodorer que la société ADSAV par son dépôt, entendait brider l'activité commerciale d'un concurrent potentiel et limiter l'exploitation libre du signe CHEZ LA MERE [T].

La mauvaise foi du déposant n'est donc pas établie.

3) Le risque de confusion

Conformément aux dispositions de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle :

Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :

...

4° Un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public

La Commune Nouvelle de [Localité 3] se prévaut d'un risque de confusion de la marque contestée LA MERE [T] avec l'enseigne CHEZ LA MERE [T].

Elle admet que cette enseigne est un élément du fonds de commerce de restaurant et que l'enseigne appartient au propriétaire du fonds, en l'espèce le locataire bénéficiant d'un bail commercial.

Depuis l'incendie du 23 juin 2019 le restaurant n'est plus exploité dans l'attente de la reconstruction de l'immeuble qui l'abritait.

Pour contourner cette difficulté la Commune Nouvelle de [Localité 3] fait valoir que l'utilisation de l'enseigne est soumise à une exception de fait qui consiste à attacher indirectement l'enseigne à l'immeuble dans le but de protéger le patrimoine de la commune, afin de perpétrer l'histoire du lieu et ainsi d'éviter que le nom de l'enseigne ne puisse évoluer au gré des successions d'exploitants, conformément aux baux successifs.

La Commune Nouvelle de [Localité 3] considère qu'elle se substitue de fait à son locataire, pour utiliser et faire vivre le signe CHEZ LA MERE [T] se prévalant non d'une exploitation commerciale de l'enseigne mais d'une exploitation se manifestant par des communications dans la presse et par l'alimentation du site http: // www.chezlamère[T].com. Elle entend s'ériger en gardienne de l'enseigne.

La Maison [T] est réputée dans la ville de [Localité 3] en raison de son architecture caractéristique, de son histoire, de son classement comme Monument Historique et de son emplacement au coeur d'une cité de caractère.

La Commune Nouvelle de [Localité 3] verse une copie du renouvellement du bail commercial liant les parties en date du 30 octobre 2013 qui précise que le bail a été consenti pour la destination commerciale BAR RESTAURANT et ce uniquement sous l'enseigne commerciale CHEZ LA MERE [T] en conservant aux lieux leur aspect rustique et notamment l'aspect ancien de la grande salle de restaurant.

La bailleresse, la Ville de [Localité 3] liait ainsi étroitement l'exploitation commerciale par le locataire à l'enseigne, laquelle constitue un élément caractéristique de l'immeuble qui alimente la cachet historique et la renommée à la fois de la ville, de la Maison [T] et du restaurant.

'CHEZ LA MERE [T]' est en effet une enseigne commerciale exploitée depuis 1944 dans un immeuble emblématique de la ville vieux de plusieurs siècles qui fait partie de son patrimoine médiéval et architectural et qui participe pour une très large part à la renommée de la ville.

Il existe une interdépendance entre l'enseigne, l'immeuble sur lequel elle est apposée et la réputation de la ville de [Localité 3]. Dans ce contexte la Commune Nouvelle de [Localité 3] gardienne de son patrimoine historique est recevable à agir pour protéger cette enseigne indissociable de la Maison [T] et du passé de la ville.

Pour autant une enseigne ne bénéficie d'une protection que si elle est reconnue sur l'ensemble du territoire national et s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public avec la marque contestée.

La Commune Nouvelle de [Localité 3] ne peut s'opposer au dépôt de la marque LA MERE [T] que si l'enseigne qu'elle entend protéger avait, à la date du dépôt, acquis un rayonnement s'étendant à l'ensemble du territoire.

Pour démontrer la réputation de l'enseigne CHEZ LA MERE [T] la Commune Nouvelle de [Localité 3] produit :

- Un article du FIGARO du 23 juin 2019 intitulé ' A [Localité 3], l'emblématique restaurant Chez la mère [T] ravagé par un incendie'(pièce 5) ;

- Une édition spéciale du journal COMMUNE NOUVELLE DE [Localité 3] datée d'octobre 2021 et ayant pour titre MERE [T], LA RENAISSANCE' (pièce 4) ;

- Un article du journal LE PETIT BLEU DES CÔTES D'ARMOR, daté du 21 septembre 2020 et intitulé '[Localité 3] ; un restaurant étoilé à la Mère [T] '' (Pièce7) ;

- Un article de FRANCE BLEU intitulé ' [Localité 3] : Touristes et habitants affluent autour de la Mère [T] un mois après l'incendie' (pièce 12 bis) ;

- Un article du journal LE PETIT BLEU DES CÔTES D'ARMOR, daté du 10 janvier 2022 et intitulé 'A [Localité 3], cet ancien patron du restaurant veut lancer une gamme de biscuits La Mère [T]'(pièce 13) ;

- Un article du journal OUEST FRANCE, daté du 23 juin 2019 et intitulé « [Localité 3] : un incendie a ravagé l'emblématique restaurant 'Chez la mère [T]'.

Une enseigne est connue nationalement lorsqu'une des informations et ou une publicité concernant cette enseigne et l'immeuble sur lequel elle s'affiche a été diffusée sur l'ensemble du territoire.

En l'espèce l'article du Figaro n'est pas de nature à établir l'intérêt d'un public élargi pour La Maison [T] et son histoire. Il se limite à relater une événement retentissant certes, mais lié à un fait divers qui n'appelle pas de développement à long terme de nature à attirer un large public.

Il en est de même s'agissant des autres articles publiés par des journaux locaux dont la diffusion locale est limitée à l'agglomération dinannaise voire tout au plus à sa proximité immédiate.

Ces articles de presse sont donc insuffisants à établir le rayonnement d'importance de l'enseigne CHEZ LA MERE [T].

4) La marque notoire

Le formulaire de nullité déposé le 10 février 2022 devant l'INPI ne reprend pas le moyen de nullité tiré de l'atteinte à la marque notoire. L'INPI rappelle que ce moyen a été invoqué par la Commune Nouvelle de [Localité 3] dans ses premières observations en réponse à celles du titulaire de la marque contestée.

L'article R 716- du code de la propriété intellectuelle précise :

La demande en nullité ou en déchéance mentionnée à l'article L. 716-1 est présentée par écrit selon les conditions et modalités fixées par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.

Elle comprend :

1° L'identité du demandeur ;

2° Le cas échéant, les indications propres à établir l'existence, la nature, l'origine et la portée des droits antérieurs invoqués ;

3° Les références de la marque contestée, ainsi que l'indication des produits ou services visés par la demande en nullité ou en déchéance ;

4° L'exposé des moyens sur lesquels repose la demande en nullité ou en déchéance, à l'exception de la demande fondée sur l'article L. 714-5 ;

5° La justification du paiement de la redevance prescrite ;

6° Le cas échéant, sauf lorsqu'il a la qualité de conseil en propriété industrielle ou d'avocat, le pouvoir du mandataire, ce pouvoir pouvant être adressé à l'Institut dans le délai d'un mois.

Après qu'elle a été formée, la demande en nullité ou en déchéance ne peut être étendue à d'autres motifs ou d'autres produits ou services que ceux invoqués ou visés dans la demande initiale.

Dans ces conditions le moyen de nullité tiré de l'atteinte à la marque notoire doit être déclaré irrecevable.

Il convient donc de rejeter le recours formé par la commune Nouvelle de [Localité 3] contre la décision du directeur général de l'INPI.

La cour relève que l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'exploitation d'une enseigne conformément aux dispositions de l'article L 713-6 du code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles :

...

II. - Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'un nom commercial, d'une enseigne ou d'un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d'enregistrement de la marque et s'exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la Commune Nouvelle de [Localité 3] aux dépens engagés devant la cour d'appel.

Les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour

- Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société ADSAV ;

- Déclare irrecevable le moyen de nullité tiré de l'atteinte à la marque notoire;

- Rejette le recours formé par la Commune Nouvelle de [Localité 3] à l'encontre de la décision du directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle du 8 février 2023 ;

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne la Commune Nouvelle de [Localité 3] aux dépens engagés devant la cour d'appel,

- Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties ainsi qu'à l'Institut National de la Propriété Industrielle.