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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 7 juin 2024, n° 23/07002

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Seedeck Limited

Défendeur :

Institut National de la Propriété Industrielle (INPI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Chokron

Avocats :

Me Baud, Me Marchiset, Me Barissat

CA Paris n° 23/07002

6 juin 2024

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu la décision rendue le 20 janvier 2023 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) qui, statuant sur la demande de la société Seedeck Ltd en déchéance pour défaut d'usage sérieux de la marque WEEZEE déposée le 29 novembre 2015 et enregistrée sous le n°15 4 229 656, l'a reconnue partiellement justifiée et a, en conséquence, déclaré M. [K] [F], titulaire de cette marque, déchu de ses droits à compter du 18 mars 2021 pour l'ensemble services désignés à l'enregistrement exceptés les services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)' de la classe 38 pour lesquels le titulaire de la marque a conservé ses droits.

Vu le recours formé à l'encontre de cette décision le 13 avril 2023 par la société Seedeck Ltd (organisée selon les lois de l'Ile de Man).

Vu les conclusions remises au greffe de la cour et notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023 (n°1) et le 24 mai 2023 (n°2) par la société Seedeck Ltd, requérante, qui demande à la cour, au fondement des articles L. 411-4 et suivants, L.714-5, R.411-19 et suivants du code de la propriété intellectuelle, d'infirmer la décision du 20 janvier 2023 objet du recours en ce qu'elle a rejeté la demande en déchéance de la marque WEEZEE n°15 4 229 656 pour les services de'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)' de la classe 38 et, la confirmant pour le surplus et statuant à nouveau, prononcer la déchéance des droits de M. [F] pour la totalité des services désignés par la marque, condamner M. [F] à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des frais de procédure et de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions (n°2) remises au greffe de la cour et notifiées par voie électronique le 15 mars 2024 de M. [K] [F], défendeur au recours, qui demande à la cour, au visa de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a reconnu un usage sérieux de la marque WEEZEE n° 15 4 229 656 pour les services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)' de la classe 38, condamner la société Seedeck à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Vu les observations écrites en date du 11 mars 2024 du directeur général de l'INPI concluant au bien fondé de la décision attaquée en ce qu'elle a considéré que l'usage sérieux de la marque contestée pour des services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)' était démontré.

Les conseils des parties et le représentant du directeur général de l'INPI ayant été entendus en leurs observations orales à l'audience de la cour du 28 mars 2024.

Le ministère public ayant été avisé de la date de l'audience.

SUR CE, LA COUR :

Il résulte des dispositions des articles L. 411-4 alinéa 2 et L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle que le directeur général de l'INPI connaît des demandes en déchéance de marques et en particulier des demandes en déchéance de marques pour défaut d'usage sérieux formées au fondement de l'article L. 714-5 de ce même code.

En la cause, le directeur général de l'INPI a été saisi, le 27 janvier 2022, par la société Seedeck Ltd, d'une demande tendant à voir déclarer M. [K] [F] déchu de ses droits sur la marque verbale WEEZEE n° 15 4 229 656, dont il est titulaire, pour l'ensemble des services visés dans l'enregistrement. La demande était présentée au motif que 'la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux'.

Selon la décision attaquée, le directeur général de l'INPI a fait droit à la demande de déchéance pour partie des services couverts par la marque mais l'a rejetée, comme mal fondée, pour les services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)'.

La société requérante Seedeck Ltd critique la décision sur ce dernier chef, le seul, au demeurant, à lui faire grief.

M. [F] ne demande pas quant à lui l'infirmation de la décision en ce qu'elle l'a déclaré déchu de ses droits pour partie des services de l'enregistrement. Il se borne en effet à poursuivre la confirmation de cette décision en ce qu'elle a reconnu un usage sérieux de la marque pour les services de 'télécommunications; services d'affichage électronique (télécommunications)' de la classe 38 et dit n'y avoir lieu à déchéance pour les services précités.

Ainsi, le débat devant la cour est circonscrit aux seuls services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)', pour lesquels la société requérante Seedeck maintient sa demande, rejetée à tort selon elle par le directeur général de l'INPI, tendant à voir prononcer la déchéance des droits du titulaire de la marque.

L'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans, encourt la déchéance de ses droits.

L'article L. 716-3 du même code vient préciser que la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête d'une partie, à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.

Enfin, l'article L. 716-3-1 fait peser sur le titulaire de la marque dont la déchéance est demandée la charge des preuves d'usage, qui peuvent être apportées par tous moyens.

En l'espèce, la période pertinente n'est pas contestée en ce qu'elle couvre les cinq années qui précèdent la demande en déchéance et s'établit en conséquence du 27 janvier 2017 au 27 janvier 2022 inclus.

Concernant la date d'effet de la déchéance, le directeur général de l'INPI, à la demande de la société Seedeck, l'a fixée, pour ceux des services pour lesquels la déchéance a été prononcée, au 18 mars 2021 c'est à dire au terme d'un délai de cinq années suivant la publication, intervenue le 18 mars 2016, de l'enregistrement de la marque. Cette date, n'est pas discutée dans le cadre du débat devant la cour qui ne porte, ainsi qu'il l'a été précédemment observé, que sur les services de 'télécommunications ; services d'affichage électronique (télécommunications)' couverts par l'enregistrement.

Il importe enfin de rappeler que les recours à l'encontre des décisions du directeur général de l'INPI statuant sur des demandes en déchéance de marques sont, selon les dispositions de l'article R. 411-19 du code de la propriété intellectuelle, des recours en réformation déférant à la cour l'entier litige, en fait comme en droit, ce qui autorise les parties à proposer de nouvelles preuves et à produire au soutien du recours toutes les pièces qu'elles estimeraient utiles y compris des pièces qui n'auraient pas été préalablement soumises au directeur général de l'INPI. En la cause, aucune contestation n'est au demeurant soulevée quant à la recevabilité des pièces versées à la procédure devant la cour qui, en conséquence, les examinera toutes sauf à apprécier leur pertinence et leur portée probatoire.

Pour conclure à la déchéance, la société requérante Seedeck fait valoir que le signe WEEZEE, utilisé pour une application permettant à son utilisateur de générer un QR code, constitue un produit logiciel de la classe 9 et non pas un quelconque service de télécommunications de la classe 38 consistant à assurer une transmission de signes. Même s'il est destiné à faciliter l'accès à Internet, c'est-à-dire à un service de télécommunications fourni par une entreprise tierce, un tel produit ne saurait être, selon elle, assimilé à un service de télécommunications.

Or, il n'est pas contesté que le signe WEEZEE est utilisé pour une application permettant à son utilisateur de générer un QR code facilitant l'accès à un réseau internet WIFI.

La fonction de l'application est explicitée sur le site internet 'weezee.fr' (capture d'écran produite par M. [F] en pièce n°3) dans les termes suivants: ' WIFI illimité à l'extérieur, à prix cassé ! Depuis 2014, notre mission est la même: vous connecter facilement aux réseaux Wifis proches de vous grâce à une application complète et novatrice'.

M. [F] dans ses conclusions, et le directeur général de l'INPI dans ses observations, relèvent, à juste titre, que le service consistant à proposer une connexion par WIFI au réseau Internet au moyen d'une application qui permet d'économiser son forfait de téléphone portable en connectant celui-ci à des réseaux WIFI partenaires, correspond à un service de 'télécommunications' dès lors que, conformément à la destination d'un tel service, il assure le transfert, l'émission et la réception d'informations. Ainsi qu'il est pertinemment souligné par le directeur général de l'INPI, il convient de prendre en considération la nature du service pour lequel est exploité la marque, peu important que l'exploitant de ce service ne soit pas un opérateur de télécommunications fournisseur d'accès à Internet mettant à la disposition des usagers un réseau qu'il gère lui-même.

Il n'est pas davantage contesté que l'application fonctionne en opérant la conversion d'un code WIFI en un QR code généré par affichage sur le smartphone de l'utilisateur. Une telle opération relève des ' services d'affichage électronique (télécommunications)' désignés dans l'enregistrement.

Ceci posé, il importe de rechercher si les pièces du débat justifient d'un usage sérieux de la marque pour les services couverts par la marque étant précisé que, pour être qualifié de sérieux au sens des dispositions de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, un tel usage doit être, au plan qualitatif, à titre de marque, c'est-à-dire conforme à la fonction essentielle de la marque et, au plan quantitatif, suffisant au regard des caractéristiques du marché des services concernés et, notamment, de sa taille.

Les preuves d'exploitation proposées par le titulaire de la marque sont, outre la pièce n°3 précédemment évoquée, les suivantes :

- n°4 : Statistiques App Store du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 avec un total de 33 175 vues de la 'page produit' de l'application WEEZEE ;

- n°6 et n°7 : Statistiques App Store nombre total de téléchargements du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 : 9293 ;

- n°8 et n°9 : Statistiques App Store nombre total d'impressions du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 : 97 460 ;

- n°10 : Statistiques App Store nombre total de sessions actives (nombre total d'utilisations de l'application pour une durée de plus de deux secondes) du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 : 6 622 ;

- n°12 et n°13 : Statistiques App Store nombre total d'appareils actifs (nombre total d'appareils avec au moins une session durant la période sélectionnée) du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 : 35 ;

- n°14 et n°15 : Statistiques App Store de conversion du 27 janvier 2016 au 27 janvier 2022 : 9,68% (nombre total de téléchargements par rapport aux impressions sur appareils uniques) ;

- n°16: Statistiques Play Store depuis la publication de l'application: 163 visiteurs sur Play Store et 60 acquisitions;

- n°17 : Extrait du site 'wayback machine' pour http://xeezee.thewebagence.fr/ démontrant une exploitation pour présenter et promouvoir les services de l'application mobile sur Internet via ce site entre 2017 et 2020;

- n°18, n°19 et n°20 : Facture OVH du 7 mars 2018, facture OVH du 26 février 2019, facture GoDaddy du 28 novembre 2021 démontrant les frais engagés pour la réservation du nom de domaine 'weezee.fr' et l'hébergement de son site Internet;

- n°21: Capture d'écran du compte Instagram Weezee créé en mai 2020 comptant 563 abonnés sur lequel est exploitée la marque WEEZEE ;

- n°22 : Capture d'écran du compte Twitter Weezee créé en juin 2015 et sur lequel est exploitée la marque WEEZEE ;

- n°23 : Capture d'écran du compte Facebook Weezee, créée en avril 2015 et comptant 12 932 abonnés, justifiant de l'utilisation de la marque WEEZEE sur la page 'Weezee Easy WI-FI' ;

- n°24 : Capture d'écran Youtube de trois vidéos publiées le 24 octobre 2017 présentant l'application WEEZEE ;

- n°25 ; Capture d'écran Youtube d'une vidéo publiée le 8 octobre 2019 présentant l'application WEEZEE;

- n°26 : Article de presse intitulé 'Mobile : Weezee, l'appli qui va faciliter la vie des Millenials en matière de code WIFI (EXCLU)' publié le 18 janvier 2018 et son constat d'huissier (n°27) ;

- n°32: Capture d'écran des publications Twitter ' easy wi-fi weezee' des 9 février 2016 et 22 juin 2017;

- n°33 : Captures d'écran de publicités Weezee sur Instagram des 15 mai 2020 et 7 juillet 2020 ;

- n°34 : Captures d'écran des publications Facebook sur la page ' easy wi-fi weezee' des 28 octobre 2017, 5 décembre 2017, 18 janvier 2018 et 8 décembre 2021 .

Il ressort de l'examen de l'ensemble des pièces ci-dessus visées que la preuve est rapportée d'une exploitation commerciale de la marque contestée pour les services concernés sur la période pertinente du 27 janvier 2017 au 27 janvier 2022 inclus.

Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'usage de la marque, tel que justifié, ne saurait être regardé comme symbolique et exclusivement destiné à maintenir les droits conférés par la marque.

En particulier, la promotion de la marque sur les réseaux sociaux vise à créer ou à conserver des parts de marché au profit des services protégés par la marque et constitue donc un usage conforme à la fonction de la marque qui est de garantir l'origine commerciale des services pour lesquels la marque a été enregistrée.

En outre, dans l'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque il convient de prendre en considération, notamment, la nature des services en cause, les caractéristiques du marché, l'étendue territoriale de l'usage, sa durée et sa fréquence ainsi que le volume commercial mais il doit être précisé qu'il n'est pas nécessaire que l'usage de la marque soit quantitativement important pour être qualifié de sérieux.

Ainsi qu'il est justement observé par le directeur général de l'INPI, la taille de l'entreprise est un élément d'appréciation dès lors que l'entreprise exploitante est manifestement, en la cause, une petite entreprise (TPE) dont les moyens d'action sur le marché sont limités.

La nature du service est également en jeu s'agissant d'une application téléchargeable sur un smartphone destinée à une fonction de communication bien circonscrite et dont l'usage s'avère utile pour un nombre restreint de consommateurs localisés, pour l'essentiel, dans les Antilles françaises où l'accès à Internet n'est pas aisé.

Par ailleurs, le téléchargement de l'application sur le smartphone s'effectue en une intervention unique de l'utilisateur ce dont il doit être tenu compte dans l'appréciation des volumes de téléchargements ci-dessus justifiés sur la période pertinente.

En conséquence, la décision attaquée doit être confirmée en ce qu'elle a retenu un usage sérieux de la marque pour les services de 'télécommunications; services d'affichage électronique (télécommunications)'couverts par l'enregistrement et dit n'y avoir lieu de prononcer la déchéance des droits du titulaire de la marque pour ces services.

Elle sera également confirmée en ce que, par application des dispositions de l'article L. 716-1-1 du code de la propriété intellectuelle, la société Seedeck Ltd, ne pouvant être regardée comme partie gagnante dès lors que sa demande en déchéance n'a été que partiellement accueillie, s'est vue refuser sa demande relative à la prise en charge des frais exposés.

Il n'y a pas lieu d'allouer à la société Seedeck Ltd, dont le recours n'a pas prospéré, une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas davantage de faire droit à la demande d'indemnité de M. [F] au titre de ces mêmes dispositions.

Enfin, la procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens,

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.