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Décisions

CA Pau, 1re ch., 11 juin 2024, n° 22/03353

PAU

Arrêt

Autre

CA Pau n° 22/03353

11 juin 2024

CF/CD

Numéro 24/01924

COUR D'APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRÊT DU 11/06/2024

Dossier : N° RG 22/03353 - N° Portalis DBVV-V-B7G-IMSW

Nature affaire :

Demande en garantie des vices cachés ou tendant à faire sanctionner un défaut de conformité

Affaire :

SAS [U]

C/

[P] [M],

[T] [G]

épouse [M],

SA MMA IARD,

SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES,

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS,

SELARL EKIP'

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 Juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 19 Mars 2024, devant :

Madame FAURE, Présidente, magistrate chargée du rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile

Madame de FRAMOND, Conseillère

Madame BLANCHARD, Conseillère

assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

SAS LARIVIERE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Maître GUIGNARD de la SELARL 08H08 AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMES :

Monsieur [P] [M]

6 et [Adresse 9]

[Localité 11]

Madame [T] [G] épouse [M]

6 et [Adresse 9]

[Localité 11]

Représentés et assistés de Maître BORDENAVE, avocat au barreau de PAU

SA MMA IARD

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

venant toutes deux aux droits de la SA COVEA RISKS, ès qualités d'assureur décennal de la SARL LES TOITS DU BEARN

Représentées et assistées de Maître CORBINEAU de la SELARL INTERBARREAUX GARDACH & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BAYONNE

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Maître MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU

Assistée de Maître CHARBONNIER, avocat au barreau de PAU

SELARL EKIP'

en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL D'ARCHITECTURE [W] [V], prise en son établissement de [Localité 12] situé [Adresse 4], et en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

sur appel de la décision

en date du 22 NOVEMBRE 2022

rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU

RG numéro : 21/00477

EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique du 20 mai 2009, Monsieur [P] [M] et son épouse, Madame [T] [G], ont acquis un ensemble immobilier constituant une ancienne grange à rénover, sis 6 et [Adresse 9] à [Localité 11] (64).

Suivant contrat du 18 janvier 2010, ils ont confié la maîtrise d'oeuvre des travaux de rénovation de leur maison à la SARL D'ARCHITECTURE [W] [V], assuré auprès de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS (MAF).

Selon marché du 9 mars 2011, le lot charpente et couverture a été confié à la SARL LES TOITS DU BÉARN, assurée auprès de la SA COVEA RISKS, aux droits de laquelle viennent la SA MMA IARD et la SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, pour un montant de 119 600 euros.

Le 13 avril 2012, la réception des travaux a eu lieu. La SARL LES TOITS DU BÉARN a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Pau du 12 avril 2016.

Par actes d'huissier de justice en date des 14 et 16 novembre 2018, M. [P] [M] et Mme [T] [G] épouse [M] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Pau d'une demande d'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire, ayant constaté des décolorations des ardoises et la présence de pyrite sur la couverture.

Par ordonnance du 23 janvier 2019, le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette demande, et désigné M. [J] pour procéder à l'expertise.

Par ordonnance du 31 juillet 2019, le juge a rendu communes et opposables les opérations d'expertise à la SAS [U].

Le 29 septembre 2020, l'expert a déposé son rapport.

Par actes d'huissier de justice des 11 février, 11 et 16 mars 2021, M. [P] [M] et Mme [T] [G] épouse [M] ont fait assigner la SA MMA IARD et la SA MMA AIRD ASSURANCES MUTUELLES ès qualités d'assureur de la SARL LES TOITS DU BÉARN, la SAS [U], la SARL D'ARCHITECTURE [W] [V] et son assureur la MAF devant le tribunal judiciaire de Pau en indemnisation de leurs préjudices.

Par acte d'huissier de justice du 29 décembre 2021, les époux [M] ont fait assigner en intervention forcée la SELARL EKIP' ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL D'ARCHITECTURE [W] [V].

Par ordonnance du 30 juin 2022, le juge de la mise en état, statuant sur l'incident de prescription soulevé par la SAS [U], a renvoyé l'affaire devant le juge du fond, sans clore l'instruction, afin qu'il soit statué sur les fins de non-recevoir.

Suivant jugement contradictoire en date du 22 novembre 2022 (RG n° 21/00477), le tribunal a :

- jugé que les ardoises vendues par la SAS [U] pour le chantier de la maison des époux [M] ont été installées sur la toiture du bien immobilier cadastré section AZ n° 9, 6 et [Adresse 9] à [Localité 11],

- jugé que les époux [M] disposent d'un intérêt à agir à l'encontre de la SAS [U] au regard de l'absence de conformité de ces ardoises aux normes applicables,

- jugé que l'action engagée par les époux [M] à l'encontre de la SAS [U] n'est pas prescrite,

- jugé qu'aucune prescription n'est opposable par la SAS [U] aux sociétés MMA IARD, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, et à la MAF,

- débouté en conséquence la SAS [U] de sa demande de mise hors de cause,

- renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état à l'audience du 5 janvier 2023,

- condamné la SAS [U] aux dépens de l'incident avec bénéfice de distraction au profit de Me Charbonnier, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné la SAS [U] à payer aux époux [M] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS [U] à payer à la MAF la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS [U] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour motiver sa décision, le tribunal a retenu :

- que les époux [M] ont intérêt à agir contre la SAS [U] dès lors que les ardoises vendues par la SAS [U] pour le chantier de leur maison n'étaient plus conformes aux normes en vigueur à la date de leur acquisition et qu'il ressort des éléments d'expertise qu'elles correspondent techniquement à la nature des tuiles effectivement installées sur leur toiture,

- que l'action des époux [M], sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, n'est pas prescrite dès lors que le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil n'a commencé à courir qu'à compter du courrier du 9 mai 2018 de la société APC2, couvreur, révélant des anomalies sur la qualité des ardoises, date à laquelle ils ont eu connaissance des faits préjudiciables fondant leur droit à agir,

- qu'aucune autre prescription ne vient affecter les demandes présentées par les assureurs au titre de l'action récursoire, qui trouve comme support nécessaire l'action introduite par les époux [M].

Par déclaration du 15 décembre 2022 (RG n° 22/03353) la SAS [U] a relevé appel, critiquant le jugement dans l'ensemble de ses dispositions sauf en ce qu'il a renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état.

Par ordonnance du 9 mars 2023, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré caduque la déclaration d'appel formée le 15 décembre 2022 par la SAS [U] à l'égard de la SELARL EKIP' ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL d'architecture [W] [V].

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, la SAS [U], appelante, entend voir la cour infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état, et statuant à nouveau :

- juger que les époux [M], pas plus que les MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD et la MAF, ne justifient de la traçabilité des ardoises ni de l'existence d'un certificat de garantie trentenaire,

En conséquence,

- juger les époux [M], mais également les MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD et la MAF, irrecevables en leurs demandes fins et conclusions dirigées à son encontre à défaut d'intérêt à agir,

- juger que sa responsabilité n'est manifestement pas susceptible d'être engagée au titre de la garantie trentenaire à défaut de certificat et en l'absence de défaut d'étanchéité, et sur le terrain du défaut de conformité,

- juger que seule la garantie au titre du vice caché est susceptible d'être actionnée et en l'espèce la déclarer prescrite,

- juger prescrite l'action sur le terrain des vices cachés ou de la responsabilité de droit commun délictuelle,

En conséquence,

- débouter les époux [M], et toute autre partie dont la SA MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la MAF, de leurs demandes fins et conclusions dirigées à son encontre,

- mettre purement et simplement hors de cause la SAS [U],

- condamner les époux [M] mais également la SA MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la MAF au paiement de la somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance, d'appel et de référé.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir, au visa des articles 789, 789-3 du code de procédure civile, 1353 du code civil, L. 110-4 du code ce commerce et 1641 et 1648 du code civil :

- que les époux [M] n'ont pas d'intérêt à agir à son encontre dès lors qu'il n'est pas établi que les ardoises installées sur leur toiture par la SARL LES TOITS DU BÉARN sont celles vendues par la SAS [U],

- qu'en tant que négociant en matériaux qui n'est lié contractuellement qu'à la SARL LES TOITS DU BÉARN, elle ne saurait répondre de la garantie décennale,

- que les défauts qui se révèlent après la réception sans violation des spécifications contractuelles relèvent nécessairement de la garantie des vices cachés, dont l'action intentée le 21 mars 2021 est prescrite, intervenant plus de deux ans après la découverte du vice en 2018, et plus de 5 ans à compter de la vente des matériaux, intervenue le 30 avril 2011,

- que la prescription de l'action des époux [M] entraîne l'extinction du recours subrogatoire des assureurs.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2023, M. [P] [M] et Mme [T] [G] épouse [M], intimés, demandent à la cour de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions et, y ajoutant,

- condamner la SAS [U] aux dépens et à une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes, ils font valoir, sur le fondement de l'article 2224 du code civil :

- que l'expert a établi la traçabilité des ardoises livrées sur leur chantier et retenu qu'elles provenaient d'un stock d'ardoises vendues et livrées par la SAS [U] à la SARL LES TOITS DU BÉARN en avril 2011, distribuées par la SAS [U] sous le nom commercial Galiza Expert RF10 alors qu'elles n'étaient pas certifiées NF Ardoises,

- que leur action n'est pas prescrite dès lors que le délai de prescription quinquennal a commencé à courir quand ils ont découvert la non conformité, qui a été révélée par l'expertise en 2020, ou à défaut, à la date de l'attestation du couvreur qu'ils ont fait intervenir en mai 2018 suite à l'apparition des premiers désordres.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 avril 2023, la MAF, ès qualités d'assureur de la SARL d'architecture [W] [V], intimée, demande à la cour de confirmer le jugement, et à défaut :

- débouter purement et simplement la SASU [U] et toutes autres parties de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre, et notamment, de toutes demandes tendant à voir déclarer prescrites ses actions récursoires,

- dire et juger recevable et non prescrite l'action récursoire régulièrement formée, le 4 juin 2021 par la MAF à l'encontre de la SASU [U],

- condamner in solidum la SASU [U] et toutes parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, dont distraction est requise au profit de Me Mariol.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir, au visa des articles 789 du code de procédure civile, 2224 du code civil, 1382 et suivants et 1386-1 et suivants anciens du code civil :

- qu'elle ne fonde pas son action récursoire contre la SAS [U] sur la garantie des vices cachés, en l'absence de lien contractuel entre la SARL d'Architecture [W] [V] et la SAS [U], mais sur la responsabilité des articles 1382 et suivants anciens du code civil, dont le délai de prescription est de cinq ans,

- que les dispositions du code de commerce ne sont pas applicables aux rapports entre la MAF et la SAS [U], la MAF n'invoquant pas d'obligation née à l'occasion du commerce de la SAS [U],

- que le délai de prescription ne peut avoir commencé à courir à compter de la vente des ardoises, la MAF n'étant pas partie à la vente, mais uniquement au jour où elle a connu les faits lui permettant d'exercer son action récursoire, soit à la date à laquelle elle a été assignée au fond par les époux [M], le 11 mars 2021, ceux-ci n'ayant jamais formé de demande indemnitaire contre elle ou son assurée avant cette date,

- qu'ayant formé son action récursoire contre la SAS [U] le 4 juin 2021, elle n'est pas prescrite, même à considérer que le point de départ du délai de prescription est la date d'assignation en référé par les époux [M] le 14 novembre 2018.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, la SA MMA IARD et la SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, ès qualités d'assureur de la SARL LES TOITS DU BÉARN, intimées, sollicitent de la cour qu'elle :

- leur donne acte de ce qu'elles s'en rapportent à justice sur le mérite des demandes présentées par la SAS [U],

- condamne toute partie succombante au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Elles soutiennent qu'elles ne sont pas concernées par la question tenant à la prescription de l'action des époux [M] à l'encontre de la SAS [U].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2024.

En cours de délibéré, les annexes du rapport d'expertise judiciaire ont été déposées à la demande de la cour.

MOTIFS

Sur l'intérêt et qualité à agir des époux [M] à l'égard de la société [U] :

La société [U] oppose qu'elle n'est pas le seul fournisseur de la société Les Toits du Béarn et qu'aucun document dans ses relations avec celle-ci ne mentionne le chantier [M]. Elle fait valoir qu'aucune traçabilité de la fourniture des ardoises litigieuses n'est avérée et que dans ces conditions, les désordres ne peuvent lui être imputés et qu'il n'y a donc aucune qualité à agir contre elle.

Les époux [M] s'en réfèrent au rapport d'expertise judiciaire pour retenir que les ardoises ont bien été fournies par la société [U].

L'expert judiciaire a relevé que lors de la première réunion d'expertise judiciaire du 23 avril 2019, il lui a été remis par Mme [M] deux étiquettes plastifiées qui étaient placées sur les palettes des ardoises livrées.

Son analyse est la suivante : la première étiquette est commerciale. Il s'agit du logo SIG Pizarras. Le groupe SIG est un distributeur européen spécialiste des marchés de l'enveloppe du bâtiment, de l'aménagement intérieur, de l'isolation et de l'efficacité énergétique. La société [U] est une filiale du groupe SIG.

La deuxième étiquette indique la dénomination de l'ardoise. Il s'agit de l'ardoise RF10 fabriquée par la société de droit espagnol Pizarras de Riofrio SL. L'étiquette précise que l'ardoise dispose du certificat NF-ardoises délivré par le LNE. La sur-étiquette collée indique un numéro de lot : 03/07/11. Je note et je précise qu'il s'agit d'un numéro de lot.

Eu égard au bon de commande [U] n° 95695, après analyse, l'expert déclare que le bon de commande confirme l'achat de l'ardoise Galiza Expert RF10 auprès de la société [U] par les Toits du Béarn.

Eu égard aux factures [U] n° 07994465, l'expert déclare : il s'agit de la facture de la société [U] adressée le 30 avril 2011 à la société les Toits du Béarn. Le patronyme de M. et Mme [M] apparaît deux fois en saisie informatique sur la page 1 de la facture. La facture indique que les ardoises (GALIZA Expert) ont été livrées les 13 et 14 avril 2011. Ces dates correspondent à la constatation faite par M. [W] [V] dans son compte rendu du 13 avril 2011. Au regard de cette facture où le patronyme de M. et Mme [M] apparaît deux fois(en saisie informatique), au regard de la concordance des dates de livraison entre les bons de livraison et le compte-rendu de chantier n° 16, l'expert considère que les ardoises Galiza Expert RF10 achetées par la société les Toits du Béarn, à la société [U] ont bien été livrées et utilisées sur le chantier de M. et Mme [M].

À cela, il convient d'ajouter qu'il ressort de l'examen des comptes-rendus de chantier, en annexe du rapport d'expertise dans la rubrique avancement des travaux :

- CR n° 12 : 16/03/2011 sur lot 4 charpente, couverture, 'reçu ce jour échantillon ardoises Carmen, RF10 et FF, RF10 et FF certificat Afnor''

- CR n° 13 : 23/03/2011 : ardoise RF10 de Galiza validée

- CR n° 16 : du 13/04/2011 : approvisionnement ardoise en cours

- CR n° 17 : du 20/04/2011 : ardoises en cours de pose

- CR n° 18 : du 27/04/2011 : ardoise posée à 50 %

- CR n° 19 : du 04/05/2011 : ardoise posée à 60 %

Un courriel du 24 mars 2011 des Toits du Béarn adressé à l'architecte M. [V] a confirmé que la RF10 de Galiza était certifiée NF 228 et que la dernière mise à jour du certificat allait lui être adressée.

En annexe 3 du rapport d'expertise judiciaire : il est produit un certificat année 2008 NF 228 : 14/01 avec les mentions suivantes :

carrière : RF10

producteur : [Localité 14] SL Espagne

atelier : La [Adresse 13]

type ardoise : lisse

échantillons : A1, T1 et S1, conforme classe A1.

Outre la mention : date de rédaction du présent document : 01/07/2010, avec le logo '[U] le distributeur spécialiste de la toiture'.

Le rapport d'essai du laboratoire national de métrologie et d'essais LNE du 13 mars 2020 fait état de l'étiquette récupérée et conservée par les époux [M]. Il s'agit de l'étiquette commerciale précitée et celle relative à la dénomination de l'ardoise.

Aucun élément n'est rapporté pour contester que ces deux étiquettes ont été récupérées par les époux [M] sur les palettes des ardoises livrées.

Les éléments y apposés et précités dans l'analyse de l'expert confirment bien que les ardoises livrées sont des ardoises RF10 de Galiza fabriquée à Riofrio en Espagne ; que c'est ce type d'ardoise RF10 qui avait été validé par l'architecte eu égard au compte-rendu de chantier n° 13 et que celui-ci a vérifié la norme applicable eu égard au courriel du 24 mars 2011 précité.

Par ailleurs, le compte-rendu n° 16 du 13 avril 2011 fait état d'un approvisionnement en cours, ce qui est attesté :

- par la commande n° 95695 par la société les Toits du Béarn et qui portait sur un nombre de 24 000 pièces du 13 avril 2011 pour des ardoises Espagne Galiza Expert RF10 32 x 22 mixte EF,

- par les bons d'enlèvement des 13 avril 2011 de [U] aux Toits du Béarn pour des ardoises Espagne Galiza Expert RF10 32 x 22 mixte EF 1 800 pièces et 3 600 pièces pour la même commande n° 95695,

- par le bon de livraison du 14 avril 2011 de la société [U] à la société les Toits du Béarn pour 17 700 pièces.

La concordance des dates permet d'affirmer que l'approvisionnement en cours sur le chantier [M] était bien issu des ardoises livrées par la société [U].

En outre, l'étiquette récupérée par les époux [M] font état d'un nombre de pièces de 1 800 ce qui correspond au nombre du bon d'enlèvement du 13 avril 2011.

La société [U] ne peut prétendre que la mention sur l'étiquette '03/07/11" correspond à la date de livraison alors que cette mention est bien indiquée dans la rubrique 'N.lot' ce qui signifie numéro de lot et non une date.

Elle n'a pas contesté être une filiale du groupe SIG, correspondant ainsi à l'étiquette commerciale récupérée par Mme [M] sur une palette.

Enfin, l'examen de la facture du 30 avril 2011 de la société [U] émise à l'égard de la société Les Toits du Béarn fait apparaître la mention du chantier [M] pour les voliges en sapin epicea et les chevrons. Si la mention d'aucun nom de chantier pour les ardoises Espagne Galiza Expert RF10 32 x 22 mixte EF n'existe pas, ces ardoises pour les quantités 1 800, 3 600 et 17 700 sont inscrites sur la même facture et correspondent quant à leur nature aux ardoises effectivement livrées aux époux [M] et il ne peut être tiré argument de l'absence de nom de chantier sur un document dont l'auteur est la société [U] elle-même, et pour lequel tous les bons mentionnés ne font pas état systématiquement d'un nom de chantier même si c'est le cas pour la plupart.

La traçabilité des ardoises du chantier [M] est donc ainsi reconstituée par ces nombreux éléments concordants ; les ardoises litigieuses posées sur la toiture des époux [M] proviennent bien de la société [U].

Les époux [M] ont donc bien un intérêt à agir contre la société [U] qui a qualité pour être ainsi poursuivie et le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la prescription :

La société [U] oppose que le seul fondement de l'action des époux [M] ne peut être que la garantie des vices cachés puisque l'action sur le fondement de l'article 1792 du code civil ne peut être exercée contre elle et qu'il ne s'agit pas en outre d'un défaut de conformité. Elle fait valoir que celle-ci aurait dû être introduite à bref délai ce qui n'est pas le cas puisque le désordre a été découvert en 2018 et l'assignation intentée en 2021, mais surtout celle-ci aurait dû être diligentée dans le délai butoir de dix ans à compter de la vente, ramenée à cinq ans par les articles 2224 du code civil et L 110-4 du code de commerce.

Or, ce n'est pas sur le terrain de la garantie des vices cachés que les époux [M] fondent leur action mais sur une responsabilité quasi-délictuelle du fournisseur avec qui ils n'ont aucun lien de droit et il appartiendra au juge du fond d'apprécier le bien fondé de cette action.

Mais au préalable, en vertu de l'article 2224 du code civil applicable à l'espèce, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En aucun cas, le point de départ ne peut être celui de la livraison des matériaux le 14 avril 2011 puisque les dommages n'étaient pas connus à cette date. C'est à la date du 9 mai 2018 comme retenu à juste titre par le premier juge que le délai a commencé à courir puisque c'est à cette date qu'à la suite de la visite de la société APC2 qu'un courrier a été établi à l'égard des époux [M] faisant état d'anomalies sur la qualité des ardoises et qu'une pyrite était bien présente sur une partie de la toiture et qu'elle pouvait s'avérer traversante dans les mois à venir.

Aussi, l'assignation diligentée par les époux [M] étant intervenue contre la société [U], les 11 février, 11 et 16 mars 2021, le délai quinquennal de la prescription n'était pas expiré. La prescription de l'action des époux [M] n'est pas acquise.

Les demandes de garantie des assureurs MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et MAF trouvent comme support nécessaire l'action des époux [M] et par suite ne sont pas non plus prescrites.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Les mesures accessoires seront également confirmées, la société [U] succombant.

L'équité commande d'allouer aux intimés une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de ne pas faire droit à la demande de la société [U] à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,

y ajoutant :

Condamne la SAS [U] à payer à M. [P] et Mme [T] [M] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS [U] à payer à la SA MMA IARD et la SA MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS [U] à payer à la société mutuelle MAF la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la SAS [U] à ce titre,

Condamne la SAS [U] aux dépens d'appel dont distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Carole DEBON Caroline FAURE