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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2024, n° 22/07737

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société des Nouveaux Etablissements Clamouse (SARL), Pole Funéraire Public de l’Albigeois et de l’Autan (Sté)

Défendeur :

Clamouse Pompes Funèbres (SARL), CJCS (SARL), Pole Funéraire Public de l’Albigeois et de l’Autan (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Lugosi, Me Baechlin, Me Puech-Coutouly, Me Begouen, Me Bastide-Barthe, Me Cohen

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 19 nov. 202…

19 novembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société des Nouveaux Etablissements Y (la société NEC), dont le gérant est M. X Y, a pour activité la fabrication, le négoce et la pose de tous monuments et articles funéraires ainsi que les services funéraires, transport de corps et la maintenance des sépultures et toutes les activités annexes. Elle exploite une activité de marbrerie et un service de pompes funèbres dans le secteur d’Albi.

La société Pôle Funéraire Public de l’Albigeois, anciennement Y-Durand (la société PFPA) a pour activité la crémation, le service extérieur de pompes funèbres et toutes activités accessoires autorisées. Elle exploite une activité de pompes funèbres dans le cadre d’un contrat de délégation de service public consenti par la Commune d’Albi et d’autres communes qui en sont actionnaires.

La société Y Pompes Funèbres (la société CPF) a pour activité l’acquisition, la création par tous moyens d’un fonds de pompes funèbres et, notamment, le transport de corps avant mise en bière, le transport de corps après mise en bière, l’organisation des obsèques, l’achat, la vente, la fourniture de housses et cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs, ainsi que des urnes cinéraires, les soins de conservation, la gestion et l’utilisation de chambres.

La société C.J.C.S a pour activité toutes les opérations commerciales et artisanales se rapportant à l’entreprise de monuments funéraires.

Les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres exploitent respectivement une activité de marbrerie et une activité de pompes funèbres. Ces deux sociétés exercent leurs activités dans le secteur d’Albi et dans les quelques 40 communes alentour.

À la suite d’une plainte déposée par les sociétés C.J.C.S et CPF, une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après « DGCCRF ») a été diligentée entre 2014 et 2015 s’agissant de faits d’abus de position dominante et d’entente anticoncurrentielle. À l’issue de cette enquête, des transactions ont été conclues entre les sociétés PFPA et NEC, d’une part et la DGCCRF, d’autre part.

Estimant avoir subi un préjudice du fait des actes anticoncurrentiels commis par les sociétés NEC et PFPA, les sociétés C.J.C.S et CPF elles les ont assignées en indemnisation par acte du 28 décembre 2020 devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a : Condamné solidairement les sociétés Pôle Funéraire Public de l’Albigeois et des Nouveaux Etablissements Y à verser à la société Y Pompes Funèbres la somme de 151 620,00 euros (cent cinquante et un mille six cent vingt euros) au titre de sa perte de marge brute ;

- Condamné solidairement les sociétés Pôle Funéraire Public de l’Albigeois et des Nouveaux Etablissements Y à verser à la société C.J.C.S la somme de 4 560,00 euros (quatre mille cinq cent soixante euros) au titre de sa perte de marge brute ;

- Débouté les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres de leurs demandes d’indemnité pour préjudice d’image ; 

- Débouté la société des Nouveaux Etablissements Y et la société Pôle Funéraire 2 Public de l’Albigeois de l’ensemble de leurs demandes ;

- Condamné solidairement les sociétés Pôle Funéraire Public de l’Albigeois et des Nouveaux Etablissements Y à payer aux sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné les sociétés Pôle Funéraire Public de l’Albigeois et des Nouveaux Etablissements Y aux dépens.

I – La société NEC a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 15 avril 2022. Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 janvier 2024, elle demande à la Cour de :

- Prononcer la jonction des affaires enrôlées sous le numéro RG : 22/07737 et sous le numéro RG 22/07762.

In limine litis

Vu les articles 564, 907, 910.4 et 914 du code de procédure civile

- Déclarer la Cour compétente pour statuer sur la fin de non-recevoir

- Fixer le point de départ de l’action au 31 janvier 2014

- Prononcer l’irrecevabilité de l’action des sociétés Y Pompes Funèbres et C.J.C.S sur les demandes pour les préjudices subis, comme étant prescrite

Vu l’article 7 de la Directive du 26 novembre 2014,

Vu le rapport de la DGCCRF Vu la transaction du 11 janvier 2016,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* retenu la faute de pratiques anticoncurrentielles des sociétés Pole Funéraire Public de L’albigeois SPL et des Nouveaux Etablissements Y SARL dans la pratique de tarifs discriminatoires pour les concurrents

* évalué les dommages subis par les sociétés C.J.C.S. SARL et Y Pompes Funèbres SARL à partir d’un rapport d’expertise non contradictoire

* condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissements Y SARL à verser à la société Y Pompes Funèbres SARL la somme de 151.620,00 euros (cent cinquante et un mille six cent vingt euros) au titre de sa perte de marge brute

* condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissements Y SARL à verser à la société C.J.C.S. SARL la somme de 4.560,00 euros (quatre mille cinq cent soixante euros) au titre de sa perte de marge brute.

* retenu le principe de solidarité pour la société Des Nouveaux Etablissements Y sans déterminer la part de responsabilité de la société

* débouté la société Des Nouveaux Etablissements Y SARL et la société Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL de l’ensemble de leurs demandes.

Statuant à nouveau

- Rejeter la qualification de pratiques anticoncurrentielles retenue par la DGCCRF entre les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissements Y SARL dans la pratique de tarifs discriminatoires pour les concurrents,

- Rejeter l’analyse de la DGCCRF qui ne démontre pas le lien entre le contrat de sous-traitance mis en place entre la société Des Nouveaux Etablissements Y SARL et le Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et le préjudice subi par les sociétés C.J.C.S. SARL et Y Pompes Funèbres SARL

- Débouter les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres de leur demande d’indemnisation pour défaut de lien de causalité entre la faute et les préjudices qu’elles auraient subis du fait des agissements la société Des Nouveaux Etablissements Y SARL

- Rejeter le rapport unilatéral et non contradictoire de Monsieur Z AA

- Débouter la société C.J.C.S de sa demande d’indemnisation du préjudice matériel, basée sur un rapport d’expert de justice non contradictoire

- Débouter la société Y Pompes Funèbres de sa demande d’indemnisation du préjudice matériel, basée sur un rapport d’expert de justice non contradictoire

- Rejeter le principe de solidarité pour la société Des Nouveaux Etablissements Y SARL

- Retenir un montant symbolique, ou à défaut limiter le montant à 11 %, la société Des Nouveaux Etablissements Y SARL ayant une part de responsabilité mineure

- Condamner solidairement les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres aux entiers dépens de l’instance y compris ceux de première instance - Condamner solidairement les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres à 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

II – La société PFPA, par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 27 février 2023, demande à la Cour de :

Au préalable

Vu l’article 907 du code de procédure civile,

Vu l’article 789 du code de procédure civile,

Vu l’article 122 du code de procédure civile,

Vu l’article 2224 du code civil, Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,

- Juger que l’action introduite par les Sociétés Y Pompes Funèbres SARL est prescrite et

- Juger que les Sociétés Y Pompes Funèbres SARL ET C.J.C.S SARL sont dépourvues du droit d’agir ;

- Déclarer irrecevable l’action introduite par les mêmes ;

Dès lors :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ces dispositions ;

Au fond

Vu la Directive 2014/104/UE du 24 novembre 2014

Vu l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017

Vu l’article 1240 du code civil

- Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissement Y SARL à verser à la société Y Pompes Funèbres SARL la somme de 151 620,00 euros (cent cinquante et un mille six cent vingt euros) au titre de sa perte de marge brute ;

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissement Y SARL à verser à la société C.J.C.S SARL la somme de 4 560,00 euros (quatre mille cinq cent soixante euros) au titre de sa perte de marge brute ;

* Débouté la société Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL de l’ensemble de leurs demandes ;

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et Des Nouveaux Etablissement Y SARL à payer aux sociétés C.J.C.S SARL et Y Pompes Funèbres SARL la somme de 3 000,00 euros (Trois Mille Euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

* Condamné les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois SPL et DES Nouveaux Etablissement Y SARL aux dépens.

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 19 novembre 2021 en ce qu’il a débouté les Sociétés C.J.C.S. SARL et Y Pompes Funèbres SARL de leur demande d’indemnisation du préjudice d’image ; Et statuant à nouveau et y ajoutant :

- Juger que l’existence de pratiques anticoncurrentielles n’est pas établie ;

- Juger que l’existence d’un lien entre le contrat de sous-traitance conclu entre la SPL Pole Funéraire Public de L’Albigeois et De L’autant et la Société Nouveaux Etablissements Y n’a pas créé de préjudice aux Sociétés C.J.C.S SARL et Y Pompes Funèbres SARL

- Juger que l’existence d’un préjudice certain lié aux pratiques dénoncées n’est pas démontrée ;

- Débouter les sociétés C.J.C.S SARL et Y Pompes Funèbres SARL de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

Subsidiairement, et si par extraordinaire, Rejeter toute demande de condamnation solidaire avec la Société Nouveaux Etablissements Y ;

- Limiter toute indemnisation à l’euro symbolique ; En tout état de cause,

- Condamner solidairement les sociétés C.J.C.S SARL et Y Pompes Funèbres SARL, au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre le remboursement des entiers dépens de l’instance et ceux de première instance.

III – Les sociétés C.J.C.S et CPF, par leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 octobre 2022, demandent à la Cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées, Sur la demande d’irrecevabilité au titre de la prescription :

À titre principal :

Vu les articles 125, 910-4 et 954 du code de procédure civile,

- Juger irrecevable la demande de la société PFPA au titre de la prescription

À titre subsidiaire

- Débouter la société PFPA de sa demande

Sur les autres demandes :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* Condamné solidairement les sociétés Pôle Funéraire public de l’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société Y Pompes Funèbres la somme de 151 620 euros au titre de la perte de marge brute,

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’albigeois Et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société CJJS la somme de 4 560 euros au titre de la perte de marge brute

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à payer aux sociétés Y Pompes Funèbres et C.J.C.S la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* Condamné solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y aux dépens,

- Infirmer le jugement en date du 19 novembre 2021 en ce qu’il a :

* Débouté les sociétés Y Pompes Funèbres et C.J.C.S de leurs demandes au titre du préjudice de la perte éprouvée et du préjudice d’image,

Statuant à nouveau

- Accueillir l’appel incident des sociétés Y Pompes Funèbres et C.J.C.S,

- Condamner solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société Y Pompes Funèbres la somme de 192 68.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte éprouvée,

- Condamner solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société C.J.C.S la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte éprouvée,

- Condamner solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société Y Pompes Funèbres la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du préjudice d’image,

- Condamner solidairement les sociétés Pole Funéraire Public De L’Albigeois et Nouveaux Etablissements Y à verser à la société C.J.C.S la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du préjudice d’image,

En toute hypothèse

- Condamner solidairement, les sociétés PFPA et Nouveaux Etablissements Y à payer aux sociétés Y Pompes Funèbres et C.J.C.S.la somme de 8 000 euros à chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile

- Condamner solidairement, les sociétés PFPA et Nouveaux Etablissements Y à supporter les entiers dépens d’appel dont distraction au profit de Maître Marie-Béatrix Sidmetine Bégouën, Avocat au Barreau de Paris, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.

SUR CE LA COUR

1- Sur la prescription

Moyens des parties

Les intimées soutiennent :

- que la fin de non-recevoir tirée de la prescription, formulée dans des conclusions d’appel du 21 juillet 2022 alors que la déclaration d’appel est du 15 avril 2022 est irrecevable, faute d’avoir été soulevée, conformément à l’article 910-4 du code de procédure civile, dans le délai de trois mois des premières conclusions d’appel qui expirait le 15 juillet 2022.

- que le point de départ de leur action doit être fixé en mai 2016.

Les appelantes contestent au visa de l’article 122 du code de procédure civile l’irrecevabilité de leur fin de non-recevoir, qui faisant valoir qu’elle doit être appréciée sans examen au fond et soutiennent que de nombreux éléments en débat attestent de la prescription de l’action des intimées dont le point de départ doit être fixé à l’été 2014.

Réponse de la cour

La fin de non-recevoir tirée de la prescription est recevable dès lors qu’elle n’est pas une prétention sur le fond mais un moyen au sens de l’article 122 du code de procédure civile et qu’elle n’est donc pas concernée par la concentration des prétentions sur le fond imposée par l’article 910-4 de ce code. Quant au bien-fondé de cette fin de non-recevoir, la cour retient ce qui suit.

Les intimées ont introduit à l’encontre des appelantes le 28 décembre 2020 une action en réparation de préjudices économiques, dont elles ne précisent pas le fondement juridique et découlant pour elles des pratiques d’ententes anticoncurrentielles suivantes, mises en œuvre à compter du 1er août 2011, telles que « mises en évidence » par le rapport de la DIRECCTE du 22 octobre 2014 (pièce 5 adverses) ou diverses attestations :

- un abus de position dominante, sur le marché des pompes funèbres dans le secteur d’Albi, de la société PFPA, qui exerce une activité de pompes funèbres à Albi où elle est également gestionnaire d’une chambre funéraire et d’un crématorium en vertu d’une délégation de service public, abus de position dominante résultant de la confusion entretenue dans l’esprit des familles entre ces activités de gestionnaire et ses activités de pompes funèbres,

- une entente de partage de marché entre les appelantes, sur le marché des pompes funèbres et sur le marché de la marbrerie funéraire dans le secteur d’Albi et résultant de l’accord de sous-traitance qu’elles ont conclu du 20 février 2014,

- une entente entre la société PFPA et les établissements de santé du secteur dans le but de s’attribuer directement les marchés consécutifs aux décès dans ces établissements.

L’article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, applicable à l’espèce, dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La notion de « faits permettant d’exercer un droit » s’entend de faits permettant d’agir ou de défendre ce droit. En matière d’action en responsabilité civile, le délai de prescription ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

Pour apprécier le point de départ du délai de prescription quinquennale applicable à cette action en responsabilité extracontractuelle, à savoir la connaissance par les intimées des faits leur permettant d’exercer leur droit à réparation par une action en justice, il y a lieu de prendre en considération la spécificité des fautes civiles invoquées, soit des pratiques anticoncurrentielles constitutives de l’abus prétendu de position dominante et des ententes alléguées ci-dessus.

Or, il n’apparaît pas que les informations à dispositions des intimées cinq ans avant l’assignation du 28 décembre 2020 leur aient permis, sans les pouvoirs d’investigations et l’analyse particulière de la DIRECCTE au cours de son enquête, de se convaincre par elles-mêmes de l’illicéité des pratiques reprochées aux appelantes, partant des conséquences financières de ces pratiques.

En effet, les intimées établissent qu’elles n’ont été informées de l’illicéité de ces pratiques retenue par la DIRECCTE qu’en mai 2016, date de publication sur son site des transactions qu’elle a signée avec les appelantes les 12 février et 18 mars 2016 (pièces intimées 6-7), dès lors que :

- la plainte déposée le 22 janvier 2014 est sans rapport avec ces griefs en ce qu’elle dénonce des agissements qui ne respectent pas les défunts ni la réglementation du transport des corps,

- les attestations invoquées par les appelantes – pour en déduire la connaissance des faits dénoncés qu’auraient eu les intimées dès leurs dates en 2012-2014 – n’ont pas été établies pour leur compte et ne sont pas de nature à établir que les intimées en ont eu connaissance avant le 28 décembre 2015, soit 5 ans avant l’assignation du 28 décembre 2020,

- le rapport de la DIRECCTE du 22 octobre 2025 (pièce 5 PFPA) était confidentiel jusqu’à mai 2016, peu important l’audition en début d’enquête des représentants légaux des intimées

- le rapport expertise privée Gerlet du 10 décembre 2020 qui rappelle les chiffres d’affaires des intimées sur les périodes antérieures et « post concurrence déloyale » de 2014-2015 n’est pas non plus de nature à établir que les intimées ont eu connaissance de leur préjudice allégué plus de cinq ans avant l’assignation.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, seule la date de publication, mai 2016, par la DIRECCTE, sur son site des transactions qu’elle a signée avec les appelantes les 12 février et 18 mars 2016 était de nature à permettre aux intimées d’avoir connaissance de l’ensemble des faits nécessaires pour exercer un droit à réparation et d’agir utilement devant une juridiction commerciale. Par suite, le point de départ de la prescription de leur action en réparation doit être fixée à cette date, ce dont il se déduit qu’au jour de l’assignation, le 28 décembre 2020, elle n’était pas prescrite.

- 2 Sur le fond

Moyens des parties

Les intimées, se bornent à reprendre sans même le citer précisément, des constats et conclusions d’un « rapport de la DGCCRF » qui résulte de leur pièce 6, certes à entête de cette administration, mais qui n’est ni daté ni signée et qui n’est pas manifestement un extrait de ce rapport (pièce adverse 5), avant d’avoir :

- sur l’abus de position dominante, :

* défini le marché pertinent comme celui des pompes funèbres et de la marbrerie d’Albi et des communes alentour,

* déduit la position dominante de PFPA sur ces marchés de son seul héritage du monopole de la commune jusqu’à l’ouverture à la concurrence par la loi de 1993,

* et défini l’abus de cette position dominante, comme la confusion dans l’esprit du public, entre les activités de gestionnaire du crématorium et du funérarium sur délégation de service public d’une part et les autres services funéraires d’autre part, au vu de la pièce 6 précitée et de deux attestations (pièces 8-9),

- sur les ententes

* invoqué un accord de partage de marché entre appelantes du 28 février 2014 résultant de leur pièce 6, ajoutant une dizaine d’attestations,

* soutenu « la société PFPA n’hésite pas à conclure des ententes avec les établissements de santé du secteur dans le but de s’attribuer directement les marchés consécutifs aux décès ayant lieu dans ces établissements »,

- sur la concurrence déloyale,

* invoqué des ventes forcées également qualifiées de détournement de clientèle, sur les préjudices,

* fondé le montant de leurs prétendus préjudices matériels respectifs sur le seul rapport d’expertise unilatéral AA (pièce 20)

* et soutenu qu’elles ont « forcément » subi un préjudice d’image du fait des agissements litigieux.

Les appelantes, chacune pour leur compte :

- contestent l’abus de position dominante au vu des constats du rapport de la DIRECTE selon lequel la liste des opérateurs de pompes funèbres est bien affichée dans les locaux de la société PFPA (rapport p. 26),

- reconnaissent l’accord de sous-traitance du 28 février 2014 mais en contestent le caractère illicite et, en tout état de cause, l’impact sur les concurrents ainsi que toute corrélation avec les préjudices allégués, faisant valoir qu’un accord de même type est en vigueur dans une autre commune,

- soutiennent en conséquence à cet égard que :

* elles ont agi en toute transparence (déclaration de ce partenariat à la préfecture dès le 26 février 2014)

* aucune faute ni aucun lien de causalité n’est démontré, alors que cet accord de sous-traitance est courant dans la profession quand l’entreprise de pompes funèbres n’a pas l’habilitation préfectorale pour les services funéraires, qu’il est profitable au client qui bénéficie d’un prestataire unique de services funéraires complets et qu’il n’instaure pas de tarification discriminatoire mais des conditions financières avantageuses,

* le rapport d’expertise AA est unilatéral et donc insuffisant pour établir les préjudices,

* le rapport DGCCRF lui-même relève l’impact minime des pratiques d’éviction, utilisant le conditionnel à ce sujet ce dont elles déduisent qu’aucun préjudice n’en résulte nécessairement pour les intimées qui envisagent à tort la procédure comme une voie de répression qu’elle n’est pas et qui ne prouvent pas leur préjudice conformément au droit commun de la responsabilité, rappelant que les faits étant antérieurs à l’entrée en vigueur, le 11 mars 2017, de l’ordonnance 2017-303 du 9 mars 2017, la présomption de préjudice qu’instaure cette ordonnance, transposée à l’article L481-7 du code de commerce, ne s’applique pas,

* la plainte du 31 janvier 2014 trouve sa source dans la rivalité de la famille Y, les dirigeants des appelante et intimée éponymes étant cousins germains et n’a pas abouti.

Réponse de la cour

2.1 Sur les pratiques anticoncurrentielles

Il appartient aux intimées qui se prétendent victimes d’un dommage causé par des pratiques anticoncurrentielles auxquelles ont participé les appelantes sur une période antérieure à la transposition, par l’ordonnance 2017-303 du 9 mars 2017, de la directive 2014/104 UE du 26 novembre 2014, de démontrer l’existence d’une faute civile, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice invoqué sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil.

Ces intimées entendent obtenir l’indemnisation de préjudices économiques découlant pour elles à compter du 1er août 2011 des pratiques d’ententes anticoncurrentielles suivantes, telles qu’exposées plus haut (point 1 de l’arrêt) ou diverses attestations :

- un abus de position dominante, sur le marché des pompes funèbres dans le secteur d’Albi, de la société PFPA, qui exerce une activité de pompes funèbres à Albi où elle est également gestionnaire d’une chambre funéraire et d’un crématorium en vertu d’une délégation de service public, abus de position dominante résultant de la confusion entretenue dans l’esprit des familles entre ces activités de gestionnaire et ses activités de pompes funèbres,

- une entente de partage de marché entre les appelantes, sur le marché des pompes funèbres et sur le marché de la marbrerie funéraire dans le secteur d’Albi et résultant de l’accord de sous-traitance qu’elles ont conclu du 20 février 2014

- une entente entre la société PFPA et les établissements de santé du secteur dans le but de s’attribuer directement les marchés consécutifs aux décès dans ces établissements.

L’article L. 420-1 1° du code de commerce dispose : Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacite ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises.

L’article L. 420-2 du code de commerce, dans sa version applicable à l’espèce, dispose : Est prohibée, dans les conditions prévues l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

En l’espèce, le rapport circonstancié de la DIRECCTE du 22 octobre 2022, que les intimées ne citent et ne discutent nullement (pièce 5 PFPA) retient en termes nuancés : l’abus de position dominante reproché à la société PFPA (rapport, p. 13 et 26-27), résultant de la confusion précitée, commise au mépris du principe de neutralité appliquée à la gestion d’une chambre funéraire, en ce qu’il confère au PFPA un avantage concurrentiel indu sur les autres opérateurs funéraires, et l’entente reprochée aux appelantes par les intimées (rapport p.28-29 et 31), sous la forme de l’accord de sous-traitance précité conclu le 20 février 2014, que ce rapport analyse comme une stratégie commune et délibérée d’éviction de « la société Y-Durand » du marché général des pompes funèbres, ce que les appelantes conteste sérieusement en invoquant l’intérêt légitime pour les familles d’avoir un contrat unique pour un service funéraire complet, la déclaration en préfecture de cet accord dès le 26 février 2014 et son caractère habituel dans la profession au vu de l’accord similaire en vigueur dans une autre commune.

Il résulte encore expressément de ce rapport de la DIRECCTE (p. 27, 19 et 30) que :

« L’enquête n’a pas mis en évidence un apport sensible d’activité par ce biais-là, G. Y (la société NEC) faisant déjà la promotion du PFPA à sa clientèle et le nombre d’obsèques organisées par G. Y [en sous-traitance de la société PFPA] s’avérant somme toute limité (une vingtaine par an), au regard du nombre d’obsèques traitées par le PFPA (600/an environ) » .

Sur le court terme, […] « le nombre d’affaire apporté au PFPA par ce biais [l’accord de sous-traitance] est très limité ».

En cet état, les intimées, pour l’évaluation de leurs prétendu préjudice matériel respectif, global pour toutes les pratiques anticoncurrentielles en cause, renvoient au rapport daté du 10 décembre 2020 de l’expert Z AA qu’elles ont unilatéralement sollicité, sans produire aucune pièce complémentaire de nature à en conforter les données et analyses.

Or, il est constant, comme le font précisément valoir les appelantes, que la cour ne peut fonder sa décision sur un tel rapport unilatéral qu’à la condition que d’autres éléments de preuve confortent ses données et analyses.

Ce d’autant que les appelantes contestent notamment ce rapport d’expertise de manière circonstanciée sans être contredites, en ce qu’il :

- ne fournit pas, fort opportunément, les données antérieures à la période 2015-2016 en litige, l’accord de sous-traitance n’ayant existé qu’en 2014, compare des données non comparables dès lors que les activités respectives des appelantes et des intimées ne sont pas les mêmes, ne distingue pas l’activité historique de la société CPF de ses activités nouvellement créées, notamment le 3 mai 2017 à Saint Juery, en proche banlieue albigeoise.

Ainsi, à supposer même que la cour puisse considérer ces deux pratiques anticoncurrentielles comme établies au seul vu du rapport de la DIRECCTE, les intimées échouent à démontrer les préjudices allégués, dans leur principe et leur montant respectifs.

Leurs demandes au titre des pratiques anticoncurrentielles litigieuses ne peuvent donc aboutir. Par ailleurs, les intimées n’étayent pas utilement leurs allégations d’« ententes » entre la société PFPA et les établissements de santé que leurs quelques lettre et attestations (pièces 13-19) ne suffisent pas à établir, en l’absence de tout échange de correspondance ou mail entre PFPA et ces établissements, ni même à les étayer, dès lors qu’il s’agit de cinq attestations procédant par affirmation sur un total de quelques 600 obsèques par an, comme déjà relevé, alors même que les intimées ne renvoient à aucune mention particulière du rapport de la DIRECCTE à ce sujet.

Enfin, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il rejette comme non justifiée la demande en réparation d’un préjudice d’image résultant prétendument des agissements en examen, les intimées n’apportant aucun élément de nature à remettre en cause la pertinence de ce motif. Il suffira d’ajouter qu’aucun acte de dénigrement n’est même allégué et que leurs attestations (pièces 11-10), au demeurant non conformes aux exigences légales et dépourvues de la pièce d’identité de leurs auteurs, se bornent à commenter divers comportements que ces derniers attribuent à la société PFPA, sans évoquer aucun propos de celle-ci concernant les intimées.

2.2 Sur la concurrence déloyale

Les intimées ne caractérisent pas utilement les faits qu’elles qualifient, au visa des articles L. 120-1 et L. 122-6 du code de la consommation, à la fois de ventes forcées et de détournement de clientèle, leurs deux attestations (pièces 13-14) ne suffisant pas à cet égard. En tout état de cause, elles ne formulent aucune demande chiffrée en indemnisation d’un trouble commercial à ce titre.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé sauf en ce qu’il rejette les demandes d’indemnités pour préjudice d’image.

3-Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, le sens de l’arrêt conduit à infirmer également le jugement entrepris des chefs des dépens et de l’indemnité de procédure.

Les intimées, parties perdantes, doivent supporter les dépens de première instance et d’appel et l’équité commande de les condamner à l’indemnité de procédure qui suit.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action des sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres ;

Rejette cette fin de non-recevoir ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il rejette les demandes d’indemnité pour préjudice d’image ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les demandes des sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres ;

Condamne in solidum les sociétés C.J.C.S et Y Pompes Funèbres à payer à la société des Nouveaux Etablissements Y et à la société Pôle Funéraire Public de l’Albigeois – PFPA une indemnité de procédure de 6.000 euros chacune et aux dépens de première instance et d’appel ; En conséquence, la République française mande huissiers de justice et

Rejette toutes autres demandes.