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Décisions

CA Metz, 1re ch. civ., 11 juin 2024, n° 22/00824

METZ

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Hervé Thomas et Alain Paulet (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Bironneau, Mme Fournel

Avocats :

Me Monchamps, Me Heinrich

CA Metz n° 22/00824

10 juin 2024

Exposé du litige

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par arrêt rendu le 31 octobre 1985 par la cour d'assises de la Moselle statuant sur intérêts civils, M. [E] [K] a été condamné à verser à M. [M] [S], à titre de dommages et intérêts, la contrevaleur en francs français au jour du règlement de la somme de 13.356,67 DM (Deutsche Marks), et la somme de 73.350 Francs, ainsi que la somme de 5.000 Francs en application de l'article 375-1 du code de procédure pénale.

M. [S] a confié en 1988 le recouvrement de sa créance à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet.

De 1988 à 1996, la SCP a encaissé pour le compte de M. [S] 93 versements.

M. [S] a par la suite relancé à plusieurs reprises la SCP Thomas et Paulet, laquelle lui a répondu que le débiteur avait disparu, puis qu'il était insolvable.

Reprochant à la SCP Thomas et Paulet de n'avoir pas rempli correctement ses obligations, notamment de diligence, vis à vis de lui dans le cadre du mandat qu'il lui avait confié, et de lui avoir faussement indiqué que sa créance serait prescrite en 2018 alors qu'elle l'était depuis le 31 octobre 2015, M. [M] [S] a assigné la SCP Thomas et Paulet devant le tribunal judiciaire de Metz par exploit d'huissier du 29 octobre 2020, afin d'obtenir paiement, selon ses dernières conclusions, des sommes de :

6.829,16 € en principal,

11.185,18 € en principal,

762,25 € au titre de l'indemnité allouée en application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale,

Outre les intérêts au taux légal sur la totalité de ces sommes à compter du 1er février 1998,

5.000 € au titre du préjudice moral

4.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la condamnation de la SCP aux dépens.

M. [S], se fondant sur les dispositions des articles 1104, 1991 et 1992 du code civil ainsi que sur l'article R.141-1 du code des procédures civiles d'exécution, considérait que la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet n'avait pas satisfait à son obligation de moyens pour parvenir à l'exécution complète du titre qu'elle lui avait confié, n'avait pas accompli toutes les diligences nécessaires en raison d'une inaction prolongée, et lui avait fourni une information erronée concernant la prescription du titre ce qui caractérisait un manquement à son obligation de conseil.

La SCP Hervé Thomas et Alain Paulet a soutenu de son côté n'avoir commis aucune faute dès lors qu'elle a satisfait à l'ensemble de ses obligations, procédé à toutes les mesures permettant l'exécution du titre, et que le recouvrement des sommes dues n'a cessé que parce que le débiteur n'était plus localisé, puis s'est avéré insolvable. Elle estimait également sans conséquence l'erreur commise quant à la date de prescription dès lors que le débiteur était en tout état de cause insolvable à cette époque.

Par jugement du 10 mars 2022 le tribunal judiciaire de Metz a :

Débouté M. [M] [S] de l'intégralité de sa demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet prise en la personne de son représentant légal en exécution d'un arrêt rendu le 31 octobre 1985 NO K. 21/85 par la Cour d'assises de la Moselle statuant sur les intérêts civils ;

Condamné M. [M] [S] aux dépens ainsi qu'à régler à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, huissiers de justice, prise en la personne de son représentant légal, la somme de 800€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté M. [M] [S] de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Pour statuer ainsi le tribunal a rappelé que, mandatée pour le recouvrement d'une créance, la SCP d'huissiers était tenue d'une obligation de moyens et qu'il lui appartenait de justifier de ce qu'elle avait dans ce cadre accompli toutes les diligences nécessaires. Le tribunal a considéré que, pour la période postérieure à mars 1996, cette preuve n'était pas rapportée, les courriers produits n'étant pas suffisants à cet égard, et que M. [S] pouvait également reprocher à la SCP son manque de dynamisme dans le recouvrement de sa créance, ainsi que le fait de ne pas l'avoir éclairé sur les raisons de son inaction. En revanche il a écarté toute violation du devoir de conseil, la SCP n'ayant jamais conseillé à M. [S] d'engager des frais ou des procédures inutiles.

Le tribunal a cependant également rappelé qu'il appartenait à M. [S] d'apporter la preuve du préjudice qu'il aurait subi du fait des fautes reprochées à la défenderesse, et qu'en tout état de cause seule une perte de chance aurait été réparable sous réserve d'être établie. Il a considéré, au vu des documents produits, que M. [S] ne se livrait à aucune démonstration permettant d'établir qu'une autre diligence de l'huissier de justice lui aurait permis de récupérer tout ou partie de sa créance de sorte qu'il ne rapportait pas la preuve d'un préjudice en lien de causalité direct et certain avec la faute commise.

Enfin s'agissant de l'erreur commise quant à la date de la prescription de l'action, le tribunal a également relevé qu'une telle erreur était sans incidence dès lors qu'en tout état de cause la date de cette prescription, relevant de la loi, s'imposait à M. [S] de sorte qu'il ne pouvait de toute façon escompter aucun remboursement après cette date.

Le tribunal a également estimé que M. [S] ne justifiait d'aucun espoir de recouvrement dont il aurait pu se convaincre, de sorte qu'il a également rejeté la demande au titre de la réparation d'un préjudice moral.

Par déclaration du 05 avril 2022 M. [M] [S] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de sa demande de dommages et intérêts l'a condamné aux dépens ainsi qu'à payer à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet une somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a rappelé que l'exécution provisoire de la décision était de droit.

PRETENTIONS ET MOYEN DES PARTIES

Par ses dernières conclusions du 08 novembre 2022 M. [M] [S] demande à voir, au visa des articles 1104 et suivants, 1353 et suivants, 1991 et suivants du code civil, L122-2 et suivants, R.141-1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution,

« Recevoir Monsieur [M] [S] en son appel et le dire bien-fondé,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal Judiciaire de METZ en date du 10 mars 2022,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet a commis des fautes et a manqué à son devoir de conseil et d'information dans l'exécution du mandat confié à ses soins par Monsieur [S],

Dire et juger que la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet engage pleinement sa responsabilité contractuelle au regard des préjudices matériel et moral subis par Monsieur [M] [S], préjudices qu'elle sera tenue de réparer intégralement,

Condamner à titre principal la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à payer à Monsieur [M] [S] la somme de 18.776,57 € en réparation de son préjudice matériel, avec intérêt au taux légal à compter du le' février 1998 ;

Subsidiairement, si la Cour d'appel estime que Monsieur [S] a été privé d'une chance, elle sera évaluée à 95 % et la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet sera condamnée à lui payer la somme de 18.776,57 € x 95 % soit 17.837,74 €.

En tout état de cause,

Condamner la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à payer à Monsieur [M] [S] la somme de 5.000 € en réparation de son préjudice moral,

Condamner encore la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à payer à Monsieur [M] [S] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers frais et dépens. »

Au soutien de son appel, M. [S] fait valoir que, si le premier juge a à juste titre retenu l'existence d'une faute de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à raison de son absence de diligences et du retard anormal dans l'exécution de la mission qui lui était confiée, en revanche il a à tort écarté tout manquement de la SCP à son devoir de conseil.

M. [S] rappelle qu'il a confié un mandat à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, qu'il incombait donc à celle-ci, en application des articles 1991 et suivants du code civil, de faire toutes diligences dans l'exécution de ce mandat de recouvrement, et qu'en application de l'article 1353 du code civil c'est à elle qu'il incombe de prouver qu'elle a correctement exécuté le mandat confié, ce qu'elle ne fait pas.

Il expose que postérieurement à 1996 la SCP d'huissiers ne justifie pas avoir accompli la moindre diligence, à l'exception de l'envoi à M. [S] de trois courriers, et que cette carence a duré 21 ans.

Il conteste que la SCP puisse prétendre qu'il lui aurait donné plusieurs mandats successifs et rappelle qu'en application de l'article R.141-1 du code des procédures civiles d'exécution la remise du titre exécutoire vaut mandat, et qu'en l'espèce il n'a jamais repris ce titre exécutoire qui est resté aux mains de l'étude d'huissiers jusqu'en décembre 2017.

De même il conteste toute renonciation de sa part à obtenir l'exécution de son titre.

S'agissant du devoir de conseil et d'information il fait grief au premier juge de n'avoir pas retenu de manquement sur ce point à la charge de la SCP d'huissiers, et soutient que celle-ci ne lui a envoyé que trois courriers en 21 ans et a ainsi manqué à son devoir de conseil, et qu'elle a de même manqué à ce devoir en lui indiquant une fausse date de prescription, ce qui a entretenu chez lui l'espoir d'un règlement de sa créance.

M. [S] critique encore le premier juge en ce que celui-ci a considéré qu'il ne rapportait pas la preuve du préjudice découlant des fautes de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, et lui reproche un renversement de la charge de la preuve.

Il soutient ainsi que son préjudice est caractérisé et consiste dans une perte de chance de recouvrer sa créance, et fait valoir que le premier juge a lui-même constaté la carence de la SCP d'huissiers dans l'exécution du mandat, ce qui lui a donc porté préjudice. Quant à l'insolvabilité alléguée du débiteur, il observe que celle-ci ne remonte pas à 1996 puisque la SCP n'en fait état qu'à compter d'un courrier du 8 octobre 2015 et ne la fait remonter qu'à 2009, de sorte que rien ne démontre que l'impossibilité de recouvrer la créance aurait pour motif l'insolvabilité du débiteur.

M. [S] fait valoir que le premier juge ne pouvait écarter toute perte de chance au motif qu'il ne prouvait pas lui-même que l'huissier pouvait parvenir au résultat escompté, puisque l'huissier n'est chargé que d'une obligation de moyen, et rappelle que c'est à l'huissier de prouver qu'il a exécuté cette obligation, et également de prouver que le débiteur était insolvable.

Il considère que sa perte de chance pouvait très bien être constituée à 100 % compte tenu des graves manquements de l'huissier, et qu'elle est pour le moins de 95 %.

S'agissant de l'erreur commise par la SCP dans l'indication de la date de prescription de son action, il affirme que celle-ci lui a bien causé un préjudice en lui laissant croire à la possibilité d'un recouvrement d'au moins une partie de sa créance. Il considère ainsi que son préjudice moral est caractérisé.

Sur ses demandes indemnitaires il soutient que les sommes qu'il demande sont justifiées et ne constituent pas la totalité de sa créance puisqu'il n'est pas tenu compte des intérêts afférents aux sommes dues, dont il soutient qu'ils s'élèvent à 9.221,27 € pour la période allant du 6 avril 1996 au 15 octobre 2015. Il en conclut que les sommes demandées au titre de sa perte de chance sont loin d'épuiser ses demandes indemnitaires.

Aux termes de ses dernières conclusions du 17 août 2022 la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet demande à voir :

« Débouter Monsieur [M] [S] de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à l'encontre de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et particulièrement en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [S] de l'intégralité de sa demande de dommages-intérêts en tant que dirigée à l'encontre de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet

Eu égard aux circonstances de la cause, condamner Monsieur [M] [S] aux entiers dépens d'instance et d'appel et à verser à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du CPC ».

Reprenant l'historique des relations entre les parties et des informations qu'elle indique avoir communiquées par courriers à M. [S], la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet soutient tout d'abord qu'elle n'a pas été investie par M. [S] d'un seul mandat mais de plusieurs mandats successifs, étant rappelé que tout mandat peut cesser par la survenance d'une impossibilité d'exécuter, par l'arrivé du terme ou par une condition résolutoire, que le mandat comporte nécessairement un terme et que le mandataire peut toujours renoncer au mandat en notifiant sa renonciation au mandant.

Elle soutient ainsi que le premier mandat confié a cessé le 6 octobre 1998 lorsqu'elle a informé M. [S] de ce qu'elle classait le dossier suite à la disparition du débiteur, et qu'elle a à cette occasion rendu compte à son mandant. Elle souligne que l'exécution diligentée avait alors permis de recouvrer la majeure partie de la créance.

La SCP expose que M. [S], en mai 2000, puis encore 5 ans plus tard, l'a recontactée pour lui demander de reprendre l'exécution contre son débiteur, de sorte qu'il a existé encore deux mandats successifs, dans l'exécution desquels elle n'a commis aucune faute, compte tenu de la situation du débiteur et de l'impossibilité d'exécuter contre lui.

Elle fait valoir que de jurisprudence constante l'huissier n'est tenu que d'une obligation de moyens, que cette obligation est remplie lorsqu'il a satisfait à son obligation de diligence, de conseil et d'information, et qu'il n'engage pas sa responsabilité au simple motif que la totalité des sommes dues n'ont pas été recouvrées. En l'occurrence elle expose que M. [S] n'expose pas quelles auraient dû être les diligences supplémentaires qui lui incombaient pour obtenir paiement de la créance et qu'elle n'aurait pas exécutées, de sorte qu'il ne prouve pas l'existence d'une faute à son encontre.

Relatant les diligences accomplies et les échanges avec M. [S], la SCP d'huissiers conteste être restée inactive pendant 21 ans et expose qu'après recherches il s'est avéré que le débiteur percevait le RSA depuis 2009 de sorte qu'il n'existait pas de revenu saisissable.

Elle en conclut que seule l'insolvabilité du débiteur depuis 1996 est la cause du non recouvrement de la créance.

S'agissant de l'erreur commise dans la date de prescription de cette créance, la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet fait valoir que M. [S] ne justifie d'aucun préjudice en lien avec cette erreur puisqu'il ne démontre pas que, correctement informé sur cette date, il aurait pu obtenir le recouvrement complet de sa créance.

Quant aux sommes réclamées à titre de dommages et intérêts, la SCP d'huissiers fait valoir que la perte de chance n'est jamais égale à l'avantage perdu étant observé que M. [S] n'allègue même pas que son débiteur ait été solvable, et qu'en tout état de cause 88 % de la créance avait été recouvré dans le cadre de l'exécution entre 1988 et 1996. Enfin l'intimée conteste être redevable des intérêts sur les sommes dues, de tels intérêts, qui sont fonction du moment auquel le débiteur paye, n'incombant qu'à celui-ci et non à l'huissier chargé du recouvrement.

Elle fait enfin valoir que le préjudice moral allégué n'est étayé par aucun moyen de preuve.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est référé aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 08 juin 2023.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

La cour observe à titre liminaire qu'il est question dans les conclusions des parties de plusieurs courriers émanant de la SCP d'huissiers, mais qu'aucune des parties ne les produit. Si leur existence et leur teneur ne sont pas contestées et sont évoquées dans le jugement dont appel, pour autant la cour n'en dispose pas pour apprécier précisément les conséquences à en tirer.

I- Sur la faute reprochée à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet

Sur le défaut de diligences

Aux termes de l'article R.141-1 du code des procédures civiles d'exécution, la remise du titre exécutoire à l'huissier de justice vaut pouvoir pour toute exécution pour laquelle il n'est pas exigé de pouvoir spécial.

Mandat étant ainsi donné à l'huissier de justice, il résulte des termes de l'article 1991 alinéa 1 du code civil, que le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

Selon l'article 1992, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.

Enfin et en application de l'article 1353 alinéa 2 du code civil, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui produit l'extinction de son obligation.

Il appartient donc à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet de faire la preuve de ce qu'elle a rempli ses obligations vis à vis de M. [S]. S'il n'est pas contestable qu'en matière de recouvrement de créance, l'obligation de l'huissier mandaté est une obligation de moyen et non de résultat, ceci ne la dispense pas de faire la preuve de ce qu'elle a accompli l'ensemble des diligences envisageables compte tenu de la situation du débiteur, pour parvenir au recouvrement de la créance.

En l'occurrence, la SCP d'huissiers verse uniquement aux débats le décompte des sommes versées auprès d'elle par M. [K] de 1988 à 1996, et fait donc preuve de l'exécution de ses obligations en matière de recouvrement durant cette période.

Pour la période ultérieure, la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet relate dans ses conclusions les échanges qu'elle aurait eus avec M. [S] et les initiatives qu'elle aurait prises (recherches entreprises pour retrouver M. [K], consultation de Ficoba...) mais ne produit aucun document en ce sens. Si l'existence des trois courriers adressés à M. [S] les 6 octobre 1998, 9 avril 2001 et 8 octobre 2015, par lesquels la SCP indiquait à M. [S] cesser le recouvrement ou classer le dossier en raison de l'impécuniosité ou de la disparition du débiteur, n'est pas contestée et est évoquée dans le jugement dont appel, il reste qu'ils ne sont pas produits et que la cour ne peut en apprécier la teneur exacte, notamment au regard des affirmations selon lesquels la SCP aurait, par le biais de ces courriers, explicitement mis fin selon elle aux mandats successifs que lui aurait confiés M. [S].

Au surplus celui-ci invoque à juste titre les dispositions de l'article R. 141-1 du code des procédures d'exécution, il n'est pas contesté qu'il n'a pas repris son titre exécutoire avant 2017, et rien ne permet par conséquent de considérer que plusieurs mandats successifs auraient été confiés à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, et encore moins qu'ils auraient été correctement exécutés.

Enfin le fait qu'un mandat ne puisse être perpétuel ne fait pas obstacle à ce que son terme soit fixé à la date du recouvrement de la créance du débiteur, et en tout état de cause cette circonstance ne dispensait pas l'étude de mettre fin expressément au mandat qui lui était confié ce qu'elle ne prouve pas avoir fait. De même rien ne prouve que le créancier aurait renoncé au recouvrement de sa créance.

En tout état de cause et ainsi que relevé par le premier juge, trois courriers sur une période de 20 ans par lesquels la SCP d'huissier informe son client de ce qu'elle ne peut plus obtenir le remboursement de sa créance, ne suffisent pas à faire preuve des diligences déployées par l'huissier, notamment preuve des investigations effectuées pour le retrouver, et de la réalité de sa situation impécunieuse.

Il s'avère ainsi que la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet ne fait pas preuve de ce que, entre 1996 et 2015, elle aurait accompli les diligences nécessaires pour parvenir à obtenir paiement du solde de la créance de M. [S], en principal et intérêts, et ne fait pas non plus preuve de ce que la situation du débiteur, sa disparition ou son impécuniosité, l'auraient dispensée de toute initiative.

L'absence de toute diligence avérée sur une aussi longue période est bien constitutive d'une faute, ainsi que retenu par le premier juge.

Sur l'allégation d'une date de prescription inexacte

Il n'est pas contesté que la SCP a indiqué faussement à M. [S] que sa créance ne serait prescrite que le 31 octobre 2018 et non le 31 octobre 2015.

Une telle inexactitude, qu'elle soit due à une simple erreur de frappe ou à un mode de calcul inexact du délai de prescription, est de la responsabilité de la SCP d'huissiers et peut être retenue comme une faute, sauf à examiner ultérieurement s'il en résulte un préjudice.

Sur l'allégation d'une violation d'un devoir de conseil et d'information

M. [S] reproche au premier juge d'avoir écarté toute violation d'un devoir de conseil et d'information, alors que le premier juge avait lui-même constaté « que l'huissier n'avait accompli aucune diligence pendant plus de 21 ans » de sorte qu'il était manifeste que « M. [S] n'a pas été tenu informé ni conseillé ».

Cependant le simple fait que l'étude d'huissiers n'ait donné que peu d'informations à M. [S] sur l'évolution du recouvrement, est pris en compte dans le grief relatif au manque de diligences.

En revanche pour le surplus, la violation d'un devoir spécifique d'information ou de conseil, supposerait qu'il ait été nécessaire d'informer plus amplement ou de conseiller M. [S] sur un point précis, à savoir notamment sur l'opportunité de réaliser certains actes pour parvenir à un éventuel recouvrement.

Or M. [S] ne prétend et ne démontre, ni que la SCP se serait abstenue de lui conseiller un acte qui aurait pu être utile au recouvrement de sa créance, ni qu'il lui aurait été au contraire conseillé des actes inutiles, ni qu'une information importante pour le recouvrement de sa créance aurait été passée sous silence.

Ainsi, la violation d'une obligation spécifique d'information ou de conseil, au-delà du simple manquement aux diligences normales requises, n'est pas établie de sorte que ce grief ne sera pas retenu à l'encontre de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet.

Il sera par conséquent uniquement retenu à l'encontre de l'intimée, l'absence de diligences avérées pour la période allant de mai 1996 à octobre 2015, outre une indication erronée quant à la date de prescription de l'action de M. [S].

II- Sur le préjudice résultant pour M. [S] des fautes retenues.

Ainsi que relevé par le premier juge, le préjudice pouvant résulter, pour M. [S], de l'absence de diligences de la part de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, est une perte de chance d'obtenir le remboursement complet de sa créance.

Dès lors qu'il réclame à ce titre des dommages et intérêts, c'est bien à M. [S], demandeur, qu'il appartient de faire la preuve de la réalité du préjudice dont il se prévaut et du lien de causalité existant avec les fautes de la SCP.

En l'occurrence, il est démontré, d'une part que la SCP était bien chargée du recouvrement de la créance de M. [S], et que celui-ci ne lui a jamais retiré son mandat, et d'autre part que la SCP n'a pas effectué les diligences nécessaires postérieurement à 1996 pour obtenir le remboursement de la créance.

Il est en outre démontré qu'antérieurement à 1996, le débiteur de M. [S] avait bien effectué régulièrement des versements auprès de l'étude d'huissiers.

La perte de chance se définit comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Elle ne se confond donc pas avec une chance hypothétique.

En l'espèce, la possibilité pour M. [S] d'obtenir en tout ou partie remboursement de sa créance, n'avait rien d'hypothétique puisqu'il existait bien un débiteur de la somme due, que M. [S] avait effectivement mandaté un huissier pour le recouvrement, et que des paiements avaient été encaissés.

Alors que le principe d'une perte de chance est ainsi acquis, seule la preuve de l'absence de toute probabilité de l'événement attendu, lequel est en l'occurrence le paiement par le débiteur du solde de sa dette, pourrait conduire la cour à rejeter toute demande en indemnisation de cette perte de chance.

En l'occurrence, la preuve de l'absence de toute probabilité pour que le débiteur, malgré les diligences de l'huissier, n'effectue plus aucun paiement, n'est pas rapportée, puisqu'il n'est versé aux débats aucun élément établissant l'insolvabilité constante ou la disparition de celui-ci.

La perte de chance subie par M. [S] doit donc être indemnisée, sauf à apprécier l'importance de celle-ci.

Sur ce dernier point, il n'est versé aux débats aucun document probant permettant à la cour de déterminer précisément l'état de solvabilité de M. [K].

Par conséquent, et en l'absence de plus d'éléments d'appréciation, la cour se référera au seul élément certain, à savoir le fait que M. [K] n'a pu payer sa dette que par des versements mensuels de l'ordre de 152 €, outre quelques versements d'un montant inférieur et supérieur, et ce sur une période de huit ans, à l'issue de laquelle il n'est pas contesté qu'il a momentanément disparu, sauf la discussion relative aux diligences entreprises pour le retrouver. Pour autant, à l'issue de cette période, une partie très importante de la créance avait bien été recouvrée.

Dans ces conditions la cour considère que la chance de M. [S] d'obtenir avant la date de prescription, paiement de l'intégralité de sa créance, peut être évaluée à 40 %. M. [S] subit donc une perte de chance égale à 40 % du montant total de sa créance, du fait de la faute imputée à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet.

Quant au montant de cette créance, la cour constate que les sommes initialement réclamées par M. [S] et totalisant finalement la somme de 18.776,57 € correspondent exactement au montant, converti en euros, des sommes auxquelles M. [K] avait été condamné en 1985, sur la base de 1 € = 6,55957 Francs et 1 € = 1, 95583 DM soit les sommes de 6.829, 16 €, 11.185,18 € et 762,25 €.

Ainsi il apparaît que M. [S] n'a pas déduit de sa demande en principal les versements effectués auprès de la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet, pour un montant total de 16.653,61 € ainsi qu'il résulte du décompte produit.

Le fait que sa créance ait effectivement produit des intérêts n'autorisait pas M. [S] à la réclamer en totalité sans prendre en compte les versements effectués, mais justifiait en revanche ainsi qu'il le revendique, qu'il mette en compte les intérêts produits par les sommes dues pendant les années écoulées.

La SCP d'huissier ne peut contester la mise en compte des intérêts au motif que le retard dans le paiement ne serait imputable qu'au débiteur et non à elle-même : il est exact que ce retard n'est imputable qu'au débiteur, mais en revanche les diligences de l'huissier auraient pu également permettre le recouvrement des intérêts dus par celui-ci, de sorte que M. [S] est fondé à les inclure dans sa créance.

Il appartenait à M. [S] de calculer les intérêts dont il estimait son débiteur redevable, mais la simple existence de ceux-ci, chiffrés par M. [S] à 9.221,27 € pour la période de 1996 à 2015 ne lui permettait pas, sous le simple motif de l'importance alléguée de sa dette, de réclamer globalement la somme de 18.776,57 €.

Il en résulte que la créance en principal de M. [S] s'élève bien à la somme de

(18.776,57 ' 16.653,61) = 2.122,96 €.

Par ailleurs M. [S] est fondé à considérer que des intérêts lui restent dus, dès lors que sa créance n'a fait l'objet que de paiements partiels et successifs lesquels, en application de l'actuel article 1343-1 du code civil, s'imputent en priorité sur les intérêts sauf convention contraire, et laissent subsister tout ou partie du principal lui-même producteur d'intérêt.

L'ancienneté de la créance et son paiement par des mensualités modiques de l'ordre de 152€ permettent de considérer que les intérêts échus sont d'une certaine importance.

Faute par M. [S] de procéder à un calcul plus précis, et faute par la SCP d'huissiers de contester la somme de 9.221,27 € alléguée par M. [S] dans ses conclusions, la cour retiendra ce montant au titre des intérêts de retard auxquels M. [S] pouvait prétendre.

Il en résulte que la créance totale de M. [S] s'élevait à 11.344,23 €.

La perte de chance de M. [S] étant évaluée à 40 % de cette somme, celui-ci est donc fondé à réclamer paiement à la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet la somme de 4.537,69€.

Enfin et pour ce qui concerne le grief concernant l'allégation d'une date de prescription erronée, la cour observe que le courrier contenant une telle allégation ne lui est pas produit ce qui ne lui permet pas d'en apprécier les termes et d'en déduire ce que M. [S] a pu croire.

Au surplus il n'est pas contesté que ce courrier est intervenu peu de temps avant la date réelle de prescription, et M. [S] ne prouve pas qu'il aurait pu en résulter pour lui un quelconque espoir supplémentaire d'obtenir des versements.

Toute demande de dommages et intérêts fondée sur ce grief doit donc être rejetée.

Il convient donc d'infirmer le jugement dont appel et de condamner la SCP d'huissiers au paiement de cette somme, outre intérêts à compter du présent arrêt en application de l'article 1231-7 du code civil.

III- Sur le préjudice moral allégué

Aucun document n'illustre l'ampleur des relances adressées par M. [S] à l'étude d'huissiers, non plus que leur teneur. La cour ne peut donc tirer de la simple longueur de la procédure de recouvrement, la preuve de l'existence d'un préjudice moral subi par M. [S], étant au surplus observé que celui-ci ne conteste pas avoir reçu la somme de 16.653,61 € au plus tard à la fin de l'année 1996.

Ce chef de demande doit donc être rejeté et le jugement est confirmé sur ce point.

IV- Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens de la présente décision conduit à infirmer le jugement de première instance pour ce qui concerne la charge des dépens et les dispositions en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [S] n'ayant gain de cause que sur une fraction de sa demande, les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties.

L'équité commande en outre d'allouer à M. [S], en remboursement de ses frais irrépétibles, la somme de 2.000 € au titre des frais exposés en première instance et celle de 2000 € au titre des frais exposés à hauteur d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral ;

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau,

Condamne la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à payer à M. [M] [S], à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance de recouvrer le solde de sa créance, une somme de 4.537,69 €, assortie des intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

Condamne la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à supporter la moitié des dépens de première instance et condamne M. [M] [S] à en supporter l'autre moitié ;

Condamne la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à verser à M. [M] [S] une somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

Y ajoutant,

Condamne la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à supporter la moitié des dépens de la procédure en appel et condamne M. [M] [S] à en supporter l'autre moitié ;

Condamne la SCP Hervé Thomas et Alain Paulet à verser à M. [M] [S] une somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance en appel.