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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 12 juin 2024, n° 22/09376

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Crédit Industriel et Commercial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Sappey-Guesdon, Mme Chaintron

Avocats :

Me Bellichach, Me Noachovitch, Me Desclozeaux

TJ Paris, 9e ch. 3e sect., du 21 avr. 20…

21 avril 2022

* * * * *

M. [B] [I] exerce la profession d'administrateur de biens sous l'enseigne « L'immobilière de [Localité 6] ' Cabinet CP [I] » et est le syndic d'environ 250 copropriétés, chacune étant titulaire d'un compte bancaire ouvert dans les livres de la société anonyme Crédit industriel et commercial en son agence située dans le huitième arrondissement de [Localité 7].

Le cabinet CP [I] est également titulaire d'un compte bancaire ouvert dans les livres du CIC, en son agence située dans le dix-neuvième arrondissement de [Localité 7], sur lequel M. [I] recevait notamment le règlement de ses honoraires de gestion par virements des comptes de copropriété.

Le 7 octobre 2009, M. [I] a déposé plainte contre Mme [F] [Y], employée par le cabinet CP [I] le 17 juillet 2000 en qualité d'aide-comptable puis de comptable, après avoir constaté le détournement de sommes importantes, par virement et par chèques, lui ayant valu un licenciement pour faute lourde.

Considérant que le CIC avait contribué à son dommage en raison de divers manquements, M. [I] l'a fait assigner en responsabilité devant le tribunal judiciaire de Paris par exploit d'huissier du 7 mai 2014.

Par ordonnance du 3 février 2015, le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale en cours devant le tribunal correctionnel de Paris.

Par jugement du 7 mars 2018, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré Mme [Y] coupable du chef d'abus de confiance et l'a condamnée à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement intégralement assortie du sursis simple et à une peine d'amende de 5 000 euros. Mme [W] [J] épouse [C] et M. [M] [C], respectivement la mère et le beau-père de Mme [Y] ont, quant à eux, été déclarés coupables du chef de recel d'abus de confiance et condamnés chacun à une peine d'amende de 25 000 euros intégralement assortie du sursis simple.

Les intéressés ayant interjeté appel sur les dispositions civiles, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 26 novembre 2019, confirmé la condamnation solidaire des consorts [Y] et [C] à payer d'une part au cabinet CP [I] la somme de 1 486 894,25 euros, et, d'autre part, à M. [I] la somme de 335 000 euros en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Le 12 juin 2020, M. [I] a demandé le rétablissement de l'affaire civile contre la banque au rôle.

Par un jugement contradictoire du 21 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

- Débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné M. [I] à payer au CIC la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné M. [I] aux dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 11 mai 2022, M. [I] a interjeté appel de cette décision contre le CIC.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 avril 2024, M. [I] et la société par action simplifiée [I] demandent à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil et 31 et 700 du code de procédure civile, de :

- Constater l'intervention forcée, puis le désistement de la société par actions simplifiée [I], la présente procédure ayant été réintégrée dans le patrimoine de M. [I] exerçant sous le nom commercial du cabinet CP [I] ;

- Infirmer le jugement rendu le 21 avril 2022 ('),

En conséquence, statuant à nouveau :

- Condamner le CIC à verser à M. [I] exerçant sous le nom commercial du cabinet CP [I] une somme de 1 486 894,25 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de sa perte de chance ;

- Condamner le CIC à verser à M. [I] la somme de 288 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de sa perte de chance de vendre son appartement plus cher ;

- Condamner le CIC à verser à M. [I] la somme de 420 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son obligation d'avoir souscrit un prêt ;

- Condamner le CIC à verser à M. [I] la somme de 110 474,55 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du coût des intérêts et des assurances souscrites pour les prêts ;

- Condamner le CIC à verser à M. [I] la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- Condamner le CIC à verser à M. [I] exerçant sous le nom commercial du cabinet CP [I] la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- Condamner le CIC à payer à M. [I] exerçant sous le nom commercial du cabinet CP [I], ainsi qu'à M. [I], la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le CIC à supporter les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jacques Bellichach, avocat postulant au barreau de Paris, et ce conformément aux dispositions prévues par l'article 699 du code de procédure civile en faisant valoir :

- qu'en vertu de l'article 328 et 329 du code de procédure civile, l'intervention volontaire est principale ou accessoire. Elle est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme et n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention. En l'espèce, M. [I] exerçait à titre individuel, en son nom propre, sous le nom commercial du cabinet CP [I]. Le 4 juillet 2022, soit postérieurement à la déclaration d'appel, M. [I] a cédé son fonds de commerce à S.A.S. [I]. Aux termes de cet acte il était prévu la cession de l'ensemble du patrimoine corporel, et incorporel. Le présent litige a donc été transmis par la cession. Le 10 aout 2022, la S.A.S. [I] intervenait donc volontairement par conclusions, venant aux droits du cabinet CP [I], et aux cotés de M. [I]. Les termes de l'acte de cession de fonds de commerce ne correspondaient toutefois pas à la volonté des parties. En conséquence, le 16 février 2023 un avenant à l'acte de cession de fonds de commerce a été régularisé entre la S.A.S. [I] et le cabinet CP [I] prévoyant que le présent litige retournait dans le patrimoine de M. [I]. En conséquence, M. [I] fait valoir que la S.A.S. [I] se désiste de son intervention volontaire, au profit du cabinet CP [I] qui récupère donc la marche de ce procès, et son intérêt à agir, au même titre qu'au stade de la première instance et de la déclaration d'appel, aux côtés de M. [I] en son nom propre,

- qu'en application des articles 1134 et 1147 du code civil, les établissements bancaires sont soumis à une obligation de vigilance, impliquant qu'ils doivent être attentifs aux opérations bancaires des clients et déterminer un niveau d'alerte quand une opération bancaire s'avère anormale. La chambre commerciale de la Cour de cassation a apporté des précisions en jugeant le 12 juillet 2017 que cette obligation de vigilance ne concerne que les anomalies dites apparentes, comme les anomalies matérielles ou intellectuelles, notamment lorsque certains éléments laissent penser à une opération illicite. La cour d'appel de Lyon a rappelé récemment dans un arrêt en date du 5 octobre 2023 que si les professionnels de la banque doivent respecter un devoir de non-immixtion dans les affaires de leur clientèle professionnelle, ils demeurent tenus à l'égard de leurs clients « d'un devoir de vigilance et de mise en garde sur les opérations bancaires suspectes ». Il convient de faire application de ces jurisprudences en l'espèce. Si le CIC prétend que Mme [Y] était expressément habilitée par M. [I] à procéder à des opérations bancaires, cette dernière était employée en qualité d'aide-comptable puis de comptable et était naturellement habilitée à réaliser, dans le cadre de ses fonctions, des opérations bancaires pour le compte de M. [I]. Cette habilitation ne lui permettait pas de faire des virements à elle-même ou à des tiers complaisants. Les détournements de chèques et de virements sont cependant intrinsèquement frauduleux en ce qu'ils n'ont pas été réalisés avec le consentement de M. [I] et ne peuvent être présumés consentis par ce dernier, Mme [Y] ayant sciemment dépassé le cadre de sa propre habilitation,

- que le CIC a, de toute évidence, manqué à son obligation de vigilance compte tenu de l'apparence notable et manifeste d'anomalies qui auraient dû être détectées par un banquier normalement diligent : (i) le CIC connaissait parfaitement la destination des fonds encaissés, lesquels étaient exclusivement affectés au règlement des honoraires du cabinet CP [I], étant rappelé que le CIC et le cabinet CP [I] entretiennent des relations commerciales et financières de longue date. (ii) Le CIC n'ignore pas que, depuis de nombreuses années, les honoraires du cabinet CP [I] sont versés sur un compte unique, en l'occurrence le compte N°100 175 02. Le CIC n'a pas procédé à la moindre vérification et ne s'est aucunement assurée que le numéro de compte créditeur correspondait bien à celui de M. [I]. (iii) Mme [Y], employée par M. [I], était titulaire d'un compte au sein de la même agence et les virements ont été effectués à destination dudit compte. Le CIC ne saurait donc ignorer que les règlements de copropriétés ne pouvaient avoir pour destinataires une salariée du cabinet, par ailleurs cliente de cette même banque, et les proches de cette dernière. (iv) Le numéro de compte ne correspondait pas au destinataire des fonds, lequel était expressément libellé sur l'ordre de virement en l'occurrence « CP [I] ». (v) Le CIC étant également la banque recevant les virements détournés, elle aurait également dû s'apercevoir, sur les comptes de particuliers aux faibles revenus, qu'il est anormal de recevoir de telles sommes, outre le libellé de ces lignes de crédits explicites quant à leur illicéité manifeste. La quantité des crédits aux comptes ainsi que leur montant et leur libellé étaient suspects au premier coup d''il. En tout, plus d'1,4 millions d'euros ont été détournés au fil des années (dont 1 087 319,27 euros au profit des consorts [Y] et [C]), toujours par le même moyen. Les initiales « HG », abréviation « d'honoraires de gestion », apparaissent sur une grande majorité des virements. Or, Mme [Y] exerçait la profession d'aide comptable au moment des faits et était donc salariée, ce qui aurait dû alerter le CIC. Par ailleurs, l'article L. 563-3 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige, prévoit que les organismes financiers se renseignent auprès du client en présence d'opérations inhabituelles ou complexes et semblant dénués de justification économique ou d'objet licite, dont le montant unitaire ou total est supérieur à 150 000 euros en application de l'article R. 563-2 du même code. Or, en l'espèce, les opérations effectuées à destination des comptes appartenant aux consorts [Y] et [C] portent sur une somme près de dix fois supérieure. Une partie de ces virements étaient immédiatement retransférés sur d'autres comptes, ce qui devait éveiller la vigilance du CIC sur l'origine et la destination de ces fonds.

- que l'agence du CIC Opéra a été exclusivement créée pour gérer des comptes de copropriétaires, et serait donc une agence spécialisée. Le règlement d'honoraires au syndic de copropriété professionnel est assimilé à un acte de commerce en vertu du code de commerce et ne peut s'effectuer qu'au syndic de copropriété. Ainsi le CIC aurait dû refuser les opérations de règlement d'honoraires sur les comptes de particuliers. Par ailleurs, en vertu de la loi « Hoguet » du 2 janvier 1970, nul ne peut s'immiscer dans la gestion immobilière sans être titulaire d'une carte professionnelle. Le CIC a donc participé, pendant cinq ans, à une infraction sur la gestion des copropriétés et une fraude fiscale à la TVA, les montants virés incluant cette dernière.

- qu'à compter de l'année 2003, le CIC a proposé la mise en place d'un outil qu'il estimait sécurisé dénommé Filbanque, permettant de suivre les comptes et de procéder à des opérations en ligne. Afin de procéder à un virement, il suffisait pour le détenteur du compte de créer un ou plusieurs comptes bénéficiaires au moyen d'un code unique. En revanche, une fois le destinataire créé, la modification des coordonnées personnelles de ce dernier ne nécessitait aucun code. C'est dans ces conditions que, de 2003 à 2009, Mme [Y] a pu facilement modifier les coordonnées bancaires du cabinet CP [I], en les remplaçant tantôt par les siennes, tantôt par celles de ses proches, avant de les effacer pour les remplacer de nouveau par les coordonnées du cabinet afin que son stratagème passe inaperçu. Au regard de son propre cas, M. [I] a contacté la Banque de France pour que des mesures soient prises afin d'être certain que ces détournements n'arrivent plus, et avait également demandé à être informé des mesures qui avaient pu être prises à l'époque, et si ses comptes avaient été contrôlés. Toutefois, il n'a pu qu'être informé que sa demande a été prise en compte mais qu'aucune information ne lui sera divulgué au nom du secret bancaire. Le CIC s'est à présent rendu compte des failles de son système et, afin d'éviter d'engager sa responsabilité à l'avenir et de protéger ses clients, a fait évoluer son dispositif de sécurité et mis en place des mécanismes empêchant la fraude dont a été victime M. [I],

- , à titre liminaire, que contrairement aux prétentions du CIC, il justifie d'un intérêt à agir né et actuel. Il souffre toujours de la situation litigieuse étant donné que son préjudice n'a pas été réparé et ne le sera jamais. Le 26 novembre 2019, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement correctionnel du 7 mars 2018 et a condamné les consorts [Y] et [C] à verser une somme d'un montant total de 1 838 894,25 euros, tous préjudices confondus, à M. [I] au titre des dommages et intérêts. Me [D] [E] a été mandatée par le cabinet CP [I] pour procéder à l'exécution de cette condamnation. Si la condamnation a été prononcée en 2019, Me [D] [E] atteste au 29 mars 2021, soit un an et demi après le prononcé de la condamnation, qu'elle ne parvient pas à recouvrer la créance due, ce qui témoigne du fait que le préjudice du cabinet CP [I] n'a jamais été réparé et ne le sera pas au regard de la précarité de la situation financière des consorts [Y] et [C].

- dans un premier temps, qu'il a subi un préjudice de perte de chance. Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 mars 1975 a établi plusieurs critères permettant de caractériser la perte de chance : le préjudice doit, d'une part, être certain et direct, il doit, d'autre part, être indemnisable. En l'espèce, M. [I] a été victime d'un détournement de la somme de 1 486 894,95 euros, par l'action de Mme [Y], qui a profité de la négligence de la Banque CIC. Ce détournement a engendré un préjudice total de 1 838 894,25 euros. Son préjudice est ainsi certain et direct. Son préjudice est, en outre, indemnisable. M. [I] ne pourra jamais récupérer le montant de ses pertes subies par l'escroquerie subie par le biais des consorts [Y] et [C], qui ont dépensé tout l'argent détourné et qui ne disposent pas de revenus permettant le recouvrement d'une créance aussi importante, comme l'atteste Me [D] [E]. Le préjudice subi par M. [I] est donc constitué par la perte de chance d'éviter, ou à tout le moins de limiter considérablement, les détournements effectués par Mme [Y] à son détriment.

- dans un deuxième temps, qu'il a subi un préjudice matériel issu de la vente d'un bien et de la conclusion de plusieurs prêts par lui. A la suite des malversations commises par Mme [Y], et les manquements du CIC à ses obligations de surveillance, le cabinet CP [I] a souffert de problèmes de trésorerie conséquents. M. [I], exerçant son activité de syndic en nom personnel et supportant personnellement les pertes de celle-ci, a dû vendre un appartement dont il avait hérité de son père et auquel il accordait une grande valeur sentimentale pour remettre à flot la trésorerie du syndic et éviter un dépôt de bilan. Dans la précipitation et malgré un marché peu favorable, M. [I] s'est trouvé contraint de vendre ledit appartement de quarante-et-un virgule cinq mètres carrés, sis [Adresse 3], pour la somme de 165 000 euros le 14 avril 2008. Si M. [I] n'avait pas été contraint de vendre le bien à ce moment-là, il aurait pu vendre l'appartement au prix de 453 553 euros, au regard des prix moyens au mètre carré des six ventes réalisées en 2020. La différence entre ce prix et celui auquel il a dû vendre l'immeuble constitue pour lui un préjudice de 288 000 euros. Cette perte est imputable directement aux malversations de Mme [Y], mais également aux manquements du CIC à ses obligations de contrôle et de surveillance des opérations bancaires. La vente de son appartement ne suffisant pas, M. [I] a aussi dû trouver de la trésorerie afin d'éviter une liquidation judiciaire. Il a donc contracté plusieurs emprunts à hauteur de 170 000 euros, 180 000 euros et enfin 70 000 euros afin de payer les impôts de sa société et remettre de l'argent dans la trésorerie du cabinet CP [I]. Ces prêts ont entrainé un coût total de 110 474,55 euros (intérêts et assurances), au titre duquel il demande aussi indemnisation.

- dans un troisième temps, qu'il a subi un préjudice moral. Il a été particulièrement affecté par les faits car il avait toute confiance en Mme [Y], qui travaillait au cabinet CP [I] depuis neuf ans lorsqu'il s'est aperçu des faits. Il accordait aussi toute confiance au CIC, avec qui il faisait affaires depuis des années pour la gestion de ses opérations bancaires. Il a ainsi été touché par la trahison de son employée, mais aussi du CIC, son audition de partie civile devant le magistrat instructeur en date du 1er août 2013 faisant par ailleurs ressortir que cette affaire l'empêchait de dormir la nuit. M. [I] fait valoir qu'il a également été peiné par les mesures qu'il a été obligé de prendre à la suite des détournements commis par Mme [Y] afin de permettre la survie de son cabinet et d'éviter le licenciement de ses salariés, à savoir la vente de l'appartement qu'il avait reçu en héritage et pour lequel il avait un certain attachement sentimental,

- dans un quatrième temps que le cabinet CP [I] a subi un préjudice moral. La demande au titre du préjudice moral formée par le cabinet CP [I] ne fait pas « double emploi » avec la demande formée à titre personnel par M. [I], et doit être déclarée recevable, comme l'a relevé la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 26 novembre 2019. Le cabinet CP [I] travaille depuis de longues années avec le CIC et a subi un lourd préjudice car il s'est vu « trahi » par cette dernière, alors qu'il lui avait accordé sa confiance pour la gestion de ses opérations financières,

- en ce qui concerne son préjudice de perte de chance que si le CIC avait satisfait à son devoir de vigilance, elle aurait pu remarquer les nombreuses anomalies matérielles affectant les opérations. Si les mesures de sécurité actuelles avaient été mises en place à l'époque, le CIC aurait pu éviter l'intégralité des détournements.

- en ce qui concerne son préjudice matériel, qu'il a été jugé dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 26 novembre 2019 qu'il a personnellement souffert à hauteur de 335 000 euros du dommage directement causé par les infractions d'abus de confiance et de recel. L'existence du préjudice matériel a donc été définitivement jugée et est revêtue de l'autorité de la chose jugée. Ce préjudice résulte directement du manquement du CIC à son devoir de vigilance, en ce qu'elle n'a pas repéré des anomalies matérielles, apparentes et évidentes, et en ce qu'elle n'a pas mis en 'uvre les procédures nécessaires pour éviter les détournements. En cela, le CIC n'a pas empêché ou limité les détournements réalisés par Mme [Y] au préjudice de M. [I], et se doit de l'indemniser de son entier préjudice matériel.

- en ce qui concerne son préjudice moral, que son « enchaînement de malchance » aurait tout à fait pu être arrêté dès les prémisses des détournements de Mme [Y], si le CIC avait répondu à ses obligations de surveillance, comme elle était censée le faire en tant que banque.

- en ce qui concerne le préjudice moral du cabinet CP [I], que la confiance qu'accordait ce dernier au CIC a été ébranlée lorsque M. [I], exerçant au nom du cabinet CP [I], s'est rendu compte que la banque avait permis à Mme [Y] de détourner des sommes très importantes à son insu et ce, sans effectuer aucun contrôle pendant plus de sept ans, obligation pourtant intrinsèque à son rôle de banque,

- que le CIC se fonde exclusivement sur l'encaissement de chèques falsifiés, alors que son préjudice repose essentiellement sur des virements frauduleux. Mme [Y] écrivait l'ordre des chèques avec un stylo-bille à encre effaçable, pour les effacer ensuite et les réécrire à son profit. L'exemple des chèques pris par le CIC n'est donc pas représentatif du préjudice subi par M. [I], et ne constituerait qu'un moyen pour le CIC de tenter d'échapper à sa responsabilité. Le détournement des sommes a été essentiellement réalisé à partir des règlements des frais de gestion et, de manière résiduelle, sur le règlement des honoraires de gestion eux-mêmes versés par fraction au cabinet [I]. Elles étaient ainsi indécelables par l'équipe comptable et M. [I] lui-même. Ce dernier était, par ailleurs, dans l'impossibilité de relever les débits ou crédits sur son compte commercial, les sommes ayant été effectivement détournées par Mme [Y]. Elles n'ont donc jamais été créditées sur le compte commercial, rendant impossible leur pointage. L'ensemble des honoraires reçus provenant des comptes de copropriété, le versement des honoraires est réalisé après vérification de la facture. Un rapprochement est ensuite effectué entre les factures et le compte de copropriété. A partir du moment où tous les comptes de copropriété font l'objet d'un rapprochement, et sont approuvés en assemblée générale, M. [I] n'avait aucun intérêt à financer un nouveau rapprochement entre ses factures et les comptes de copropriété.

- que les exemples de chèques communiqués par le CIC correspondent à ceux d'un compte commercial du Cabinet CP [I]. Ils n'ont donc aucun lien avec les chèques des comptes bancaires des copropriétés détournés par Mme [Y] et avec le présent litige. Dans le cadre de la procédure pénale, l'audition de Mme [S], chef comptable, relate que cette dernière n'avait jamais signé de chèque en blanc, ce qu'elle confirme à ce jour. Mme [K], gestionnaire au sein du cabinet CP [I], atteste aussi sur l'honneur avoir rédigé tous les chèques émis par l'un des comptes commerciaux du cabinet. Elle précise en outre que M. [I] n'avait pas pour usage de faire signer des chèques en blanc. Il résulte également de la procédure pénale que Mme [Y] a reconnu utiliser un stylo-bille à encre effaçable sur quelques chèques, dont elle effaçait l'ordre et le remplaçait par un autre après qu'ils aient été signés par le service comptable.

- qu'en tout état de cause et sur le fondement de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas possible de retenir une « négligence extrême » de la part du cabinet CP [I] et de M. [I], de nature à constituer une faute de la victime et à exonérer le CIC de toute responsabilité. M. [I] fait valoir que c'est le CIC qui a commis une « négligence extrême » en ne relevant pas les nombreux flux d'argent aux libellés pouvant interpeller et aux montants conséquents,

- que si la relation de commettant à préposé est effectivement établie entre Mme [Y] et lui, il existe une limite à l'irresponsabilité de principe dont jouit le préposé, celle de la faute pénale intentionnelle, tel que l'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt « Cousin » en date du 14 décembre 2001. Dès lors que le préposé a commis une faute pénale intentionnelle, il engage sa responsabilité personnelle, peu importe qu'il ait excédé ou non les limites de sa mission. Or, Mme [Y] a commis une faute pénale intentionnelle, en l'espèce un abus de confiance, pour laquelle elle a été reconnue coupable et condamnée par le tribunal correctionnel de Paris le 7 mars 2018. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Paris le 26 novembre 2019. Il résulte aussi de l'attestation de M. [N], expert-comptable du cabinet CP [I], que M. [I] n'avait aucun moyen de savoir que les montants n'arrivaient finalement pas sur son compte en banque. En effet, Mme [Y] était la personne en charge d'effectuer l'encaissement des chèques, les règlements et le lettrage des factures acquittées par les copropriétés. Le CIC invoque la responsabilité du commettant du fait de son préposé en se prétendant « tiers lésé », au seul motif qu'il a été assigné en justice. Le CIC ne fait donc aucunement état d'un préjudice direct et certain et, s'il estime en avoir subi un, aurait dû assigner Mme [Y].

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2024, la société Crédit Industriel et Commercial demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1353 et 1384 alinéa 5 du code civil, dans leur rédaction applicable au présent litige, L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, et 6, 9 et 31 du code de procédure civile, de :

- Juger que le CIC n'a commis aucun manquement à son obligation de vigilance, dès lors que les virements litigieux ont été émis par une préposée habilitée et qu'il n'existe aucune anomalie intellectuelle apparente ;

- Juger que M. [I] ne justifie pas d'anomalies apparentes décelables par la banque s'agissant des chèques détournés par Mme [Y] ;

- Juger que M. [I] a commis de graves négligences à l'origine directe et exclusive des préjudices prétendument subis ;

- Juger que M. [I] et la S.A.S. [I] n'apportent pas la preuve des préjudices subis, ni du lien de causalité avec les prétendus manquements du CIC ;

En conséquence :

- Débouter M. [I] et la S.A.S. [I] de l'ensemble de leurs demandes ;

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 21 avril 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Paris ;

En toute hypothèse :

- Enjoindre à M. [I] d'avoir à justifier du montant effectivement subi ;

- Condamner M. [I] à payer au CIC la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en exposant :

- qu'en matière de responsabilité bancaire, la banque est tenue à un devoir de non-ingérence à l'égard de son client et demeure dans les normes professionnelles de la prudence en limitant ses contrôles à l'apparence des choses. Le devoir de non-ingérence ne cède donc au devoir de vigilance qu'en présence d'opérations où l'anomalie est apparente, qu'elle soit matérielle (grattage, surcharge, rajout) ou intellectuelle (mouvements anormaux), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La jurisprudence précise qu'aucune anomalie apparente ne pouvait être relevée si l'ordre de paiement avait bien été donné par le titulaire du compte et que le compte était suffisamment provisionné, comme c'est bien le cas en l'espèce.

- qu'aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 5 mars 2024, M. [I] invoque un manquement du CIC sur le fondement de l'article L. 563-3 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au moment des faits. Cependant, s'agissant des dispositions de l'article L563-3 du code monétaire et financier, relatives aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ces dernières concernent exclusivement la relation de la banque avec la justice et le régulateur dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et ne sont donc pas source de responsabilité civile, comme cela ressort par ailleurs de la jurisprudence constante.

- en ce qui concerne les virements litigieux opérés par Mme [Y], que M. [I] n'apporte pas la preuve de ses prétentions alors qu'il réclame au CIC la somme de 2 335 368,80 euros. En violation des articles 1353 du Code civil et 6 et 9 du code de procédure civile, M. [I] se contente de s'appuyer sur le jugement correctionnel rendu le 7 mars 2018 par le tribunal correctionnel de Paris pour justifier des détournements subis, sans communiquer ni les avis d'opéré des virements litigieux, ni les relevés de compte concernés, ni même un tableau récapitulatif recensant les opérations frauduleuses avec leur date, leur montant, et le compte bénéficiaire. Dans le cadre de son service de caisse, tout établissement bancaire est en principe tenu, en qualité de banquier du donneur d'ordre, d'exécuter tous les transferts de fonds sollicités, et ce avec ponctualité et exactitude, à défaut de quoi il est susceptible d'engager sa responsabilité.

- que l'article L. 133-3 du code monétaire et financier définit l'opération de paiement, et donc le virement, comme l'action consistant notamment à transférer des fonds indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire. Par suite, lorsqu'il faut établir le consentement du donneur d'ordre à l'opération de paiement proprement dite, c'est sa volonté d'exécuter l'ordre qu'il convient d'examiner, en vérifiant qu'elle s'est manifestée « sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement », comme cela ressort de l'article L.133-7 du même code. La jurisprudence fait application de ces règles pour décider que la responsabilité de la banque ne peut, par exemple, être engagée au titre de l'exécution de virements litigieux dès lors que l'ordre de virement a été émis selon le dispositif convenu contractuellement entre les parties et que le contrôle formel de sa confirmation ne permettait pas au banquier de relever une anomalie. En l'espèce, M. [I] feint d'ignorer que les virements litigieux ont été émis et validés par le biais du système sécurisé de banque à distance Filbanque, par Mme [Y], comptable expressément habilitée par M. [I] à émettre ce type opérations. A ce titre, Mme [Y] disposait d'un accès « B@D », d'un identifiant et d'un mot de passe personnel Filbanque. En outre, en sa qualité de déléguée du cabinet CP [I], Mme [Y] avait le pouvoir de saisir et valider les virements, ce qui n'est pas contesté par M. [I]. Par ailleurs, le jugement correctionnel précise que Mme [Y] « était en possession des codes permettant d'ordonner ces virements comme les autres aides comptables du cabinet » et « avait l'autorisation d'effectuer ces virements par internet à partir du cabinet ou d'ailleurs ». Ainsi, Mme [Y] est réputée avoir été expressément autorisée par son employeur à effectuer lesdits virements puisqu'elle bénéficiait, à la date des virements litigieux, d'un profil délégué autorisant ce type d'opérations ainsi que l'ajout de bénéficiaires. En l'espèce et au vu des conditions générales Filbanque, les virements litigieux émanent bien du cabinet CP [I], en ce qu'il est fait usage du code secret qui l'identifie et que la connexion intervient depuis un site internet sécurisé auquel le client n'a accès que par l'usage d'un code qui a la nature d'une signature personnelle. Ainsi, les virements réalisés par le titulaire du compte à partir de son espace en ligne sont réputés avoir été réalisés avec son consentement. L'usage du code secret personnel par la préposée autorisée peut être interprété comme traduisant la volonté du client, M. [I], ou en tout cas le caractère autorisé de l'opération de paiement et exclue ainsi toute restitution. Le cabinet CP [I] était, par ailleurs, contractuellement responsable du « contrôle de l'utilisation des services Filbanque par ses mandataires ou collaborateurs » et il s'est contractuellement engagé à ne pas « contester les opérations effectuées par l'intermédiaire de ces services », comme cela ressort de l'article 2.2.2 du contrat Filbanque. Par conséquent et compte tenu de l'utilisation du système sécurisé Filbanque par une préposée habilitée pour ce faire, la banque ne pouvait aller au-delà de ses obligations sans enfreindre le devoir de non-ingérence auquel elle était tenue à l'égard de son client, comme en témoigne par ailleurs la jurisprudence récente rendue en la matière. Si M. [I] fait état d'un arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la Cour d'appel de Lyon, ayant prononcé un partage de responsabilité à cinquante-cinquante entre la banque et son client, les faits ne sont pas transposables à la présente espèce. En effet, il s'agissait d'une « fraude au président » pour un unique virement de 186 280 euros intervenu « suite au piratage de la boite mail du PDG » du client de la banque.

- que M. [I] ne démontre pas non plus, aux termes de ses conclusions d'appelant, l'existence d'anomalies intellectuelles apparentes qui auraient dû attirer l'attention du CIC : (i) Le volume d'affaires avec le cabinet CP [I] était particulièrement important avec notamment plus de deux-cent-cinquante comptes ouverts au nom des différents syndicats de copropriétaires et des flux annuels très élevés. (ii) Le montant des virements litigieux émis par Mme [Y] n'était pas inhabituel, s'agissant dans leur majorité de virements d'un montant inférieur à 1 000 euros, ce que confirme expressément le jugement correctionnel. (iii) Les virements litigieux étaient étalés dans le temps, courant sur une période de plus de sept ans, entre 2002 et 2009. (iv) Les virements litigieux n'ont pas rendu les comptes bancaires débiteurs. Or, en matière d'anomalies intellectuelles, la jurisprudence est davantage sévère, les banques n'engageant pas leur responsabilité dès lors que les chèques ont une apparence de régularité parfaite. Il n'existait, en l'espèce, aucune anomalie matérielle ou intellectuelle de nature à alerter le CIC.

- que si M. [I] semble également lui reprocher de ne pas avoir détecté le caractère anormal des virements crédits sur le compte des consorts [Y] et [C], il ne précise pas quels virements litigieux auraient été encaissés dans les livres du CIC, sur quels comptes et pour quels montants, de sorte que, compte tenu de cette carence probatoire, il conviendrait de rejeter cette prétention. Il ressort, par ailleurs, de la procédure pénale, que de nombreux virements avaient pour bénéficiaires des comptes ouvertes dans d'autres établissements bancaires, de sorte que la responsabilité du CIC ne saurait être recherchée en sa qualité de banque récipiendaire de ces virements. M. [I] n'a pas non plus assigné lesdites banques réceptionnaires. En toute hypothèse, le cabinet CP [I] était l'employeur de Mme [Y] de sorte que la présence de virements de ce dernier au bénéfice du compte de sa préposée ne revêtait pas un caractère anormal de nature à alerter le CIC, qui n'a donc pas manqué à son devoir de vigilance.

- en ce qui concerne les chèques remis à l'encaissement par Mme [Y], une nouvelle violation de l'article 1353 du code civil et des articles 6 et 9 du code de procédure civile par M. [I], ce dernier n'ayant pas versé aux débats la copie de l'ensemble des chèques litigieux permettant au tribunal d'apprécier une éventuelle falsification apparente, ni même la liste des chèques en question, leur date, leur montant et leur bénéficiaire. M. [I], alors qu'il réclame des sommes conséquentes au CIC, se contente de s'appuyer sur le jugement correctionnel rendu le 7 mars 2018 par le tribunal correctionnel de Paris qui n'établit nullement la présence d'anomalies apparentes sur les chèques en question. Ainsi, M. [I] échoue à apporter la preuve d'anomalies apparentes décelables par un employé normalement diligent en ce qui concerne les chèques remis à l'encaissement par Mme [Y] et ses proches, chèques dont il n'est par ailleurs pas établi clairement qu'ils auraient été falsifiés par cette dernière. M. [I] ne précise pas non plus quels chèques auraient été encaissés sur des comptes ouverts dans les livres du CIC et pour quel montant, étant rappelé qu'il ressort de la procédure pénale que de nombreux chèques ont été remis sur des comptes ouverts dans d'autres établissements bancaires, de sorte que la responsabilité du CIC ne peut être recherchée s'agissant desdits chèques en qualité de banquier présentateur. Le CIC fait valoir qu'il communique quelques exemples de chèques émis par le cabinet CP [I] remis à l'encaissement par Mme [Y], sur lesquels on ne remarque aucune surcharge, altération ou grattage en ce qui concerne le bénéficiaire indiqué. Il apparaît que Mme [Y] a rempli ces chèques en indiquant leur montant et leur date, puis les a fait signer sans ordre à la responsable comptable du cabinet CP [I], Mme [S], ou au comptable, M. [Z] avant d'ajouter le bénéficiaire de son choix ou les faisaient signer avec l'ordre qui lui convenait, de sorte que les chèques en question ne comportent en réalité aucune anomalie, apparente ou non. Cela ressort notamment des déclarations de Mme [Y] dans le cadre de la procédure pénale. Il ressort aussi de la procédure pénale que Mme [S] et M. [Z] signaient les chèques les uns à la suite des autres sans effectuer de vérification. Le dossier pénal fait également ressortir que de nombreux chèques remis à l'encaissement par Mme [Y] sur son compte CIC ont été validés par la comptabilité du cabinet CP [I],

- qu'il ressort de la jurisprudence constante que le demandeur doit justifier d'un intérêt né et actuel. En l'espèce, le CIC n'est pas en mesure de déterminer le préjudice effectivement subi par M. [I] et le cabinet CP [I] car il ne sait pas dans quelle mesure le sinistre subi a été pris en charge par la société d'assurance de ces derniers, l'activité de syndic de copropriété étant nécessairement assurée. Il résulte, par ailleurs, de l'acte de cession de fonds de commerce dont se prévaut M. [I] que des cautionnements d'un montant de 9 550 000 euros ont été conclus par la société AXA, notamment, au profit du cédant, M. [I]. De même, le CIC n'est pas en mesure de déterminer les sommes qui ont pu être recouvrées par M. [I] auprès de Mme [Y] dont il apparaît, à l'étude de la procédure pénale, qu'elle était propriétaire au moins d'un parking et de divers comptes courants sur lesquels M. [I] a par ailleurs diligenté des mesures conservatoires. Le CIC n'est également pas en mesure de déterminer les sommes qui ont pu être recouvrées par M. [I] auprès de Mme [W] [J] épouse [C] et de M. [M] [C], condamnés solidairement avec leur fille et belle-fille dans le cadre de la procédure pénale, à indemniser son préjudice matériel, et qui sont propriétaires au moins d'une maison située dans l'Orne. Si par impossible et par extraordinaire, il devait être considéré que le CIC a commis une faute dans l'exécution des virements frauduleux et dans le cadre de la vérification des chèques remis à l'encaissement par Mme [Y] ou ses proches, et que la responsabilité du CIC est engagée à l'égard de M. [I], il conviendra en toute hypothèse d'enjoindre à M. [I] d'avoir à justifier du montant du préjudice effectivement subi et notamment du fait qu'il n'a perçu aucune somme de la part des consorts [Y] et [C],

- que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Une fois caractérisée, la perte de chance peut devenir indemnisable. L'indemnisation de la chance perdue ne se confond cependant pas avec le bénéfice que la victime aurait retiré de la survenance de l'évènement favorable. La chance étant par nature aléatoire, la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à l'aune de la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée. L'indemnisation doit donc prendre en compte l'aléa selon les chances de succès qu'avait la victime, comme l'exige la Cour de cassation. Cette dernière casse par ailleurs systématiquement toutes les décisions du fond qui indemnisent la totalité du gain espéré. A ce titre, M. [I] n'est en aucun cas fondé à réclamer au CIC la somme de 1 486 894,25 euros soit en réalité la totalité des sommes détournées par Mme [Y], au titre de sa perte de chance alléguée et ne peut solliciter qu'une fraction plus ou moins importante du préjudice subi, selon la probabilité de survenance de l'avantage espéré. De même, la demande formée au titre du préjudice subi par M. [I] du fait de la vente de son appartement afin de « combler les déficits crées par les détournements » de Mme [Y] est particulièrement mal fondée et doit être rejetée. M. [I] réclame en effet une somme de 288 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de sa « perte de chance de vendre son appartement plus cher ». En premier lieu, le CIC fait valoir que l'acte de vente de cet appartement date du 27 octobre 2004, soit au début des détournements commis par Mme [Y], alors même que la découverte des faits litigieux remonte à la fin de l'année 2009, de sorte qu'il n'existe aucun lien entre cette vente et les difficultés financières alléguées par M. [I]. En outre, M. [I] ne justifie à aucun moment que les sommes provenant de la vente de cet appartement ont été utilisés pour « renflouer » la situation comptable du cabinet CP [I]. Par ailleurs, l'évaluation de ce poste de préjudice n'est pas sérieuse et serait malhonnête, dans la mesure où M. [I] prend pour base d'évaluation le prix du mètre carré dans le vingtième arrondissement de [Localité 7] en 2020, soit sa valeur la plus haute sur toute la période. Seul le prix moyen du mètre carré entre 2004 et aujourd'hui pourrait, le cas échéant, être retenu comme base d'évaluation,

- que les demandes de M. [I] formées au titre du préjudice subi du fait de la souscription des prêts doivent aussi être rejetées. Ce dernier ne démontre à aucun moment que les prêts en question ont été souscrits pour faire face à des difficultés de trésorerie, ni même que les fonds prêtés ont été injectés dans l'activité du cabinet CP [I], étant précisé qu'il semble qu'il s'agisse de prêts personnels, et non de prêts professionnels. Par ailleurs, Monsieur [I] ne communique pas les contrats de prêt en intégralité, ce qui permettrait de déterminer l'objet de ces financements, mais uniquement les tableaux d'amortissements,

- que la demande formée par M. [I] au titre de son préjudice moral n'est pas non plus justifiée. Les négligences de M. [I] dont le CIC fait état excluent, par ailleurs, toute réparation s'agissant d'un préjudice moral qui n'est qu'allégué,

- que la demande au titre du préjudice moral formée par le cabinet CP [I] à hauteur de 15 000 euros doit également être rejeté, cette demande faisant double emploi avec celle formée en son nom personnel par M. [I], et ce d'autant plus que le cabinet CP [I] n'a pas la personnalité morale et n'a donc pas qualité à agir et former des demandes dans le cadre de la présente procédure,

- qu'il est de principe que le dommage subi ne peut ouvrir droit à réparation qu'à la condition qu'il soit uni par un lien de causalité avec le fait dommageable. Cette condition est posée explicitement, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, à l'article 1151 du code civil devenu l'article 1231-4, aux termes duquel la réparation porte seulement sur « ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution ». Or, en l'espèce, le CIC fait valoir qu'il démontre que la négligence et l'absence de discernement et de vigilance de M. [I] constituent la cause principale, sinon unique, des prétendus préjudices subis. En toute hypothèse, M. [I] ne démontre pas non plus le lien de causalité entre la vente de l'appartement courant 2004 et les prétendues fautes reprochées au CIC. Dans le même sens, les demandes formées au titre du préjudice subi du fait de la souscription des prêts doivent être rejetées, le lien de causalité n'étant pas démontré,

- que la cour d'appel de Paris a retenu, à juste titre, dans un arrêt rendu le 5 décembre 2013, que « l'extrême négligence » de la victime exonérait totalement la banque de sa responsabilité pour avoir payé de faux chèques, dans une affaire similaire à la présente espèce, où une comptable avait détourné des fonds au préjudice de son employeur. En outre, aux termes d'un arrêt en date du 17 juin 2020, la Cour de cassation a jugé valable la mise hors de cause d'une banque dans une espèce similaire où une préposée avait détourné des fonds au préjudice de son employeur, sans avoir fait l'objet d'aucun contrôle par ce dernier. En l'espèce, conformément à la jurisprudence précitée, M. [I] a commis de très graves négligences qui sont à l'origine exclusive des préjudices subis. Il apparaît que M. [I] n'a exercé aucune surveillance sur l'activité de sa préposée, et ce, pendant plus de sept ans puisqu'il a été rappelé que les opérations litigieuses se sont déroulées entre le 1er janvier 2002 et le 30 septembre 2009. De même, ni M. [I], ni sa chef comptable, Mme [S], n'ont surveillé les comptes bancaires du cabinet CP [I] alors qu'ils recevaient mensuellement les relevés de compte et qu'ils avaient accès au service de banque à distance Filbanque. De surcroît, il apparaît que M. [I] et ses services comptables n'ont exercé aucun contrôle rigoureux s'agissant de la comptabilité du cabinet CP [I]. En effet, des contrôles mêmes sommaires auraient dû leur permettre de détecter un « trou » de trésorerie de près d'1,5 millions d'euros. A ce titre, lors de son audition par le juge d'instruction, M. [I] a déclaré que du fait du nombre important de factures, ces dernières n'étaient pas payées à lui. Comme elles n'ont pas non plus été encaissées sur son compte commercial, il ne s'est rendu compte qu'a posteriori des agissements de Mme [Y], ce qui équivaut, selon le CIC, à une reconnaissance de sa légèreté particulièrement blâmable. Mme [Y] a aussi précisé dans le cadre de la procédure pénale qu'« elle n'avait jamais effacé l'ordre sur les chèques ». Soit elle préparait le chèque sans ordre, soit elle mettait l'ordre qui lui convenait et qui était alors validé parce que pas vérifié. Mme [S] et M. [Z] signaient les chèques les uns à la suite des autres sans vérification effective. Lorsqu'il n'y avait pas d'ordre sur les chèques, elle mettait alors celui qui lui convenait a posteriori avec signature. Mme [Y] expliquait, en outre, qu'il n'y avait pas de contrôle en raison du nombre important de chèques qui leur étaient soumis. Enfin, M. [I] et ses services comptables n'effectuaient aucune vérification s'agissant des chèques qui leur étaient présentés pour signature. Mme [S], chef comptable, ou M. [Z], comptable, auraient ainsi sciemment signé de nombreux chèques sans ordre, ou à l'ordre des consorts [Y] et [C],

- qu'aucun rapprochement bancaire n'a été réalisé. Cette opération a pourtant pour objectif de vérifier l'état réel de la trésorerie, de mettre à jour les écritures comptables, d'identifier des oublis ou erreurs éventuels ou de repérer des factures manquantes ou les chèques non encaissés et aurait pu permettre au cabinet CP [I] de s'assurer que ses comptes bancaires correspondent avec ses relevés bancaires à une date donnée. Ce contrôle a minima n'a pas été effectué en l'espèce, pas plus qu'une vérification de la cohérence entre les encaissements et les factures émises. La défaillance du service comptabilité du cabinet CP [I] est d'autant plus manifeste qu'il apparaît qu'il n'y a eu aucun suivi du règlement effectif des factures émises. Cette défaillance est à l'origine directe du préjudice invoqué puisque si des investigations élémentaires sur les factures impayées avaient été menées, la fraude aurait pu être découverte rapidement. Mme [S] a, par ailleurs, reconnu dans le cadre de la procédure pénale les défaillances de la comptabilité du cabinet CP [I]. M. [I] serait ainsi particulièrement mal fondé à se prévaloir de négligences alléguées du CIC alors qu'il n'a exercé aucun contrôle sur sa salariée et et n'a détecté la fraude très conséquente qu'après plus de sept ans. Plus généralement, il apparaît qu'aucune procédure de contrôle n'était mise en 'uvre par M. [I] au sein de sa société en vue de limiter les risques d'erreurs comptables voire de détournements,

- que la responsabilité du commettant du fait de son préposé est une responsabilité de plein droit, dont le commettant ne s'exonère que s'il prouve, cumulativement, « que son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions » tel qu'il ressort d'un arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 1988. A contrario, lorsque le commettant victime ne rapporte pas la preuve des trois conditions cumulatives exonératoires de responsabilité précitées, il peut se voir opposer les fautes de son préposé qui cause un préjudice à un tiers, en l'espèce au CIC, qui se voit aujourd'hui assigné en responsabilité. Dans la présente affaire, M. [I] n'a exercé aucun contrôle sur sa préposée, et, de manière plus générale, sur les comptes du cabinet CP [I], laissant toute latitude à Mme [Y], expressément habilitée à émettre les virements litigieux par l'intermédiaire du système Filbanque, pour le faire. C'est donc M. [I], en sa qualité de commettant, qui doit répondre des fautes graves commises par sa préposée, Mme [Y].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIFS

M. [I] verse aux débats un avenant du 15 février 2023 à l'acte de cession du fonds de commerce de l'Immobilière de [Localité 6] aux termes duquel il est entendu entre les parties que c'est à M. [I] que doivent revenir les éventuelles sommes de la présente procédure, qui ne font pas partie des éléments d'actifs incorporels du fonds, de sorte que, la société CIC ne s'y opposant pas, il y a lieu de déclarer M. [I] recevable tant personnellement qu'en sa qualité d'exploitant précédent de l'Immobilière de [Localité 6].

En vertu des articles 1231-1 du code civil et L131-2 du code monétaire et financier, il incombe au banquier tiré de vérifier la régularité formelle du chèque qui doit comporter toutes les mentions exigées par la seconde de ces dispositions, qu'il ne présente aucune anomalie décelable par un préposé normalement diligent, tels grattage, surcharge, altération visible mais, en revanche, il résulte du principe de non ingérence dans les affaires de son client que le banquier n'a pas à s'enquérir de la conformité du montant du chèque ou de son bénéficiaire aux habitudes de son client, sauf circonstances constituant une anomalie matérielle ou intellectuelle apparente.

La banque présentatrice du chèque est quant à elle tenue, en vertu des articles 1240 du code civil et de la même disposition du code monétaire et financier comme la banque du tireur, de s'assurer de la régularité matérielle du titre et de sa régularité apparente en ce qu'il comporte toutes les mentions obligatoires de l'article L132-2 du code monétaire et financier.

C'est à juste titre que le tribunal a relevé, étant observé que les formules de chèques ne sont pas produites, dès lors que M. [I] ne fait pas valoir que les chèques auraient comportés des anomalies matérielles décelables - ce que conforte les déclarations de [F] [Y] aux services de police selon lesquelles elle utilisait une encre effaçable ou qu'elle faisait signer des chèques sans ordre -, la responsabilité du CIC en sa qualité de banque tirée ne peut être retenue à ce titre puisque, contrairement à ce qui est soutenu par M. [I], elle n'avait pas à s'interroger sur la qualité des destinataires des chèques qui présentaient une apparence normale et qu'il n'est pas anormal que des chèques soient tirés sur un compte ouvert par un syndic au nom d'une copropriété au bénéfice de divers intervenants.

Il en est de même de la société CIC en sa qualité de banque présentatrice des chèques, teneur de compte de [F] [Y] et de membres de sa famille, s'agissant de leur apparence matérielle non anormale, ses obligations au regard des anomalies intellectuelles étant appréciées ci-après au même titre que pour les virements reçus sur ces comptes, la société Cic étant prise en sa qualité de teneur de compte.

Il est constant que l'essentiel des détournements de fonds opérés par [F] [Y], employée comme aide comptable par le cabinet [I], ont été opérés au moyen de nombreux virements, à partir du compte des copropriétés qui n'ont pas été au bénéficie du compte du cabinet [I] comme ils devaient l'être s'agissant d'honoraires mais au bénéfice de son propre compte dans les livres de la société CIC, de celui de sa mère, [W] [J] épouse [C], de son mari [M] [C], de ses frères [T] [Y], [G] [C], étudiant à l'époque, sur leurs comptes également détenus dans les livres du CIC ainsi que sur différents comptes de tiers, comme celui du meilleur ami de [F] [R], [X] [A], ouverts dans les livres d'autres établissements bancaires comme le Crédit Foncier ou la Bnp PARIBAS.

Il est également constant que l'essentiel des détournements ont été effectués pour des sommes inférieures à 1 000 euros par des virements au moyen de l'interface internet de la banque dénommée Filbanque, la convention prévoyant que le cabinet [I] pouvait déléguer les codes d'accès et que tel avait été le cas de [F] [Y] qui était habilité à effectuer, seule, ces virements.

A cet égard, la circonstance que le délégataire ait eu la faculté, jusqu'au renforcement des mesures de sécurité du système en 2009, de créer un nouveau bénéficiaire ne contrevient à aucune disposition légale ni conventionnelle étant précisé que, tout au contraire, l'extrait des conditions générales du contrat du service Filbanque produit par la CIC stipule que le souscripteur peut demander l'attribution d'une ou plusieurs carte d'authentification mais qu'alors, il lui appartient 'sous sa seule responsabilité de surveiller l'usage qui est fait par les délégués des délégations ainsi conférées', de sorte que cela ne peut être reproché à faute à la banque.

En sa qualité de prestataire de services de paiement du payeur réalisant un virement SEPA comme en l'espèce, le CIC est essentiellement soumis aux dispositions des articles L133-4 et suivants du code monétaire et financier issus de l'ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiements transposant la directive N°2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, son article L 133-21 disposant notamment, en ses alinéas 1 et 5 que 'un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique' et 'si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement'.

Il n'est pas contesté par M. [I] que les ordres de virement ont été exécutés par une personne habilitée conformément à la demande et que les sommes ont rejoint le bénéficiaire souhaité du compte désigné par le seul IBAN.

Il en résulte qu'aucune mauvaise exécution de l'opération ne peut être reprochée à la banque.

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier, étant ajouté qu'en l'espèce aucun soupçon de cette nature n'est étayé quant aux opérations réalisées.Le prestataire de services de paiement est tenu d'un devoir de non immixtion dans les affaires de son client et n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites.

Contrairement à ce que soutient M. [I], la circonstance que les virements devaient être faits au nom du cabinet [I] en paiement d'honoraires d'un syndic ne devait pas entraîner de vigilance de la banque à laquelle il n'appartenait pas de le vérifier non plus que de s'assurer du respect de la loi Hoguet, la banque prestataire de services au titre d'un virement SEPA n'ayant pas à contrôler la légalité du virement bancaire.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle.

Or, c'est à juste titre que le tribunal a estimé que compte tenu du volume d'affaire et des opérations du cabinet [I], de la relative modicité de chaque somme virée - de 170 à 950 euros selon les listings annexés aux procès-verbaux de police produits - et de la période au cours de laquelle ils sont intervenus, le CIC n'a pas manqué à son obligation de vigilance en sa qualité de prestataire de services de paiement du payeur, le cabinet [I] en tant que mandataire des copropriétés dont la nature et les contours sont rappelés ci-dessus.

En revanche, dans le cadre du présent litige, la société CIC n'a pas seulement eu le rôle de prestataire de services de paiement du cabinet [I] mais a également été la banque dans les livres de laquelle étaient ouverts, non seulement le compte des copropriétés gérées par le cabinet [I] et son propre compte commercial mais également les compte notamment de [F] [Y] ainsi que de sa mère et de son beau-père, qui ont été bénéficiaires de la majorité des virements litigieux.

Ainsi que l'a relevé le tribunal, il ressort des exploitations de ces comptes par les enquêteurs dans le cadre de l'information judiciaire :

- que le compte de [F] [Y] a été crédité entre le mois de février 2004 et le 30 septembre 2009 de 587 virements pour des montants divers - parfois au nombre de quatre le même jour - et portant de nombreuses fois la mention 'HG' sur les relevés de compte pour honoraires de gestion, le tout pour un montant de 261 527,21 euros,

- que le compte des époux [C] a, quant à lui, du mois de janvier 2002 à décembre 2007 été crédité de 468 virements de même type pour un montant total de 231 394,41 euros et que du mois de mai 2009 au 30 septembre 2009 ce ne sont pas moins de 407 virements qui ont été portés au crédits pour un montant total de 224 749,32 euros,

- que l'exploitation de tous les comptes des époux [C] a fait ressortir l'existence de 1 679 virements créditeurs et dépôt de chèques du cabinet [I] entre le 31 janvier 2012 et le 30 septembre 2019 pour un montant total de 1 087 319 euros,

- que les comptes suivants ont été frauduleusement crédités, entre 2002 et 2009, de sommes de 101 225,76 euros pour [X] [A], de 29 219,95 euros pour [T] [Y], 7 602,06 euros pour [G] [C],

- que le total des virements et chèques examinés par les enquêteurs porte le préjudice à la somme de 1 486 894,25 euros, retenu par la cour d'appel statuant au pénal dans son arrêt de condamnation.

Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, étant établi que le CIC était à la fois la banque du cabinet [I] en tant que mandataire des copropriétés et pour son compte propre et des réceptionnaires des virements membre de la famille de [F] [Y], la circonstance que cette dernière, employée par ledit établissement en qualité d'aide comptable au salaire de moins de 2 000 euros mensuels et les époux [C], Mme étant sans ressources et M. exerçant la profession d'éboueur à la Ville de Paris au salaire de 2 500 euros mensuels, soient bénéficiaires de centaines de virements pour des sommes certes toujours inférieures à 1 000 euros mais qui constituent un total considérable alors qu'il n'était porté à la connaissance de la banque aucun exercice d'une activité commerciale, même annexe, constitue une anomalie manifeste qui aurait dû la conduire à satisfaire à don obligation de vigilance, son abstention engageant sa responsabilité délictuelle.

C'est à juste titre que le CIC fait valoir que ce manquement relevé, constitué d'une abstention fautive d'avoir exercer son obligation de vigilance, ne peut qu'être à l'origine d'une perte de chance d'éviter le développement du dommage à partir du moment où les opérations ont constitué des anomalies dont l'évaluation doit notamment tenir compte de cette date.

A cet égard et contrairement à ce que soutient la banque, si les conclusions de M. [I] ne comportent pas de calculs récapitulatifs puisque les écritures se réfèrent essentiellement à la condamnation pénale intervenue, cette dernière s'appuie toutefois sur les éléments précis des procès-verbaux de police et les pièces permettant d'apprécier non seulement le manquement relevé ci-dessus mais le préjudice sont produites aux débats et issues de la procédure pénale.

Il en ressort notamment (cotes pénales D 218, D235 et D296) que les agissements délictueux de [F] [Y] ont débutés dès l'année 2002 mais par des versements en espèces, que les virements ont débutés au crédit de son compte seulement en 2004 mais qu'en revanche, ils ont débutés au profit du compte des époux [C] dans les livres du CIC dès le mois d'octobre 2002, constituant une anomalie intellectuelle dès la fin de ladite année (3 virements en octobre pour un total de 3 915 euros, 7 en novembre pour un total de 3 794,35 euros et 7 en décembre pour près de 4 000 euros, soit 11 642 euros en trois mois en provenance du même compte également détenu dans les livres de la banque) et au même au début de l'année 2003, lors de laquelle les virements ont continués de manière comparable.

Par ailleurs, c'est vainement que le CIC excipe de ce que M. [I] serait redevable à son égard des fautes de son employée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 ancien du code civil alors que le commettant n'a pas à répondre des fautes intentionnelles ayant été pénalement sanctionnées d'un préposé commises à son préjudice.

En revanche, c'est à juste titre que le CIC fait valoir que le cabinet [I] a commis des fautes de négligences ayant contribué à la constitution de son préjudice puisque le déroulement des faits tels qu'établis par l'enquête pénale montre qu'il n'était exercé aucun contrôle sur l'activité de l'aide comptable [F] [Y] alors que c'est à tort, en particulier, que M. [I] expose qu'il pouvait se contenter d'examiner la régularité des comptes des copropriétés selon les règles applicables à ces dernières, son compte professionnel et notamment le paiement des honoraires de gestion devant également être sujet à contrôle interne alors qu'il résulte de l'attestation de l'expert comptable du 2 août 2019 qu'aucun rapprochement n'était fait avec le chiffre d'affaire du cabinet et 'qu'aucune mission de suivi des comptes bancaires, ni des grands livres des comptes des différentes copropriétés et par conséquence, je n'avais pas non plus la possibilité de faire un rapprochement avec votre propre comptabilité'.

M. [I] expose, sans être utilement contredit, qu'il a été dans l'impossibilité de recouvrer des sommes auprès des consorts [Y] [C] et, à nouveau sans être contredit, qu'il n'était pas assuré pour de tels faits, une police n'ayant été contractée qu'ultérieurement.

S'agissant du préjudice matériel, la somme de 1 486 894,25 euros retenue par la juridiction pénale, qui résulte des éléments précis d'enquête retracés par les procès-verbaux, peut être prise en compte comme élément d'appréciation dans son entièreté sans que n'importe qu'elle soit également constituée de chèques frauduleux et de virements à destination de compte non détenus dans les livres du CIC puisque la vigilance exercée par ce dernier aurait permis d'obvier à la perpétration des infractions sous toutes leurs formes.

Mais il faut tenir compte, à la fois de ce que seule une perte de chance est indemnisée et de ce que la faute de la victime, caractérisée ci-dessus, vient diminuer l'indemnisation de sorte qu'au regard des pièces produites, des explications et des éléments retenus par la cour, la société Cic doit être condamnée à payer à M. [I] ayant exercé sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] Cabinet [I] la somme de 450 000 euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui évalue le dommage, et non de l'assignation.

Contrairement à ce que soutient M. [I], l'évaluation du préjudice faite dans le cadre de l'instance pénale l'opposant à [F] [Y] et aux consorts [C] n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, la banque n'ayant pas été partie au litige sur intérêts civils.

Compte tenu de la date du début des détournements, de leur ampleur nécessairement progressive compte tenu du mode opératoire et de la date de cession d'un bien immobilier par M. [I], le lien de causalité entre le moins value entraînée par cette vente datée du 14 avril 2008 dont le produit aurait renflouer et le manquement de la banque n'est pas établi à suffisance, cette prétention devant donc être rejetée.

M. [I] ne peut utilement se faire un préjudice à la fois de sommes empruntées pour renflouer la trésorerie du cabinet [I] - qui ont été non pas payées mais perçues- et du coût des prêts, seul ce dernier pouvant constituer un préjudice.

Mais c'est à juste titre que le CIC fait valoir que M. [I] ne démontre pas à suffisance, par la production de tableaux d'amortissement et d'une page de communication d'une offre de prêt de 70 000 euros en date du 14 septembre 2011, que leur souscription est en lien avec la situation du Cabinet [I] et que ce dernier en a bénéficié, de sorte que ce chef de demande doit être rejeté.

Le préjudice moral est la conséquence de la commission des infractions pénales et il n'est pas démontré qu'il est résulté un dommage de cette nature du manquement de la banque, la demande de ce chef doit être rejetée.

Le jugement doit être infirmer en conséquence de ce qui précède, la société CIC condamné aux entiers dépens ainsi qu'à payer à M. [I] la somme de 7 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONSTATE le désistement de la société [I] et la reprise de l'action par M. [B] [I] exerçant anciennement sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] ;

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

JUGE que la société Crédit industriel et Commercial n'a pas manqué à ses obligations de prestataire de services de paiement et de banque tirée de chèques ;

JUGE que la société Crédit industriel et Commercial a manqué à son obligation de vigilance en sa qualité de banque teneur de comptes ;

JUGE que M. [B] [I] exerçant anciennement sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] a commis des négligences ayant participé au dommage ;

CONDAMNE, en conséquence, la société Crédit industriel et Commercial à payer à M. [B] [I] exerçant anciennement sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] la somme de 450 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

DÉBOUTE M. [B] [I] et M. [B] [I] exerçant anciennement sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] de toute autre demande indemnitaire ;

CONDAMNE la société Crédit industriel et Commercial à payer à M. [B] [I] exerçant anciennement sous l'enseigne l'Immobilière de [Localité 6] la somme de 7 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Crédit industriel et Commercial aux entiers dépens de qui seront recouvrés par Maître [O] [H], comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.

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