Cass. 2e civ., 13 juin 2024, n° 23-23.756
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
PARTIES
Demandeur :
SBM France (SAS), Single Buoy Moorings Inc (SBM Offshore)
Défendeur :
ETI Offshore (SAS), ETI Group (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
Mme Caillard
Avocat général :
Mme Trassoudaine-Verger
Avocats :
Me Cabinet Briard, Me Le Guerer, Bouniol-Brochier
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 novembre 2023), invoquant des pratiques de concurrence déloyale de la part des sociétés ETI Group et ETI Offshore (les sociétés ETI), les sociétés Single Buoy Moorings Inc (SBM Offshore) et SBM France (les sociétés SBM) ont obtenu, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, par ordonnance sur requête d'un tribunal de commerce du 20 juillet 2022, une mesure d'investigation dans les locaux des sociétés ETI et au domicile d'un tiers.
2. Les opérations ont été réalisées le 26 juillet 2022.
3. Ayant saisi le président du tribunal de commerce d'une demande de rétractation, les sociétés ETI ont été déboutées par ordonnance du 19 janvier 2023, dont elles ont relevé appel.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses troisième et cinquième branches, du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième et sixième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. Les sociétés SBM font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance rendue le 20 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Marseille et d'ordonner la restitution des pièces saisies le 26 juillet 2022, alors :
« 1°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que pour rétracter l'ordonnance rendue le 20 juillet 2022 et ordonner la restitution des pièces saisies, l'arrêt, après avoir pourtant posé que les sociétés Single Buoy Moorings Inc et SBM France n'avaient pas à prouver l'existence des actes de concurrence déloyale mais seulement à convaincre de leur caractère vraisemblable ou plausible, retient nonobstant que ces sociétés se prévalent de deux sommations interpellatives d'un ancien salarié des sociétés ETI Group et ETI Offshore et d'un ancien consultant ayant travaillé chez un de leurs cocontractants, que les témoignages ainsi recueillis interrogent quant à l'existence d'éventuels actes de concurrence déloyale et que s'ils font effectivement état de suspicions de concurrence déloyale, ils nécessitent toutefois d'être étayés par d'autres éléments ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où résultait l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits de concurrence déloyale dont pourrait dépendre la solution d'un litige, et a partant violé l'article 145 du code de procédure civile ;
2°/ Alors, en toute hypothèse, que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que pour rétracter l'ordonnance rendue le 20 juillet 2022 et ordonner la restitution des pièces saisies, l'arrêt, après avoir posé que les sociétés Single Buoy Moorings Inc et SBM France n'avaient pas à prouver l'existence des actes de concurrence déloyale mais seulement à convaincre de leur caractère vraisemblable ou plausible, retient nonobstant que ces sociétés exposent, dans leur requête, avoir constaté en 2017 qu'ETI avait réalisé une présentation susceptible de créer une confusion sur leurs liens et l'avoir mise en demeure de cesser toute référence à une expérience erronée, à leurs relations, ainsi qu'aux produits prétendument fabriqués par ETI, que les sociétés Single Buoy Moorings Inc et SBM France se prévalent de deux sommations interpellatives d'un ancien salarié d'ETI et d'un ancien consultant ayant travaillé chez un de leurs cocontractants, ainsi que d'une lettre de mise en demeure du 16 juin 2017, que si les témoignages recueillis au moyen desdites sommations interrogent quant à l'existence d'éventuels actes de concurrence déloyale, ils nécessitent d'être étayés par d'autres éléments en raison des liens passés entre les personnes questionnées et l'ensemble des parties au litige, que les sociétés Single Buoy Moorings Inc et SBM France ne fournissent d'autre élément que la lettre de mise en demeure adressé par elles et dont ETI a contesté les griefs dans sa réponse du 26 juin 2017, que si les sommations font effectivement état de suspicions de concurrence déloyale, leur objectivité n'est pas assurée, au vu de la situation de conflit existant entre les personnes interrogées et les sociétés ETI Group et ETI Offshore, et qu'aucun autre élément de preuve ne vient confirmer ces propos, bien que les témoignages n'aient pas été recueillis selon la procédure d'enquête des articles 204 et suivants du code de procédure civile, seule propre à garantir l'effet attaché au serment en justice, l'absence de pression ou de persuasion et le respect du principe de la contradiction ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs fondés sur l'absence de preuve de faits que la mesure d'instruction avait précisément pour objet de conserver ou d'établir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;
4°/ que le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête, doit vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; que pour rétracter l'ordonnance rendue le 20 juillet 2022 et ordonner la restitution des pièces saisies, l'arrêt se borne à retenir que la mission confiée à l'huissier par l'ordonnance litigieuse n'est pas suffisamment cantonnée pour être légalement admissible, car elle est extrêmement large matériellement, d'une part, et elle n'apparaît pas suffisamment circonscrite temporellement, d'autre part, de sorte que la mesure donne accès à de très nombreuses pièces, sans nécessairement de rapport avec les faits de concurrence déloyale reprochés, mais permettant d'accéder au savoir-faire des sociétés appelantes ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les sociétés Single Buoy Moorings Inc et SBM France pouvaient, en cas de refus de la mesure d'instruction in futurum sollicitée, espérer mettre en uvre de manière effective leur droit à la preuve, la cour d'appel, qui ne pouvait dès lors qu'avoir une perception faussée de la proportionnalité, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;
6°/ que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ; qu'il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, au besoin en cantonnant le périmètre de ladite mesure ; que pour rétracter l'ordonnance rendue le 20 juillet 2022 et ordonner la restitution des pièces saisies, l'arrêt retient que la mission confiée à l'huissier par l'ordonnance litigieuse n'est pas suffisamment cantonnée pour être légalement admissible, car elle est extrêmement large matériellement, d'une part, et elle n'apparaît pas suffisamment circonscrite temporellement, d'autre part, de sorte que la mesure donne accès à de très nombreuses pièces, sans nécessairement de rapport avec les faits de concurrence déloyale reprochés, mais permettant d'accéder au savoir-faire des sociétés appelantes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui aurait dû non pas anéantir la mesure d'instruction ordonnée, mais la cantonner à de plus justes proportions, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
7. L'appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond.
8. L'arrêt retient que si les deux sommations interpellatives d'un ancien salarié et d'un ancien consultant ayant travaillé chez un cocontractant des sociétés ETI font état de suspicions de concurrence déloyale, leur objectivité n'est pas assurée et qu'aucun autre élément de preuve ne vient confirmer de tels propos.
9. En l'état de ces énonciations et constatations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a, sans encourir les griefs du moyen, par ce seul motif, caractérisé l'absence de motif légitime.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Single Buoy Moorings Inc (SBM Offshore) et la société SBM France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Single Buoy Moorings Inc (SBM Offshore) et la société SBM France et les condamne in solidum à payer à la société ETI Group et à la société ETI Offshore somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.