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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 12 juin 2024, n° 23/06363

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

By (SAS)

Défendeur :

Citya Vendome Lumiere (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Masson-Bessou, M. D'Ussel

Avocats :

Me Maamache, Me Ducrot

TJ Lyon, du 3 juill. 2023, n° 23/00852

3 juillet 2023

Faits et procédure

[V] [O] est propriétaire des murs d'un fonds de commerce de salon de coiffure sis [Adresse 6] à [Localité 4].

Le fonds de commerce était précédemment exploité par [W] [D], lequel a cédé son fonds de commerce à [F] [M] suivant acte sous seing privé en date du 5 avril 2019 avec subrogation dans le droit au bail pour l'exercice de l'activité exclusive de « salon de coiffure hommes/dames à l'exclusion de toute autre » :

Le bail commercial est soumis aux dispositions des articles L 145 et suivants du Code de commerce, consenti moyennant le loyer principal annuel de 10.542 € HT, payable mensuellement d'avance.

Le 2 décembre 2022, [V] [O] a délivré à [F] [M] un commandement de payer la somme de 1.966,19 €, visant la clause résolutoire prévue au contrat de bail.

Aux motifs que les causes du commandement n'avaient pas été apurées dans les délais, [V] [O] a, le 25 avril 2023, assigné [F] [M] devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir au principal constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail et qu'il soit statué sur ses conséquences et voir condamner [F] [M] à lui régler à titre provisionnel la somme de 4.821,92 € au titre de l'arriéré de loyers échu au 27 février 2023.

[F] [M] n'a pas comparu.

Par ordonnance du 3 juillet 2023, le juge des référés a :

constaté la résiliation du bail commercial liant les parties à la date du 3 janvier 2023,

condamné [F] [M] à verser à [V] [O] la somme provisionnelle de 4.821,92 € au titre des loyers et charges arrêtés à février 2023,

ordonné son expulsion et de tous occupants de son chef avec si besoin est l'assistance de la force publique,

condamné [F] [M] à verser une indemnité d'occupation égale au montant du loyer hors taxes et charges du mois de mars 2023 jusqu'à la libération des lieux,

condamné [F] [M] aux dépens et à payer à [V] [O] la somme de 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Par déclaration régularisée par RPVA le 4 août 2023, [F] [M] a interjeté appel de l'intégralité des chefs de décision de l'ordonnance du 3 juillet 2023.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 19 janvier 2024, [F] [M] demande à la cour de :

Vu l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ; Vu les articles 1234 et 1343-5 du Code civil ; Vu les articles L 145-41 et suivants du Code de commerce ;

Vu les articles 16-1, 484, 503-1, 648, 649, 650, 654, 655, 693, 699 du Code de procédure civile ; Vu les articles L 111-1-2, 3-6, 111-6, 211-1, 213-6 4 ème alinéa, R 121-14, 211-1 du Code des procédures civiles d'exécution ;

Dire son appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit et statuant à nouveau :

Annuler l'ordonnance de référé du 3 juillet 2023 en toutes ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel ;

Vu le certificat médical du Docteur [B] confirmé par le Docteur [S], vu la reprise des règlements des loyers courants et le versement de la somme de 11 780 € à titre de solde de l'arriéré de loyers ;

Lui accorder la qualité de débiteur malheureux et de bonne foi ;

Lui allouer à titre rétroactif les délais de paiement les plus larges dans les termes de l'article 1343-5 du Code civil, soit deux années, et constatant l'apurement de l'arriéré, annuler la clause résolutoire dans les mêmes conditions de rétroactivité ;

Condamner [V] [O] à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Maamache, avocat.

[F] [M] expose au préalable :

que sans signification préalable de l'ordonnance de référé, [V] [O] a fait délivrer le 20 juillet 2023 un commandement de quitter les lieux et un commandement de payer aux fins de saisie vente ;

qu'au titre de l'article 503 du Code de procédure civile : « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés » ;

que les actes sont donc affectés d'un vice de fond.

Il soutient en premier lieu, au visa des articles 648 à 650 et 655 du Code de procédure civile, que l'ordonnance déférée doit être annulée, aux motifs :

que l'avenant au bail en date du 5 avril 2019 le domicilie [Adresse 2] à [Localité 5], de sorte que l'huissier avait l'obligation légale affectée de l'ordre public au titre de l'article 648 du Code de procédure civile, de procéder à la double signification des actes de procédure au domicile figurant dans le bail et à l'adresse des lieux loués, dès la délivrance de l'assignation ;

qu'en s'abstenant d'y satisfaire, il a commis une faute qui entraine la nullité de la procédure dans son intégralité, dès lors qu'il n'a pas été en mesure de faire valoir sa défense et qu'il y a atteinte au droit de la défense énoncé aux articles 16-1 du Code de procédure civile et 6-1 de la déclaration européenne des droits de l'homme ;

que ce défaut de double signification est parfaitement volontaire et caractérise la mauvaise foi de [V] [O].

[F] [M] sollicite en second lieu des délais de paiement rétroactifs et l'annulation de la mise en oeuvre de la clause résolutoire, au visa de l'article L 145-41 du Code de commerce, aux motifs :

que les impayés de loyers trouvent leur origine dans son état de santé dégradé, qui a nécessité des soins constants et des séjours hospitaliers l'empêchant d'exercer son activité de façon continue, ce dont il justifie par des certificats médicaux ;

que le débiteur de bonne foi peut solliciter des délais pour se libérer de sa dette, conformément à l'article 1343-5 du Code civil ;

que si dans ses écritures, [V] [O] sollicite sa condamnation à la somme actualisée de 11.782,29 € au titre des arriérés de loyers, il a déposé en CARPA, la somme de 11.780 €, soit une différence de 2,29 € non expliquée par un calcul précis, étant entendu que la somme de 11.780 € résulte du calcul opéré à partir des chiffres fournis par l'intimé antérieurement ;

qu'en outre, il a repris le cours de paiements des loyers courants de sorte qu'il est recevable à solliciter et obtenir de la cour les délais de paiement qu'il sollicite à titre rétroactif et l'annulation de la résiliation de son bail ;

qu'il a l'intention ensuite de céder son fonds de commerce pour se consacrer à l'amélioration durable de son état de santé physique et moral et que s'il est fait droit à ses demandes, il aura cette possibilité.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 23 novembre 2023, [V] [O] demande à la cour de :

Vu les articles L.145-41 et L.143-2 du Code de commerce, Vu les articles 112 et suivants du Code de procédure civile,

Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 03 juillet 2023 ;

Débouter [F] [M] de toutes ses demandes moyens et conclusions ;

Condamner [F] [M] à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance et de l'appel.

S'agissant de la validité des actes, [V] [O] expose :

que les écritures de [F] [M] sont confuses car il est très difficile de déterminer quels actes sont visés par la nullité demandée, mais que, pour autant, les seuls actes visés expressément dans ses écritures sont le commandement de quitter les lieux et le commandement de payer aux fins de saisie vente du 20 juillet 2023, intervenus postérieurement à l'ordonnance des référés rendues le 03 juillet 2023 ;

que de ce fait, la cour n'est pas compétente pour juger de la validité de ces actes, seul le juge de l'exécution étant compétent ;

qu'en tout état de cause, la délivrance de ces actes a été régulièrement effectuée, dès lors que le contrat de bail contient une clause d'élection de domicile aux termes de laquelle le preneur fait élection de domicile dans les lieux loués, à savoir au [Adresse 6] à [Localité 4] ;

que par ailleurs, il convient de justifier d'un grief pour invoquer une cause de nullité, ce que [F] [M] ne fait pas, étant observé qu'il utilise les présents actes dans ses pièces, ce qui prouve qu'il en a bien été destinataire.

S'agissant de la demande de délais de paiement, [V] [O] relève :

que si [F] [M] estime être de bonne foi et justifie sa demande de délai par ses problèmes de santé, en réalité, la dette court depuis le mois de septembre 2022, soit près de 4 mois avant son arrêt-maladie ;

qu'il était au 19 novembre 2023, débiteur de la somme de 11.787,29 € et qu'au vu de la longévité de la dette, de son importance et de sa mauvaise foi, les délais de paiement sollicités ne peuvent qu'être rejetés ;

qu'il est fondé à solliciter la condamnation de [F] [M] à lui payer la somme actualisé de 11.787,29 €, selon décompte arrêté au 09 novembre 2023, au titre des arriérés de loyers, charges et taxes impayés en sus des indemnités d'occupation dues à compter du 3 janvier 2023, date de résiliation du bail, et ce jusqu'à la sortie effective des lieux.

L'intimé ajoute que le bail contient une clause pénale faisant état d'une indemnité égale à 10 % des sommes dues, et qu'il est donc fondé à solliciter la condamnation de [F] [M] au paiement de la somme représentant 10% de 11.787,29 € au titre de clause pénale, soit la somme de 1.178,73 €.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle au préalable qu'aux termes de l'article 954 du Code de procédure civile :

les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties,

elles comprennent un dispositif récapitulant les prétentions

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

En l'espèce, la cour observe que si, dans le corps de ses écritures, [V] [O] sollicite que la dette de loyers soit actualisée et que [F] [M] soit condamné à lui payer la somme de 11.787,29 €, décompte arrêté au 9 novembre 2023, outre celle de 1.178,73 € au titre de la clause pénale, il ne reprend aucunement ces prétentions dans le dispositif de ses écritures.

Il en résulte, en application des dispositions précitées, que la cour ne peut statuer sur ces demandes.

I : Sur l'annulation de l'ordonnance du 3 juillet 2023 pour défaut de double signification de l'assignation et des actes d'exécution de l'ordonnance

[F] [M] soutient, à l'appui de sa demande d'annulation, que la procédure est irrégulière dès lors qu'il n'a pas été procédé à une double signification de l'assignation et des actes d'exécution de l'ordonnance du 3 juillet 2023 à l'adresse des lieux loués mais également à son domicile personnel dont l'adresse figure dans le bail.

La cour observe en premier lieu qu'il ne résulte d'aucun texte que l'assignation doit être délivrée d'une part à l'adresse des lieux loués et d'autre part au domicile personnel de la personne concernée.

Surtout, il apparaît qu'aux termes de l'avenant de renouvellement du bail commercial du 19 janvier 2019 ainsi que de l'acte de subrogation du bail commercial du 5 avril 2019, il est expressément convenu que, pour la signification de tous les actes, [F] [M] fait élection de domicile dans les lieux loués.

Dès lors force est de constater qu'aucune régularité n'affecte l'assignation querellée.

La cour rappelle en second lieu, s'agissant des actes d'exécution de l'ordonnance de référé du 3 juillet 2023, qu'en application de l'article L 213-6 du Code de procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a seul compétence pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée.

Il en résulte que les demandes concernant ces actes ne relèvent pas des pouvoirs de la juridiction des référés.

La cour en conséquence rejette la demande d'annulation de l'ordonnance de référé du 3 juillet 2023 présentée par [F] [M].

II : Sur la demande de délais de paiement rétroactifs présentée par [F] [M]

L'article L. 145-41 du Code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Par ailleurs, en vertu de l'article L 145-41 alinéa 2 du Code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Selon l'article 1343-5 du Code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des somems dues dans la limite des deux années.

En l'espèce, le preneur solicite la suspension des effets de la clause résolutoire aux motifs que le sommes réclamées au titre du commandement ont été réglées et qu'il est désormais à jour de ses loyers et charges, ayant déposé la somme de 11.780 € le 8 janvier 2024 sur son compte CARPA.

La cour rappelle qu'aux termes du commandement du 2 décembre 2022, il était réclamé au titre de l'arriéré de loyer la somme de 1.966,19 €.

Il n'est pas contesté que la somme réclamée n'a pas été réglée dans le délai d'un mois, ce que confirme le dernier décompte du bailleur en date du 26 mars 2024.

Ce décompte établi que depuis le 14 septembre 2023, [F] [M] règle le loyer courant, la dernière échéance de mars 2024 n'ayant toutefois été réglée que partiellement (667 €, sur la somme de 966,91 €).

Ce décompte confirme également qu'au 26 mars 2024, il restait dû au bailleur la somme de 11.120,29 €.

[F] [M] justifie avoir déposé sur le compte CARPA la somme de 11.780 €, ce qui est de nature à solder sa dette.

Enfin, [F] [M] justifie par différents certificats médicaux de problèmes de santé l'ayant empêché d'exercer son activité de façon continue.

Si des délais de paiement rétroactifs ne peuvent être accordés, cette somme n'ayant pas été versée directement au bailleur et la dette n'étant donc pas soldée, pour autant la cour retient que, dès lors que [F] [M] justifie avoir versé sur le compte CARPA des fonds permettant de solder définitivement la dette de loyers et compte tenu des efforts manifestés par le preneur pour apurer sa situation, il convient de lui accorder des délais de paiement jusqu'au 5 juillet 2024 pour régler la somme de 11.120,29 € et de suspendre les effets de la clause résolutoire pendant ce délai, laquelle sera considérée comme n'ayant jamais joué si [F] [M] a versé au bailleur la somme de 11.120,29 € dans le délai fixé.

III : Sur les demandes accessoires

La partie perdante devant être condamnée aux dépens, par application de l'article 696 du Code de procédure civile, c'est à raison que le premier juge a condamné [F] [M] aux dépens de première instance et l'a également condamné à payer à [V] [O] la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.

La cour confirme la décision déférée de ces chefs.

[F] [M] devant être considérée comme partie perdante, dès lors que la dette de loyer n'est pas soldée, la cour le condamne aux dépens à hauteur d'appel.

En équité, la cour condamne également [F] [M] à payer à la [V] [O] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à hauteur d'appel, justifiée en équité.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déboute [F] [M] de sa demande de nullité de l'ordonnance de référé du 3 juillet 2023 ;

Infirme la décision déférée en ce qu'elle a constasté l'acquisition de la clause résolutoire au 3 janvier 2023, ordonné à [F] [M] de quitter les lieux et au besoin son expulsion et condamné [F] [M] à payer à [V] [O] une indemnité d'occupation, et, :

Statuant à nouveau :

Suspend la réalisation et les effets de la clause résolutoire du bail commercial au paiement par [F] [M] de la somme de 11.120,29 € au plus tard le 5 juillet 2024 à son bailleur, [V] [O] ;

Dit que si, à cette date, la somme de 11.120,29 € a été réglée à [F] [M] dans le délai fixé, la clause résolutoire est réputée n'avoir pas joué ;

Dit qu'à défaut du respect de ce délai, l'ordonnance du 3 juillet 2023 reprendra son plein effet ;

Confirme la décision déférée pour le surplus ;

Condamne [F] [M] aux dépens à hauteur d'appel ;

Condamne [F] [M] à payer à [V] [O] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.