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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 12 juin 2024, n° 21/03621

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Champion

Vice-président :

Mme Parent

Conseiller :

Mme Hauet

Avocats :

Me Bommelaer, Me Kierzkowski-chatal

CA Rennes n° 21/03621

11 juin 2024

Le 19 mars 2007, M. [R] [P] a cédé son fonds de commerce (bazar, quincaillerie, souvenirs de plages, articles de prêche...) et le stock s'y rapportant à l'EURL [N] et a donné à bail à cette société les locaux dans lesquels le fonds est exploité. Ces locaux sont situés à [Adresse 6], commune de [Localité 5].

Un litige est né entre les parties concernant l'évaluation du stock et l'état de l'immeuble.

Par jugement du 19 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire a notamment :

- déclaré nul le commandement de payer du 28 septembre 2007 visant la clause résolutoire,

- condamné l'EURL [N] à payer à M. [R] [P] la somme de 30 000 euros au titre du solde du prix du stock,

- déclaré nul le congé avec refus de renouvellement du bail,

- dit que l'EURL [N] bénéficie d'un droit de préférence en cas de vente de 1'immeuble,

- condamné M. [R] [P] à faire réaliser à ses frais les travaux de réfection de la toiture préconisés par l'expert, selon devis et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement,

- dit que M. [R] [P] assumera les frais éventuels de déménagement et garde-meubles durant les travaux,

- dit qu'en cas d'obligation de fermer le magasin, le locataire sera dispensé du paiement du loyer durant l'exécution des travaux,

- condamné M. [R] [P] à payer à l'EURL [N] la somme provisionnelle de 19 000 euros, arrêtée à février 2013, en réparation de son préjudice économique,

- condamné M. [R] [P] à verser à l'EURL [N] la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement a ses obligations,

- ordonné une expertise concernant l'entretien des locaux et particulièrement de la devanture.

Par arrêt du 29 juin 2016, la cour d'appel de Rennes a :

- confirmé le jugement,

Y ajoutant,

- réduit de 20 % le montant du loyer dû à M. [R] [P] pendant toute la durée du bail et jusqu'à la fin de l'occupation des lieux par l'EURL [N],

- condamné M. [R] [P] à payer à l'EURL [N] la somme de 8 000 euros au titre du préjudice économique,

- condamné M. [R] [P] à payer à l'EURL [N] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, comprenant le coût de l'expertise judiciaire.

Le bail commercial venait à échéance le 18 mars 2016.

Par acte extra-judiciaire du 17 septembre 2015, M. [R] [P] a notifié à l'EURL [N] un congé avec refus de renouvellement du bail et refus d'indemnité d'éviction.

Par acte d'huissier du 9 mars 2016, l'EURL [N] a assigné M. [R] [P] devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, sur le fondement des articles 1315 du code civil, L145-14 et L145-17 du code de commerce, demandant à la juridiction de :

À titre principal,

- dire que faute de mise en demeure préalable au congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction, l'EURL [N] peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction, à raison du refus de renouvellement de bail,

À titre subsidiaire,

- dire que M. [R] [P] ne justifie pas d'un motif grave et légitime de refus d'indemnité d'éviction,

En tout état de cause,

- condamner le défendeur à lui payer une indemnité d'éviction,

- avant-dire droit, désigner un expert pour évaluer l'indemnité d'éviction à laquelle elle peut prétendre,

- condamner M. [R] [P] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [R] [P] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de l'EURL [N].

Saisi d'un incident aux fins d'expertise par l'EURL [N], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 25 septembre 2017, désigné M. [J] aux fins de déterminer l'indemnité d'éviction à laquelle le locataire évincé pourrait prétendre.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 5 février 2018.

Par jugement en date du 18 mars 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a :

- dit l'EURL [N] irrecevable en sa demande tendant à voir prononcer la nullité du congé et la poursuite du bail commercial et en ses demandes subséquentes,

- dit que le congé avec refus de renouvellement de bail délivré le 17 septembre 2015 par M. [R] [P] à l'EURL [N] produit ses effets à compter du 18 mars 2016,

- dit que jusqu'à la libération des locaux par l'EURL [N], celle-ci est redevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et de ses accessoires, exigible aux mêmes échéances et susceptible de la même indexation,

- rappelé que par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 29 juin 2016, le montant du loyer dû par l'EURL [N] à M. [R] [P] a été réduit de 20 % jusqu'à la fin de l'occupation des lieux par l'EURL [N],

- dit que cette réduction s'applique à l'indemnité d'occupation due par l'EURL [N] à M. [R] [P],

- condamné M. [R] [P] à verser à l'EURL [N] la somme de 83 731 euros à titre d'indemnité d'éviction,

- débouté l'EURL [N] de ses plus amples demandes,

- ordonné si besoin l'expulsion de l'EURL [N] et de tous occupants de son chef, des locaux appartenant à M. [R] [P] situés [Adresse 3] à [Adresse 6] à [Localité 5] à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le versement de l'indemnité d'éviction susmentionnée à l'EURL [N], ou à compter de la notification du versement de cette indemnité d'éviction à un séquestre,

- autorisé M. [R] [P] à recourir pour ce faire à la force publique,

- autorisé le cas échéant, à la suite de l'expulsion de l'EURL [N], M. [R] [P] à faire détruire les matériels, équipements et marchandises que l'EURL [N] aurait maintenu dans les locaux libérés de son occupation,

- condamné M. [R] [P] aux dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, donc distraction au profit de la SELARL MGA pour ceux qu'elle aurait avancés sans en avoir reçu provision,

- condamné M. [R] [P] à verser à l'EURL [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exception provisoire du jugement.

Le 16 juin 2021, l'EURL [N] a interjeté appel de cette décision.

Le Premier président a, par ordonnance du 5 octobre 2021, suspendu l'exécution provisoire dont est assorti le jugement rendu le 18 mars 2021 le tribunal judiciaire de Saint Nazaire.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 23 décembre 2021, l'EURL [N] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* jugé que la sommation du 12 novembre 2014 ne constitue pas la mise en demeure prévue par l'article L 145-17 du code de commerce,

* jugé que les manquements contractuels du locataire tels qu'allégués par le bailleur dans le congé qu'il lui a délivré le 17 septembre 2015 ne constituent pas des manquements irréparables,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* l'a dite irrecevable en sa demande tendant à voir prononcer la nullité du congé et la poursuite du bail commercial et en ses demandes subséquentes,

* dit que le congé avec refus de renouvellement de bail délivré le 17 septembre 2015 par M. [R] [P] à l'EURL [N] produit ses effets à compter du 18 mars 2016,

* dit que jusqu'à sa libération des locaux, elle-ci est redevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et de ses accessoires, exigible aux mêmes échéances et susceptible de la même indexation,

* condamné M. [R] [P] à lui verser la somme de 83 731 euros à titre d'indemnité d'éviction,

* l'a déboutée de ses plus amples demandes,

* ordonné si besoin son expulsion et de tous occupants de son chef, des locaux appartenant à M. [R] [P] situés [Adresse 3] à [Adresse 6] à [Localité 5] à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le versement de l'indemnité d'éviction susmentionnée à l'EURL [N], ou à compter de la notification du versement de cette indemnité d'éviction à un séquestre,

* autorisé M. [R] [P] à recourir pour ce faire à la force publique,

* autorisé le cas échéant, à la suite de son expulsion, M. [R] [P] à faire détruire les matériels, équipements et marchandises qu'elle aurait maintenu dans les locaux libérés de son occupation,

Et statuant à nouveau :

À titre principal,

- juger que la mise en demeure préalable au congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction est nulle et ne peut produire aucun effet,

- juger que M. [R] [P] ne justifie pas d'un motif grave et légitime de refus d'indemnité d'éviction à son encontre,

En conséquence

- juger nul le congé portant refus de renouvellement délivré le 17 septembre 2015 par M. [R] [P] à l'EURL [N] et dire que le bail commercial du 19 mars 2007 se poursuit,

À titre subsidiaire,

- juger que, faute de mise en demeure préalable au congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction, elle peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction à raison du refus de renouvellement du bail,

- juger que M. [R] [P] ne justifie pas d'un motif grave et légitime de refus d'indemnité d'éviction,

- condamner M. [R] [P] à lui payer la somme de 150 800 euros au titre de son indemnité d'éviction,

En tout état de cause,

- débouter M. [R] [P] de sa demande d'expulsion et des demandes d'autorisation à faire libérer les lieux,

- condamner M. [R] [P] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [R] [P] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de maître Benoit Bommelaer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 1er octobre 2021, M. [R] [P] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* dit l'EURL [N] irrecevable en sa demande tendant à voir prononcer la nullité du congé et la poursuite du bail commercial et en ses demandes subséquentes,

* dit que le congé avec refus de renouvellement du bail qu'il a délivré le 17 septembre 2015 à l'EURL [N] produit ses effets à compter du 18 mars 2016,

* dit que jusqu'à la libération des locaux par l'EURL [N], celle-ci est redevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et de ses accessoires, exigible aux mêmes échéances et susceptible de la même indexation,

* rappelé que par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 29 juin 2016, le montant du loyer qui lui dû par l'EURL [N] a été réduit de 20 % jusqu'à la fin de l'occupation des lieux par l'EURL [N],

* dit que cette réduction s'applique à l'indemnité d'occupation qui lui est due par l'EURL [N],

* ordonné si besoin l'expulsion de l'EURL [N] et de tous occupants de son chef, des locaux lui appartenant situés [Adresse 3] à [Adresse 6] à [Localité 5] à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le versement de l'indemnité d'éviction susmentionnée à l'EURL [N], où à compter de la notification du versement de cette indemnité d'éviction à un séquestre,

* l'a autorisé à recourir pour ce faire à la force publique,

* l'a autorisé le cas échéant, à la suite de l'expulsion de l'EURL [N], à faire détruire les matériels, équipements et marchandises que l'EURL [N] aurait maintenu dans les locaux libérés de son occupation,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* l'a condamné à verser à l'EURL [N] la somme de 83 731 euros à titre d'indemnité d'éviction,

* l'a condamné aux dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SELARL MGA pour ceux qu'elle aurait avancés sans en avoir reçu provision,

* l'a condamné à verser à l'EURL [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* ordonné l'exécution provisoire du jugement,

Statuant à nouveau :

À titre principal,

- débouter l'EURL [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

À titre subsidiaire,

- réduire en de plus justes proportions l'indemnité d'éviction dont l'EURL [N] sollicite l'allocation,

En tout état de cause,

- condamner l'EURL [N] à lui payer une indemnité de 5 000 euros au titre des frais non répétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'EURL [N] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur la recevabilité de la demande de nullité du congé

L'EURL [N] soutient que sa demande est recevable et n'est pas prescrite.

Elle se prévaut de la jurisprudence applicable à la date de son assignation, soit en 2016, selon laquelle l'irrégularité d'un congé laissait subsister l'effet extinctif du bail et n'avait pour effet que de permettre au locataire de prétendre à une indemnité d'éviction. Elle rappelle avoir bien saisi la juridiction avant l'expiration du délai de prescription biennale suivant la date d'effet du congé et que compte tenu de la jurisprudence constante de l'époque, elle se trouvait dans l'impossibilité de requérir la nullité du congé qui avait été délivré.

Selon elle, on ne peut lui opposer que sa demande de nullité n'a pas été présentée in limine litis, dans la mesure où pour invoquer la nullité d'un acte, il faut que cette possibilité lui soit ouverte. Or, elle rappelle qu'en 2016, selon la règle prétorienne antérieure au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation intervenu le 28 juin 2018, elle ne pouvait invoquer cette nullité, laquelle n'a donc pu être couverte.

M. [P] considère que cette action en nullité est prescrite, l'EURL [N] l'ayant soulevée pour la première fois dans des écritures le 26 juillet 2020, alors que le congé prenait effet au 18 mars 2016, et ce, pour avoir été exercée plus de deux ans après cet acte.

Il fait valoir que cette prescription est également acquise si l'on considère qu'il ne pouvait agir avant le revirement de jurisprudence dont s'agit.

Il rappelle que l'appelante a conclu deux fois après la date du 28 juin 2018, sans se prévaloir de cette nullité, laquelle est donc couverte, par application des dispositions de l'article 112 du code de procédure civile.

L'article L 145-9 du code de commerce en son dernier alinéa prévoit que le congé doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

L'article L 145-60 du même code dispose :

Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.

Le congé critiqué prenait effet le 18 mars 2016. La nullité de ce congé a été demandée par l'appelante pour la première fois par conclusions du 16 juillet 2020.

Il est constant que la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence le 28 juin 2018 en ce qu'elle a considéré que 'la nullité du congé prévue par l'article L 145-9 du code de commerce est une nullité relative qui ne peut être soulevée que par le preneur et que celui-ci peut soit renoncer à la nullité du congé en sollicitant une indemnité d'éviction et en se maintenant dans les lieux en l'attente de son paiement en application de l'article L 145-28 du même code, soit s'en prévaloir en optant pour la poursuite du bail.' (3e Civ., 28 juin 2018, pourvoi n° 17-18.756), contrairement à la jurisprudence antérieure, selon laquelle un congé sans motif ou insuffisamment motivé, ou encore non précédé d'une mise en demeure produit néanmoins ses effets.

Si lors de l'introduction de son action par acte d'assignation en date du 9 mars 2016, l'EURL [N] ne pouvait se prévaloir de cette nouvelle jurisprudence, force est de constater qu'elle n'a cependant formalisé une telle demande que plus de deux après ce revirement de jurisprudence et qui plus est après avoir conclu par deux fois au fond sans invoquer cette nullité.

La cour confirme le jugement qui déclare irrecevable l'action en nullité du congé de l'EURL [N], pour être d'une part prescrite et d'autre part couverte en application de l'article 112 du code de procédure civile.

Par suite, et en l'absence de toute discussion sur ces points, à bon droit le premier juge décide que le congé a produit ses effets, que jusqu'à la libération des lieux par l'EURL [N], celle-ci est recevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des accessoires, étant rappelé que par arrêt de la présente cour du 29 juin 2016, le montant du loyer a été réduit de 20 % jusqu'à la fin de l'occupation des lieux et que cette réduction s'applique à l'indemnité d'occupation. Ces dispositions du jugement sont donc confirmées également.

- sur le droit à une indemnité d'éviction

M. [P] conteste ce droit et sollicite l'infirmation du jugement.

Pour s'opposer à cette prétention de l'EURL [N], il soutient que celle-ci a violé ses engagements contractuels.

Il rappelle que le congé du 17 septembre 2015 est valable, et qu'il invoquait des motifs légitimes, à savoir des impayés de loyers et un défaut d'entretien de la chose donnée à bail. Il fait valoir qu'il a délivré une sommation le 12 novembre 2014.

Il indique que la locataire ne justifie avoir réglé les sommes mentionnées dans le congé, qu'elle refuse de régler la taxe foncière depuis l'entrée dans les lieux, en se contentant de contester la clé de répartition appliquée par le bailleur. Il estime que le jugement du 19 septembre 2013 n'a pas exonéré le locataire du paiement de la taxe foncière.

Il fait valoir que l'intégralité des sommes qu'il devait à son locataire ont été réglées et que l'EURL [N] n'a réglé aucun loyer pendant 5 mois entre le 14 janvier 2019 et le 1er juillet 2019.

Il ajoute qu'elle n'entretient pas la devanture du magasin, qu'en tout état de cause, elle n'a pas demandé au bailleur de remettre en peinture celle-ci, et l'a laissée dans un état pitoyable. Il indique que l'intérieur des locaux est un véritable capharnaüm dans un état de désordre, de saleté voire de crasse, traduisant l'absence totale d'entretien des locaux.

Il reproche également à la locataire son absence systématique d'alerte du bailleur en cas de problème, la diffusion d'une pétition calomnieuse lors de l'été 2012, ainsi qu'une usurpation d'identité par Mme [N], se déclarant aux promoteurs immobiliers comme la propriétaire des locaux et ne pas être venderesse.

L'EURL [N] soutient qu'elle a droit à une indemnité d'éviction, pour deux motifs :

- à défaut de mise en demeure préalable au congé avec refus de renouvellement, le bailleur ne peut se prévaloir des motifs invoqués dans le congé. Elle considère sur ce point, que la sommation du 12 novembre 2014 ne peut valoir mise en demeure au sens de l'article L 145-17-1 du code de commerce, dans la mesure où manquent les éléments essentiels à la validité d'une mise en demeure,

- M. [R] [P] ne justifie pas d'un motif grave et légitime de refus d'indemnité d'éviction. Elle expose que le bailleur est, comme en 2013, incapable de justifier de ses demandes au titre de la taxe foncière (cf jugement du 19 septembre 2013). Elle soutient ne devoir aucune somme au titre d'un arriéré d'indexation, et rappelle que pour justifier le non paiement d'une indemnité d'éviction, le motif invoqué doit être grave, ce qui ne peut être le cas en cas de modiques sommes dues en tout état de cause. En ce qui concerne le non paiement des loyers, elle souligne que le bailleur avait été condamné à lui payer une somme de 90 371,62 euros, que c'est pour cette raison que les loyers n'ont pas été réglés, une saisie ayant été pratiquée par elle entre ses propres mains, et qu'à la suite d'une erreur dans les décomptes reconnue par l'huissier, ce dernier a continué à percevoir les loyers alors que la dette avait été apurée. Enfin, elle conteste le prétendu manquement à son obligation d'entretien portant sur la façade, rappelant que ce point a déjà été jugé deux fois en défaveur du bailleur. Elle ajoute que suite à des infiltrations, le tribunal a reconnu en 2013 que le bailleur avait manqué à ses obligations de délivrance de locaux en bon état de réparation et d'entretien, de sorte qu'un tel motif ne peut justifier le motif grave et légitime exigé.

L'article L 145-17 I du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'une indemnité d'éviction ;

1° s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation soit de la cessation sans raison et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après une mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa.

En l'espèce, M. [P] produit une sommation en date du 12 novembre 2014 délivrée à l'EURL [N], laquelle lui signifie un devis de l'entreprise SNPV du 9 septembre 2014 chiffrant la remise en état de la devanture du magasin Océan Bazar à concurrence de la somme de 4 382,10 euros TTC et lui fait sommation 'de faire procéder sous un mois aux travaux en question pour satisfaire aux dispositions du bail notarié qu'elle a conclu avec M. [P] le 19 mars 2007.'

Cet acte extra-judiciaire ne reproduit pas les mentions légales exigées et ne constitue pas une mise en demeure régulière. Le bailleur ne peut donc se prévaloir du motif y invoqué.

En ce qui concerne les autres motifs, force est de constater que M. [P] ne justifie d'aucune mise en demeure préalable délivrée dans les termes des dispositions de l'article L 145-17 I du code de commerce.

En conséquence, le tribunal a, à raison, jugé que l'EURL [N] pouvait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction.

- sur le montant de l'indemnité d'éviction

L'EURL [N] ne conteste pas le montant de l'indemnité principale soit 74 520 euros, le montant des frais de remploi soit 5 216 euros, l'indemnité due pour trouble commercial de 3 995 euros, retenus par le tribunal.

Elle estime qu'à ces montants il convient d'ajouter :

- les frais de transfert et de déménagement : 14 190 euros,

- les travaux et agencements non amortis : 17 058 euros,

- les frais de réinstallation : 37 500 euros,

- le frais de mailing, de changement de téléphone, papier, transfert de siège : 686 euros,

et sollicite en conséquence paiement d'une somme de 150 800 euros.

M. [P] demande à la cour, à titre subsidiaire, de confirmer le jugement quant au montant de l'indemnité d'éviction et de retenir :

- la valeur de remplacement puisque l'expert judiciaire conclut qu'un déplacement est impossible,

- que les frais de réinstallation ne sont pas dus, l'EURL Bastiant n'ayant jamais soutenu qu'elle réinstallerait son fonds de commerce et n'a d'ailleurs aucun local commercial,

- que les frais de transfert et de déménagement ne sont pas dus, la perte des éléments corporels étant déjà indemnisée,

- que ne sont pas dus les frais de mailings, de changement de téléphone, papier, transfert de siège et les agencements non amortis.

L'article l 145-14 alinéa 2 du code de commerce dispose :

Cette indemnité (d'éviction) comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le bailleur fait la preuve que le préjudice est moindre.

L'indemnité est calculée à la date la plus proche de la réalisation du préjudice lorsque le locataire est encore dans les lieux, comme en l'espèce.

L'expert judiciaire, M. [J], chargé de calculer cette indemnité d'éviction, retient :

- une valeur du fonds de commerce de 56 000 euros,

- une valeur du droit au bail de 74 520 euros,

- une indemnité de remplacement de 83 731 euros, comprenant :

* la valeur du fonds de commerce : 74 520 euros,

* les frais de remploi (frais et droits de mutation ou achat de pas de porte, honoraires agences) : 5 216 euros,

* le trouble commercial (3% du chiffre d'affaires) : 3 995 euros,

- dans l'hypothèse où le fond serait transférable, une indemnité de déplacement de 157 133 euros, comprenant :

* la valeur du fonds de commerce : 74 520 euros,

* les frais de remploi : 5 216 euros,

* les frais de transfert et de déménagement : 11 825 euros,

* les frais de mailing, de changement de téléphone, papier, transfert de siège .. : 686 euros,

* le trouble d'exploitation : 10 448 euros,

* les travaux et agencements non amortis : 17 058 euros,

* les frais de réinstallation : 37 500 euros.

Les parties sont d'accord pour considérer que l'indemnité d'éviction comporte la valeur du fonds de commerce (74 520 euros), les frais de remploi (5 216 euros) et le trouble commercial (3 995 euros).

Il est rappelé que l'indemnité de remploi couvre l'ensemble des frais liés à l'acquisition d'un nouveau droit au bail et correspond aux frais de mutation et aux frais de recherche d'un nouveau fonds de commerce.

Les frais de déménagement et de réinstallation ne sont pas dus s'il est établi que le preneur n'a pas l'intention de se réinstaller. En l'espèce, l'EURL [N] n'apparaît avoir jamais prétendu réinstaller son fonds de commerce. Aucune pièce faisant état d'un projet de déplacement de son activité ou des démarches en ce sens n'est soumise à la cour. Il convient de considérer que le preneur n'a pas l'intention de se réinstaller. Ces frais ne sont pas dus.

Les frais de déménagement, comme les frais de mailing, de changement de téléphone, papier et transfert de siège ne sont pas dus par le bailleur lorsque le preneur ne se réinstalle pas.

S'agissant des agencements non amortis, la cour relève que l'expert indique qu'ils font partie de la valeur du fonds de commerce.

En conséquence, le montant de l'indemnité d'éviction due à l'EURL [N] correspond à la somme retenue par le tribunal, dont la décision est confirmée.

- sur l'expulsion

Le tribunal a ordonné celle-ci, si besoin est, à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le versement de l'indemnité d'éviction. Cette mesure est prise conformément aux dispositions de l'article L 145-29 du code de commerce, et sera confirmée.

- sur les frais irrépétibles et les dépens

L'EURL [N] succombant en son appel est condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [P] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La cour confirme par ailleurs les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne l'EURL [N] à payer à M. [R] [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'EURL [N] aux dépens d'appel.