CA Dijon, 1re ch. civ., 11 juin 2024, n° 22/00505
DIJON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Seturec Moe (SARL)
Défendeur :
Groupe [L] Hôtellerie (GDH) (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Caullireau-Forel
Conseillers :
Mme Charbonnier, Mme Kuentz
Avocats :
Me Billard, Me Joubert, Me Gerbay
Exposé du litige
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Seturec Moe est spécialisée dans l'ingénierie du bâtiment et l'assistance à la maîtrise d'ouvrage en tant que maître d'oeuvre.
La société Groupe [L] Hôtellerie est la société holding du groupe [L] Hôtellerie qui gère plusieurs hôtels dans la région Bourgogne-Franche-Comté, sous franchise Accor et Courtepaille
La société Alcyon [Localité 9] est une société du groupe [L] Hôtellerie, dont l'activité est celle de marchands de biens immobiliers. Elle est propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 2].
Dans le cadre de la réhabilitation du bâtiment sis à [Localité 12] et de la rénovation des services généraux des hôtels Ibis de [Localité 11] et [Localité 5] Centre, le groupe [L] Hôtellerie a pris contact avec la société Seturec Moe.
La société Groupe [L] Hôtellerie a confié à la société Seturec la maîtrise d'oeuvre des travaux de rénovation portant sur les hôtels Ibis de [Localité 11] et [Localité 5] Centre.
Concernant le bâtiment de [Localité 12], la société Seturec Moe a proposé à M. [L] le 24 juillet 2017 une première esquisse des plans ainsi qu'un devis estimatif.
Ce projet a été présenté à la communauté de communes du Grand Chalon.
Mais, la société Alcyon a finalement décidé de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de réhabilitation à la société Art&Fact compte tenu de la perte de confiance et des problèmes rencontrés sur le chantier de l'hôtel de [Localité 11].
La société Seturec a établi une facture le 30 juin 2018 d'un montant de 19 992 euros TTC en rémunération du travail accompli, au paiement de laquelle M. [L] s'est opposé.
Le 20 décembre 2019, la société Seturec a vainement mis la société Groupe [L] Hôtellerie en demeure de procéder au paiement de cette facture.
Par acte du 28 juillet 2020, la société Seturec a fait assigner la société Groupe [L] Hôtellerie (GDH) devant le tribunal de commerce de Dijon en paiement de ses honoraires.
Par jugement du 10 février 2022, le tribunal de commerce de Dijon a:
déclaré la SARL Seturec Moe recevable en ses demandes ;
débouté la SARL Seturec Moe de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
condamné la SARL Seturec Moe à payer à la SAS Groupe [L] Hôtellerie la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la SARL Seturec Moe aux entiers dépens de l'instance,
écarté l'exécution provisoire du jugement,
dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tous cas mal fondées, et les en a déboutées.
Par déclaration du 15 avril 2022, la SARL Seturec Moe a relevé appel de ce jugement dont elle critique expressément tous les chefs à l'exclusion de celui l'ayant déclaré recevable en sa demande.
' Selon conclusions notifiées le 7 juillet 2022, elle demande à la cour d'appel de :
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,
et y faisant droit,
confirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a déclarée recevable en ses demandes,
la réformer pour le surplus,
statuant à nouveau,
condamner la SAS GDH à lui payer la somme de 19 992 euros à titre d'honoraires,
condamner la SAS GDH à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la SAS GDH aux entiers dépens.
' Selon conclusions d'intimée notifiées le 27 septembre 2022, la SAS Groupe [L] Hôtellerie demande à la cour d'appel, au visa des articles 1113, 1353, 1359 et 1165 du code civil, et 6, 9, 30, 31, 32 et 122 du code de procédure civile, de:
A titre principal,
déclarer son appel incident recevable et bien fondé,
infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dijon du 10 février 2022 sauf en ce qu'il a condamné la SARL Seturec Moe aux dépens de première instance,
statuant à nouveau,
déclarer irrecevable l'ensemble des prétentions de la société Seturec Moe émises à son encontre,
condamner la société Seturec Moe à lui payer la somme de 4 218 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,
A titre subsidiaire,
déclarer l'appel principal mal fondé,
confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
A titre très subsidiaire,
réduire dans de notables proportions les honoraires sollicités par la SARL Seturec Moe,
En tout état de cause,
condamner la société Seturec Moe à lui verser une indemnité d'un montant de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Seturec Moe aux entiers dépens d'appel.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 mars 2024.
Sur ce la cour,
1/ Sur la recevabilité des demandes dirigées à l'encontre de la société Groupe [L] Hôtellerie
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La société GDH soutient qu'elle est dépourvue du droit d'agir comme n'ayant aucun intérêt au rejet des prétentions de la société Seturec aux motifs que l'immeuble, objet du projet de réhabilitation, appartient à la société Alcyon, personne morale distincte ayant la qualité de maître de l'ouvrage.
Elle fait observer que la proposition d'honoraires de la société Art & fact a été finalement signée par M. [L] en qualité de gérant de la société Alcyon et ajoute que les tableaux de surface et l'estimation du coût de travaux ont été adressés à Alcyon.
Or, M. [H] [L], qui est tout à la fois gérant de la SARL Alcyon [Localité 9] et président de la SAS Groupe [L] Hôtellerie, par courrier du 10 août 2018 à entête du groupe [L] Hôtellerie et mentionnant la SAS GDH en bas de pages, reconnaît avoir consulté la société Seturec en juillet 2017 afin 'de connaître votre intérêt pour réaliser une esquisse dans le cadre de la réhabilitation de ce bâtiment, afin de pouvoir déterminer quel architecte présenterait le projet le plus pertinent pour ce site. Vous avez accepté cette proposition et réalisé une esquisse en juillet 2017(...).'
Des courriels ont été échangés sur le projet de réhabilitation litigieux entre juillet et octobre 2017 entre la société Seturec et M. [H] [L], en qualité de président de la SAS GDH-groupe [L] Hôtellerie.
Les plans, esquisses et devis qui ont été transmis par la société Seturec mentionnent le Groupe GDH sans que son représentant n'ait émis aucune observation sur ce point.
De même, la société Seturec a adressé une convention d'études datée du 5 juillet 2018 et sa facture d'honoraires à la société groupe GDH, sans que cette dernière ne lui fasse remarquer qu'elles étaient mal dirigées.
Il en résulte que comme elle le soutient, la société Seturec était parfaitement légitime à considérer que le maître d'ouvrage était la société groupe [L] Hôtellerie qui se présentait comme son seul interlocuteur, sans qu'aucun élément ne vienne démontrer que l'appelante ait pu avoir connaissance de la situation juridique réelle du bien immobilier, objet du projet.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a écarté la fin de non recevoir et déclaré recevable l'action de la société Seturec à l'encontre de la SAS GDH.
2/ Sur le bien fondé de la demande en paiement de la SARL Seturec
En application de l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.
Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur.
Le contrat d'architecte ayant notamment pour objet la réalisation par l'architecte de projets de plans et devis de travaux, le seul refus par le maître de l'ouvrage d'un projet qui lui est soumis n'établit pas l'absence de contrat liant l'architecte.
En l'espèce, l'absence de signature par la SAS GDH de la convention d'études transmise par la SARL Seturec n'exclut pas l'existence d'un contrat entre les parties ni son caractère onéreux.
Il n'est pas contesté que le groupe GDH a confié à la société Seturec l'établissement d'esquisses dans le cadre de la réhabilitation du bâtiment Stef, sans que l'intimée ne démontre que l'ensemble des esquisses et plans transmis par Seturec étaient destinés à l'UDAF, association intéressée par l'acquisition d'un étage de l'immeuble réhabilité.
S'agissant de l'étendue de la mission, il ressort des productions que la SARL Seturec a établi, non seulement des esquisses mais encore un plan de masse, un état existant plan des niveaux, un état existant-coupes-élévations, des plans des étages, un plan masse, vues en plan - façades, des plans des surfaces utiles de chaque niveau, des plans détaillés des niveaux ainsi que des devis.
Les échanges suivis entre les parties entre juillet et octobre 2017 accompagnés de l'établissement d'esquisses, des plans susvisés et d'un devis global des travaux outre un devis de déconstruction de certains éléments suffisent à justifier une demande de rémunération de la part de l'architecte, l'usage de la gratuité évoqué par l'intimée ne pouvant concerner, dans les contrats privés, qu'une prestation limitée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
En revanche, contrairement à ce que soutient l'appelante, ces mêmes éléments ne répondent pas à l'ensemble des prestations attendues aux stades de l'état des lieux (EL) des études préliminaires (ESQ) et de l'avant projet sommaire (APS) tel que prévus à la convention d'études qui n'a pas été régularisée par le maître de l'ouvrage.
La cour infirme donc le jugement déféré sur le principe de la rémunération mais, ne disposant pas des éléments suffisants afin de fixer la rémunération de l'architecte, ordonne une consultation sur ce point aux frais avancés de Seturec, conformément aux dispositions des articles 256 et suivants du code de procédure civile.
Dans l'attente, il convient de réserver les dépens et demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
Par ces motifs
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action de la SARL Seturec recevable,
L'infirme pour le surplus et dit que les travaux accomplis par la SARL Seturec méritent rémunération,
Avant dire droit sur le montant de la rémunération de l'architecte,
Ordonne une consultation écrite et désigne M. [K] [R], demeurant [Adresse 7], tél : [XXXXXXXX01] courriel : [Courriel 8], avec pour mission de :
- se faire communiquer par les parties les pièces qu'elles ont échangées à l'occasion de la présente instance,
- étudier les esquisses, plans et devis réalisés par la SARL Seturec pour le compte du groupe [L] Hôtellerie concernant le projet de réhabilitation de l'immeuble Stef, création de bureaux, sis à [Localité 10],
- au regard d'une convention d'études classique en la matière, déterminer quelles sont les missions qui ont été effectivement remplies par la SARL Seturec,
- donner son avis sur la valeur du travail effectivement réalisé par la SARL Seturec,
- du tout dresser un rapport écrit qui sera adressé au greffe de la juridiction,
Dit que la consultation est ordonnée aux frais avancés de la SARL Seturec Moe, qui devra consigner à la régie d'avances et de recettes de la cour d'appel de Dijon une provision de 2 000 euros, au plus tard le 12 juillet 2024,
Dit que le consultant devra déposer son rapport écrit au greffe du tribunal dans les trois mois suivant l'avis de consignation,
Une fois le rapport déposé au greffe, dit que l'affaire sera renvoyée devant le conseiller de la mise en état,
Réserve les dépens et les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.