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Décisions

CA Nîmes, 1re ch., 13 juin 2024, n° 22/04050

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 22/04050

13 juin 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/04050 -

N° Portalis DBVH-V-B7G-IU4Z

DD

TRIBUNAL DE PROXIMITE DE NIMES

15 novembre 2022

RG:22/00628

[U]

C/

[R]

[E]

Grosse délivrée

le 13/06/2024

à Me Aline Gonzalez

à Me Laurie Kaci

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 13 JUIN 2024

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal de proximité de Nîmes en date du 15 novembre 2022, N°22/00628

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,

Mme Delphine Duprat, conseillère,

Mme Audrey Gentilini, conseillère,

GREFFIER :

Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 juin 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

Mme [F] [U]

née le 16 décembre 1965 à [Localité 4] (Suisse)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Aline Gonzalez, avocate au barreau de Nîmes

INTIMÉS :

Mme [B] [R]

née le 27 mars 1973 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Céline Bouchereau, plaidante, avocate au barreau de Val-de-Marne

Représentée par Me Laurie Kaci, postulante, avocat au barreau de Nîmes

M. [P] [E]

né le 08 janvier 1972 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Céline Bouchereau, plaidante, avocate au barreau de Val-de-Marne

Représenté par Me Laurie Kaci, postulante, avocat au barreau de Nîmes

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 13 juin 2024, par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte du 27 novembre 2020, Mme [B] [R] et M. [P] [E] ont fait l'acquisition auprès de Mme [I] [U] d'un bien immobilier [Adresse 6], comprenant une maison principale et une annexe.

Quelques mois après l'achat, les acquéreurs ont constaté que les eaux usées de la cuisine de la maison principale se déversaient directement dans la nature et n'étaient pas raccordées au tout-à-l'égout.

Après s'être rapprochés des services communaux, ils ont envisagé de faire réaliser des travaux de raccordement et saisi la venderesse aux fins de participation aux coûts de mise aux normes sanitaires.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 octobre 2021, ils l'ont ensuite mise en demeure de prendre en charge le coût du raccordement au réseau d'assainissement ainsi que la taxe découlant d'un deuxième raccordement au réseau public.

Ils ont fait constater le 28 octobre 2021 par acte d'huissier la présence d'un tuyau PVC par lequel les eaux-usées de l'évier et du lave-vaisselle de la cuisine de la maison principale s'écoulaient.

Par acte du 6 mai 2022, ils ont enfin assigné Mme [U] sur le fondement des articles 1604 et suivants du code civil, pour la voir condamner à leur payer les travaux de mise en conformité, les frais de constat d'huissier, et les sommes de 2 500 euros en réparation de leur préjudice moral né de sa résistance abusive et 4 200 euros au titre des frais irrépétibles devant le tribunal judiciaire de Nîmes qui par jugement contradictoire du 15 novembre 2022 a condamné celle-ci :

- à leur verser une somme totale de 5 748,08 euros, tous préjudices confondus, à titre de dommages et intérêts du chef du défaut de livraison conforme du bien immobilier

- à leur verser une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- aux dépens de l'instance, distraits au profit de Me Bouchereau.

Par déclaration du 16 décembre 2022, Mme [U] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 16 janvier 2024, la procédure a été clôturée le 23 avril 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 07 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS

Par conclusions notifiées le 1er septembre 2023, Mme [F] [U] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau

- de débouter Mme [R] et M.[E] de l'ensemble de leurs demandes,

- de les condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient :

- que tant le document intitulé 'certificat d'urbanisme' signé par le maire le 23 octobre 2020 annexé à l'acte de vente que les informations transmises par la commune et relayées au notaire instrumentaire attestent que la propriété était bien raccordée au réseaux d'eaux usées de la commune lors de la vente,

- que les documents produits par les intimés pour démontrer l'absence de raccordement, y compris le constat d'huissier, ont été établis postérieurement aux travaux réalisés par eux sur la propriété, seuls à l'origine du défaut de conformité allégué,

Par conclusions notifiées le 13 juin 2023, Mme [R] et M. [E], intimés, demandent à la cour :

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- de condamner Mme [U] à leur verser la somme de 4 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Ils répliquent :

- que les écoulements sauvages existaient déjà durant l'occupation des lieux par les anciens propriétaires,

- que ce défaut de raccordement de l'immeuble pourtant vendu comme étant relié au réseau public d'assainissement constitue un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme prévue aux articles 1604 et 1615 du code civil,

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l'obligation de délivrance conforme

Le tribunal a retenu la non-conformité de l'immeuble vendu comme non directement relié au réseau d'assainissement collectif.

L'appelante soutient que ce bien était conforme comme raccordé au réseau des eaux usées.

Les intimés répliquent que le bien n'est que partiellement raccordé en l'état d'un déversement sauvage des eaux de la cuisine.

Selon l'article 1604 du code civil la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

La preuve de la non-conformité incombe à l'acquéreur qui soulève cette exception.

L'acte de vente du 27 novembre 2020 énonce que le vendeur déclare sous sa responsabilité :

- p5 que l'immeuble vendu est raccordé(..) au réseau public d'assainissement collectif

- p23 que l'immeuble est raccordé à un réseau d'assainissement collectif des eaux usées domestiques conformément aux dispositions de l'article L.1331-1 du code de la santé publique.

Selon les articles L.1331-4 et L.1331-6 de ce code, les parties sont informées que l'entretien et le bon fonctionnement des ouvrages permettant d'amener les eaux usées domestiques de l'immeuble à la partie publique sont soumis au contrôle de la commune ou de la communauté de communes, qui peut procéder, sous astreinte et aux frais du propriétaire, aux travaux indispensables à ces effets (...). Le vendeur informe l'acquéreur qu'à sa connaissance, les ouvrages permettant d'amener les eaux usées domestiques de l'immeuble à la partie publique ne présentent pas d'anomalie ni aucune difficulté particulière d'utilisation.

En annexe à l'acte de vente est joint un certificat du 23 octobre 2020 signé par M. [N], maire de [Localité 5] attestant que la propriété est effectivement raccordée à un réseau collectif et qu'un contrôle a été effectué 'il y a plus de 20 ans lors du raccordement'.

Mme [R] et M. [E] ne contestent pas le raccordement de l'immeuble au réseau public mais seulement le non-raccordement à ce réseau des points d'eau de la cuisine qui font l'objet d'un rejet sauvage par le biais d'un tuyau PVC.

A l'appui de leurs allégations ils produisent un procès verbal de constat d'huissier du 28 octobre 2021 relevant la présence d'un tuyau PVC entre deux troncs d'arbre, que lorsque le lave-vaisselle ou le point d'eau de la cuisine fonctionnent, tous deux produisent un effet quasi immédiat, au niveau de la sortie de ce tuyau PVC surplombant le chemin communal et que seul l'arrêt d'utilisation de ces équipements met fin à la sortie de l'eau.

A compter de mars 2021, Mme [R] et M. [E] se sont rapprochés des services de la mairie s'interrogeant sur la question du raccordement au réseau.

Le 12 avril 2021, le maire de [Localité 5] a écrit, contredisant le certificat joint à l'acte de vente : 'il semblerait que les eaux usées ne soient pas évacuées en totalité dans le réseau d'assainissement collectif mais également via un rejet sauvage se déversant sur la voie communale. En conséquence, le raccordement de la totalité de l'habitation ne peut être considérée comme conforme (..)'

Ils produisent enfin des attestations de voisins ayant constaté dès avant la vente de l'immeuble la présence d'un tuyau d'eau sur la voie publique.

L'appelante soutient que les documents produits par la mairie au jour de la vente confirmaient le raccordement de la maison au réseau d'assainissement collectif.

Elle prétend que son père alors propriétaire de la maison avait fait réaliser des travaux et produit à cet égard une facture du 7 juin 1995 pour le 'raccordement eaux de ruissellements sur réseau EU/Ev, compris tranchée, siphon, canalisations, branchement et rebouchage avec sable et béton (..)'

Cette pièce n'est pas contradictoire avec l'attestation du maire de la commune relevant que l'immeuble est en partie relié au réseau mais que les installations n'ont été soumises à aucun contrôle depuis plus de 20 ans.

Par ailleurs, la facture produite ne fait état que d'un raccordement général sans précision s'agissant de l'écoulement des eaux usées de la cuisine.

L'appelante prétend également que des travaux ont été réalisés après la vente de la maison par les nouveaux propriétaires et qu'elle ne serait pas à l'origine de la mise en place du tuyau d'évacuation litigieux.

Néanmoins, elle ne rapporte pas la preuve de cette allégation.

La Cour de cassation juge qu'il y a manquement du vendeur à l'obligation de délivrance lorsque le raccordement au réseau d'assainissement n'est pas conforme aux stipulations contractuelles (Ccass 3ème civ 19-09-2019 n°18-18.394)

L'appelante s'est ici engagée à vendre un bien immobilier raccordé au réseau public d'assainissement et en conséquence à délivrer un bien dont tous les écoulements étaient raccordés.

Le rapport d'expertise ainsi que le second courrier du maire démontrent que le bien n'était pas au jour de la vente entièrement raccordé au réseau, les écoulements de la cuisine soit le robinet d'eau courante et l'eau sale du lave-vaisselle s'écoulant par un tuyau indépendant non conforme aux normes.

Mme [U] qui a indiqué n'avoir vécu que peu de temps dans cet immeuble ne démontre pas que le tuyau a été placé après la vente.

De plus, l'attestation émanant de la mairie produite en annexe de l'acte de vente si elle évoque un raccordement, énonce également qu'aucun contrôle n'a été effectué depuis plus de 20 ans, date du raccordement initial.

Ainsi, l'ensemble du bien vendu n'était pas raccordé et ce en contradiction avec les dispositions contractuelles de l'acte de vente stipulant qu'il était raccordé au réseau d''assainissement communal, ce dont il résultait que Mme [U] s'était engagée à délivrer un bien dont toutes les évacuations y étaient directement raccordées,

Le manquement à l'obligation de délivrance conforme est donc démontré et la décision sera confirmée sur ce point.

Sur l'indemnisation du préjudice

Le tribunal a fixé l'indemnisation des acquéreurs toutes causes de préjudices confondues à la somme de 5 748,08 euros.

L'acquéreur qui demande, non la résolution de la vente, mais l'allocation de dommages intérêts, doit justifier de l'existence d'un préjudice.

- prise en charge du coût des travaux

Mme [R] et M. [E] sollicitent les sommes de :

- 2 436,28 euros au titre du raccordement,

- 2 000 euros au titre de la taxe afférente.

A l'appui de leur demande, ils produisent un devis du 26 juillet 2021 d'un montant de 2 436,28 euros pour un raccordement des eaux usées au réseau.

Ils produisent également le courrier du maire de [Localité 5] mentionnant que la taxe de raccordement s'élève à la somme de 2 000 euros, un second raccordement devant être effectué.

Les sommes sollicitées sont en lien avec le manquement ci dessus relevé de Mme [U] consistant dans la délivrance d'un bien non conforme s'agissant du raccordement de la partie cuisine au réseau public.

Il sera donc fait droit à la demande par voie de confirmation de la décision attaquée.

- sur le préjudice moral

Les intimés sollicitent le versement de la somme de 1 000 euros au titre de leur préjudice moral arguant avoir été affectés par cette découverte, s'être heurtés au silence et aux dénégations de l'appelante, avoir du recourir aux services d'un huissier, et avoir été dans l'obligation de solliciter les voisins pour établir une attestation.

Le manquement de Mme [U] consiste à n'avoir pas livré une maison entièrement raccordée au réseau public.

Les intimés ne rapportent pas la preuve d'un préjudice moral en lien avec ce non-raccordement partiel.

En effet, le préjudice moral allégué est uniquement en lien avec la procédure judiciaire en cours et le fait que Mme [U] ait dénié sa responsabilité ce qui ne constitue pas en soi une faute.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre d'un préjudice moral et la décision sera infirmée en ce sens.

Sur les autres demandes

Les intimés sollicitent en cause d'appel le remboursement des frais de constat d'huissier d'un montant de 311,80 euros.

Cette demande sera rejetée, ces frais étant déjà pris en compte au titre des frais irrépétibles.

Succombant à l'instance, Mme [U] sera condamnée aux entiers dépens.

Elle sera également condamnée à payer à Mme [B] [R] et à M. [P] [E] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'elle a condamné Mme [F] [U] à verser la somme de 1 000 euros à Mme [B] [R] et à M. [P] [E] à titre d'indemnisation de leur préjudice moral.

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [B] [R] et à M. [P] [E] de leur demande au titre d'un préjudice moral,

Y ajoutant,

Condamne Mme [F] [U] aux entiers dépens,

La condamne à payer à Mme [B] [R] et à M. [P] [E] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par le présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,