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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 13 juin 2024, n° 23/07613

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Elite 5 Soccer (SAS)

Défendeur :

EPIC (Localité 6)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme De Rocquigny Du Fayel

Vice-président :

Mme Pages

Conseiller :

Mme Igelman

Avocats :

Me Gourion-Richard, Me Dupuis, Me De La Brosse

TJ Nanterre, du 28 sept. 2023, n° 23/010…

28 septembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Elite 5 Soccer est spécialisée dans la mise à disposition d'installations sportives.

Le 3 novembre 2011, l'établissement public industriel et commercial [Localité 6] (l'organisme [Localité 6]) a conclu avec la société Elite 5 Soccer une convention portant sur l'occupation d'installations sportives situées [Adresse 10] à [Localité 5] (Hauts-de-Seine).

La convention, conclue initialement pour une durée de six années, a été à maintes reprises prolongée.

Le 20 juillet 2021, l'organisme [Localité 6] a informé la société Elite 5 Soccer qu'aucun renouvellement de la convention lui serait octroyé après le 31 décembre 2021.

Par acte du 12 octobre 2021, la société Elite 5 Soccer s'est vue signifier une sommation d'avoir à quitter les lieux au 31 décembre 2021.

Par courrier du 20 octobre 2021, la société Elite 5 Soccer a sollicité une prolongation de la convention jusqu'au 31 juillet 2022, laquelle demande a été refusée.

Par acte de commissaire de justice délivré le 4 avril 2023, l'organisme [Localité 6] a fait assigner en référé la société Elite 5 Soccer aux fins d'obtenir principalement son expulsion et l'autorisation de séquestrer les objets et meubles meublants en garantie du paiement des sommes dues.

Par ordonnance contradictoire rendue le 28 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Elite 5 Soccer,

- rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Elite 5 Soccer,

- ordonné, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et sous astreinte de 150 euros par jour de retard pendant une durée de 90 jours, l'expulsion si besoin avec le concours de la force publique, de la société Elite 5 Soccer ou de tous occupants de son chef des terrains qu'elle occupe [Adresse 4] et [Adresse 2] à [Localité 5] (92),

- autorisé l'établissement public [Localité 6] à placer sous séquestre, en garantie du paiement des sommes dues, les objets mobiliers et meubles meublants se trouvant sur ces terrains,

- mis à la charge de la société Elite 5 Soccer la somme de 2 500 euros à payer à l'établissement public [Localité 6] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Elite 5 Soccer de l'ensemble de ses demandes,

- mis à la charge de la société Elite 5 Soccer les entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 9 novembre 2023, la société Elite 5 Soccer a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 décembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Elite 5 Soccer demande à la cour, au visa des articles 905 et suivants, 834 et 835 du code de procédure civile, L. 2111-1, L. 2211-1, et L. 2221-1 du code général de la propriété des personnes publiques, L. 145-5-1 et suivants du code de commerce, de :

'- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Elite 5 Soccer.

- déclarer recevables et fondées les demandes formées par la société Elite 5 Soccer.

y faisant droit,

à titre principal :

- réformer l'ordonnance de référé rendue le 28 septembre 2023 par le président du tribunal de judiciaire de Nanterre, en ce qu'elle a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Elite 5 Soccer,

- rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Elite 5 Soccer,

- ordonné, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et sous astreinte de 150 euros par jour de retard pendant une durée de 90 jours, l'expulsion, si besoin avec le concours de la force publique, de la société Elite 5 Soccer ou de tous occupants de son chef des terrains qu'elle occupe [Adresse 4] et [Adresse 2] à [Localité 5] (92),

- autorisé l'établissement public [Localité 6] à placer sous séquestre, en garantie du paiement de sommes dues, les objets mobiliers et meubles meublants se trouvant sur ces terrains,

- mis à la charge de la société Elite 5 Soccer la somme de 2 500 euros à payer à l'établissement public [Localité 6] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Elite 5 Soccer de l'ensemble de ses demandes,

- mis à la charge de la société Elite 5 Soccer les entiers dépens de l'instance.

en conséquence,

- se déclarer incompétent au profit du juge administratif,

en conséquence,

- rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions présentées par [Localité 6] ;

- rejeter les demandes d'expulsion formulées par [Localité 6] à l'encontre de la société Elite 5 Soccer sur les fondements des articles 834 et 835 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire :

- condamner [Localité 6] à payer à Elite 5 Soccer la somme de 717 163 euros à titre d'indemnité d'éviction, auxquels s'ajoutent les droits d'enregistrement et taxes applicables ;

en tout état de cause :

- condamner [Localité 6] à payer à Elite 5 Soccer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner [Localité 6] en tous les dépens.

- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Maître Julie Gourion Richard, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 janvier 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l'établissement Public [Localité 6] demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de :

'- déclarer l'établissement [Localité 6] recevable et bien-fondé en ses conclusions ;

y faisant droit

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 28 septembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre

en conséquence

- rejeter les demandes formulées par la société Elite 5 Soccer ;

y ajoutant

- condamner la société Elite 5 Soccer au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

Par message RPVA en date du 27 mai 2024, la cour a invité les avocats à fournir des explications par note en délibéré sur l'irrecevabilité soulevée d'office de la demande subsidiaire de l'appelante en paiement au titre de l'indemnité d'éviction, non formulée à titre provisionnel devant la juridiction des référés, avant le 29 mai 2024.

Par message du même jour, le conseil de l'appelante a répondu qu'elle confirmait que « les conclusions tendant à condamner l'intimée à lui payer la somme de 717.163 euros, à titre d'indemnité d'éviction, étaient déjà présentées devant le Juge des référés du Tribunal judiciaire » ; qu'il ne s'agit donc pas d'une demande nouvelle en appel et qu'elle donc parfaitement recevable.

Par message reçu le 29 mai 2024, le conseil de l'organisme [Localité 6] a fait quant à lui valoir que cette demande en paiement d'indemnités, si elle n'est pas nouvelle en appel au sens de l'article 524 du code de procédure civile, est toutefois irrecevable en ce qu'il s'agit d'une demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts et non d'une provision à valoir sur lesdits dommages et intérêts, excédant par là les pouvoirs du juge des référés et de la cour à sa suite.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'exception d'incompétence :

La société Elite 5 Soccer sollicite tout d'abord l'infirmation de l'ordonnance qui a rejeté son exception d'incompétence de la juridiction judiciaire au profit des tribunaux administratifs.

Elle soutient que doit être considéré comme faisant partie du domaine public un bien appartenant à une personne publique, pour lequel celle-ci a pris la décision de l'affecter à un service public et pour lequel l'aménagement indispensable à l'exécution de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, et que les 3 conditions en découlant sont en l'espèce remplies.

Elle fait observer que cette conception dite de la domanialité publique « virtuelle » est admise de longue date par le Conseil d'Etat et a encore été confirmée par celui-ci après l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques.

Elle relate en substance qu'il est avéré que depuis plusieurs années la décision a été prise d'affecter le terrain sur lequel est elle est située à un projet d'aménagement en vue d'accueillir une école et expose que ce projet d'aménagement remplit les critères pour intégrer le terrain en cause au domaine public.

Elle fait valoir à cet égard que l'organisme [Localité 6] indique lui-même dans ses écritures que la saisine du juge des référés est justifiée par la nécessité d'expulser la société Elite 5 Soccer qui « entrave le démarrage des travaux pour la construction d'un groupe scolaire sur la [Adresse 11] » et qu'en outre, la plupart des emplacements de stationnement qu'elle loue sont désormais occupés par des engins de chantier, tandis que les différentes autorisations administratives afférentes au projet sont en cours d'instruction.

Elle avance que dès lors que l'organisme [Localité 6] admet que les démarches juridiques et administratives réalisées ont pour unique objectif de permettre la construction d'un groupe scolaire, celles-ci établissent de manière certaine la destination des biens immobiliers projetée, et en conséquence leur intégration dans le domaine public de l'établissement public, de sorte que le tribunal judiciaire de Nanterre aurait dû se déclarer incompétent.

L'organisme [Localité 6] s'oppose à cette analyse en faisant valoir premièrement que les terrains dont il est propriétaire ne sont ni affectés à l'usage direct du public, ni affectés à un service public selon les termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; que deuxièmement, ces terrains constituent une réserve foncière, comme telle faisant partie du domaine privé des personnes publiques en vertu de l'article L. 2211-1 du même code ; que troisièmement, la théorie dite de la domanialité publique « virtuelle » ne trouve pas à s'appliquer dès lors que les conditions nécessaires à son application ne sont pas réunies, faisant valoir qu'aucun engin de chantier n'occupe le site principal, qu'aucun permis de construire n'a été déposé puisque son obtention est bloquée du fait de la présence sur le terrain concerné des anciens bâtiments de la société Elite 5 Soccer, et qu'aucun contrat de travaux n'a été conclu.

Il prétend que la réalisation du groupe scolaire à l'emplacement occupé illégalement par la société Elite 5 Soccer revêt encore un caractère incertain puisque de nombreuses étapes restent encore à réaliser.

Il ajoute qu'en tout état de cause, la domanialité des terrains ne peut pas être appréciée au-delà de la date à partir de laquelle la société Elite 5 Soccer est devenue occupant illégal, soit le 31 décembre 2021.

Il considère que la convention litigieuse porte, sans contestation possible, sur l'occupation de son domaine privé.

Sur ce,

L'article L. 2111-1du code général de la propriété des personnes publiques dispose que sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public.

Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 8e et 3e chambres réunies, 22 mai 2019 ' n° 423230), lorsqu'une personne publique a pris la décision d'affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l'aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public.

Au cas présent, le premier juge a exactement retenu que les terrains sur lesquels l'appelante organise son activité sportive de « foot à cinq », selon une convention de mise à disposition du 3 novembre 2011, plusieurs fois prolongée pour s'achever au 31 décembre 2021, ne sont actuellement ni affectés à l'usage direct du public, ni spécialement aménagés pour les besoins de l'exécution d'un service public.

Si l'organisme [Localité 6] projette la création d'un groupe scolaire dit « des [7] » sur lesdits terrains, le premier juge a également justement retenu qu'aucune pièce du dossier ne permettait de considérer que des travaux en ce sens aient d'ores et déjà été entrepris.

En effet, seuls figurent aux débats le Cahier des charges de cession de terrain du groupe scolaire [7] en date du 26 août 2021, qui est un document précédant les demandes d'autorisations d'urbanisme en vue de la réalisation du projet, ainsi qu'un récépissé de déclaration de permis de construire émanant de l'ordre des architectes, attestant seulement qu'un permis de construire concernant l'opération litigieuse a été établi, mais non déposé.

Si le courrier de l'ARS en date du 27 janvier 2022 mentionne que ledit permis aurait été déposé, cela n'est confirmé par aucun autre élément qu'il aurait été aisé de produire si tel était effectivement le cas, alors qu'il en ressort en tout état de cause, que la création du groupe scolaire est encore à l'état de projet et qu'aucun aménagement indispensable à sa réalisation ne peut être regardé comme entrepris de façon certaine.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'ordonnance querellée a retenu que le juge judiciaire était bien compétent pour connaître de ce litige relatif au domaine privé de l'organisme [Localité 6]. Elle sera confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée.

Sur l'expulsion :

La société Elite 5 Soccer sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée entendant démontrer que d'une part l'existence d'un bail commercial, et d'autre part, l'absence d'éviction régulière, sont de nature à empêcher tout constat d'une situation manifestement illicite.

Elle soutient qu'elle doit être considérée comme preneuse à bail et que l'organisme [Localité 6] ne vise aucune circonstance particulière de nature à justifier la conclusion d'une convention d'occupation précaire signée entre elles.

Elle fait valoir que si la convention initiale tentait de fonder son occupation sur les dispositions de l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme, [Localité 6] a très clairement souhaité remplacer ces dispositions par celles uniquement visées à l'article L. 145-5-1 du code de commerce, dans son avenant n°2, lequel précise que « la convention objet du présent avenant est une convention d'occupation précaire dérogeant aux dispositions des baux commerciaux en application de l'article L. 145-5-1 du code de commerce. Le caractère précaire de cette convention est justifié par :

' la volonté de l'EPADESA de réaliser un projet d'aménagement du secteur des [Adresse 8] à [Localité 5], conformément à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;

' la faible redevance d'occupation par rapport au prix du marché ;

' la durée incertaine de la mise à disposition ».

Elle entend démontrer que les trois motifs présentés dans la convention ne suffisent pas à justifier l'existence d'une convention d'occupation précaire au sens de l'article L. 145-5-1 du code de commerce qui dispose que n'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.

Elle soutient que l'organisme [Localité 6] ne peut se prévaloir de sa propre « volonté » d'aménager le secteur des [Adresse 8] ; que le fait qu'elle occupe le terrain depuis une dizaine d'années rend inopérant l'argument tiré d'un projet d'aménagement imposant l'occupation précaire du terrain, alors que si le juge judiciaire retenait sa compétence, il en découlerait que la matérialité du projet est insuffisamment établie.

Elle prétend que la faiblesse de la prétendue redevance par rapport au prix du marché n'est pas attestée, alors que les avenants successifs ont largement réévalué à la hausse son loyer.

Elle ajoute que la « durée incertaine de la mise à disposition » a été abusivement exploitée pour tenter de justifier le recours à une convention d'occupation précaire, la fréquence et le nombre de renouvellements opérés (5 au total), ne pouvant résulter d'une circonstance particulière indépendante des parties.

Elle en conclut qu'il y a lieu de considérer qu'elle est titulaire d'un bail commercial qui aurait dû faire l'objet d'une éviction conforme aux dispositions applicables.

Si la cour devait se prononcer sur l'application de l'article 834 du code de procédure civile, elle entend démontrer que la contestation sérieuse de la demande est déjà révélée par les éléments ci-dessus développés et qu'aucune urgence n'est caractérisée.

Elle fait valoir que la [Adresse 11] constitue une zone d'aménagement dont le développement est poursuivi depuis plus de 15 ans, dont les projets d'aménagement commencent tout juste à sortir de terre, et qu'il n'est pas établi que l'intimée sera en droit de faire construire sur le terrain litigieux l'établissement scolaire souhaité comme cela résulte notamment de la position de l'ARS.

A titre subsidiaire et reconventionnel, la société Elite 5 Soccer argue d'un refus irrégulier de renouvellement du bail commercial et demande le paiement, soit de dommages et intérêts pour éviction irrégulière, soit d'une d'indemnité d'éviction, à hauteur de la somme de 717 163 euros, auxquels s'ajoutent les droits d'enregistrement et taxes additionnelles.

L'organisme [Localité 6] sollicite quant à lui la confirmation de l'ordonnance entreprise, répondant que c'est vainement que l'appelante se prévaut d'un bail commercial dont la réalité est contredite par l'analyse des stipulations contractuelles et le droit applicable en matière de réserve foncière.

Il soutient qu'il découle des articles II de la convention relatif à son objet et VII relatif à la durée de la mise à disposition, la démonstration indiscutable que la convention accordée revêt la forme d'une convention d'occupation du domaine privé consentie à titre précaire et révocable, de sorte qu'il pouvait librement la résilier sans qu'il n'en découle un droit à indemnisation.

Il avance que les stipulations de la convention sont suffisamment explicites pour que la cour n'ait pas à apprécier différemment la commune intention des parties.

Il cite l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme aux termes duquel les réserves foncières ne peuvent faire l'objet que d'autorisations temporaires et précaires.

Il ajoute que l'occupation a bien été autorisée à raison de la survenance d'un événement dont la date n'était pas certaine, soit la création de la ZAC, et que la mention dans la convention relative à l'article L. 145-5-1 du code de commerce n'est pas de nature à faire échec à l'application de droit de l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme.

Il considère que c'est donc à bon droit que l'ordonnance critiquée a prononcé l'expulsion de la société Elite 5 Soccer sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile.

Si la cour devait se fonder sur l'article 834 du même code, il soutient avoir un besoin urgent d'obtenir la libération des terrains dans la mesure où leur occupation sans droit ni titre empêche la poursuite des opérations projetées depuis de nombreuses années et la mise en place d'une politique publique essentielle pour le territoire s'agissant de la construction d'un groupe scolaire au sein d'un nouveau quartier mixte et urbain, insistant également sur la nécessité de réaliser sans tarder des études de sols permettant d'évaluer le niveau de pollution des terrains, en vue d'obtenir un avis favorable de l'ARS.

Sur les demandes reconventionnelles de l'appelante, l'intimée relève qu'une convention d'occupation du domaine privé, précaire et révocable, ne peut être requalifiée en bail commercial et souligne que conformément à l'article II de la convention, la mise à disposition ne donnait lieu à aucune indemnisation en fin de contrat, tandis qu'elle s'est strictement conformée aux stipulations prévoyant les modalités de la résiliation.

Sur ce,

Aux termes de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite est caractérisé par 'toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit' qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.

Il est admis que l'occupation irrégulière du terrain d'autrui constitue un trouble manifestement illicite susceptible de permettre l'application du texte rappelé ci-dessus qui autorise la mesure d'expulsion pour mettre fin au trouble.

Au cas présent, les parties ont conclu le 3 novembre 2011 une « convention de mise à disposition de terrain(s) sous conditions suspensives, concernant l'assiette foncière de [Adresse 10] (n° 4 et 6) et [Adresse 9] (n° 294/296/298) à [Localité 5], dans le cadre de l' « Opération d'aménagement des [Adresse 8] à [Localité 5] », pour une durée de cinq ans et trois mois, la mise à disposition pouvant être renouvelée d'un commun accord, ainsi qu'il est stipulé à l'article VII de cette convention, relatif à la « durée de la mise à disposition ».

Ce même article prévoit ensuite que :

« Sans préjudice des stipulations prévues à l' « Atricle IX - Indemnité », l'EPADESA se réserve la possibilité, ce qui est expressément accepté par l'occupant, de résilier de plein droit (avec un préavis de trois (3) mois) la convention d'occupation temporaire à tout moment après envoi d'une lettre en recommandé avec accusé de réception ».

Cette convention a fait l'objet de 5 avenants afin de prolonger la durée de la mise à disposition des terrains du 2 juillet 2017 au 31 décembre 2017 (avenant n° 1 du 1er juillet 2013), du 31 décembre 2017 au 31 décembre 2018 (avenant n° 2 des 1er et 14 février 2017), jusqu'au 31 juillet 2020 (avenant n° 3), jusqu'au 28 février 2021 pour l'ensemble du site, puis jusqu'au 31 décembre 2021 pour la partie bâtie uniquement (avenant n° 4 du 12 juillet 2020), et enfin jusqu'au 31 décembre 2021 pour l'ensemble du site (bâtiment et terrains extérieurs) (avenant n° 5 du 8 janvier 2021).

Conformément aux stipulations de la convention relatives à sa résiliation, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 juillet 2021, réceptionnée le 22 juillet 2021, l'organisme [Localité 6] a informé la société Elite 5 Soccer que l'occupation prendrait définitivement fin au terme prévu par l'avenant n° 5 et que la convention ne ferait plus l'objet de prorogation supplémentaire, courrier auquel était annexé le planning des travaux concernant la construction du groupe scolaire.

Constatant que ce courrier n'avait pas été suivi d'effet, par acte du 12 octobre 2021, l'organisme [Localité 6] a fait délivrer à la société Elite 5 Soccer une sommation de quitter les lieux et de s'exécuter dans un délai de 8 jours, vainement.

Le maintien dans les lieux par la société Elite 5 Soccer a par ailleurs été constaté par un huissier de justice selon procès-verbal du 2 août 2022.

Il infère de l'ensemble de ces éléments qu'en violation des stipulations conventionnelles des parties, la société Elite 5 Soccer se maintient illégitimement dans les lieux depuis le 31 décembre 2021.

Pour revendiquer le droit de rester dans les lieux, la société Elite 5 Soccer soutient que la convention des parties devrait s'analyser en un contrat de bail commercial.

Toutefois, l'appelante ne conteste pas les mentions figurant en introduction de la convention de mise à disposition initiale, lesquelles rappellent en préambule que l'organisme [Localité 6] est propriétaire du bien objet de la convention suivant acte notarié du 3 janvier 1994, acquisition ayant eu lieu dans le cadre d'une Zone d'Aménagement Différée, de sorte que le bien constitue une réserve foncière au sens de l'article L. 221-1 du code de l'urbanisme.

Aux termes de l'article L. 221-2 du même code, la personne publique qui s'est rendue acquéreur d'une réserve foncière doit en assurer la gestion raisonnablement.

Avant leur utilisation définitive, les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet d'aucune cession en pleine propriété en dehors des cessions que les personnes publiques pourraient se consentir entre elles et celles faites en vue de la réalisation d'opérations pour lesquelles la réserve a été constituée. Ces immeubles ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive.

Le fait qu'à l'occasion de l'avenant n° 3 à la convention il ait été décidé d'insérer un point 1.2 dans l'article II initialement exclusivement consacré à l'objet du contrat sur « la qualification juridique de la mise à disposition », indiquant que la convention est une convention d'occupation précaire dérogeant aux dispositions des baux commerciaux, en application de l'article L. 145-5-1 du code de commerce, lequel prévoit que n'est pas soumise aux dispositions d'ordre public régissant le bail commercial, la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'une réserve foncière et l'occupation nécessairement précaire du terrain en cause qui en résulte.

Au contraire même, l'insertion dans l'acte liant les parties de la référence à l'article L. 145-5-1 du code de commerce vient conforter l'existence au cas présent d'une convention d'occupation, laquelle n'est pas limitée dans le temps et peut durer tant que le motif de précarité qui a justifié sa conclusion ne se réalise pas, tandis qu'elle est exclusive de l'application du régime des baux commerciaux.

Si l'article L. 145-5-1 prévoit que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties, circonstances indépendantes de la seule volonté des parties qui doivent exister au moment de la signature de la convention (voir notamment Cass. 3e civ. 31 janvier 2012 n° 10-28.591 et Cass. 3e civ. 7 juillet 2015 pourvoi n 14-11.644), il ressort sans contestation possible du préambule de la convention initiale que celle-ci concerne des terrains situés dans une ZAD, dans l'attente de la réalisation du projet d'aménagement du secteur des [Adresse 8], caractérisant les circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties et justifiant ainsi le recours à une convention d'occupation précaire.

L'appelante critique aussi vainement « la faiblesse de la redevance », se contentant de relever que le montant de la redevance a été réévalué à l'occasion de la signature des avenants successifs, sans démontrer que ces réévaluations auraient entraîné un montant de redevance élevé par rapport au prix du marché.

Par ailleurs, le fait que la durée de l'occupation consentie ait été renouvelée à 5 reprises ne permet pas de contredire l'existence d'une « durée incertaine de la mise à disposition », cette durée ayant été clairement ajustée au planning d'aménagement de la ZAD, pour lequel l'organisme [Localité 6] n'est pas seul décisionnaire.

En conséquence, la qualification de la convention d'occupation précaire conclue, reflète bien en l'espèce la commune intention des parties, et la requalification en bail commercial est exclue.

Partant, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que le maintien dans les lieux de la société Elite 5 Soccer, après l'expiration du délai d'occupation convenu et malgré les mises en demeure de quitter les lieux, est constitutif d'un trouble manifestement illicite et a prononcé son expulsion dans les conditions développées au dispositif de sa décision.

L'ordonnance critiquée sera en conséquence confirmée.

Le trouble manifestement illicite étant caractérisé, il n'y a nul besoin d'examiner le litige sur le fondement de l'article 834 du code de procédure civile.

En outre, l'éventuelle éviction irrégulière alléguée ne pouvant trouver à s'apprécier que dans le cadre d'un bail commercial dont il a été vu qu'il n'existait pas, les demandes à ce titre seront rejetées, étant souligné qu'elles sont en tout état de cause irrecevables s'agissant de dommages et intérêts et d'indemnités demandés, et non de provisions que seules la juridiction des référés peut octroyer.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Elite 5 Soccer ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à l'organisme [Localité 6] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du 28 septembre 2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette le surplus des demandes,

Dit que la société Elite 5 Soccer supportera les dépens d'appel,

Condamne la société Elite 5 Soccer à verser à l'établissement public [Localité 6] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller faisant fonction de président et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.